Quel avenir pour le coton en Afrique de l’Ouest et du Centre ?
Rapport introductif de la Concertation ministérielle sur la filière coton en Afrique de l’Ouest et du Centre
Auteur (s) :
Conférence des ministres de l’agriculture de l’Afrique de l’Ouest et du centre CMA/AOC
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Le coton joue en effet un rôle économique majeur dans les zones rurales des pays africains de l’Ouest et du Centre (AOC). Environ 2 millions d’agriculteurs produisent en moyenne plus de deux millions de tonnes de coton-graine, soit près de 830.000 tonnes de fibres au taux moyen de rendement à l’égrenage de 41,5%. Ce volume de coton fibre représente plus de 15% des échanges internationaux, pour un chiffre d’affaires entre 500 et 700 milliards F CFA.
Performances et contraintes des filières coton en AOC
Résultats récents
De 1,6 million de tonnes de coton graine en 1994/95, la production est passée à 2,2 millions tonnes en 97/98. Après une chute remarquable en 2000/2001, la production semble reprendre et les résultats provisoires de la campagne 2001/2002 portent sur un niveau historique de 2,3 millions de tonnes de coton graine. La valorisation du coton sur le marché local est faible. Elle est estimée en moyenne à 5%. L’essentiel de la production est exporté.
L’accroissement de la production de fibre a permis aux principaux pays producteurs de coton de la zone AOC (Mali, Bénin, Burkina Faso, Tchad, Côte d’Ivoire, Togo, Cameroun) de renforcer leur position sur le marché mondial de la fibre de coton. De 8,8% entre 92 et 94, puis 10% du commerce mondial en 1994/95, la part de marché de la région AOC représente actuellement 15%. Elle occupe la 3ème place des pays exportateurs, derrière les Etats Unis et l’Ouzbékistan, pour 5% de la production mondiale.
Contraintes et menaces sur la filière coton africaine
Le marché mondial du coton est marqué par de fortes fluctuations des prix de la fibre et des variations des taux de change de la monnaie de référence, en l’occurrence le dollar.
Ces paramètres ont un impact considérable sur les performances financières des sociétés cotonnières. Après une remontée en 2000, les cours ont accusé une baisse jusqu’à 20 cents /livre en septembre 2001, niveau historiquement le plus bas depuis 20 ans. En 2002, les prix fluctuent entre 30 et 40 C/l contre une moyenne de 59 cents en 2000.
En 2000/2001, cette sensibilité a mis les sociétés cotonnières du Mali et du Burkina au bord de la cessation de paiement avec respectivement des déficits de 56 milliards et 40 milliards de F CFA.
Cette évolution erratique des cours est certes influencée par les déterminants de base liés au rapport entre la production, la consommation et le niveau des stocks. Mais, la politique de subvention des grands pays cotonniers du monde induit d’autres perturbations qui faussent les règles d’ajustement naturel de l’offre et de la demande sur le marché de la fibre. Le Comité consultatif du coton (CCIC) estime que la production américaine serait inférieure d’un quart si le programme cotonnier national n’existait pas. Il en serait de même en Chine et en Europe.
Le développement des semences transgéniques (organisme génétiquement modifié, OGM) fait courir de nouveaux risques à la compétitivité du coton africain. Le coton transgénique est passé de 0,6% des superficies coton en 1996 à 10% en 2000 à l’échelle mondiale. Les caractéristiques technologiques exceptionnelles et la résistance aux attaques parasitaires qu’il présente, en font un produit attractif.
Dans les pays africains concernés, la culture du coton est pluviale. Elle est en conséquence soumise aux aléas climatiques. D’une année à l’autre, le régime pluviométrique détermine largement le niveau de productivité agricole et devient un facteur de risque important auquel s’ajoute le risque parasitaire. Cet environnement agroclimatique rude contraint souvent les paysans à des stratégies qui consistent à minimiser le coût des intrants agricoles par une application imparfaite des recommandations techniques.
Les mutations institutionnelles en cours
Le modèle intégré de type Malien
C’est un modèle de filière très intégrée. La société cotonnière réunit sous son autorité toutes les fonctions, de la production jusqu’à la commercialisation. En effet, la CMDT a en charge le développement intégré de la filière coton et l’exécution d’activités de développement rural relevant de la mission de service public de l’Etat que le gouvernement lui confie et pour laquelle elle reçoit une dotation du budget de l’Etat. Ces missions comprennent les fonctions fondamentales suivantes: (i). une fonction industrielle et commerciale (vulgarisation agricole, crédit intrants, achat, collecte et égrenage du coton-graine, commercialisation de la fibre et de la graine, etc.); et (ii). une fonction de développement des activités liées aux systèmes de production cotonniers lesquels sont considérés dans leur globalité (l’appui ne se fait pas seulement sur la culture cotonnière). Le Cameroun, la Centrafrique, le Burkina Faso, le Tchad et le Sénégal, à quelques nuances près, ont actuellement des organisations proches de celle du Mali.
A l’actif des filières intégrées, il faut également inscrire de nombreuses réalisations relevant de mission de service public. Le coton a eu un effet d’entraînement à la fois économique et sociale dans les zones de culture, voire sur l’ensemble du territoire. Mais ce modèle introduit des facteurs de rigidité notamment dans la formation du prix unique d’achat du coton graine et du prix des intrants. Il en est de même des plans d’emblavure qui sont déterminés en général sans égard aux signaux du marché et souvent sur des bases politiques. En effet, pendant longtemps, l’approche productiviste a mis l’accent sur le record de production comme principal critère de performance des sociétés cotonnières des pays francophones de l’AOC.
Le modèle intermédiaire de type Béninois
C’est un modèle dans lequel les fonctions fondamentales ne sont plus assurées exclusivement par un monopole public ou parapublic. Dans ce modèle, le transport, la vulgarisation agricole, la fourniture d’intrants aux producteurs, la commercialisation primaire, l’égrenage, l’exportation, la récupération du crédit intrants sont réalisés concurremment par des unités publiques et privées.
Dans le modèle intermédiaire de type béninois, l’importation et de la distribution des intrants coton sont réalisées par les opérateurs privés. L’encadrement et la vulgarisation des techniques de production sont du ressort d’une administration publique (CARDER) et des privés. L’égrenage de coton et l’exportation de coton fibre sont assurés aussi bien par la société publique (SONAPRA, 10 usines) que par les privés (8 usines). La commercialisation primaire du coton graine est assurée par les organisations de producteurs encadrées par un nouveau mécanisme de sécurisation de récupération du crédit intrants, la Centrale de sécurisation des paiements et du recouvrement (CSPR).
La répartition du coton graine entre les égreneurs et les fonctions liées à la commercialisation primaire ont été réorganisées sous la houlette de l’Association interprofessionnelle du coton (AIC), formée par les familles professionnelles des distributeurs d’intrants coton (GPDIA), les producteurs (FUPRO) et les égreneurs (APEB). Afin d’assumer les fonctions complexes de commercialisation, ces trois familles ont mis en place un Groupement d’intérêt économique (GIE) dénommé. La CSPR est une structure privée. Au titre du nouveau mécanisme CSPR, les égreneurs s’engagent à acquérir la totalité du coton graine produit au cours d’une campagne donnée; les producteurs s’engagent, pour leur part, à vendre la totalité de leur production via la CSPR, aux seuls égreneurs qui remplissent les conditions de la CSPR. Pivot du système, la CSPR achète le coton pour le compte des égreneurs et, à l’occasion du paiement du prix aux producteurs, prélève la part correspondant au remboursement du crédit intrants. Ces prélèvements sont directement reversés au chef de file des banques qui ont financé les intrants coton.
Ainsi, dans ce modèle, l’opérateur historique, la SONAPRA, demeure public. Sa privatisation est à l’étude. Le Togo, à l’origine proche du modèle malien, s’oriente peu à peu vers le système du Bénin.
Le modèle de type Ghanéen
Le modèle ghanéen est un modèle d’intégration verticale régionale. La filière est entièrement privatisée. Trois sociétés assure, chacune dans sa zone, l’ensemble des fonctions intégrées qui concourent à la production, à l’égrenage et à la commercialisation et à la gestion du crédit intrants. La Côte d’Ivoire s’oriente vers le modèle de type ghanéen. En effet, la privatisation partielle de la Compagnie Ivoirienne des Fibres Textiles (CIDT) a également abouti au découpage vertical régional de la filière. Un des principaux problèmes de ce modèle est l’infidélisation des producteurs vis-à-vis des égreneurs. Cela conduit à l’accumulation d’arriérés de paiement du crédit agricole qui risquent à la longue de compromettre le financement de la filière.
Perspectives
La campagne 2001/2002 affiche une évolution positive des indicateurs techniques des filières coton de l’AOC avec un accroissement de 41% de la production de coton graine4 par rapport à la campagne 2000/2001. L’extrême volatilité des cours mondiaux, accentuée par les politiques de « dumping » des grands pays producteurs de coton d’Europe, d’Amérique et d’Asie, rend cependant précaires les performances observées, ce qui rend nécessaires (i) l’amélioration de la compétitivité des filières, (ii) la poursuite des restructurations pour un développement durable de la filière, et (iii) la promotion de la coopération régionale.
Amélioration de la compétitivité
La réalisation de gains de productivité sera adossée à une politique active de promotion des activités de recherche développement en veillant à la prise en charge à la fois des préoccupations immédiates et en gardant une perspective à long terme.
L’examen de la structure du prix de revient moyen de la fibre dans les pays AOC montre que sa réduction passera nécessairement par l’amélioration du taux d’utilisation des capacités d’égrenage et la modernisation des unités industrielles. Ces mesures auraient pour incidence une baisse des charges de structure sur le prix de revient et la réalisation des gains de rendement fibre.
Cette mise en adéquation entre production et capacités d’égrenage nécessitera une concertation rapprochée entre producteurs et industriels et un système de régulation que les acteurs de la filière devront définir conjointement. En outre, il sera nécessaire de pouvoir accéder aux résultats de la recherche variétale et au progrès technologique pour mieux répondre aux besoins des consommateurs.
Une meilleure valorisation de la fibre suppose la mise en marché d’un coton de qualité qui répond aux normes internationales (commerciale et technologique) sous un label certifié. La promotion de ce label reposera sur l’instauration d’une approche qualité qui concernera toutes les fonctions et tous les maillons de la chaîne de production. L’objectif de qualité totale suppose un effort global d’amont en aval : au niveau des intrants, du traitement au champ et à l’usine, du conditionnement et du transport. Cette exigence appelle un système de coordination étroit, des responsabilités clairement identifiées et un système d’information transparent.
La qualité du coton “bio” constitue une niche qui permet une meilleure valorisation avec un prix supérieur de 20 à 40 F/kg au prix de la fibre classique. Ce créneau présente un potentiel pour les pays de l’AOC d’autant que le niveau de rendement actuellement autour de 600 kg/ha pourrait progresser jusqu’à hauteur de 800 kg/ha. Il importera donc d’obtenir à terme la certification “bio” grâce à l’adoption de protocoles normalisés de culture et de mise en marché.
Assurer la durabilité de la filière
La durabilité des filières africaines nécessite avant tout une organisation compatible aux contraintes de l’environnement et capable de s’adapter aux évolutions du contexte par le biais d’un système de régulation impliquant les principaux acteurs sur une base professionnelle.
- Une composante décisive de la politique cotonnière des pays AOC sera d’assurer aux producteurs une juste part de rémunération dans les revenus de la filière. Quel que soit le système de prix adopté, il importe d’étudier la faisabilité de mécanismes appropriés de couverture du risque de volatilité. En d’autres termes, il faudrait introduire progressivement et prudemment sur le marché du coton graine des instruments de couverture (système d’assurance, etc.). Par exemple, la possibilité de contrats à terme payés partiellement au comptant entre égreneurs et producteurs avec un minimum de variation (4% à 6%, par exemple) jetterait les bases d’une agriculture contractuelle dans le secteur cotonnier AOC. Il s’agit de la possibilité d’introduire dans le secteur du coton de systèmes de préfinancement ou d’avances sur récolte.
- Une valorisation plus complète du coton au niveau local aurait le double avantage de maximiser la valeur ajoutée locale, avec un impact sur l’industrialisation du pays, l’emploi, les recettes fiscales, la balance commerciale et les revenus des producteurs, et de moins exposer le coton africain aux fluctuations des cours de la fibre et surtout aux facteurs de perversion des règles du marché.
- Le développement de la culture du coton représente des risques sur l’équilibre des sols et la préservation du capital naturel. L’expansion des superficies, la réduction des périodes de jachère, la substitution du coton aux cultures vivrières, la mise en culture des terres en friche, l’introduction de produits phytosanitaires de mauvaise qualité, accroissent les risques sur l’environnement. Pour les produits phytosanitaires, il est recommandé aux pays de définir des procédures rigoureuses d’homologation des insecticides, et des règles strictes de contrôle de qualité.
- L’organisation efficace de la filière doit viser des objectifs liés à la compétitivité et à la durabilité par la mise en avant d’une capacité d’anticipation et de réponse aux évolutions du marché et aux conditions agro-climatiques. La problématique de l’organisation des filières ne se situe pas entre libéralisation intégrale et maintien de sociétés cotonnières parapubliques en situation de monopole. La libéralisation n’est pas exclusive de l’intégration. L’efficacité signifie l’exploitation des synergies et des économies d’échelle.
Promouvoir la coopération régionale
L’exigence d’une coopération régionale se fonde avant tout sur la nécessité de minimiser le risque national. En effet, l’ouverture des marchés et la globalisation des économies commandent une approche élargie des espaces de développement. La libre circulation des biens et des personnes et l’adoption de politiques économiques (industrie et agriculture) concertées traduisent la volonté politique des Etats membres de l’AOC d’intégrer leurs économies à travers les organisations régionales (CEDEAO, CEMAC, UEMOA). Ainsi, le symposium organisé par la CMA/AOC en juin 2000 recommandait de favoriser l’intégration des filières coton au niveau régional sur la base du principe des avantages comparatifs.
Dans le domaine du coton, l’intégration régionale pourrait concerner des fonctions telles que la recherche “coton-fibre”, l’égrenage, la production de semences, engrais et insecticides, la filature et la teinture, la transformation des produits, etc.
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