Auteur (s): Pauline Le Roux
Organisation affiliée: Centre d’études stratégiques de l’Afrique
Type de publication: Article
Date de publication: 25 février 2019
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Une menace insidieuse
« Le Centre est le ciment de notre pays » déclarait Ali Nouhoum Diallo, ancien président de l’Assemblée nationale du Mali. Mais c’est bien dans le centre du Mali que la violence a augmenté de façon alarmante ces dernières années. Depuis 2015, le nombre d’évènements violents associés aux groupes djihadistes dans les régions de Mopti et Ségou est passé de quelques dizaines à près de 150 par an, faisant du centre du Mali la zone la plus dangereuse du pays. Plus de 500 civils y ont été tués en 2018, et plus de 60 000 ont fui les violences. Dans la région de Mopti, plus de 972 000 personnes ont besoin d’assistance humanitaire. En dépit d’une attention internationale et régionale croissante, le cycle de violence ne s’est pas stabilisé.
De même que le centre est devenu le point névralgique de l’activité terroriste au sein du pays, le Mali a concentré 64% de toutes les attaques commises au Sahel et liées aux groupes extrémistes en 2018. Alors que la hausse des violences est attribuée à une coalition de groupes extrémistes appartenant au Jama’at Nusrat al-Islam wal Muslimeen(JNIM ou « Groupe de soutien à l’Islam et au Musulmans »), un groupe en particulier a joué un rôle majeur dans cette déstabilisation : le Front de Libération du Macina (FLM), aussi connu sous le nom de « Katiba Macina ». En 2018, le FLM a été associé à 63% de tous les évènements violents dans le centre du Mali et à un tiers de ces évènements dans l’ensemble du pays.
Qu’est-ce que le Front de Libération du Macina et quelles sont ses motivations?
Le Front de Libération du Macina a fait son apparition pour la première fois en janvier 2015, se lançant pour objectif de « réinstaller la République islamique du Macina ». Ce nom est une référence directe à l’ancien Empire du Macina, qui, de 1818 à 1853, rassembla un vaste territoire comprenant les régions de Ségou, Mopti et Tombouctou. L’Empire du Macina, marqué par la domination des Peuls, fut régi par la loi islamique, qui fut alors appliquée sur l’ensemble de son territoire. Le FLM a développé un narratif fondé sur ce passé historique, misant sur un soutien populaire et poursuivant l’objectif ultime de s’emparer du centre du Mali et de se substituer à l’Etat malien.
Bien qu’elle ne l’ait pas revendiqué publiquement à ses débuts, la « katiba Macina » était initialement très étroitement liée à Ansar-Dine et son chef, Iyad Ag Ghaly. Fondé en 2012, Ansar-Dine comptait parmi les groupes djihadistes ayant fait alliance avec les groupes séparatistes touareg et ayant par la suite lancé une offensive qui s’est traduite par la prise de contrôle du nord et d’une grande partie du centre du Mali.
La katiba Macina fut fondée par Amadou Koufa, un prêcheur Peul radical de la région de Mopti. Koufa grandit dans la ville de Niafunke, au centre du Mali. Il travaille d’abord comme griot – poète traditionnel – plaidant dans ses prêches pour davantage de justice sociale et pratiquant lui-même un islam modéré. Formé dans des écoles coraniques, c’est seulement après ses 40 ans que Koufa se serait progressivement radicalisé, après avoir été en contact avec des prêcheurs pakistanais issus de la secte Dawa.
Les premières attaques officiellement attribuées au FLM au début de l’année 2015, dans les villages de Nampala, Ténenkou et Boulkessi, furent dirigées contre des cibles militaires. En août 2015, le FLM fut sans doute à l’origine d’une attaque majeure contre l’hôtel Byblos à Sévaré, connu pour recevoir de nombreux expatriés et employés internationaux.
Le FLM a eu recours à différentes tactiques : IEDS, explosions et attentats suicides, à l’instar de l’attaque perpétrée contre le siège de la Force conjointe du G5 Sahel, le 29 juin 2018. Au total, le groupe est soupçonné d’être responsable de la mort de centaines de soldats maliens.
Source des données: Armed Conflict Location & Event Data Project (ACLED)
Des tensions aux racines profondes
Incontestablement, le FLM relève du mouvement opportuniste. Ses responsables semblent tous avoir été inspirés et guidés par les théoriciens fondamentalistes d’AQMI et d’Ansar-Dine. Selon des documents découverts par des journalistes au Mali après l’intervention française en 2013, le leader d’AQMI avait conseillé à AQMI et à ses alliés, y compris la katiba Macina, de se faire passer pour un mouvement aux racines entièrement locales et d’éviter de communiquer sur la vocation et le projet d’expansion jihadiste de chacun de ces groupes. Conformément à cette stratégie, le FLM a mis en avant ses racines locales et dissimulé ses liens avec les groupes djihadistes internationaux. Ce faisant, il est parvenu à demeurer un certain temps sous le radar des efforts développés par la communauté internationale en termes de contre-terrorisme.
Marginalisation économique
Les conditions de vie demeurent particulièrement difficiles dans le centre du Mali. En 2009 dans les régions de Mopti et de Ségou, la mortalité infantile s’élevait à 120 enfants pour 1000 naissances, contre 83 pour 1000 dans les zones urbaines. Le taux de pauvreté y est estimé autour de 60% de la population, tandis qu’il est de 11% à Bamako. Concrètement, cela signifie que le centre du Mali, depuis plusieurs années, est devenu la zone la plus pauvre de l’un des pays figurant déjà parmi les plus pauvres au monde. En 2014, il disposait des taux d’électrification par ménage (7% contre 23% au niveau national) et de scolarisation primaire (42% contre 72% au niveau national) les plus faibles du pays.
Dans ce contexte, le discours du FLM a trouvé un écho en proposant une alternative à l’extrême pauvreté. La promesse de gains financiers conséquents a joué un rôle majeur en tant qu’argument de recrutement, en particulier pour les jeunes hommes. Le FLM aurait proposé jusqu’à 750.000 francs CFA (1300$) aux candidats à des attentats kamikazes, une petite fortune au centre du Mali.
Tensions interethniques
L’efficacité d’Amadou Koufa provient en partie de son aisance à l’emploi de la radio comme moyen de propagande et à communiquer en fufulde, la langue de l’ethnie peule. Ses appels en faveur de l’égalité des chances et de réformes politiques ont trouvé un écho particulier chez les jeunes éleveurs peuls, exaspérés par les vols de bétails récurrents, les abus des autorités administratives et de certains chefs traditionnels. En outre, ces jeunes sont en proie à une crise d’identité liée à une remise en question des modèles traditionnels dans le domaine religieux, ethnique et intergénérationnel, que traversent de nombreuses communautés au Sahel.
En raison de leur mode de vie nomade, les Peuls ont toujours occupé une place particulière au Mali, et ils ont le sentiment d’avoir été marginalisés politiquement et économiquement. Ils estiment notamment que les accords de paix consécutifs aux rébellions touarègues du Nord n’ont pas pris en compte leurs intérêts, récompensant au contraire ceux qui se rendaient coupables de vols de bétails et de pillages. Ils entretiennent donc le sentiment d’être traités comme des citoyens de seconde classe. Qu’il soit bien réel ou également le résultat d’une perception, ce sentiment d’exclusion et de sous-représentation des Peuls a nourri un mécontentement grandissant au sein de la communauté, et a joué un rôle-clé dans l’attractivité du FLM dans le centre du Mali.
Une réponse à l’absence chronique de l’État
Le FLM a poursuivi une double-stratégie dans le centre du Mali. Tout en dénonçant l’absence de services publics, il a activement contribué à chasser les représentants de l’État, usant de violences et d’intimidations. En parallèle, le groupe a progressivement établi son contrôle sur de vastes zones et s’est arrogé certaines fonctions régaliennes comme en matière de justice, de sécurité, d’économie et d’éducation. Depuis 2015, cette stratégie a mené au désengagement progressif de l’État et au départ de ses représentants (policiers, professeurs, militaires et préfets) du centre du Mali. A la fin de l’année 2018, 478 écoles étaient fermées dans les régions de Mopti et de Ségou, soit 68% des écoles pour la seule région de Mopti. 65% des écoles fermées au Mali se trouvent dans le centre. Seules les structures de santé ont été épargnées par les djihadistes.
Les réponses nationales et internationales
Outre davantage de formations et d’équipement, il est crucial de renforcer le contrôle de l’action des forces armées vis-à-vis des populations locales. Les allégations régulièrement rapportées d’abus et d’exécutions arbitraires sont particulièrement néfastes, dans la mesure où elles donnent corps au discours des djihadistes et affaiblissent encore la confiance déjà faible des populations dans des forces de sécurité chargées de les protéger. Ce fut le cas, par exemple, lorsque le 19 mai 2018, quelques mois seulement après le lancement officiel de la Force conjointe du G5 Sahel, au moins 12 civils furent abattus par des éléments des forces armées maliennes en représailles à l’assassinat d’un soldat malien à Boulikessi, dans la région de Mopti.
La MINUSMA a été sollicitée pour fournir un appui dans le cadre de l’enquête diligentée sur cet acte. Mais cet incident tragique souligne l’importance de la justice, aspect aussi important que le renforcement des capacités pour les forces de sécurité. C’est seulement en conduisant des enquêtes fiables et en s’attachant à ne pas laisser de tels actes impunis que le gouvernement sera à même de regagner en crédibilité et de reconstruire un lien de confiance largement abîmé.
Au-delà d’un retour de la sécurité, il y a la nécessité de favoriser le retour des services publics, en particulier une éducation de qualité et porteuse d’opportunités pour la jeunesse. Comme le montrent les expériences passées, le retour des services publics doit s’accompagner de mesures visant à garantir que les agents publics puissent rendre des comptes et que les mesures annoncées bénéficient concrètement aux populations cibles.
Le FLM a dès le départ intégré la communication en tant qu’élément central de sa stratégie. Pour le gouvernement malien, contrer cette stratégie signifie le développement d’une communication alternative de la part des pouvoirs publics, y compris à la radio et sur les réseaux sociaux. Ce narratif doit comporter un message fort en particulier en direction des Peuls, et les rassurer sur le fait que le gouvernement n’est pas « anti-Peul », comme le FLM tente de les en convaincre.
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