Auteur (s): Bérangère Rouppert
Organisation affiliée: Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP)
Type de publication: Note d’analyse
Date de publication: 15 septembre 2014
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Lorsque la crise libyenne provoque le déclenchement de l’opération « Harmattan » et débouche sur la chute du régime de Mouammar Kadhafi en octobre 2011, c’est l’ensemble des équilibres régionaux, déjà fragiles, qui est bouleversé : la prolifération des armes dans la sous-région accroît l’insécurité et les risques d’attaques terroristes ; l’effondrement du système libyen de sécurité frontalière augmente les flux de personnes et de marchandises illicites ; la peur provoque des fuites incontrôlées de milliers de migrants civils ou ex-combattants pro-Kadhafi, issus majoritairement des tribus touarègues, à même de déstabiliser les équilibres socio-économiques d’États voisins déjà vulnérables, notamment le Mali et le Niger.
Dans ce contexte d’insécurité aiguë, le Niger ne sombre pas, mais le Mali – pourtant vanté pour son régime démocratique – est ébranlé par une nouvelle rébellion touarègue en janvier 2012 et frappé par un coup d’État deux mois plus tard. La zone saharo-sahélienne, jusque-là connue pour ses crises alimentaires et sécheresses épisodiques, se retrouve sous les feux des projecteurs précisément parce que ce ne sont plus les intérêts d’une poignée d’États occidentaux qui se trouvent menacés, mais ceux d’un grand nombre.
Des facteurs historiques, géographiques, économiques et stratégiques poussent une foule d’acteurs à s’investir dans la résolution de(s) (la) crise(s) actuelle(s). Si l’éventail des actions possibles est large – interventions, aide humanitaire, missions militaires, missions de sécurisation et de stabilisation, politiques de développement –, la marge de manœuvre pour articuler les politiques et intérêts des acteurs internationaux avec ceux des acteurs régionaux, nationaux et locaux, est plutôt étroite.
Lorsque la crise libyenne provoque le déclenchement de l’opération « Harmattan » et débouche sur la chute du régime de Mouammar Kadhafi en octobre 2011, c’est l’ensemble des équilibres régionaux, déjà fragiles, qui est bouleversé
Les raisons de l’implication étrangère au Sahel
Les acteurs européens
L’Union européenne et les États sahéliens ont noué des relations politiques, économiques, culturelles et commerciales pour des raisons à la fois historiques et géographiques. Des intérêts stratégiques tels que l’énergie, poussent également au rapprochement entre la rive nord et la rive sud de la Méditerranée puisque l’UE, inquiète pour ses approvisionnements énergétiques, a opté pour des projets gaziers et solaires avec ses partenaires méditerranéens.
Des sources de tension telles que l’immigration clandestine en provenance d’Afrique subsaharienne, la recrudescence d’actions terroristes à l’encontre des Occidentaux et l’augmentation du trafic de drogue à destination de l’Europe, sont également à l’origine des politiques européennes visant à renforcer les institutions étatiques sahéliennes, leurs appareils sécuritaires, douaniers et de défense et à soutenir les programmes visant à développer les zones enclavées de certains territoires (Nord-Mali et Nord-Niger) afin de créer des perspectives professionnelles.
D’autres États européens, à l’instar des Pays-Bas ou du Royaume-Uni, procèdent à une réorientation de leur politique étrangère vers davantage d’implication dans la zone saharo-sahélienne parce que leurs intérêts – économiques principalement – dans les États voisins (États riverains du golfe de Guinée, Algérie, Maroc et Libye) peuvent se trouver mis à mal si un glissement de la crise venait à se produire. L’Italie a le même sentiment puisqu’elle craint les répercussions des « Printemps arabes » en Algérie, Tunisie et en Libye, là où ses intérêts sont présents, sur le plan énergétique notamment, Rome n’ayant ni matières premières ni énergie nucléaire civile.
D’autres États membres, notamment le Danemark, le Luxembourg ou la Belgique, mettent un point d’honneur à respecter les principes d’efficacité de l’aide et ont de ce fait opté pour une concentration géographique et sectorielle de leur aide au développement. Enfin, la France et l’Espagne sont sans doute les deux États européens les plus demandeurs d’une action européenne dans la zone, en raison des menaces planant sur leurs intérêts.
Des sources de tension telles que l’immigration clandestine en provenance d’Afrique subsaharienne, la recrudescence d’actions terroristes à l’encontre des Occidentaux et l’augmentation du trafic de drogue à destination de l’Europe, sont également à l’origine des politiques européennes visant à renforcer les institutions étatiques sahéliennes
Les États-Unis
Mais les pays européens ne sont pas les seuls à lorgner sur la zone saharo-sahélienne. De l’initiative « Eizenstat » de l’administration Clinton à l’intégration dans la politique du grand Moyen-Orient de l’administration Bush fils, le Sahel a fait l’objet d’une attention particulière des États-Unis pour des raisons économiques (renforcer les liens commerciaux et favoriser l’intégration dans l’économie mondiale), énergétiques (pallier aux aléas de l’approvisionnement énergétique du Moyen-Orient, diversifier et sécuriser les sources d’approvisionnement) et sécuritaires (lutter contre le terrorisme et empêcher l’implantation de terroristes sur les territoires sahéliens).
Autres États clés impliqués au Sahel
Depuis les années 1970, la course aux approvisionnements énergétiques s’est accélérée. Dans un contexte où la fiabilité des fournisseurs moyen-orientaux est mise à l’épreuve et où les prix flambent en raison d’un contexte géopolitique explosif, les États énergivores tels la Chine et la Russie, hautement dépendants, se mettent à la recherche de nouvelles sources d’approvisionnement. Or, le Sahel constitue une vaste zone riche en pétrole, gaz, uranium, bauxite et diamants, qui suscite nombre de convoitises de la part de grandes compagnies australiennes, sud-coréennes, canadiennes, indiennes, russes, espagnoles, qataries, etc.
Actions des états membres via les organisations multilatérales
La Stratégie Sahel de l’UE, vecteur principal de l’action des États membres Au fil des entretiens, il est apparu que le vecteur d’action privilégié des États membres demeure sans conteste l’Union européenne, sa valeur ajoutée résidant dans son « vaste éventail de politiques, outils et instruments, dans des domaines allant de la diplomatie à l’aide humanitaire en passant par la sécurité, la défense, la finance, le commerce et la coopération au développement ».
C’est là qu’il faut chercher l’origine de la Stratégie Sahel, encouragée par plusieurs États membres : d’abord la France, dès sa présidence de l’UE en 2008 mais elle échoue à mobiliser les États membres sur son projet d’Union pour la Méditerranée (UpM) destiné, entre autres, à répondre aux enjeux de la région.
Rendue publique en septembre 2011, la Stratégie Sahel est la première stratégie d’approche globale du Service européen d’action extérieure (SEAE) pour une région du monde : elle vise à s’attaquer simultanément aux problèmes de développement et de sécurité afin de prévenir la détérioration de la situation politique, humanitaire et sécuritaire. Axée d’abord sur le Mali, la Mauritanie et le Niger, elle concerne désormais également le Tchad et le Burkina Faso afin de donner une portée résolument régionale à ses actions.
Le premier succès de cette Stratégie est déjà celui d’exister : en effet, il a fallu mettre d’accord les 27 États membres d’alors pour entreprendre une vaste action de long terme dans une zone qui ne figure pas dans les agendas de politique étrangère de tous les États membres. À défaut d’avoir su anticiper et prévenir la crise malienne, l’UE n’a pas manqué le rendez-vous de l’action en post-crise après le lancement de l’opération Serval, puisque sous l’impulsion d’une poignée d’États membres, notamment la France, l’Espagne, l’Italie ou la Belgique, quatre missions de PSDC ont été déployées dans la région (EUCAP Sahel Niger, EUBAM Libye, EUCAP Sahel Mali), dont une militaire (EUTM Mali). S’il est certain que tous les États membres ne partagent pas les mêmes intérêts pour tous les États de la zone, la participation a tout de même été massive, notamment pour EUTM Mali, où 23 États membres étaient représentés lors du premier mandat.
le Sahel constitue une vaste zone riche en pétrole, gaz, uranium, bauxite et diamants, qui suscite nombre de convoitises de la part de grandes compagnies australiennes, sud-coréennes, canadiennes, indiennes, russes, espagnoles, qataries, etc.
Du constat de faillite des programmes d’aide à leur révision
Une volonté politique absente
En 2011, lors de la crise libyenne, le Battle Group en stand-by, – en l’occurrence le Nordic Battle Group considéré comme l’un des plus aptes à une projection –, dite « force de réaction rapide européenne en cas de crise » n’a pas été déployé. L’absence de volonté politique combinée pour certains (France, Suède, Finlande, Italie, Pologne, Roumanie, Lettonie, etc.) à l’existence d’un mécanisme de financement des coûts communs trop restrictif et au décalage entre composition du BG en stand-by et zone de crise, marque l’échec politique d’un outil qui aurait pu ouvrir la voie à une intégration plus poussée de l’UE en matière de PSDC et être utilisée ne serait-ce qu’aux frontières pour faire face aux flux de réfugiés et de combattants ».
Une coordination insuffisante Au Sahel, le manque de coordination a nui aux coopérations : « la redondance de l’assistance internationale » a pu être pointée du doigt (exemple du programme Counter Terrorism Sahel dont les bénéficiaires ont déclaré « recevoir des formations similaires de la part de plus d’un acteur ») ainsi que la « compétition entre bailleurs internationaux », le manque d’adhésion des bénéficiaires aux projets financés (malentendus initiaux sur les objectifs et le contenu de EUCAP Sahel Niger) ainsi que la mauvaise gouvernance dans les pays visés par la coopération.
Objectifs manqués
Pour ce qui concerne l’efficacité de l’aide dans le domaine de la coopération de défense, force est de constater que l’aide massive apportée par la France et les États-Unis n’a pas empêché l’effondrement de l’armée malienne en janvier 2012, janvier 2013 et à nouveau lors des événements de Kidal en mai 2014, ou encore le coup d’État de mars 2012 fomenté par un officier formé aux États-Unis.
Une cohérence à chercher
Pour ce qui concerne la cohérence, l’UE et ses États membres ne sont pas exempts de critiques et éprouvent des difficultés à concilier intérêts nationaux, règles de conduite et intérêts des États bénéficiaires. Deux exemples peuvent illustrer ce constat. Par exemple, lorsque la France a parachuté en 2011 des armes légères aux rebelles libyens, elle a remis en question non seulement les embargos des Nations unies et de l’Union européenne, mais aussi l’Action commune européenne de 2002 qui engage les États membres à respecter des critères relatifs à la nature du destinataire, ses capacités opérationnelles et la Stratégie de l’UE de lutte contre l’accumulation et le trafic illicites d’armes légères et de petit calibre (ALPC) et de leurs munitions. Or cette attitude de la France, contraire à la politique décidée par l’UE, n’a pu être sanctionnée faute d’outils alors même qu’elle constituait un potentiel facteur de déstabilisation pour les régions nord et ouest-africaines.
l’UE et ses États membres ne sont pas exempts de critiques et éprouvent des difficultés à concilier intérêts nationaux, règles de conduite et intérêts des États bénéficiaires
Recommandations
Coordination, cohérence, efficacité et durabilité sont autant de défis que l’UE et ses États membres doivent relever pour aider à la résolution de la crise multidimensionnelle qui sévit au Mali, et prévenir le déclenchement de nouvelles crises. Voici quelques recommandations portant non pas sur le contenu de la Stratégie Sahel de l’UE mais sur les moyens de la mettre en œuvre :
Davantage de coordination à tous les niveaux
La région saharo-sahélienne est une zone d’action de choix pour le Représentant spécial de l’UE pour le Sahel, qui entame son deuxième mandat, d’autant plus que l’arrivée de multiples acteurs ayant chacun leur Stratégie Sahel (Nations unies, Maroc, France, CEDEAO, G5, etc.), impose de « trouver un cadre afin que toutes ces stratégies se parlent » et remédier à l’impression qui se dégage actuellement d’actions parcellaires et déconnectées les unes des autres.
Répondre à des besoins
Répondre à des besoins exprimés et mettre en œuvre des programmes en concertation avec les pays cibles pour favoriser d’abord leur appropriation puis l’autonomisation sont des conditions de succès primordiales pour n’importe quel acteur. Dans ce cadre, l’encouragement ou le soutien aux initiatives régionales semblent un angle d’approche approprié.
Se donner les moyens de ses ambitions en décloisonnant
L’UE doit s’adapter pour répondre aux ambitions qu’elle se fixe. La Stratégie Sahel établit un lien explicite entre sécurité et développement : l’UE doit donc se doter des moyens d’agir dans le domaine « sécurité et défense ». Pour l’instant, elle procède à des détachements d’experts provenant d’États membres ou d’officiers de liaison provenant de missions PSDC pour assurer cette fonction dans les Délégations de l’UE dans certains pays en cas de crise. Une systématisation de ce procédé serait souhaitable avant que d’envisager une présence pérenne d’experts en sécurité dans l’ensemble des délégations mais également à Bruxelles.
La perspective d’une action européenne à l’échelle régionale se voit limitée par le cloisonnement géographique de certains instruments européens qui tendent à considérer l’Afrique du Nord d’un côté et l’Afrique subsaharienne de l’autre. Les outils doivent donc être adaptés au contexte. La flexibilité doit être également recherchée afin de décloisonner les fonds dédiés au développement et ceux dédiés au secteur de la sécurité.
Assurer une gestion et un suivi transparent, efficace et cohérent de l’aide
En France, la Direction de la coopération de sécurité et de défense a décidé de porter ses efforts sur ce qu’elle appelle la « contractualisation », autrement dit un « contrat d’accompagnement avec engagements réciproques et critères de gestion ». Si lors des évaluations biannuelles, celui-ci n’est pas respecté par l’État bénéficiaire, la partie française pourra se désengager du projet. Il s’agit en quelque sorte d’un retour à la conditionnalité de l’aide qui ne dit pas son nom, mais qui peut être un moyen de garantir une gestion plus efficace des coopérations.
L’efficacité de l’aide repose non seulement sur une bonne gestion des finances publiques mais aussi sur la cohérence des bailleurs de fond dans les programmes qu’ils mettent en place. Le courage politique est de mise lorsqu’il s’agit de lutter contre l’extrémisme violent ou la démographique galopante, deux des menaces les plus aigües présentes dans la région saharo-sahélienne. En dépit de la réticence à discuter de sujets politiquement et diplomatiquement sensibles car touchant à la souveraineté nationale des États visés par l’aide, il n’est pas tenable sur le long terme : 1) de continuer à soutenir le système éducatif (laïc) sans demander en retour une action étatique visant à y intégrer des écoles religieuses hors du système et donc non contrôlées par l’État ; 2) d’améliorer l’accès à la santé sans mener au préalable des campagnes d’Information-éducation-communication avec l’appui des États bénéficiaires.
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