Auteur (s) :
Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), Mêmes Droits Pour Tous, Organisation Guinéenne de Défense des Droits de l’Homme et du Citoyen (OGDH)
Date de publication :
Mars 2017
Modernisation du secteur de la justice : les réformes doivent promouvoir le respect des droits humains
Si un long chemin reste encore à parcourir avant que la justice guinéenne ne réponde pleinement aux attentes des Guinéens et aux standards internationaux d’une justice de qualité, nos organisations notent cependant que sous l’impulsion du ministre de la Justice, Me Cheick Sako, des dispositions importantes allant dans le sens d’un assainissement du pouvoir judiciaire, d’un plus grand respect des droits humains et d’un meilleur fonctionnement de la justice ont été adoptées.
Ainsi, le Conseil supérieur de la Magistrature qui avait été institué par la loi organique du 23 décembre 1991 a enfin été, en 2015, soit près de vingt-cinq années plus tard, mis sur pied. Dans le cadre des efforts entrepris pour assurer l’indépendance des magistrats, des mesures ont été prises pour revaloriser leur statut et leurs indemnités et assurer leur mobilité au sein des juridictions. De multiples formations ont été dispensées et l’organisation du concours d’accès à la profession de greffier permettra de pourvoir les juridictions en personnel supplémentaire.
Plus particulièrement, l’adoption par l’Assemblée nationale en juillet 2016 du Nouveau Code pénal et du Nouveau Code de procédure pénale a également constitué une avancée considérable. Nos organisations se félicitent en particulier de la transposition des conventions internationales, notamment le Statut de Rome portant création de la Cour pénale internationale et la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Les crimes contre l’humanité, de génocide, de persécution et de torture figurent désormais dans le Code pénal guinéen. Dans ce même Code, la peine prévue pour les crimes les plus graves est la réclusion à perpétuité. Ne prévoyant pas la peine de mort, cette disposition consacre ainsi, comme l’ont fait de nombreux États africains progressistes, l’abolition de la peine capitale et permet ainsi à la Guinée de rejoindre le nombre croissant de pays africains abolitionnistes.
Le Nouveau Code de procédure pénale permet quant à lui de rendre opérationnelle la loi portant réorganisation judiciaire, votée en juin 2015. Sont notamment supprimées les Cours d’assises, qui étaient convoquées en sessions temporaires et très rarement fonctionnelles, au profit de la création de sections criminelles permanentes au sein des tribunaux de première instance. Cette réforme est importante et bénéfique car elle a pour conséquence l’introduction d’un double degré de juridiction en matière criminelle, rendant ainsi conforme la procédure pénale aux lignes directrices internationales. De plus elle est censée permettre, en raison du caractère permanent des sections criminelles, de fluidifier le fonctionnement de la chaîne pénale et de limiter, à terme, les cas de détentions provisoires dépassant les délais légaux qui sont actuellement la norme.
Cependant, si nos organisations approuvent et soutiennent la suppression des Cours d’assises, ellesestiment que les tribunaux de première instance, particulièrement ceux de Conakry et de Kindia, ne sont aujourd’hui pas en mesure, faute d’infrastructure, d’équipement et de ressources humaines adéquates, de faire face à l’afflux de dossiers dont ils ont à connaître en vertu de leur nouvelle compétence en matière criminelle. L’engorgement des juridictions est cependant à l’origine de graves violations des droits humains, les centaines de personnes détenues préventivement, au-delà des délais légaux, constituent la plus importante proportion de la population carcérale, laquelle est bien supérieure aux capacités d’accueil des établissements pénitentiaires.
Par ailleurs, s’agissant du fond du droit et de la répartition des compétences entre les juridictions, nos organisations ont déjà eu l’occasion d’alerter le gouvernement et les députés de l’Assemblée nationale sur certaines dispositions du projet de Code de justice militaire qui sera soumis au vote des députés au cours de la prochaine session des lois. La compétence de ces juridictions d’exception menace gravement l’État de droit et ses corollaires, en particulier le droit à être jugé par un tribunal indépendant et impartial.
Enfin, si nos organisations saluent le fait que leurs propositions d’amendement aux dispositions relatives à l’encadrement des manifestations contenues dans le projet de Nouveau Code pénal ont été retenues et consacrées par les textes adoptés, elles regrettent cependant que la réforme n’ait pas suffisamment pris en compte les droits des femmes, largement négligés en Guinée, cela en dépit des engagements pris par l’État en vertu de son adhésion au Protocole de Maputo et de ceux pris par son gouvernement à Genève, en janvier 2015, devant le Conseil des droits de l’Homme.
L’urgence : rendre effective la réforme de la chaîne pénale et humaniser les prisons
À la suite de la mutinerie de la Maison centrale de Conakry le 9 novembre 2015, au cours de laquelle des dégâts matériels importants avaient été causés par des prisonniers scandant « Jugez-nous ! », le ministre de la Justice avait décidé de mettre en place une commission de réflexion, à laquelle a participé l’OGDH, chargée d’établir un rapport et de formuler des recommandations sur les détentions provisoires dites « prolongées ».
Présidée par l’un des Avocats généraux près la Cour d’appel de Conakry, la commission, avec la participation active de l’OGDH, a pu recenser, en mars 2016, à travers le territoire, plus de 1 550 cas de détention provisoire dont 716 à la Maison centrale de Conakry. Ces chiffres ont sensiblement augmenté en seulement quelques mois. Dans son rapport publié en février 2017, le Haut Commissaire aux droits de l’Homme souligne « qu’en décembre 2016, la Maison centrale de Conakry qui abrite les trois quarts des détenus contenait 1 643 personnes, dont 643 condamnés, 67 femmes et 128 mineurs. Certains accusés attendent leur jugement depuis plus de dix ans, ce qui constitue une détention arbitraire ».
S’il est clair que la croissance de la population carcérale est exponentielle, le nombre de personnes placées en détention provisoire étant bien supérieure à la capacité réelle de traitement des dossiers par les juridictions, le plus grand flou règne quant au chiffre exact de la population carcérale en Guinée. Comme l’a noté dans son rapport la commission pénitentiaire présidée par Mamadou Aliou Barry, ancien directeur adjoint de l’administration pénitentiaire au sein du ministère de la Justice, l’appareil statistique est déficient. Cette déficience a été accentuée par le manque d’un système informatisé, qui empêche toute centralisation des données.
La multiplicité des lieux privatifs de liberté complique encore le chiffrage. Le système carcéral guinéen se caractérise par un nombre important de lieux de détention par rapport à la population carcérale. La carte pénitentiaire s’articule autour d’une Maison centrale dans chaque lieu de domiciliation d’un TPI, à l’exception de Conakry où la Maison centrale couvre trois TPI. La Guinée compte en tout huit Maisons centrales et 23 prisons civiles, soit un total de 31 établissements pénitentiaires.
Les établissements pénitentiaires se caractérisent par leur exiguïté et leur insalubrité. Les centres de détention ont été construits pendant la période coloniale ou au cours des premières années de l’indépendance, pour un nombre très réduit de prisonniers. Par exemple la Maison centrale de Conakry, qui est le plus grand centre de détention du pays, compte aujourd’hui près de 1 700 détenus. Il avait été construit par l’administration coloniale en 1930 pour accueillir 300 personnes. La prison civile de Nzérékoré, également construite à l’époque coloniale, pour une capacité de 40 détenus, en compte aujourd’hui plus de 200. Les autres prisons sont pour la plupart soit des résidus des anciens locaux détruits lors de la vague de répression de janvier et février 2007, soit des bâtiments de fortune attribués ou prêtés par d’autres administrations ou loués à des particuliers.
La plupart des lieux de détention sont en état de délabrement avancé. Les cellules sont restreintes, obscures, surchauffées et insalubres, elles manquent d’aération et de latrines décentes. Sans lumière suffisante et système d’aération adapté, les détenus sont fréquemment à la limite de l’étouffement. Les détenus dorment à même le sol. Ces conditions de détention violent le droit des détenus à la dignité et à ne pas subir des traitement cruels, inhumains ou dégradants. Si des cas ponctuels de maltraitance ont été rapportés à la Commission pénitentiaire, les mauvaises conditions de détention résultent en règle générale d’une absence de moyens engendrant un taux de malnutrition particulièrement élevé, et de maladies, faute notamment d’assistance médicale suffisante de la part de l’État.
Nos organisations notent et saluent cependant la volonté des autorités de remédier à cette situation. Les ministres de la Santé et de la Justice ont ainsi récemment entrepris de réactualiser le protocole d’accord régissant la coopération entre ces deux ministères en vue d’améliorer l’accès aux soins dans les établissements pénitentiaires.
L’OGDH et MDT, qui ont mis en place, avec le soutien de la FIDH, des cliniques juridiques à Conakry et Nzérékoré qui ont pour mission d’apporter une assistance judiciaire gratuite aux victimes de violations graves des droits humains, et notamment aux détenus indigents, appellent à une accélération urgente de la réforme de la chaîne pénale. La réforme doit conduire dans les meilleurs délais à la modernisation des juridictions et notamment des infrastructures, à une amélioration de la gestion des dossiers au sein des juridictions, et à la mise en place d’une véritable politique pénale visant à limiter les placements en détention provisoire, aujourd’hui quasi systématiques, même pour les plus petits délits.
Les prévenus ou accusés sont en effet maintenus en détention de manière abusive pendant des mois, voire des années, après l’expiration du délai légal de leur mandat de dépôt et ce, sans qu’aucun acte ne soit posé par les autorités judiciaires. Jusqu’au vote du Nouveau Code de procédure pénale, cette pratique s’expliquait par la tenue irrégulière des assises. Celles-ci devaient en principe avoir lieu tous les quatre mois, or elles se tenaient moins d’une fois par an, au mieux, et ne traitaient qu’un faible nombre de dossiers. Dans l’attente de leur jugement, allant parfois jusqu’à dix ans ou plus, les demandes de mise en liberté provisoire, éventuellement assortie d’un placement sous contrôle judiciaire, sont presque toujours rejetées, y compris en matière correctionnelle.
Les inspections des magistrats du parquet, par exemple, en vue du contrôle de la régularité de la détention, sont insuffisantes et s’accommodent d’une illégalité dorénavant perçue comme la norme. Selon le rapport de la Commission pénitentiaire, plusieurs magistrats se plaignent du fait que les recommandations faites à cet égard et les doléances des détenus ne sont pas prises en compte par les autorités.
Par ailleurs, les affaires criminelles étaient inscrites au rôle des assises de manière arbitraire, sans tenir compte de la durée de la détention provisoire et en écartant tous les détenus qui n’avaient pas les moyens financiers de recourir à un avocat, l’assistance d’un conseil étant obligatoire devant une Cour d’assises. La raison invoquée était le manque de budget alloué au ministère de la Justice pour payer les honoraires des avocats commis d’office. Depuis, les avocats des cliniques juridiques de MDT et de l’OGDH ont pu pallier à cette carence en assistant 44 personnes au cours des dernières sessions d’assises qui se sont tenues en juin et juillet 2016 à Conakry et Labé, 132 devant les tribunaux correctionnels de Conakry.
La suppression des sessions d’assises et le transfèrement de la compétence en matière criminelle au TPI vise à remédier à cette situation. Cependant nos organisations sont très sceptiques quant àl’effectivité de cette réforme si elle n’est pas accompagnée d’un renforcement conséquent des capacités opérationnelles des tribunaux de première instance. Plus de 600 dossiers criminels sont, à la date de la rédaction du présent rapport, en attente de jugement pour la seule ville de Conakry. Or chacun des tribunaux ne possède qu’une seule salle d’audience déjà engorgée par les affaires correctionnelles, civiles et commerciales.
L’absence d’infrastructures adéquates pour tenir les procès est ainsi à l’origine de graves violations des droits humains : déni de justice pour les victimes, détention arbitraire pour les accusés et, de manière générale, affaiblissement des efforts entrepris par les organisations de défense des droits humains engagées dans la lutte contre l’impunité et pour l’accès au droit.
Il est par conséquent essentiel pour le travail de nos organisations que les bailleurs de fonds engagés dans la réforme de la justice en Guinée fassent de la modernisation et de l’équipement des juridictions leur première priorité, en tant que point de départ d’une amélioration du fonctionnement de l’ensemble de la chaîne pénale, de la lutte contre l’impunité et du respect des droits humains en Guinée.
Par ailleurs, pour parvenir à une diminution conséquente de la population carcérale en mettant fin à la pratique des détentions provisoires prolongées illégales, les autorités judiciaires doivent tout mettre en œuvre pour rendre effective la procédure de flagrant délit prévue par les articles 461 et suivants du Code de procédure pénale. Selon plusieurs magistrats rencontrés par nos organisations, cette procédure n’est que rarement mise en œuvre, faute, encore une fois, de salles d’audience disponibles dans les délais prévus par la loi pour la mettre en œuvre. En conséquence, des informations judiciaires sont ouvertes dans des dossiers dans lesquels les faits ne requièrent objectivement pas l’ouverture d’une instruction. Cette pratique conduit à une surcharge inutile des cabinets d’instruction, des magistrats et des greffiers, au détriment des dossiers plus complexes, et à des détentions provisoires souvent longues de plusieurs mois, pour des accusations de commission d’infractions tout à fait mineures.
De la même manière, le placement sous contrôle judiciaire n’est quasiment jamais utilisé en Guinée, les magistrats ayant recours de façon quasi systématique au placement en détention provisoire, en dépit du fait que tant l’ancien que le Nouveau Code de procédure pénale disposent que la détention doit être considérée comme une mesure exceptionnelle. Les magistrats invoquent souvent l’absence d’adresses précises en Guinée, ou la porosité des frontières, ou de manière générale le risque de fuite, pour refuser le placement sous contrôle judiciaire et maintenir la détention. Dans bien des cas, cette explication ne résiste pas à l’analyse des faits, les détenus étant en mesure d’apporter des garanties de représentation, et ne justifie par ailleurs en rien la violation délibérée des textes de procédure, qui limitent la durée de détention provisoire à 12 mois, ou 24 dans des circonstances exceptionnelles.
Nos organisations recommandent par conséquent une plus grande coopération entre les services de police, notamment de proximité, des chefs de quartiers et de districts, avec les services judiciaires afin de réfléchir à des mesures de contrôle judiciaire, adaptées au contexte guinéen, qui pourraient être proposées comme alternative à la détention provisoire, notamment en matière correctionnelle.
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