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Chambres africaines extraordinaires
Les Chambres africaines extraordinaires (CAE) sont un tribunal créé par un accord entre l’Union africaine (UA) et le Sénégal pour connaître des crimes internationaux commis au Tchad du 7 juin 1982 au 1er décembre 1990.
Date de publication :
2016
Introduction
Le procès a commencé le 20 juillet 2015. Il a été suspendu du 21 juillet au 7 septembre 2015 afin de laisser le temps aux avocats commis d’office par la Chambre de se familiariser avec le dossier et de préparer la défense de l’Accusé. Entre le 9 septembre et le 16 décembre 2015, la Chambre a auditionné 96 victimes, témoins et experts, totalisant plus de 5600 pages de transcriptions. Elle a également admis 56 pièces à conviction, auxquelles s’ajoutent les milliers de documents du dossier d’instruction, dont plus de 2500 procès-verbaux d’audition et les archives retrouvées au siège de la Direction de la Documentation et de la Sécurité tchadienne (la « DDS »). Les audiences de plaidoiries se sont déroulées du 8 au 11 février 2016, après le dépôt des écritures finales des Parties. La Chambre a clôturé les débats et mis l’affaire en délibéré le 11 février 2016.
Résumé de l’Ordonnance de renvoi et des arguments des Parties
L’Accusé dans cette affaire est Hissein Habré. Il était Président de la République du Tchad du 7 juin 1982 au 1er décembre 1990.
Le 13 février 2015, dans son Ordonnance de non-lieu partiel, de mise en accusation et de renvoi devant la Chambre Africaine Extraordinaire d’Assises, la Chambre Africaine Extraordinaire d’Instruction mettait Hissein Habré en accusation. Elle le renvoyait devant la Chambre Africaine Extraordinaire d’Assises au titre de l’entreprise criminelle commune pour avoir commis, au Tchad du 7 juin 1982 au 1er décembre 1990, sur les populations civiles, les Hadjeraï, les Zaghawa, les opposants et les populations du Sud du Tchad, le crime autonome de torture et les crimes contre l’humanité d’homicide volontaire, de pratique massive et systématique d’exécutions sommaires, d’enlèvement de personnes suivi de leur disparition, de tortures et d’actes inhumains. Elle le renvoyait aussi pour avoir commis, au Tchad durant la même période, les crimes de guerre d’homicide volontaire, de torture, de traitements inhumains, de transfert illégal, de détention illégale et d’atteinte à la vie et à l’intégrité physique dans le cadre, d’une part, d’un conflit armé international entre les FANT et le GUNT appuyé par la Libye, et d’autre part, d’un conflit armé non international entre les FANT et les CODOS du Sud du Tchad.
Le Procureur Général a plaidé que la responsabilité individuelle de Hissein Habré était engagée pour avoir participé à une entreprise criminelle commune dont le but consistait à réprimer toute velléité de rébellion ou d’opposition contre son régime par la commission du crime de torture et des crimes contre l’humanité de meurtre, 3 d’exécutions sommaires, d’enlèvement suivi de disparition, de torture et d’actes inhumains. Il a également soutenu que la responsabilité de Hissein Habré pouvait être retenue pour complicité, par incitation, pour les crimes commis contre les groupes ethniques et les opposants politiques et, par aide et encouragement, pour les crimes contre l’humanité et les crimes commis contre les prisonniers de guerre. S’agissant des prisonniers de guerre, le Parquet Général a aussi plaidé que l’Accusé était responsable pour avoir failli à ses obligations légales d’agir et en vertu de la responsabilité du supérieur hiérarchique. Pour les crimes commis dans le Sud du Tchad, le Procureur Général a estimé que la responsabilité comme supérieur hiérarchique devait être retenue. Enfin, il a plaidé que Hissein Habré devait être condamné sur la base de la commission directe pour les crimes contre Khadija Hassan Zidane.
Argumentant que plusieurs modes de participation sont cumulativement applicables, les avocats des parties civiles Abaïfouta et consorts ont allégué que la responsabilité de Hissein Habré devait être retenue pour avoir planifié la neutralisation des personnes considérées comme les ennemis de son régime et ordonné la commission de crimes contre ces mêmes personnes et les habitants du Sud du Tchad.
Les avocats des parties civiles RADHT-AVCRP ont, quant à eux, soutenu que la responsabilité de Hissein Habré devait être engagée au titre de l’entreprise criminelle commune pour le crime autonome de torture et les crimes contre l’humanité. Ils ont avancé que la responsabilité du supérieur hiérarchique s’imposait 4 pour les crimes de guerre, à savoir tant les crimes commis durant le conflit au Nord du Tchad que ceux commis au Sud.
La Défense a rejeté toute responsabilité de Hissein Habré dans les crimes commis au Tchad entre 1982 et 1990. Elle a notamment soutenu qu’il n’y avait aucune preuve que les crimes allégués soient imputables à Hissein Habré. Elle a catégoriquement nié que Hissein Habré puisse être tenu responsable pour les crimes commis contre Khadija Hassan Zidane. Elle a argumenté qu’il n’y a pas eu d’action concertée de l’Accusé avec qui que ce soit dans un but criminel commun, ni de système organisé visant à maltraiter les détenus et à commettre les divers crimes reprochés et que le Parquet Général n’avait pas réussi à prouver que la DDS ou les autres organes de sécurité étaient placés sous l’autorité de Hissein Habré. S’agissant des crimes commis dans le Sud, la Défense a souligné que Hissein Habré ne pouvait avoir donné l’ordre de les commettre étant alors en pèlerinage à la Mecque et que la preuve du lien de subordination requis pour la responsabilité du supérieur hiérarchique et la preuve de la connaissance par Hissein Habré de la commission de tels crimes n’avait pas été rapportée.
Résumé des conclusions de la Chambre sur les crimes commis au Tchad du 7 juin 1982 au 1er décembre 1990
La répression des opposants politiques, des populations du Sud du Tchad, des Hadjeraï et des Zaghawa
Dans les semaines qui ont suivi la prise de pouvoir de Hissein Habré par la force le 7 juin 1982, les arrestations massives de citoyens tchadiens ont commencé. Elles ont initialement touché les opposants politiques au régime de Hissein Habré, et notamment les membres des différentes factions du GUNT et ceux suspectés d’être alliés à la Libye. Cependant, très vite, tout citoyen tchadien ou étranger suspecté d’opposition ou assimilé comme tel en raison de ses liens familiaux, amicaux et/ou ethniques a été susceptible d’être arrêté, y compris les femmes et les enfants.
Ces arrestations étaient menées en dehors de tout cadre juridique et judiciaire, la plupart du temps, par les membres de la Direction de la Documentation et de la Sécurité tchadienne (la « DDS ») et de la Brigade Spéciale d’Intervention Rapide (la « BSIR »), le « bras armé » de la DDS. Les personnes arrêtées étaient alors généralement interrogées au siège de la DDS ou à la BSIR. Elles étaient ensuite quasi-systématiquement incarcérées dans une des prisons du réseau de détention de la DDS à N’Djamena. Il existait également des centres de détention dans les provinces du Tchad, mais il n’était pas rare que les détenus soient transférés à N’Djamena.
Le réseau de détention de la DDS était constitué de sept prisons à N’Djamena : les Locaux, la Piscine, le Camps des Martyrs ou Camp 13, la prison de la Présidence, la prison de la gendarmerie, la prison de la BSIR et la prison de Moursal. Ce réseau de prisons, parallèle au système pénitencier légal, existait et œuvrait en violation de la législation pénale en vigueur.
La torture y était systématique lors des interrogatoires et elle était pratiquée à grande échelle, étant de fait quasiment érigée en mode de gouvernance. Ce sont principalement les agents de la DDS et de la BSIR qui étaient en charge des tortures. Les moyens de torture étaient variés et comprenaient souvent le ligotage suivant la méthode de « l’arbatachar », mais aussi le supplice des baguettes dont peu réchappaient vivants, le supplice du pot d’échappement, des gavages d’eau, des 6 électrocutions, des violences sexuelles tant sur les femmes que sur les hommes, et la diète noire, consistant à priver les détenus de nourriture et d’eau.
Parallèlement à la répression des supporters du GUNT ou de la Libye, ou considérés comme tels, le régime de Hissein Habré s’est lancé dans la reconquête du Sud du Tchad. En même temps que le régime menait des négociations avec les CODOS, une répression féroce s’est abattue sur les CODOS et la population civile du Sud, considérée comme forcément alliée des CODOS. La répression dans le Sud a été particulièrement violente à partir d’août/septembre 1984 -période connue sous le nom de « Septembre Noir » – jusqu’au mois d’août 1985. À cette époque, une « délégation présidentielle » a été envoyée dans le Sud afin de participer à la répression des populations du Sud, et en particulier de ses cadres. Les cadres sudistes étaient alors systématiquement arrêtés, torturés, et/ou exécutés, souvent sur la base de listes préétablies, en particulier à Sarh et Koumra. Plusieurs d’entre eux ont été ensuite transférés à N’Djamena pour être détenus dans les prisons de la DDS où ils ont été exposés au même traitement que les autres détenus.
Les violences sexuelles contre les femmes détenues
Les témoignages devant la Chambre ont permis de mesurer la place et l’ampleur des violences sexuelles au sein du système de répression du régime. En effet, les éléments de preuve prouvent qu’entre 1984 et 1989, plusieurs femmes et jeunes filles détenues et/ou interrogées dans plusieurs prisons de la DDS à N’Djamena ont été soumises à des rapports sexuels forcés par des agents de la DDS, par des membres des autorités en charge de la prison des Locaux et des militaires de la BSIR.
De plus, pendant environ un an, de 1985 à 1986, onze femmes, confinées dans le camp militaire de Kalaït et asservies à une vie de domestiques, ont été soumises à des rapports sexuels forcés par les militaires tchadiens du camp de Kalaït. De façon similaire, pendant environ un an, en 1988 et 1989, neuf femmes et jeunes filles, confinées dans le camp militaire de Ouadi-Doum et asservies à une vie de domestiques, ont été soumises à des rapports sexuels forcés par le commandant et les militaires tchadiens du camp de Ouadi-Doum.
En vertu de son pouvoir de requalification, la Chambre conclut que ces faits constituent le crime autonome de torture, visé à l’article 8 du Statut, et les crimes contre l’humanité de torture et de viol, visés à aux articles 6(a) et (g) du Statut. S’agissant des faits commis dans les camps de Kalaït et de Ouadi-Doum, ils constituent, en plus, le crime contre l’humanité d’esclavage sexuel, visé à l’article 6(a) du Statut.
Les violences contre les prisonniers de guerre
Les éléments de preuve devant la Chambre démontrent que suite à la reprise de Faya-Largeau le 30 juillet 1983, les FANT ont arrêté 150 cadres civils et militaires du GUNT, mis hors de combat, puis les ont exécutés. Par ailleurs, les gardes qui accompagnaient Hissein Habré ont battu les prisonniers de guerre détenus à l’aéroport de Faya-Largeau avec des cordelettes.
Au cours de cette bataille, au moins 1000 combattants du GUNT et des soldats libyens ont été arrêtés par les FANT, puis détenus dans la maison d’arrêt de FayaLargeau pendant six jours. Les conditions de détention y étaient terribles, car il n’y avait quasiment ni nourriture, ni eau et que les blessés mourraient faute de soins. Beaucoup ont été maltraités et frappés par les soldats des FANT. Ces prisonniers de guerre ont ensuite été transférés à N’Djamena. Au cours du transfert qui a duré trois 11 jours, ils ont été privés de nourriture et d’eau, malgré la chaleur accablante. Ils ont également été maltraités par des militaires Zaïrois venus en renfort des FANT. Arrivés à N’Djamena, ils ont été exposés à la foule qui leur a jeté des pierres et les a insultés.
Rapidement après leur transfert à N’Djamena, en août 1983, 150 prisonniers ont été sélectionnés et extraits de la maison d’arrêt par des agents de la DDS. Escortés par des militaires, les prisonniers ont été emmenés à Ambing où ils ont été exécutés. Il n’a eu qu’un seul survivant.
Début 1987, des agents de la DDS ont sélectionné 19 prisonniers sur la base d’une liste, les ont emmenés hors de la maison d’arrêt et les ont exécutés.
La Chambre considère qu’au moment de ces évènements, il existait dans le Nord du Tchad, à la fois, un conflit armé non-international entre les FANT et le GUNT et son armée, l’Armée Nationale de Libération, et un conflit armé 12 international entre la Libye, alliée au GUNT, et le Tchad, soutenu notamment par la France et les États-Unis.
La Chambre est convaincue que ces évènements constituent les crimes de guerre d’homicide volontaire, de torture, de traitements inhumains, et de détention illégale, visés à l’article 7(1)(a), (b) et (h) du Statut et les crimes de guerre de meurtre, de torture, et de traitements cruels, visés à l’article 7(2)(a) du Statut.
La Chambre conclut que les éléments du dossier ne permettent pas d’établir que le crime de guerre de transfert illégal, visé à l’article 7(1)(h), du Statut est constitué.
Résumé des conclusions de la Chambre sur la responsabilité pénale de l’Accusé
Sur la responsabilité pour les crimes commis contre Khadija Hassan Zidane
La Chambre rappelle, tout d’abord, que le témoignage d’une victime de violences sexuelles n’a pas besoin d’être corroboré. S’agissant du témoignage de Khadija Hassan Zidane, la Chambre l’a méticuleusement analysé, notamment à la lumière des arguments des Parties. La déposition à la barre de Khadija Hassan Zidane mettant en cause Hissein Habré dans des faits de viols sur sa personne est non seulement cohérente en soi et avec ses déclarations préalables, mais est également soutenue par la déposition d’une autre détenue dont le témoignage a été considéré très crédible par la Chambre. Khadija Hassan Zidane a expliqué clairement les raisons de son silence initial : outre la pudeur, elle avait peur et honte. De plus, elle 13 attendait de faire face à Hissein Habré lors du procès pour tout raconter, sans honte. La Chambre est convaincue qu’elle dit la vérité.
Sur la responsabilité pour les exécutions des deux soldats suspectés d’avoir commis le massacre de Ngalo
Les éléments de preuve démontrent qu’en juillet 1985 des militaires des FANT ont tué plus de 70 personnes à Ngalo. Une semaine après ce massacre, des militaires des FANT sont revenus dans le village, accompagnés de deux hommes, et porteurs d’un message de Hissein Habré. Selon ce message, Hissein Habré déniait avoir envoyé ses troupes pour exécuter la population du village et, afin de redonner confiance aux villageois, allait faire exécuter les responsables de ce massacre. Les militaires ont alors exécuté publiquement les deux hommes qu’ils avaient amenés.
Les éléments de preuve démontrent également que ces deux hommes, dont l’identité et la qualité sont inconnues, ont été exécutés sans procès préalable. La Chambre conclut donc qu’ils ont été victimes d’homicide volontaire, comme acte sous-jacent de crime contre l’humanité, visé à l’article 6(b) du Statut.
Sur la responsabilité de Hissein Habré au titre de l’entreprise criminelle commune
La similitude de ces vagues de répression, conduites à très grande échelle et sans interruption sur huit ans, démontre l’existence d’un objectif commun. Cet objectif commun consistait à réprimer non seulement toute rébellion et toute opposition pouvant, aux yeux du régime, porter atteinte à l’unité et la souveraineté du Tchad, mais aussi à prévenir toute velléité d’opposition en imposant un régime de terreur. Cet objectif commun existait immédiatement, et au plus tard dans les semaines qui ont suivi la prise de pouvoir par la force par Hissein Habré.
Afin de réaliser cet objectif commun, les membres de l’entreprise criminelle commune, qui partageaient cet objectif commun, avaient l’intention de recourir, et ont eu recours, aux crimes d’homicide volontaire, de pratique massive et systématique d’exécutions sommaires, d’enlèvement de personnes suivi de leur disparition, de torture et d’actes inhumains.
Compte tenu de leur degré d’implication dans l’exécution de l’objectif commun, la Chambre considère que les personnes suivantes étaient membres de l’entreprise criminelle commune : Abakar Torbo, Saleh Younous, Guihini Koreï, Mahamat Djibrine dit « El Djonto », Abba Moussa, Issa Arawaï, Mahamat Saker dit « Bidon », et Mahamat Fadil. D’autres membres de la DDS, de la BSIR, des FANT, de la Garde Présidentielle, du Service d’Investigation Présidentiel, des Renseignements Généraux de l’UNIR et des organes politiques étaient également membres de l’entreprise criminelle commune sans que toutefois la Chambre soit en mesure d’en établir une liste exhaustive.
La Chambre est convaincue que Hissein Habré, agissant de concert avec les membres de l’entreprise criminelle commune, a utilisé les organes sécuritaires et militaires dont il avait le contrôle pour réaliser l’objectif commun. Sa contribution à l’entreprise criminelle commune a été non seulement importante, elle a été essentielle et déterminante.
S’agissant de l’intention requise pour l’entreprise criminelle commune, les ordres donnés par Hissein Habré et sa participation à certains des crimes commis par les membres de l’entreprise criminelle commune et/ou les agents utilisés pour réaliser l’objectif commun démontrent que Hissein Habré avait l’intention de commettre ces crimes.
La Chambre souligne enfin que Hissein Habré a explicitement exposé ses intentions criminelles lors de son discours du 19 mai 1989 devant l’UNIR, alors que la vague de répression contre les Zaghawa venait d’être lancée. Il a alors notamment déclaré : « Les ennemis camouflés, les ennemis rampants dans nos rangs, manipulés par la main de l’étranger, […] que ceux-ci sachent que nous les suivons et ils seront démasqués et détruits. Et sachez que les ennemis sont là. […] Ils sont près de nous et même dans nos rangs […] La révolution a riposté et les a écrasés ».
La Chambre conclut donc que Hissein Habré était membre de l’entreprise criminelle commune. À ce titre et en vertu de l’article 10(2) du Statut, il est coupable du crime autonome de torture, visé à l’article 8 du Statut, et des crimes contre l’humanité d’homicide volontaire, de pratique massive et systématique d’exécutions sommaires, d’enlèvement de personnes suivi de leur disparition, de torture et d’actes inhumains, visés à aux articles 6(b), (f) et (g) du Statut.
La Chambre est, par ailleurs, convaincue qu’il était prévisible pour l’Accusé que les crimes de viol et d’esclavage sexuel, comme crime contre l’humanité, était 19 susceptible d’être commis au cours de la réalisation de l’entreprise criminelle commune. Hissein Habré avait conscience que les femmes étaient détenues dans un climat de violence généralisée et institutionnalisée et étaient, dès lors, placées dans un état d’extrême vulnérabilité, sans aucune protection.
La Chambre conclut donc que Hissein Habré est coupable, en application de l’article 10(2) du Statut, des crimes contre l’humanité de viol et d’esclavage sexuel, visés à l’article 6(a) du Statut.
Sur la responsabilité de Hissein Habré pour les crimes de guerre
Comme la Chambre l’a déjà évoqué, les éléments de preuve démontrent que Hissein Habré avait un contrôle effectif sur les militaires des FANT et les agents de la DDS.
En sa qualité de Chef des Armées, Hissein Habré dirigeait lui-même les combats qui ont abouti à la reprise de Faya-Largeau au GUNT en juillet 1983. Compte tenu de son implication personnelle dans cette bataille et du fait qu’il combattait le GUNT et ses membres depuis des années, la Chambre est convaincue que Hissein Habré savait que 150 cadres militaires du GUNT avaient été arrêtés et avaient été et/ou étaient sur le point d’être exécutés par ses subordonnés.
Lors de son passage à l’aéroport de Faya-Largeau, Hissein Habré, se référant aux prisonniers de guerre alors détenus là, a d’abord commenté « ce sont ces bambins-là qui nous ont fait chier » puis a dit aux gardes d’en faire ce qu’ils veulent. Les gardes ont alors battu les prisonniers avec des cordelettes. Compte tenu de ces circonstances, il ne fait aucun doute que Hissein Habré savait que les prisonniers de guerre étaient sur le point d’être maltraités par les gardes.
L’exécution des 149 prisonniers à Ambing en août 1983 et celle des 19 prisonniers de guerre début 1987 ont suivi le même mode opératoire que les exécutions dans le réseau de prison de la DDS : sélection des prisonniers par des 21 agents de la DDS et transfert en voiture vers le lieu d’exécution.
La Chambre conclut, en outre, que n’ayant pas sanctionné les auteurs des exécutions des 150 cadres à Faya-Largeau et connaissant le risque de représailles contre les soldats du GUNT par ses troupes, et compte tenu du réseau de renseignement à son service, Hissein Habré savait et/ou avait des raisons de savoir que d’autres prisonniers de guerre avaient été tués par les FANT suite aux combats contre le GUNT, ou étaient sur le point de l’être.
Verdict
Hissein Habré, la Chambre vous déclare coupable :
- En application de l’article 10(2) du Statut, des crimes contre l’humanité de viol, d’esclavage forcé, d’homicide volontaire, de pratique massive et systématique d’exécutions sommaires, d’enlèvement de personnes suivi de leur disparition, de torture et d’actes inhumains, visés aux articles 6(a), (b), (f) et (g) du Statut.
- En application de l’article 10(2) du Statut, du crime autonome de torture, visé à l’article 8 du Statut ;
- En application de l’article 10(4) du Statut, des crimes de guerre d’homicide volontaire, de torture, de traitements inhumains, et de détention illégale, visés aux articles 7(1)(a), (b) et (f) du Statut, et des crimes de guerre de meurtre, de torture, et de traitements cruels, visés aux articles 7(2)(a) du Statut.
La Chambre vous acquitte du crime de guerre de transfert illégal, visé à l’article 7(1)(f) du Statut.
La peine
Dans l’évaluation de la peine, la Chambre a notamment pris en compte l’extrême gravité et l’ampleur des crimes pour lesquels l’Accusé a été déclaré coupable. Elle a aussi tenu compte du fait que ces crimes ont été commis de façon ininterrompue pendant huit ans, pendant toute la durée du « règne » de Hissein Habré. Ces crimes ont fait des milliers de victimes, nombre d’entre elles souffrant, 30 ans plus tard, toujours des conséquences de ces crimes. Ces crimes ont ainsi laissé des traces indélébiles dans de très nombreuses familles tchadiennes.
La Chambre a également tenu compte du degré d’implication de l’Accusé dans la commission de ces crimes. En particulier, la Chambre note le rôle central, de chef d’orchestre, que Hissein Habré a joué dans la répression tous azimuts de la population civile. Hissein Habré, qui concentrait tous les pouvoirs : Président de la République, Chef suprême des armées, puis à partir de mars 1986, Ministre de la Défense, a créé et entretenu un système où l’impunité et la terreur faisaient loi. Il était 23 à la tête d’un régime de suspicion généralisé, si paranoïaque qu’il se retournait même contre ses propres agents.
La Chambre a également retenu que Hissein Habré a commis à quatre reprises le crime de viol contre une victime particulièrement vulnérable.
La Chambre a considéré le mépris insultant de l’Accusé à l’égard de la Chambre pendant toute la durée du procès. Outre un turban derrière lequel il a constamment caché son visage, l’Accusé a fini par porter des lunettes de soleil pour cacher ses yeux. Il a aussi refusé de se lever à chaque entrée et sortie de la Chambre, mais n’a pas hésité à se faire acclamer par quelques supporters à chacune de ses propres sorties de la salle d’audience. En outre, Hissein Habré n’a montré aucune compassion vis-à-vis des victimes, ni exprimé de regrets pour les massacres et les viols qui ont été commis.
Comme circonstances atténuantes, la Chambre a pris en compte l’âge de l’Accusé, le fait qu’il serait un bon père de famille et qu’il ait aidé ses proches. Toutefois, la Chambre n’a accordé qu’un poids extrêmement limité à ces circonstances atténuantes au regard de l’ampleur et de la durée des crimes commis et du degré d’implication de l’Accusé dans leur commission.
La Chambre conclut, après avoir apprécié la gravité des crimes commis compte tenu de la situation personnelle de Hissein Habré, que les circonstances aggravantes l’emportent nettement sur les circonstances atténuantes.
En conséquence
Hissein Habré, la Chambre vous condamne à la peine d’emprisonnement à perpétuité.
Dit n’y avoir pas lieu à la confiscation les biens saisis.
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