Auteur (s) :
Alain Blanc, Conseiller à la Cour d’appel de Paris
Pourquoi le système pénal français a-t-il recouru aux alternatives à l’incarcération ?
Si lon met de côté le sursis simple, qui est bien une peine alternative à l’incarcération, et qui date en France de 1875, les alternatives dont nous allons parler au cours de ce séminaire apparaissent dans le système pénal français à partir de la fin de la seconde guerre mondiale.
A partir de 1945 le courant humaniste et les idées d’Etienne de Greef du mouvement “de la Défense Sociale” offrent l’occasion, après les années de guerre et d’emprisonnement dans les camps d’une grande partie de la population, de greffer au système judiciaire une institution nouvelle, le juge des enfants, chargé d’appliquer une loi fondée sur le principe de la primauté de l’éducatif sur le répressif pour les mineurs, et de mettre en place une réforme pénitentiaire très marquée par le souci de réinsertion des détenus, la réforme AMOR du nom de son Rapporteur, magistrat directeur de l’Administration pénitentiaire : c’est une constante que les réformes pénitentiaires font le plus souvent suite soit à des périodes au cours desquelles des personnes appartenant aux classes sociales en principe à l’écart du système pénal sont amenés à connaître la prison de l’intérieur, soit à des émeutes mettant en péril le système tel qu’il fonctionne en particulier en phase de surpopulation carcérale ( En mai 1945, il y avait 60 000 détenus en France).
Treize grands principes de base constituent le socle de cette réforme, parmi lesquels :
- la peine d’emprisonnement a pour but essentiel le reclassement,
- le traitement doit être humain, éviter toute vexation, tendre à son instruction générale et professionnelle et son amélioration,
- le régime progressif est institué dans chaque établissement pour sanctionner les évolutions positives du condamné vers son amendement,
- toute peine temporaire est assortie de la libération conditionnelle, – l’assistance est donnée aux prisonniers pendant et après la peine pour faciliter leur reclassement ( … ),
- C’est un magistrat qui sera chargé de marquer pour chaque condamné l’accès aux différentes phases du régime progressif et d’autoriser les transferts d’un établissement à l’autre.
Ce rapport fait évidemment suite, dans le contexte de la fin de la Libération, à des mouvements d’idées diverses mais qu’il serait intéressant de repérer : les philosophes humanistes, les mouvements caritatifs et les Eglises y ont joué un rôle essentiel. Mais aussi les juristes, universitaires comme Jean PINATEL, magistrats et avocats, des médecins, des policiers “de progrès” qui tous, ont contribué à donner sa place dans l’Université à la criminologie en tant que science humaine pluridisciplinaire outil privilégié de l’individualisation des peines.
C’est en 1958 que sera créé le Juge de l’application des peines et le Comité de probation : viendront ensuite les alternatives à l’incarcération proprement dites, qu’ils seront chargés de mettre en œuvre. En 1972 est créée la commission d’application des peines : elle institue le débat avec les professionnels de la prison sur les mesures d’individualisation qui sont autant d’alternatives post-sentencielles.
En 1975, des réformes libérales interviennent sous la pression de révoltes dans les prisons, qui seront contrebalancées par des lois plus répressives : en 1978 est créée la peine de sûreté incompressible, et début 1981 la loi dite “sécurité liberté” qui aggrave certaines peines et développe le recours aux procédures accélérées. Mai 1981 arrive après une mobilisation qui dépasse le champ pénal contre la loi “sécurité liberté” qui comportait des restrictions à certaines libertés publiques contre lesquelles s’étaient élevés la presse et les grandes centrales syndicales, et avec la promesse du Président de la République qui vient d’être élu d’abolir la peine de mort (abolie par la loi du 9 octobre 1981). C’est dans cette dynamique que vont se créer puis se développer les alternatives à l’incarcération entre 1981 et 1986. La loi instituant le TIG, votée à l’unanimité du Parlement, date du 10 juin 1983.
Plusieurs facteurs sont à l’origine de la création des alternatives en France
Des atouts :
- Un fort courant animé par des intellectuels engagés pour faire évoluer les institutions, mais traversant différentes professions au sein du système pénal, et les mouvements associatifs, caritatifs ou philanthropiques mobilisés par tradition sur les conditions de vie et le soutien aux personnes en institution hospitalière ou carcérale: pendant des années avant 1981, des associations regroupées ont fait des conférences à travers toute la France sur le thème de la prison dans la ville.
- L’évolution des idées sur la sécurité : Paradoxalement, c’est le “Rapport sur la violence” d’Alain Peyreffite, publié en 1977, qui définit les prémices des conclusions du rapport Bonnemaison sur la prévention de la délinquance selon lequel la sécurité n’est pas l’affaire des seules Police et Justice, mais implique toutes les institutions.
- C’est ce principe, conjugué avec celui de l’affirmation du droit des détenus à un droit à la santé, à la culture, à la formation etc. … qui a conduit à “décloisonner” la prison, et à aménager à l’intérieur des murs l’intervention des services de l’Etat, des collectivités territoriales, des associations : depuis la loi du 18 janvier 1994, c’est l’hôpital de la ville qui soigne les détenus.
- Un climat politique “porteur”, caractérisé par une dynamique tournée vers le progrès du droit et de la lutte contre l’exclusion, et le rejet de ce que les textes internationaux qualifient de “traitements dégradants”.
- Les lois de décentralisation qui redistribuaient les compétences entre l’Etat et les collectivités territoriales : ces dernières ont été amenées à prendre en charge des domaines qui les ont obligées à aménager des interventions (culture, formation professionnelle, aide sociale… ) en prison et plus encore à la sortie des détenus : hébergement, aide à l’emploi.
- Un système judiciaire traversé par ces mêmes convictions humanistes, et sachant, à travers la création de fonctions comme celles de juge des enfants et de juge de l’application des peines, adapter ses pratiques aux exigences de la pluridisciplinarité pour privilégier l’efficacité à long terme (“la Défense Sociale”). – – L’accroissement du niveau de compétence des personnels pénitentiaires, tous corps confondus : les niveaux de diplômes requis, les formations accordant de plus en plus de place aux sciences humaines, l’accroissement du nombre des travailleurs sociaux, l’ouverture des prisons sur l’extérieur ont contribué à rendre possible les alternatives en faisant comprendre les enjeux et l’efficacité.
Des contraintes :
- La surpopulation carcérale : la crise économique de 1983 a conduit l’Etat, face à la surpopulation carcérale et aux mouvements collectifs, pour ne pas en construire trop de nouvelles (on sait que dans ce domaine, la nature a horreur du vide : à peine dessinée sur des plans, une prison est déjà pleine), à rechercher des solutions pour réduire le recours à la prison de la part des juges, soit en rendant la détention provisoire impossible ou plus difficile (motivation, enquête rapide) dans certains cas, soit en développant les offres d’alternatives existantes en amont (contrôle judiciaire développé par le réseau associatif) soit en en créant de nouvelles : Le TIG, le D49-1 (semi-liberté et placement extérieur ab initio pour les peines de six mois puis d’un an) : soyons-clairs: les alternatives c’est moins cher que la prison.
- Les textes internationaux et en particulier européens et les remarques des organismes de contrôle qui critiquaient les conditions d’hygiène et de détention en France comme ailleurs : Contrainte ou atout ?
Comment cela s’est il produit ?
- La peine de mort n’existant plus, symboliquement mais aussi dans la réalité, il a fallu intégrer l’idée que tout détenu condamné sortira un jour ou l’autre et qu’il serait irresponsable de ne pas préparer sa sortie. Or la meilleure méthode, C’est bien le régime progressif d’Amor, la permission de sortie, le placement extérieur, et la libération conditionnelle.
- Le message est devenu clair tant pour les personnels que pour l’opinion : la réinsertion ce n’est pas le laxisme, c’est l’inverse. Et c’est vrai pour les juges (un mandat de dépôt ça prend 5 minutes, une recherche de foyer, des heures) comme pour les fonctionnaires de l’administration pénitentiaires : C’est difficile de faire se lever les détenus le matin pour aller travailler, c’est plus facile de ne rien faire.
- Des textes ont été votés instituant les différentes mesures ou peines alternatives ou en facilitant le recours par voie réglementaire. La mobilisation a touché les associations de défense des droits de l’homme ou caritatives, les parties politiques, les syndicats professionnels : les professionnels du champ pénal et les militants du droit et de la solidarité.
- Des pratiques nouvelles ont été initiées et rendues publiques : placements extérieurs pour reboiser les forêts dévastées par les incendies ou restaurer des monuments. L’ouverture des prisons à des professions nouvelles, à des associations, Le fait d’avoir le maire de la commune à la commission de surveillance : tout ce mouvement a contribué à montrer les limites de la prison en tant qu’institution de prévention de la récidive, et l’intérêt des alternatives s’appuyant sur la communauté, car et c’est essentiel, TIG, Placement extérieurs exigent qu’outre le juge et les professionnels de l’exécution des peines, les élus locaux et les associations se mobilisent pour prendre leur part au dispositif d’exécution de ces peines.
Quelle évaluation peut-on en faire aujourd’hui ?
Quelques chiffres.
- Entre 1966 et 1994 : le nombre des condamnations a augmenté de 43,5% à raison de : 39% de peines de prison ferme, 160% de sursis simple, 90% de peines de substitution. Les amendes fermes ont chuté de 50% (crise économique?).
- En 1984, quatre ans après sa création, 2 627 TIG ont été prononcés, en 1986, 6 492 (123 000 peines de prison ferme), en 1994, 10 779 (102 685 peines de prison fermes).
- Le placement extérieur : en hausse de 49% depuis 1990 : 3 268 ordonnances de juge d’application des peines en 1997. Dont 10% ab initio, et 90% en fin de peine.
- La semi-liberté concerne, au 1er janvier 1998, 3,1 % des condamnés à l’emprisonnement.
- la libération conditionnelle : en 1997, 20 724 propositions, et 5 034 admis : la proportion d’admis à la libération conditionnelle par rapport aux proposés est passée de 23% en 1980 à 14% en 1997.
Quantitativement
Ce ne sont ni des peines alternatives ni des peines de substitution au sens où, comme le contrôle judiciaire, elles “mordent” plus sur ce qu’auraient été des peines d’amende que sur des peines de détention. Pourquoi ?
Quelques hypothèses :
- les alternatives sont plus difficiles, prennent plus de temps à mettre en œuvre.
- le recours aux comparutions immédiates, malgré les enquêtes rapides, induit l’emprisonnement ferme.
- le ” retour” au juge sur les conditions effectives de mise en œuvre des mesures ou peines alternatives nuit à sa crédibilité
Encore est-ce là analyses de démographes, indispensables mais insuffisantes ?
Qualitativement
Le fait pour le juge de disposer d’une palette plus large de peines est précieux pour pouvoir individualiser la peine. Leur création puis leur mise en œuvre a permis de redonner un sens à la peine parce qu’elles associent le condamné, le juge et l’administration pénitentiaire et la “société civile” : en ce sens elles ont contribué en France à renouveler les conceptions de l’exécution de la peine en milieu fermé en soulignant la nécessité d’assigner à l’enfermement carcéral l’objectif de préparer le retour à la vie libre du condamné : toutes les catégories de personnels ont vu ainsi requalifiées et enrichies leurs missions.
Les alternatives sont un moyen d’intéresser la collectivité à la délinquance, à ses causes (tenant en grande partie aux conditions de vie des délinquants qui pour la plupart cumulent les handicaps au regard de l’emploi, de la santé, de la famille, de la culture) et par conséquent à tout ce qui peut contribuer à la prévenir. Ces peines sont surtout des peines “négociées” avec le délinquant mais aussi en amont avec le tissu social qu’elle mobilise : en ce sens elles sont le vecteur à la fois de plus de sécurité de la part du condamné, et de plus de solidarité et de démocratie avec son environnement.
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