Auteur(s) :
Mohamed Bouya Ould Nahy
Ex-juge d’instruction chargé du terrorisme au prés du Tribunal de la Wilaya de Nouakchott et ancien Procureur de la République
Date de publication
2016
Pays charnière entre le Maghreb arabe et l’Afrique noire, la Mauritanie a connu la colonisation française un peu tardivement, au début du 20ème siècle. Avec l’arrivée des français, l’Islam était déjà bien implanté et la justice était rendue par des Cadis qui appliquaient des règles inspirées du droit musulman. Parallèlement à ce système, il y avait une justice française composée de juridictions civiles et pénales qui appliquaient le code pénal et les lois civiles françaises promulguées en AOF.
Avec l’indépendance en 1960, le nouvel Etat a opté pour la reconduction du modèle de justice pénale transposé par la France quitte à le corriger par la suite, en lui apportant les adaptations nécessaires. En 1983 ; l’Etat a opté pour une réforme du Code pénal ordonnance n° 83-162 du 9 juillet 1983 portant institution du Code pénal. Cette loi a introduit les peines inspirées du droit musulman, une cour criminelle islamique a été instituée a Nouakchott pour rendre la justice islamique.
Ce système a connaitra des réaménagements avec la suppression du tribunal islamique et l’unification du statut de la magistrature qui met fin à la dualité dans le corps de la magistrature [ cadis-juges modernes ] . Sans remettre en cause l’islamisation du code pénal, le législateur mauritanien introduira plus tard des dispositions législatives nouvelles et des changements structurels dans le système judiciaire pénal en vue de l’adapter aux exigences d’une réponse appropriée au terrorisme et au crime organisé. Pour illustrer ces propos, nous aborderons en premier lieu le système pénal actuel [I] et en second lieu le traitement de ce deux types de criminalité par les juridictions nationales [II].
I/ Le système judicaire pénal actuel
IL y a lieu d’examiner d’abord l’organisation du système de justice pénal et, ensuite le système d’enquête de poursuite et le procès pénal, en mettant l’accent sur les spécificités liées aux crimes terroristes et aux crimes organisés.
A/ organisation des tribunaux répressifs
Le système judiciaire mauritanien a connu des mutations importantes. La dernière organisation date de 2007 [Ordonnance no 012/ 2007 du 8 février 2007, portant organisation judiciaire]. Cette loi a introduit des innovations importantes dans le système : l’assistance obligatoire d’avocat en matière criminelle, introduction d’appel des jugements de la cour criminelle, création de chambres des mineurs, institution de chambres d’accusation au niveau de la cour d’appel. Des aménagements importants ont été apportés au code de procédure pénale pour l’harmoniser avec l’organisation judiciaire.
*La loi 012/2007 fixe l’organisation judiciaire actuelle qui comprend les tribunaux de wilayas, les juridictions d’appel et la Cour Suprême. Les tribunaux de wilayas [ juridictions premier degré], au nombre de quinze, se composent de plusieurs chambres, dont la chambre pénale qui statue à juge unique sur les affaires correctionnelles. Les Cours criminelles, instituées au chef lieu de chaque wilaya, jugent en premier ressort les affaires criminelles. Le ministère public au prés des tribunaux de wilaya est représenté par le procureur de la république ou l’un des ses substituts.
Les Cours d’appel, au nombre de quatre (Nouakchott, Nouadhibou ; Aleg et Kiffa), connaissent en appel et en dernier ressort les jugements et ordonnances rendus par les juridictions pénales de premier degré[ chambres pénales des tribunaux de wilayas, cours criminelles]. Le parquet au prés des juridictions d’appel est représenté par le procureur général ou l’un de ses substituts.
La Cour Suprême statue en sa chambre pénale sur les pourvois en cassation formés contre les décisions rendues en dernier ressort par les cours d’appels en matière pénale. Elle joue également un rôle important en matière d’extradition judiciaire. Le ministère public est représenté devant cette juridiction par le procureur général qui veille à l’application de la loi pénale sur l’ensemble du territoire national.
*Il existe au sein du système judiciaire des instances judiciaires spécialisées, le pole judiciaire chargé de terrorisme institué en 2010 au prés du tribunal de la wilaya de Nouakchott, un juge d’instruction chargé de la drogue et un juge chargé des crimes économiques et financiers institués auprès du tribunal de wilaya Nouakchott.
B/ Enquêtes, poursuites et procès pénal
1/ L’enquête et la poursuite
L’enquête pénale ou enquête préliminaire : est menée concrètement par les officiers de la police sous le contrôle du procureur de la république. Ils sont autorisés à recourir à un ensemble d’opérations réglementées par la loi : perquisitions domiciliaires, saisie de scellés, audition de témoins, arrestations et mesures de garde à vue des personnes soupçonnées d’avoir commis ou tenté de commettre une infraction [ cas de crime et délit flagrants, art. 47 du CPP ].
En cas de crime, La police technique intervient afin de sécuriser la scène du crime sur et procède à des prélèvements et rassemble tous les objets, les traces, les empreintes recueillis sur le lieu du crime. Elle peut à l’aide de ses spécialistes établir le portrait des suspects sur la base de témoignages.
*En matière de terrorisme, la police judiciaire peut recourir aux interceptions des communications sur autorisation du parquet. les renseignements tirés de ces procédés sont mis à contribution dans le processus de l’enquête. Elle peut mettre les suspects en garde a vue pendant une durée de 15 jours renouvelables deux fois. En matière de stupéfiants, la garde a vue est de 72 heures renouvelables deux fois.
*Le service technique de la police dispose du matériel et de compétences nécessaire dans le domaine d’analyse des empreintes digitales de drogues et des documents Cependant, il faut souligner que la police ne dispose pas d’experts formés en matière balistique. Par ailleurs, le système ne dispose pas d’un service de médecine légale, ce constitue un handicap majeur pour les enquêtes criminelles.
La poursuite : Comme dans le système français, la poursuite des crimes se matérialise par la mise en mouvement de l’action publique par le procureur de la république [organe de poursuite] à l’encontre de l’auteur présumé de l’infraction. Il procède soit par la voie de la procédure de flagrant délit, soit par la voie d’une demande d’ouverture d’une information judiciaire au prés du juge d’instruction.
*Ce dernier conduit librement ses investigations. Il procède à tous les actes nécessaires à la manifestation de la vérité [interrogatoires, confrontations, audition des témoins, expertises].La saisine du juge d’instruction limite le pouvoir du juge aux faits visés [ saisine in rem ]. Il doit dans la recherche de vérité, instruire à charge et décharge.
*Dans la conduite de l’instruction, il arrive souvent que le juge d’instruction accorde la liberté provisoire à un prévenu sous certaines conditions en fonction de la nature et du degré de gravité des faits. Il peut aussi désigner dans le cadre d’une commission rogatoire designer un OPJ de son ressort ou un juge d’instruction pour accomplir des actes d’informations qu’il juge nécessaires.
*Le procureur de la république peut inviter les parties à transiger quand il s’agit d’une infraction punie d’un emprisonnement de deux ans. En cas d’accord, le p.v. de conciliation est transmis au Président du tribunal qui le certifie. La procédure de conciliation et l’ordonnance du Président arrêtent l’action publique [art. 42 du CPP ]
*Il y’a lieu de souligner aussi qu’en matière de terrorisme, le parquet peut suspendre la poursuite à l’encontre de tout individu qui, avant son arrestation par les autorités, renonce à un projet terroriste [ art. 19 de la loi sur le terrorisme]. Ces procédures d’allègement permettent à la justice pénale de différer l’examen d’un nombre important d’affaires pénales de moindre gravité.
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