Auteur (s): Search for Common Ground et le Conseil National de la Jeunesse du Burkina Faso (CNJ-BF)
Type de publication: Rapport
Date de publication: Septembre 2013
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Aperçu des dynamiques de conflit en œuvre au Burkina Faso
Durant notre enquête, 95% des personnes interrogées ont déclaré que oui, il existe des conflits dans la société burkinabè d’aujourd’hui. Ce chiffre laisse penser que le Burkina n’est pas le pays calme qu’il pourrait paraître, en comparaison avec ses voisins par exemple, et cette étude va le démontrer.
Lorsque l’on essaye d’identifier des tensions particulières, présentes par exemple dans les pays voisins, qui pourraient ainsi affecter la société burkinabè de manière transversale, on remarque premièrement que les tensions ethnico-religieuses semblent relativement marginales. Il arrive que certains conflits, notamment les conflits fonciers ou opposant des éleveurs et des agriculteurs, prennent des tournants ethniques, et certains groupes, parmi la soixantaine qui cohabitent au Burkina, se sentent victimes de préjugés. Cependant, ces tensions sont plutôt jugulées et ne prennent pas les proportions des violences interethniques qui se sont produites durant la guerre en Côte d’Ivoire voisine par exemple.
Du côté religieux, le Burkina témoigne d’une grande diversité, avec quatre grands courants religieux représentés : l’Islam, le Catholicisme, le Protestantisme et l’Animisme. Les musulmans représentent une majorité de la population (60,5% selon le CIA World Factbook) mais ne bénéficient pas forcément d’un grand impact politique, alors que l’Eglise Catholique, bien que minoritaire (19%) a gagné en puissance grâce à la formation d’une élite lettrée depuis l’époque coloniale.
L’Islam et le Christianisme se sont développés parallèlement et sans heurts majeurs au Burkina, de même qu’ils se sont adaptés aux pratiques animistes qui restent très courantes dans le pays. Les conversions sont fréquentes, et si elles sont contraintes, c’est généralement pour des raisons individuelles (mariage, prise de fonction coutumière incompatible avec une certaine religion…). Les rapports entre différentes religions ont traditionnellement été plutôt pacifiques. C’est plutôt au sein des différentes religions qu’il existe des tensions, par exemple entre chiites et sunnites ou entre certains des groupes protestants qui se multiplient et d’autres Chrétiens. L’activisme de groupes islamistes au Mali et au Niger commence à se faire remarquer également au Burkina, avec l’émergence de groupes radicaux, mais ces derniers restent marginaux.
Les conflits opposant des éleveurs et des agriculteurs sont en constante augmentation ces dernières années et se produisent dans toutes les régions du pays
D’un autre côté, un tiers des enquêtés estime qu’il existe des tensions intergénérationnelles, dus par exemple aux mentalités différentes entre jeunes et parents ou à leur comportement vis-à-vis de la terre. Cela nous amènera tout au long de ce rapport à nous intéresser à la place des jeunes dans la société et dans les conflits.
Les types de conflits les plus souvent cités par les enquêtés comme affectant leur communauté se trouvent être les conflits politiques (cités par 64% des enquêtés), les conflits entre agriculteurs et éleveurs (38%) et les conflits familiaux (35%). Les conflits fonciers (23%) et les conflits de chefferie (20%) sont également mentionnés régulièrement. On note cependant qu’aucun conflit ne semble avoir éclaté suite à l’arrivée massive de réfugiés en provenance du Mali, pourtant accompagnés d’un bétail plus important que celui de la population locale, ce qui aurait pu mener à des affrontements autour de plusieurs ressources (eau, aliments, pâturages…).
Cela a été confirmé lors de nos discussions respectives avec les réfugiés et avec la communauté hôte à Goudébou (Sahel), et lors de nos entretiens avec différentes personnes ressources au sein de la Commission Nationale pour les Réfugiés (CONAREF) et de diverses ONG apportant une assistance aux camps de réfugiés, qui par leurs actions de communication et de promotion du dialogue ont évité que des conflits n’éclatent.
Quant aux différentes causes de ces conflits, les enquêtés ont en majorité désigné des facteurs politiques (la mal-gouvernance – 37% ; les intérêts politiques – 21% ; la corruption – 14%) et économiques (la pauvreté – 28% ; les intérêts économiques – 20% ; l’injustice dans l’accès aux ressources – 17% ; le manque d’emploi – 14%). Le manque de communication est également pointé du doigt (18%), entre générations par exemple ou de la part de l’administration à propos des grandes décisions qu’elle prend.
Enfin, lorsque l’on demande aux enquêtés d’identifier les victimes principales des conflits, 41% d’entre eux répondent «toute la population». Cependant, les groupes qui semblent plus particulièrement affectés sont les jeunes (cités par 38% des enquêtés) et les femmes (34%). Un quart des enquêtés mentionne également les enfants (26%).
Les jeunes sont écartés des centres décisionnels, le pouvoir étant accaparé par une élite vieillissante en place depuis plusieurs décennies ; par ailleurs, ils sont fortement affectés par les maux économiques tels que le chômage. Cette marginalisation, l’absence d’alternance tant du point de vue politique qu’économique, la confrontation aux modèles occidentaux et les scandales de corruption impliquant l’élite du pays sont autant de facteurs de frustrations qui entrent en jeu dans les différents conflits que nous verrons ci-après. C’est l’accumulation de ces frustrations qui pousse les jeunes à répondre par la violence aux situations conflictuelles auxquelles ils sont confrontés.
Par ailleurs, malgré une politique d’émancipation de la femme, promue notamment pendant la révolution de Thomas Sankara, les femmes demeurent également très marginalisées dans la société burkinabè. Elles sont souvent dépendantes financièrement de leurs maris, et sont sujettes à diverses pratiques qui ne les protègent pas toujours : polygamie, lévirat – c’est-à-dire la contrainte d’épouser le frère de son mari si ce dernier décède – et mariages forcés.
A travers les différentes discussions de groupe que nous avons menées avec des jeunes et des femmes, une forte demande d’émancipation a été exprimée par les participant (e)s. Cette émancipation passerait selon eux par le renforcement de leurs capacités – en matière d’organisation, d’entreprenariat et de plaidoyer – et leur accès à divers outils tels que le micro-crédit.
A partir de ces informations, nous avons donc porté une attention particulière sur des dynamiques et des acteurs spécifiques, détaillés ci-dessous. Nous nous intéressons tour à tour à trois sources de conflits au sein de la société burkinabè : les ressources naturelles ; l’accès au pouvoir politique et traditionnel ; et les questions économiques, en gardant toujours à l’esprit l’impact différencié de ces conflits sur les jeunes et les femmes.
Les ressources naturelles au cœur des conflits
Les ressources naturelles du Burkina sont rares. Enclavé et sahélien, l’accès à l’eau est difficile dans la majeure partie du pays. La terre subit une forte pression due à une croissance démographique très élevée (3% par an en 2013) et peu régulée, et à l’arrivée d’anciens migrants retournés de Côte d’Ivoire ou de réfugiés arrivés du Mali, ou encore de communautés relocalisées suite à la construction de barrages ou de mines en lieu et place de leur ancien village. Ces ressources sont donc naturellement une source importante de conflits en milieu rural, provoquant par exemple des conflits fonciers et des conflits entre éleveurs et agriculteurs.
Selon le Ministère des Ressources Animales, environ 4.000 conflits entre agriculteurs et éleveurs ont éclaté au Burkina Faso entre 2005 et 2011
Les conflits éleveurs-agriculteurs
Ces derniers semblent être, sinon les plus graves, en tout cas les conflits les plus visibles dans la société burkinabè. 38% des enquêtés ont désigné ce type de conflits parmi ceux les affectant. Tous nos interlocuteurs, même ceux en milieu urbain qui ne sont probablement pas directement touchés par ces conflits, l’ont mentionné durant les discussions et entretiens. L’agriculture et l’élevage sont les activités principales de 80% de la population nationale, et de la totalité en milieu rural. Les conflits opposant des éleveurs et des agriculteurs sont en constante augmentation ces dernières années et se produisent dans toutes les régions du pays, avec des incidents rapportés par exemple dans le Sud- Ouest (Poni), le Centre-Sud (Tiébélé, Bazega), le Centre-Est (Boulgou) et l’Est (Gourma).
Selon le Ministère des Ressources Animales, environ 4.000 conflits entre agriculteurs et éleveurs ont éclaté au Burkina Faso entre 2005 et 2011 – soit environ 600 chaque année – provoquant la mort de 55 personnes, la destruction de fermes, de logements et de bétail. Parce que les médias relaient largement ce genre d’incidents, certains de nos interlocuteurs urbains tendaient à déclarer que les tensions agriculteurs-éleveurs entraînaient systématiquement des violences. Pourtant, les éleveurs que nous avons rencontrés ont déclaré que sur les cinq dernières années, il n’y a pas eu de cas de violence dans leur communauté.
Un système officieux mais bien rôdé de compensation existe à travers le pays pour gérer les conflits entre éleveurs et agriculteurs avant qu’ils ne dégénèrent. Cependant, des incidents violents se déroulent ponctuellement et provoquent d’importants dégâts matériaux et parfois humains. Par ailleurs, ces conflits entre agriculteurs et éleveurs sont ceux prenant parfois une dimension ethnique, opposant généralement des éleveurs peuls, souvent nomades mais parfois sédentarisés, et dont l’élevage est l’activité principale, à des autochtones sédentaires, généralement cultivateurs mais qui peuvent également posséder quelques têtes de bétail, appartenant à divers groupes ethniques selon la région (Mossi, Bissa, Bobo, Gourmantché, Gourounsi, Lobi…).
En particulier, des épisodes de « punition collective » durant lesquelles des cultivateurs se vengent sur la communauté peule environnante pour les méfaits d’un éleveur se sont déjà produits et ont poussé des membres de la communauté peule à dénoncer un traitement différencié basé sur leur appartenance ethnique, allant parfois jusqu’à traiter cela comme les « prémices d’un génocide ».
Ces conflits sont souvent déclenchés par la destruction de champs par des animaux. Les agriculteurs et les éleveurs se rejettent la faute, les uns accusant les éleveurs de ne pas attacher de valeur aux biens d’autrui et de préférer prendre le risque de laisser leurs animaux détruire les champs au risque de devoir payer une amende ; les autres se plaignant que les voies de transhumance sont trop étroites, et que les agriculteurs occupent celles-ci et les autres espaces réservés aux éleveurs (sources d’abreuvage, pâturages…).
Plusieurs facteurs sont en fait interconnectés dans la création de ces situations. En premier lieu, l’accroissement de la population à un rythme de 3% par an, l’accaparement de terres par des agro-entreprises, le développement de la culture de saison sèche, les impacts négatifs du changement climatique et la pollution des points d’eau par les chercheurs d’or traditionnels sont autant de facteurs poussant les cultivateurs à étendre leurs champs, entraînant l’occupation des aires de pâture et des abords des points d’eau ainsi que l’obstruction des pistes à bétail.
Ceci pousse les éleveurs à laisser leur bétail divaguer dans des champs. Ensuite, les peuls sont souvent considérés – pas toujours à raison – comme des nomades, et donc des étrangers, par les agriculteurs qui se considèrent eux-mêmes comme autochtones. Un autre préjugé assez couramment cité parmi les agriculteurs est que les éleveurs, qui ont des animaux et donc un accès plus facile à des liquidités, seraient enclins à corrompre les autorités en cas de recours à ces dernières.
Enfin, les textes de lois régissant le pastoralisme, la gestion de l’eau et la question foncière en milieu rural sont méconnus et mal appliqués aussi bien par les éleveurs que par les cultivateurs. Même au sein du Ministère des Ressources Animales, on reconnaît que les interventions des services publics en termes d’aménagement agricole et pastoral sont insuffisantes.
Les conflits entre agriculteurs et éleveurs sont en conséquence un grave problème dans la société burkinabè, et dans le monde rural en particulier. Mais les questions d’accès à la terre provoquent d’autres types de conflits, aussi bien au niveau rural qu’en milieu urbain.
Gestion et traitement des conflits
Comme nous l’avons vu, il y a de nombreuses sources de conflits dans la société burkinabè, en œuvre dans les zones rurales ou urbaines. Selon 81% de nos enquêtés, il existe des mécanismes de gestion de ces conflits à différents niveaux. Les plus cités sont le recours aux anciens (43% des enquêtés), aux religieux (40%) et la médiation (24%).
Ceux-là sont également jugés efficaces, de même que la parenté à plaisanterie, une pratique typiquement ouest- africaine créant un lien entre différents groupes ethniques. Les traditions, l’Etat et la société civile semblent avoir un rôle à jouer. Notre étude a donc également porté sur les mécanismes existants et leur efficacité, ainsi que sur le rôle que les médias jouent dans le cadre de ces conflits.
Les mécanismes traditionnels toujours en vogue
Les mécanismes « traditionnels », peu ou pas institutionnalisés, semblent être privilégiés en premier recours pour gérer les conflits au Burkina Faso. Pour régler des disputes entre individus, de relativement faible intensité, c’est généralement la famille, des voisins ou des amis qui sont spontanément sollicités pour faire office de médiateurs. Dans les cas de conflits entre éleveurs et agriculteurs, quand les torts sont reconnus, une solution est trouvée directement entre les protagonistes, impliquant généralement une compensation versée à la personne lésée.
Souvent, des voisins peuvent intervenir dans ce processus. Quand une dispute éclate entre des jeunes, ils se tournent généralement vers un ami plus mature, considéré comme sage, pour régler leurs différends. Au niveau familial, un oncle ou la belle-mère peuvent être sollicités, mais rarement la mère qui n’a pas de pouvoir de décision. Elle agit plutôt dans l’ombre, de manière discrète. Ces mécanismes, qui ne sont aucunement institutionnalisés, semblent être les plus efficaces, dans le cadre de disputes d’individus, de faible intensité.
Quand aucune solution n’est trouvée à ce niveau, alors ce sont généralement les « sages » qui sont sollicités : les chefs coutumiers, les forgerons ou les griots qui ont un rôle traditionnel très important dans certaines provinces comme le Yatenga, ou les leaders religieux. Ceux-là font également office de médiateurs, ils écoutent chaque partie et offrent des conseils. Les conflits ou les problèmes qui surviennent dans une communauté sont discutés entre ses membres sous « l’arbre à palabre ».
Généralement, c’est le chef de village qui préside la palabre, mais la décision finale revient à un conseil formé des vieux (des sages) du village ou de la communauté. Cette procédure est appréciée car ces acteurs peuvent être considérés comme « justes » par leur communauté, qui les voit comme les seuls à connaître les besoins de la population ». Cette procédure a également l’avantage d’engendrer peu de frais, même si des compensations, des cadeaux, sont de coutume. Mais ces acteurs, et les chefs traditionnels en particulier, sont de moins en moins vus comme efficaces car ils sont de plus en plus politisés, la plupart d’entre eux affiliés au parti majoritaire.
Enfin, une tradition assez caractéristique du Burkina est la parenté à plaisanterie. Celle-ci correspond à un lien créé entre plusieurs individus ou plusieurs clans, établissant une sorte de rivalité se traduisant par des moqueries ou des insultes, mais respectant un code de conduite établi, lequel permet de juguler les tensions sociales et ethniques.
Les mécanismes « traditionnels », peu ou pas institutionnalisés, semblent être privilégiés en premier recours pour gérer les conflits au Burkina Faso
En effet, même si d’un point de vue extérieur les joutes verbales entre deux « parents » peuvent parfois choquer, celles-ci ne franchissent pas certains interdits : certaines insultes trop graves sont proscrites ; on ne peut pas non-plus se moquer de la mère de l’autre, qui peut venir d’un autre groupe ethnique ; enfin, les échanges se limitent à la parole, les contacts physiques sont très rares et toujours contrôlés.
Sa pratique a évolué, sous l’influence des moyens modernes de communication et l’utilisation de la langue française notamment, mais reste importante dans la vie sociale burkinabè. Cette pratique culturelle permet de faire de l’autre, l’étranger, un parent et, en créant un lien avec lui, de permettre une résolution pacifique de conflits pouvant émerger et d’amener différents groupes se côtoyant à vivre ensemble sans heurts.
Cette pratique a joué un rôle historique dans le développement des liens pacifiques entre les différentes composantes de la nation, elle est très couramment utilisée pour la gestion des conflits et semble être efficace. Cependant, elle a tendance à être moins utilisée par les jeunes et mériterait d’être renforcée. On assiste par exemple dans différentes villes du Burkina Faso à la naissance d’associations de défense et de promotion des relations à plaisanteries.
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