Agriculture urbaine et périurbaine pour la sécurité alimentaire en Afrique de l’Ouest. Le cas des micro-jardins dans la municipalité de Dakar
Auteur (s) : Centre de Recherches pour le Développement International (CRDI)
Définitions et développement du concept
L’union des mots agriculture et urbaine en une seule expression peut donner l’impression d’une contradiction ou même d’un oxymoron (FAO, 1996). L’agriculture est considérée comme l’activité par excellence du monde rural et la même activité en milieu urbain est souvent perçue comme temporaire et inappropriée (Smit, 1996). En réalité, il s’agit d’un phénomène probably as old as our cities (J. Jacobs, 1969).
Dans un ouvrage de grande influence, Urban agriculture : food, jobs and sustaiable cities, Jac Smit, du PNUD, identifie et met en discussion neuf « mythes » concernant l’AUP. Ces mythes ont souvent conduit à minimiser le phénomène et à sous-estimer les bénéfices qui peuvent l’accompagner. Les mythes identifiés par Smit mettent en avant ce que l’AUP n’est pas et nous aide ainsi à la définir.
Mythe 1 : l’AUP se réfère à des jardins familiers ou communautaires seulement
Mythe 2 : l’AUP est une activité temporaire
Mythe 3 : l’AUP est une activité marginale ou une stratégie de survie
Mythe 4 : l’AUP utilise les terres les plus fertiles sans pouvoir assurer leur valeur locative
Mythe 5 : l’AUP est en compétition avec l’agriculture rurale et est moins efficiente
Mythe 6 : l’AUP est insalubre
Mythe 7 : l’AUP est source de pollution et endommage l’environnement
Mythe 8 : l’AUP est inharmonieuse et esthétiquement inappropriée à la ville
Mythe 9 : la notion de « ville jardin » est un concept archaïque et utopiste qui ne peut pas être reproduit aujourd’hui (Smit, 1996).
Le PNUD définissait dès lors l’AUP comme an industry that produces, processes, and markets food and fuel, largely in response to the daily demand of consumer within a town, city or metropolis, on land and water dispersed throughout the urban and périurbain area, applying intensive production methods, using and reusing natural resources and urban wastes, to yield a diversity of crops and livestock (1) (UNDP, 1996).
L’agriculture périurbaine – correspondant à l’agriculture urbaine selon la terminologie anglo-saxonne est considérée comme l’agriculture localisée dans la ville et à sa périphérie, dont les produits sont destinés à la ville et pour laquelle il existe une alternative entre usages agricoles d’une part et non agricoles d’autre part. L’alternative débouche sur des concurrences, mais également sur des complémentarités entre ces usages :
- foncier bâti et foncier agricole ;
- eau destinée aux besoins des villes et eau d’irrigation ;
- travail non agricole et travail agricole ;
- déchets ménagers et industriels et intrants agricoles ;
- coexistence en ville d’une multiplicité de savoir-faire, due à des migrations, cohabitation d’activités agricoles et urbaines génératrices d’externalités négatives.
Spécificités de l’AUP :
Types d’activité économique : la plupart des définitions prennent en compte la production et reconnaissent également l’importance de la transformation, de la distribution et des services non strictement agricoles que l’AUP fournit (tourisme, gestion des déchets, etc.). En effet, grâce à une plus grande proximité géographique et à un flux de ressources plus rapide, les différentes activités de la filière sont plus liées entre elles dans le temps et dans l’espace qu’en milieu rural.
Produits alimentaires /non alimentaires et sous-catégories : bien que l’attention soit surtout focalisée sur les productions alimentaires, les biens non alimentaires (plantes ornementales, bois de feu, etc.) et les services (aménagement du paysage, gestion des eaux et des déchets, etc.) ont de plus en plus de poids. Certaines productions, par exemple la production de plantes ornementales, ne seraient pas aussi rentables en milieu rural. D’autres sont caractérisées par une telle périssabilité que de longs transports les rendraient inconsommables (en particulier dans les Pays, où les techniques de conservation sont limitées).
Caractère intra ou péri urbaine de l’exploitation66 : la quasi-totalité des définitions concorde sur le fait que l’AUP a lieu dans ou autour des villes. Le caractère urbain (intra) renvoie normalement à la définition de ville donnée par chaque pays (qui peut se référer à des limites administratives, à des seuils, etc.).
Le concept de périurbain pose quelques problèmes de plus. Swindell (1988) considère comme périurbaine la zone où les avantages de combiner le travail agricole et non-agricole peuvent être maximisés. Il ne s’agit donc pas d’une limite géographique, mais plutôt conceptuelle. Selon Stevenson et al. (1996), la limite entre péri- et intra-urbain varie en fonction de la portée des influences urbaines qui ont le plus grand impact sur le système de production considéré. Pour d’autres, cette limite est donnée par une isochrone, qui peut être défini par le temps de déplacement des agriculteurs non-résidents en ville. Moustier (1998) utilise la distance maximale du centre ville dans laquelle les fermes peuvent fournir des denrées périssables sur une base journalière. La distance de cette limite dépend du niveau de développement des infrastructures routières locales et des frais de transport.
Types de zones où elle est pratiquée : terrains vagues, jardins familiaux, balcons, toits, écoles, conteneurs, accotements, terres communales pour le jardinage communautaire, etc. sont des zones où ils existent plusieurs options d’utilisation. Cela est, selon Moustier (1998), l’une des différences principales avec l’agriculture rurale, où l’option agricole est presque la seule possible pour la plupart des terrains.
Types de système de production (échelle de la production) : peu de définitions incluent ou excluent des systèmes de production a priori. D’une façon générale, les recherches se sont concentrées sur les micro-entreprises (individuelles ou familiales), les petites et les moyennes, par opposition aux grandes entreprises, nationales ou transnationales. Toutefois, des études récentes ont mis en évidence les multiples interactions entre ces dernières et les petites entreprises orientées vers le marché.
Destination de la production : auto consommation, vente, échange sont les principales options pour les agriculteurs urbains. Souvent le producteur est aussi le vendeur de sa production. Le contact direct avec le marché peut lui permettre de modifier ses productions en fonction de nécessité du marché. Dans le tableau suivant, basé sur le travail de Campilan, Drechsel, and Jöcker (2001), nous proposons une synthèse des principales caractéristiques qui distinguent l’agriculture en milieu urbain de celle en milieu rural.
Intégration et conflit dans le systeme urbain
La principale caractéristique qui distingue l’AUP de l’agriculture rurale réside dans le fait d’être intégrée et d’interagir avec le système économique et écologique urbain (Richter et al.,1995). Cette agriculture est plus ou moins urbaine, dans la mesure où elle utilise (et est à son tour utilisée par) le système urbain (Mougeot, 2000). Cette intégration dans/ interaction avec le système urbain implique :
- l’existence de résidents urbains pratiquant l’agriculture ;
- l’usage des ressources urbaines (terres, eau, intrants, etc.) ; – une influence par les politiques et les plans urbains ; – une liaison plus directe entre le producteur et le consommateur ;
- un impact sur l’écologie urbaine ;
- de faire partie du système alimentaire des citadins. L’AUP couvre d’importantes fonctions tout en comportant des risques. L’avoir lieu en milieu urbain peut représenter à la fois des atouts et des contraintes.
L’importance de la contribution que l’AUP apporte et peut apporter à l’obtention de la sécurité alimentaire en milieu urbain a été soulignée par plusieurs auteurs et est reconnue officiellement par les Nations Unies. Au-delà de cet important apport, que nous discuterons plus dans le détail dans le paragraphe suivant, l’AUP couvre d’autres fonctions majeures dans et aux alentours de la ville :
- la fonction économique (création de revenus, principaux ou complémentaires) ;
- la fonction environnementale (recyclage des déchets et eaux usées, effet antiérosif, amélioration de la qualité de l’air) ;
- la fonction de cadre de vie : maintien de zones vertes tampons face à une urbanisation trop dense ;
- la fonction sécuritaire : utilisation, voire gardiennage, de lieux vacants (adapté de Temple et Moustier, 2004) ; – la fonction sociale et récréative (hobby, création de groupements, insertion de personnes défavorisées) ; – la fonction éducative et culturelle : transmission de savoir-faire, éducation environnementale, éducation alimentaire.
- Les risques peuvent concerner l’environnement urbain et les habitants. Les principaux risques pour l’environnement sont :
- la pollution des eaux, des sols et de l’air produit par un apport trop élevé d’engrais chimiques (mais aussi naturels très concentrés en nitrates, comme la fiente de volaille) et de produits phytosanitaires;
- l’appauvrissement de la nappe phréatique et d’autres masses d’eau ;
- l’érosion des sols ;
- dans certains cas, la destruction d’autre végétation et le déboisement.
- Les risques pour la santé humaine peuvent être :
- contamination de cultures par des organismes pathogènes (bactéries, protozoaires, virus et helminthes)
- maladies humaines causées par des vecteurs attirés par l’agriculture urbaine (ex. paludisme) ;
- la contamination des cultures et/ou de l’eau potable par des résidus de produits agrochimiques ;
- la contamination des cultures par l’absorption des métaux lourds dans les sols, l’air ou des eaux contaminés ;
- transmission de maladies des animaux domestiques à l’homme ;
- risques de santé sur le travail causé par une mauvaise manipulation des produits agrochimiques (Birley and Lock, cité par de Zeeuw 2004).
En outre, les producteurs peuvent rencontrer un bon nombre de contraintes à l’exercice de leur activité, comme :
- un problème de concurrence pour les ressources (accès à la terre, insécurité foncière, utilisation de l’eau, concurrence pour la main-d’œuvre et énergie) ;
- des politiques et règlements restrictifs en milieu urbain ; des risques de production élevée (le vol, la pollution, l’insécurité foncière, les conflits avec les autorités locales ou les voisins) ;
- la difficulté d’accès aux intrants ;
- des difficultés d’écoulement de la production (accès au marché, instabilité des prix, etc.) ;
- l’accès limité aux sources de crédit et financement ;
- la non-acceptation causée par des incompatibilités des utilisations (mauvaises odeurs, bruits dans le cas de l’élevage) ;
- l’insuffisance des technologies et des connaissances sur les bonnes pratiques agricoles (souvent mal adaptées à la spécificité des conditions urbaines) ;
- le manque de services d’appui (vulgarisation agricole, les services vétérinaires, les petites entreprises appui au développement, etc.) ;
- un manque d’organisation et de représentation des producteurs urbains.
AUP et sécurité alimentaire
La quantité d’aliments fournis aux villes par le biais de l’AUP est très importante, s’élevant à des pourcentages qui dans certains cas comptent pour plus que la moitié de l’approvisionnement alimentaire en milieu urbain. L’agriculture urbaine a contribué pour 15% de la production alimentaire mondiale en 1993 et pour le 30% en 2005 (Smit et al, 1996).
Agents impliqués dans l’AUP
Selon la FAO pas moins de 800 millions de personnes sont impliquées dans l’AUP. De ce nombre, 200 millions sont des producteurs pour le marché, qui emploient 150 millions de personnes à temps plein (Smit et al. 1996). Le « subsecteur » de l’AUP, comme le plus large secteur de l’agriculture dont elle fait partie, compte sept processus verticalement intégrés :
- acquisition et utilisation des ressources nécessaires, intrants et services
- production de matières premières et produits finis
- transformation
- conditionnement
- distribution
- marketing
- recyclage
Une multitude d’acteurs se regroupe autour de ces processus. Ils sont les fournisseurs d’intrants et de services, les producteurs, les transporteurs, les détaillants et les consommateurs, les promoteurs et les manageurs. Ces acteurs peuvent appartenir au secteur public ou au secteur privé, à l’économie formelle et informelle. Les relations entre ces acteurs peuvent être caractérisées par la complémentarité et la synergie, la compétition et l’antagonisme, l’équité et l’exploitation, etc. Le scénario est donc assez complexe. Il en résulte que la coordination entre les acteurs aux différents niveaux est essentielle pour l’essor de l’AUP, trop souvent considérée une activité informelle et individuelle.
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