Auteur (s): International Crisis Group (ICG)
Type de publication: Rapport
Date de publication: 12 octobre 2017
En 2015, le Burkina entre dans la catégorie des pays sahéliens victimes des groupes armés et criminels basés essentiellement au Mali, mais opérant dans plusieurs pays de la région. Au nord du pays, la région du Sahel, frontalière du Mali et du Niger, est la zone la plus touchée par les attaques. Pourtant, il faudra l’attaque de Nassoumbou, dans la province du Soum, en décembre 2016 pour que les autorités burkinabè prennent enfin conscience que la crise ne relève pas d’un problème exclusivement malien, mais également de dynamiques endogènes. Ce rapport se focalise sur la province du Soum, épicentre du conflit et lieu de naissance du groupe Ansarul Islam dirigé par Malam Ibrahim Dicko, mais il évoque aussi les autres provinces de la région du Sahel (l’Oudalan, le Séno et le Yagha) ainsi que les autres régions frontalières, qui sont également vulnérables.
Les racines sociales de la crise
Malam Ibrahim Dicko, de la radio au jihad
La crise du Soum s’articule autour d’une figure de la région, fondateur d’Ansarul Islam, Malam Ibrahim Dicko.
Le caractère radical du discours de Malam conduit les autorités locales, coutumières et religieuses à tirer la sonnette d’alarme, mais aucune action préventive n’est véritablement entreprise. Malam aurait un temps été sous la surveillance des services de sécurité du régime de Blaise Compaoré, mais ils ont pu perdre sa trace à la suite de la déstabilisation de l’appareil sécuritaire provoquée par la chute du régime. Il est arrêté en septembre 2013 à Tessalit, dans le Nord du Mali, par l’opération française Serval, avec une importante somme en euros d’après certaines sources. Après un passage en prison à Bamako, il est relâché courant 2015. Il aurait rencontré au Mali son mentor Hamadoun Koufa, le chef du Front de libération du Macina, un groupe armé opérant dans le centre du Mali, courant 2015.
L’action d’Ansarul Islam est fortement imprégnée d’une logique de règlements de comptes, ce qui fait craindre à un élu local que le « cycle de vengeance » ne s’installe dans la durée. L’attaque du poste militaire de Nassoumbou le 16 décembre 2016, qui aurait été menée par Ansarul Islam et l’Etat islamique dans le Grand Sahara (EIGS) et qui a couté la vie à douze soldats burkinabè, permet à Ansarul Islam d’officialiser son existence.
La contestation d’un ordre social figé et inégalitaire
Que Malam soit mort ou vivant, ses idées et son discours de contestation se sont répandus et installés dans la province. Il dénonce tout d’abord l’enrichissement des familles maraboutiques, qui utilisent leur statut de seules détentrices de l’autorité religieuse pour extorquer de l’argent à la population. Cette contestation reflète le clivage entre les familles maraboutiques traditionnelles, qui ont une légitimité historique et au sein desquelles l’imamat se transmet de manière héréditaire, et une nouvelle génération d’érudits musulmans, qui estiment que l’autorité religieuse ne doit plus être l’apanage d’une minorité.
Malam conteste ainsi le fait que seuls les imams issus de ces familles sont habilités à diriger la prière ou à donner des avis en matière de religion, d’autant plus qu’ils n’ont pas toujours les connaissances requises. La maitrise de l’arabe confère à cette nouvelle génération d’érudits une crédibilité aux yeux de la population. Malam dénonce aussi la toute-puissance des chefferies coutumières. Cette contestation de l’ordre établi entraine la remise en cause de pratiques traditionnelles qui, d’après Malam, ne sont pas prescrites par l’islam, telles que le don d’argent aux marabouts lors de cérémonies, la dot ou l’organisation de fêtes coûteuses pour célébrer mariages et baptêmes.
L’action d’Ansarul Islam est fortement imprégnée d’une logique de règlements de comptes, ce qui fait craindre à un élu local que le « cycle de vengeance » ne s’installe dans la durée
Cette rhétorique suscite l’adhésion des plus modestes, car elle leur retire un fardeau financier. Malam conteste également les rapports hiérarchiques entre les descendants de maitres, les Peul, et les descendants d’esclaves, les Rimaibé. Si l’esclavage a été aboli lors de la colonisation, le clivage reste marqué entre ces deux groupes. Pour justifier son discours contestataire, Malam affirme que celui-ci est en adéquation avec un islam pur, non perverti par les traditions. Il dénonce par exemple les inégalités sociales comme étant contraires à l’islam. L’islam sert alors à contester un ordre social figé et inégalitaire et des pratiques qui ne sont plus en adéquation avec les aspirations de la population. Dans cette région, la religion musulmane est davantage présente en tant que tradition qu’en tant que pratique religieuse per se.
Un rapport distant à l’Etat
La perception d’un Etat distant, incapable de fournir des services, explique aussi l’essor du mouvement de Malam. La population a le sentiment que la région du Sahel est délaissée par l’Etat et que ses potentialités économiques ne sont pas mises en valeur. Pourtant, en matière de taux de pauvreté individuelle, le Sahel burkinabè est la deuxième région la moins pauvre du Burkina. C’est d’ailleurs l’existence de richesses agricoles, pastorales et minières qui, par son contraste avec le sous-développement, crée de la frustration.
Faiblesse des infrastructures, routières en particulier, nombre limité de centres de santé et d’écoles, manque d’eau et d’électricité : « tous les indicateurs sont au rouge ». La sècheresse et la faible profondeur des nappes phréatiques mettent en difficulté les principales activités de la région que sont l’agriculture et l’élevage. Djibo, le chef-lieu de la province, abrite le plus grand marché à bétail du pays, mais la ville attend toujours le bitume. Le boom minier montre aux populations que les richesses dont regorge leur sous-sol sont exploitées par des étrangers sans qu’aucun bénéfice ne leur revienne. La demande de plusieurs interlocuteurs à Djibo d’ériger la province du Soum en région administrative afin de favoriser le désenclavement est révélatrice de ce sentiment d’abandon par l’Etat. Ces difficultés sont aggravées par la crise humanitaire provoquée par la montée de l’insécurité.
L’islam sert alors à contester un ordre social figé et inégalitaire et des pratiques qui ne sont plus en adéquation avec les aspirations de la population
Au-delà de la seule région du Sahel, il existe chez les Peul, présents dans tout le Burkina, un sentiment de victimisation. Des membres de la communauté se plaignent d’être sous-représentés parmi l’élite politique et administrative, et déplorent le fait que, selon eux, les institutions de l’Etat (justice, administration, forces de sécurité) favorisent les autres communautés en cas de conflit. Ce rapport difficile à l’Etat complique la lutte contre Ansarul Islam. Les forces de sécurité éprouvaient au départ toutes les difficultés à obtenir la collaboration de la population, soit parce que certains sont des sympathisants du mouvement, soit parce qu’elle se refuse à dénoncer un fils du terroir, ou enfin parce qu’Ansarul Islam a instauré un climat de terreur.
Une province frontalière du Mali particulièrement vulnérable
Il y a eu plusieurs tentatives d’implantation de cellules terroristes au Burkina. A l’Ouest, dans la zone où a eu lieu l’attaque de Samorogouan (région des HautsBassins) en octobre 2015, la Katiba Ansar Dine Sud a essayé, sans succès, de créer une cellule. A l’Est, des éléments d’al-Mourabitoune, groupe né d’une dissidence d’al-Qaeda au Maghreb islamique (AQMI) et dirigé par Mokhtar Belmokhtar, auraient tenté de s’implanter dans la forêt de la Tapoa. Mais parce qu’ils maitrisent moins bien la forêt que le désert, et parce que la coopération militaire entre le Niger et le Burkina fonctionne mieux que celle entre le Mali et le Burkina, ils ont échoué. Leur échec est aussi dû au fait que, contrairement à celles du Soum, les sociétés qui peuplent l’Est et l’Ouest du Burkina sont plus stables et ne sont pas prêtes à entrer en guerre.
Deux éléments qui font défaut et sont indispensables à la lutte contre les groupes armés sont les moyens aériens et le renseignement
Il est faux de percevoir la situation dans le Nord du Burkina comme une extension du conflit malien, même si celui-ci rend plus disponibles les armes de guerre et offre une base de repli aux hommes d’Ansarul Islam. La crise dans le Soum n’est pas le simple miroir de la situation au centre du Mali. Elle relève avant tout d’une forte dynamique endogène. Plusieurs facteurs de vulnérabilité expliquent pourquoi cette province est, de loin, la plus affectée du Burkina Faso.
Un effort militaire considérable
Fin 2016 et début 2017, les attaques dans la province du Soum se sont multipliées, au point que l’Etat semblait en passe de perdre une partie du Nord. Depuis le printemps 2017, les forces de sécurité ont amorcé une reprise en main, mais la menace n’a pas été éradiquée, comme le montre la persistance des assassinats ciblés et la multiplication des attaques.
Le Sahel burkinabè sous la menace
Au printemps 2017, le renforcement de la présence militaire au Nord et les opérations menées avec le Mali et les forces françaises de l’opération Barkhane permettent à l’armée burkinabè de reprendre l’ascendant et de rassurer quelque peu les populations. Les visites dans la région de plusieurs ministres envoient un signal fort que l’Etat ne se retire pas. Même l’opposition reconnait des « avancées dans la lutte contre le terrorisme ». Mais il n’est pas évident pour les forces de sécurité de maintenir la pression et d’inscrire leur présence dans la durée. La saison des pluies, qui entre juillet et octobre rend les routes impraticables et isole les populations, n’a pas entrainé l’accalmie que certains observateurs attendaient.
En outre, les effectifs supplémentaires envoyés dans le Soum sont autant de soldats en moins pour protéger les autres régions, et les attaques pourraient donc se déplacer.
Un appareil sécuritaire en recomposition
Créée en octobre 2015, l’Agence nationale du renseignement (ANR) est une « grosse machine [qui] n’a pas encore vraiment démarré », même si elle a commencé à centraliser le renseignement. Le démantèlement du Régiment de sécurité présidentielle (RSP), unité privilégiée de l’armée sous Compaoré, a également déstabilisé l’appareil sécuritaire.
Il existe dans les milieux sécuritaires burkinabè un sentiment d’agacement envers le voisin malien, qu’ils accusent de ne pas lutter assez efficacement contre les groupes armés actifs sur son territoire, entrainant des débordements côté burkinabè
Deux éléments qui font défaut et sont indispensables à la lutte contre les groupes armés sont les moyens aériens et le renseignement. Les avions de reconnaissance burkinabè, non armés, peuvent seulement signaler une menace ; dans une zone reculée, il faudra plusieurs heures de route pour atteindre le lieu donné. Des hélicoptères de combat sont également nécessaires. Mais au-delà de l’équipement, c’est surtout la formation qui est indispensable. Plus simplement, les forces armées déployées au Nord manquent de motos afin de pouvoir circuler en brousse avec la même aisance que leurs ennemis. Le renseignement humain, quant à lui, fait encore défaut. Tant que les forces armées n’infiltrent pas les populations, comme le font les groupes jihadistes, ces derniers conserveront un avantage.
La coopération régionale et internationale
S’adapter aux menaces transfrontalières implique de renforcer la coopération régionale et internationale. S’ils reconnaissent tous que l’aide de la France est indispensable, les militaires burkinabè souhaitent « se débrouiller seuls », car « personne ne va mourir à [leur] place ». Une partie de l’opinion publique éprouve un sentiment de méfiance à l’égard de la France. Certains l’accusent de mener un double jeu vis-à-vis des groupes armés, notamment les Touareg du Nord-Mali. Il en résulte une volonté de diversifier les partenariats, en se tournant vers les EtatsUnis, l’Allemagne, la Russie ou l’Europe de l’Est. La coopération régionale avec le Mali et le Niger a été renforcée. S’il a enfin été formalisé, le droit de poursuite peut poser problème en raison d’une communication parfois défaillante et de risques d’accrochage entre les armées.
La coopération ne se passe pas aussi bien avec le Mali qu’avec le Niger. Il existe dans les milieux sécuritaires burkinabè un sentiment d’agacement envers le voisin malien, qu’ils accusent de ne pas lutter assez efficacement contre les groupes armés actifs sur son territoire, entrainant des débordements côté burkinabè.
Recommandations
La résolution définitive de la crise dépendra en partie de la stabilisation du Mali ainsi que de la mise en place par le gouvernement et ses partenaires de plans efficaces de développement. Mais elle viendra aussi et surtout de la création de nouveaux équilibres sociaux et d’un règlement par les populations locales de leurs divisions actuelles. Partant de ce constat, le gouvernement pourrait mieux prendre en compte les aspects suivants afin de s’attaquer à la crise :
- Développer des réponses qui tiennent compte des dimensions sociales et locales de la crise. Tant que l’ordre social local continuera à produire des frustrations et des conflits, il sera difficile de trouver un règlement définitif de la crise. L’action de l’Etat est toutefois limitée dans ce domaine, car il n’a pas vocation à modifier une organisation sociale qui prévaut depuis des siècles. C’est davantage aux acteurs locaux qu’incombe la tâche de réflexion et de production de solutions adaptées aux spécificités locales, l’Etat et les partenaires internationaux pouvant au mieux stimuler des initiatives de dialogue entre communautés ou générations.
- Réduire le fossé entre, d’une part, les forces de sécurité et les autorités étatiques et, d’autre part, la population. Plusieurs mesures peuvent y contribuer : améliorer le renseignement humain et mieux protéger les informateurs ; encourager le recrutement de Peul dans les forces de sécurité et la fonction publique (sans pour autant imposer de quotas) ; renforcer les activités civilo-militaires ; favoriser l’affectation dans la région du Sahel de fonctionnaires et de membres des forces de sécurité parlant le fulfuldé (la langue peul) ; et sanctionner plus sévèrement les comportements abusifs.
- Mettre davantage l’accent, dans le programme d’urgence pour la région du Sahel – le volet développement de l’action gouvernementale –, sur la promotion de l’élevage, l’amélioration de la justice et la lutte contre la corruption. Soutenir l’élevage, s’attaquer aux dysfonctionnements dont souffre le système judiciaire et au fléau de la corruption dans l’administration contribuerait à réduire les perceptions négatives de l’Etat en montrant qu’il peut être utile pour ses habitants.
- Œuvrer, à long terme, au renforcement de la coopération judiciaire et policière entre le Mali et le Burkina, afin de faciliter la conduite d’enquêtes qui ont des ramifications dans ces deux pays, la gestion des prisonniers et des suspects et leur comparution devant la justice.
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