Auteur (s): Jenny Lorentzen
Organisation affiliée: The Peace Research Institute Oslo; Observatoire Boutros-Ghali du maintien de la paix
Type de publication: Rapport
Date de publication: Mars 2018
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Après le déclenchement de la guerre civile et un coup d’État en 2012, un processus de paix soutenu par la communauté internationale a été lancé en 2013 pour soutenir la transition du Mali. Des négociations de paix ont eu lieu à Alger en 2014-2015, aboutissant à la signature de l’Accord de Bamako entre le gouvernement et les groupes rebelles en mai et juin 2015.
La recherche a montré que les conflits et leurs conséquences peuvent parfois donner lieu à la possibilité de remodeler les relations entre les sexes et promouvoir les droits des femmes.
En outre, les cadres internationaux tels que la Résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations unies sur les femmes, la paix et la sécurité, s’engagent à promouvoir la participation des femmes à la résolution des conflits et à la consolidation de la paix.
Pourtant, les femmes ont été marginalisées tout au long du processus de paix au Mali et leur inclusion n’a pas réellement été considérée comme une priorité.
Contexte du conflit
En 2012, le Mali a été plongé dans une crise dont il ne s’est pas encore relevé, impliquant un coup d’État et une guerre civile sécessionniste dans le Nord, suivie d’une profonde crise politique et humanitaire.
Le processus de paix a fait l’objet de nombreuses critiques l’accusant d’être hautement internationalisé, précipité, et de ne refléter que les propres intérêts des médiateurs, cherchant à renforcer les institutions et les acteurs d’une élite politique corrompue plutôt que d’amener un réel changement politique
La Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) a été autorisée par le Conseil de sécurité des Nations unies le 15 avril 2013 et déployée le 1er juillet. Cette mission est devenue depuis l’une des plus meurtrières de l’histoire de l’ONU.
L’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali « Accord de Bamako » a été signé à Bamako en mai et juin 2015 entre le gouvernement malien et deux coalitions de groupes armés : la Coordination (groupes ayant pris les armes contre le gouvernement en 2012) et la Plateforme (groupes n’ayant pas pris les armes).
Le processus de paix a fait l’objet de nombreuses critiques l’accusant d’être hautement internationalisé, précipité, et de ne refléter que les propres intérêts des médiateurs, cherchant à renforcer les institutions et les acteurs d’une élite politique corrompue plutôt que d’amener un réel changement politique.
Il a été avancé que l’accord visait surtout le retour de l’autorité militaire et sécuritaire de l’État dans le Nord, sans se préoccuper du rôle de l’État dans la fourniture de services de base indispensables à la population. Selon les critiques, dès le premier jour, les négociations ont manqué d’inclusivité.
En effet, les représentants de la société civile, des groupes de femmes et de jeunes ont dû forcer leur accès aux négociations et les influencer. La mise en œuvre de l’accord a été lente et difficile, entravée par des affrontements incessants entre les parties dans le Nord menaçant de faire capoter le processus de paix.
Droits et rôles des femmes au Mali
Le Mali a ratifié la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), ainsi que le Protocole de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits des femmes en Afrique (Protocole de Maputo).
La constitution malienne de 1992 garantit l’égalité des droits à tous les citoyens sans distinction de sexe et le Mali a adopté une politique nationale en matière de genre en 2010. En 2012, le Mali a lancé son premier plan d’action national (PAN) pour la mise en œuvre de la Résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations unies sur les femmes, la paix et la sécurité (PAN 1325). Le deuxième PAN 1325 a été lancé en 2015, pour la période 2015-2017.
Enfin, une loi garantissant un quota de 30 % de femmes dans les nominations aux institutions nationales et aux organes législatifs a été adoptée en décembre 2015. La population du Mali connaît une grande diversité sociale et ethnique, et la société malienne est fortement stratifiée et hiérarchisée en fonction de l’âge, du sexe, de l’origine ethnique et du contexte socio-économique. Malgré sa grande diversité, la société malienne est connue pour sa tolérance interethnique et interreligieuse.
Cette donne change toutefois avec les évolutions induites par la crise actuelle. Cette diversité signifie par ailleurs que les rôles joués par les femmes au sein de leur communauté varient. Alors que les femmes touarègues jouissent traditionnellement d’une position forte au sein de leur communauté, les femmes de nombreux autres groupes occupent une position beaucoup plus marginalisée.
Négociations de Paix
Même si les femmes maliennes sont souvent exclues des processus formels de prise de décision, elles sont très actives dans les associations et les réseaux au niveau local ainsi qu’au sein des ONG au niveau national. Ces organisations servent des objectifs différents selon le lieu et les besoins. Pendant la crise, les femmes se sont organisées pour faire pression sur les acteurs politiques et militaires afin de mettre fin au conflit et revenir à l’ordre constitutionnel.
Comme les négociations devaient avoir lieu à Ouagadougou, les femmes n’étaient pas invitées. Sans même connaître le lieu des négociations à leur arrivée, quatre femmes de la société civile se sont rendues à Ouagadougou pour réclamer leur place autour de la table et la fin des combats.
Bien qu’elles aient dû forcer la porte, elles ont réussi à prendre part aux négociations et s’assurer que bon nombre de leurs préoccupations soient incluses dans l’accord. Dans les négociations d’Alger, malgré la mobilisation des organisations de femmes, avec le soutien d’ONU Femmes et de la MINUSMA, l’inclusion des femmes n’a jamais été une priorité.
La centaine de délégués des trois partis ayant participé aux négociations ne comptait que cinq femmes. La participation de la société civile à Alger était tout aussi limitée, les différentes parties n’y étant pas favorables.
Si l’Accord de Bamako contient des dispositions concernant la protection des femmes et la lutte contre l’impunité, il demeure vague sur d’autres questions relatives au genre, aux droits des femmes et à leur participation au processus de paix.
Mise en œuvre de l’accord de Bamako
L’objectif global du PAN 1325 est de promouvoir la participation des femmes à la mise en œuvre de l’Accord de Bamako. Cependant, celles-ci ont été sous-représentées dans les mécanismes chargés de la mise en œuvre et du suivi de l’accord de paix, et nombre d’entre elles expriment leur frustration face à leur perpétuelle exclusion du processus de paix.
Parmi ces mécanismes figurent le Comité de suivi de l’Accord (CSA), la Commission Désarmement, démobilisation et réintégration (DDR), le Conseil national de Réforme du secteur de la sécurité (RSS), la Commission Vérité, justice et réconciliation (CVJR), ainsi que l’instauration d’autorités intérimaires dans le Nord.
Le Comité de suivi de l’Accord ne compte actuellement aucune femme, et une seule femme a été nommée aux autorités intérimaires. La commission DDR compte également une femme, tandis que le Conseil national de la RSS compte quatre femmes membres. En moyenne, la participation des femmes aux mécanismes de mise en œuvre de l’Accord de Bamako est d’environ 3 %. Alors que la plupart des mécanismes ont été établis et sont opérationnels, le travail est loin d’être terminé.
La CVJR est un mécanisme qui affiche une représentation féminine légèrement meilleure : quatre commissaires sur 25 sont des femmes (16 %). Il s’agit d’une commission vérité chargée d’enquêter sur les violations des droits de l’homme (individuelles et collectives), en particulier celles qui sont commises envers les femmes et les enfants.
Ce que veulent les femmes
Dans les premières phases du processus de paix au Mali, elles ont demandé que les femmes soient incluses dans les négociations de paix et qu’il soit tenu compte de leurs besoins, leurs expériences et leurs recommandations.
Depuis la signature de l’Accord de Bamako, les femmes maliennes ont réclamé un plus grand rôle dans tous les aspects de sa mise en œuvre, et notamment à travers les différents mécanismes. Elles ont également demandé que la présidence des organes d’exécution soit attribuée sur la base d’un principe de parité.
L’adoption de la loi sur les quotas a été considérée comme une victoire majeure, et beaucoup espéraient y voir une opportunité d’accroître la participation des femmes dans le processus de paix.
Mais en dépit de ce progrès, de nombreuses militantes se disent déçues de ne pas voir la loi appliquée, en particulier aux mécanismes de mise en œuvre de l’accord de paix. Les femmes engagées dans le processus de paix craignent par ailleurs que le contenu de l’Accord de Bamako ne soit pas connu du grand public au Mali, en ce compris des femmes. Elles considèrent dès lors comme important de continuer à sensibiliser la population au contenu de l’Accord et au processus de paix.
Pour ce faire, il conviendrait de veiller à ce qu’elles soient représentées au sein du Comité de suivi de l’Accord, et de créer des mécanismes parallèles capables de suivre les progrès au moyen d’indicateurs de genre.
Pour de nombreuses militantes au Mali, la lutte pour accéder au processus de paix semble constituer la continuation d’un combat de longue haleine pour la promotion des droits des femmes.
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