Comment les systèmes agroalimentaires en Afrique de l’Ouest réagissent-ils aux tendances actuelles du marché ?
Auteurs :
Frank Hollinger (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture)
John M. Staatz (Michigan State University)
Le secteur agroalimentaire et les industries agroalimentaires : situation actuelle, opportunités et défis
- Principales caractéristiques du secteur agroalimentaire en Afrique de l’Ouest
Le secteur agroalimentaire en Afrique de l’Ouest reflète cette diversité sur plusieurs plans : taille, gamme de produits, niveaux de mécanisation et de technologie, dépendance vis-à-vis des matières premières importées et locales, tendances internes et externes du marché, souci de la qualité, niveaux de valeur ajoutée et intégration verticale et horizontale.
Les chercheurs ont proposé diverses typologies en fonction de l’envergure des activités, de la taille des entreprises et du niveau de formalité et de technologie Toutefois, la distinction entre les catégories est souvent floue et, en général, reste spécifique au contexte, au produit et à la denrée.
- Répartition géographique
L’activité de transformation des produits agricoles est présente dans toute la région. Cependant, les entreprises du secteur formel se concentrent plus au niveau des « trois grands » que sont le Nigeria, la Côte d’Ivoire et le Ghana.
L’importance de la transformation des cultures d’exportation (huile de palme, cacao et caoutchouc) est particulièrement frappante en Côte d’Ivoire, alors que le Nigeria se classe en tête pour le riz et le manioc, ainsi que pour les industries à base d’intrants importés tels que le blé et le lait en poudre, produits non répertoriés sur ce tableau.
- Répartition de la taille
Les grandes industries se concentrent généralement dans les sous-secteurs à forte économie d’échelle et à forte intensité de capital dans la transformation et où l’accès fiable aux matières premières de qualité est possible. C’est le cas des industries tributaires de matières premières importées telles que le blé (minoteries, fabricants de pâtes et de nouilles et grandes boulangeries-pâtisseries), le lait en poudre (produits laitiers, boissons aromatisées, yaourts et fromage), les concentrés de jus de fruits et, dans une certaine mesure, le riz (où, par exemple, les rizeries nigérianes transforment le riz non usiné importé).
- Les moyennes et grandes industries qui dépendent des matières premières nationales sont présentes dans le secteur des cultures d’exportation traditionnelles (égrenage du coton, broyage des fèves de cacao et transformation du caoutchouc), des cultures de plantation (industries et raffineries sucrières, huileries, notamment l’huile de palme). D’autres moyennes et grandes industries marquent leur présence dans le secteur des boissons (brasseries, boissons non alcoolisées), de l’usinage du paddy et de la mouture du maïs, de la production avicole, de l’aquaculture et de la transformation du poisson et, enfin, de la production d’aliments de marque destinés aux animaux.
Opportunités
Les tendances de la demande et de la consommation laissent entrevoir de nombreuses opportunités pour le secteur agroalimentaire d’améliorer la valeur ajoutée nationale et de mieux articuler le secteur Agricole à la demande intérieure, régionale et internationale. Pour les marchés intérieurs et régionaux, les sous-secteurs ci-après jouissent d’un potentiel significatif :
- usinage du riz ;
- transformation du maïs et du manioc en farines, amidon, sirops et glucose ;
- production d’huile végétale ;
- sucre, vu la demande croissante en boissons non alcoolisées, en produits pharmaceutiques, en friandises et en casse-croûte ;
- jus de fruits ;
- bière, avec la substitution de l’orge importée par du sorgho (pratiquée par Guinness au Nigeria et au Ghana) et du manioc (pratiquée par SAB Miller au Mozambique et commençant maintenant au Nigeria et au Ghana) ;
- aliments de bétail à base de maïs, de soja, de tourteaux d’oléagineux et de cossettes de manioc ;
- broyage des fèves de cacao ;
- textiles en coton ;
- transformation de la viande ;
- transformation des produits laitiers ;
- transformation de la noix de cajou.
Contraintes
Malgré l’intérêt accru pour le développement du secteur agroalimentaire et des industries agroalimentaires en Afrique de l’Ouest et leur potentiel croissant, des facteurs importants continuent d’en étouffer la croissance et la compétitivité, ainsi que l’articulation avec le système agroalimentaire, en amont comme en aval. Bien que nombre de ces contraintes et des options pour en venir à bout soient spécifiques à chacune des chaînes de valeur, quelques contraintes structurelles bien connues s’appliquent à l’ensemble du secteur. Nous les présentons brièvement ci-après.
- Mauvaise coordination verticale avec l’agriculture nationale ;
- Infrastructures physiques médiocres ;
- L’énergie, et en particulier l’électricité ;
- L’accès au financement et son coût sont un autre problème fondamental que l’on retrouve fréquemment en tête de la liste des contraintes citées dans les enquêtes sur les entreprises et le climat des affaires ;
- Ressources humaines et compétences. Elles sont souvent insuffisantes dans divers domaines, notamment les technologies de l’agroalimentaire et de l’équipement, le développement de l’entreprise, le marketing et la finance ;
- Accès sécurisé à la terre ;
- Facilité de faire des affaires : contraintes réglementaires.
L’agro-industrie, parent pauvre des politiques
Le renforcement des articulations en amont et en aval des agro-industries, y compris le secteur agroalimentaire, permet de stimuler une croissance soutenue tant dans le secteur agricole que dans les marchés des produits alimentaires et des fibres qui sont ses cibles. Rien que sur cette base, le développement agro-industriel devrait être une priorité politique. Toutefois, les préoccupations essentielles de l’agro-industrie couvrent plusieurs ministères sectoriels et agences : agriculture, industrie, santé et commerce, sans qu’aucun d’entre eux ne s’occupe principalement des agro-industries.
Réponse de quelques chaînes de valeur
Dans cette étude, une chaîne de valeur est définie comme étant « l’ensemble des activités nécessaires pour amener un produit de sa conception à son utilisation finale. Chaînes de valeur axées sur les consommateurs ouest-africains
- Riz
La plupart des riziculteurs de la région sont des petits producteurs (essentiellement des femmes) qui cultivent du riz pour la consommation familiale à l’aide de systèmes au bas de l’échelle de productivité. S’ils enregistrent de petits excédents par rapport aux besoins de la famille, ils les vendent généralement sur les marchés locaux ou les échangent avec des voisins.
À l’inverse, dans les zones à meilleure maîtrise de l’eau des grands systèmes d’irrigation telles que la vallée du fleuve Sénégal et l’Office du Niger au Mali, la production de riz, bien que s’effectuant encore essentiellement sur de petites exploitations (moins de 10 ha), est davantage tournée vers le commerce et intéresse surtout les hommes. Régulièrement, 40 % de la production, voire plus, est vendue et est généralement usinée localement, achetée par des négociants locaux et expédiée vers les marchés urbains et ruraux.
Parallèlement aux circuits d’approvisionnement susmentionnés, il existe un très grand circuit d’importation, essentiellement au départ de l’Asie et desservant les grands marchés urbains de la côte et de l’intérieur de la région.
- Manioc
Le Nigeria est le premier producteur mondial de manioc et cette denrée est abondamment cultivée dans la région, en particulier dans les Etats côtiers.
Ainsi, la chaîne de valeur du manioc en Afrique de l’Ouest a obtenu des succès majeurs en devenant une culture de plus en plus commerciale, transformée principalement par les petits exploitants, et en générant des millions d’emplois. L’augmentation de la consommation de gari et d’attiéké démontre la réaction des petites entreprises de transformation et autres acteurs connexes de la chaîne de valeur du secteur informel aux exigences des consommateurs pour un aliment de base abordable comme alternative au riz.
Toutefois, la capacité de cette chaîne de valeur à franchir un cap pour devenir une culture véritablement commerciale intégrée dans une industrie de transformation moderne et attirant les marchés intérieurs, régionaux et internationaux des produits allant des aliments de bétail aux produits pharmaceutiques en passant par l’amidon s’est heurtée au manque de coordination entre agriculteurs et transformateurs.
- Chaînes de valeur axées sur l’exportation
- Cacao
En Afrique de l’Ouest, 90 % à 95 % de la totalité du cacao est produite par de petits exploitants dont les exploitations ont une superficie de deux à cinq hectares. La production est fortement tributaire de la main-d’œuvre, avec un faible niveau de mécanisation (Traoré, 2009). De nombreux pays producteurs souffrent d’un problème commun : le vieillissement des arbustes qui entraîne la baisse de la productivité. Cependant, le potentiel d’augmentation considérable de la productivité, même chez les arbustes vieillissants, par l’application d’intrants et de pratiques agricoles améliorées a été démontré au Ghana et, plus récemment, au Liberia.
Les expériences de la Côte d’Ivoire et du Nigeria relatives à la suppression de leurs offices ont cependant montré qu’en l’absence de nouvelles dispositions pour remédier à ces problèmes structurels, la simple libéralisation du secteur ne conduit pas nécessairement à de bonnes performances. Le Nigeria (à travers la proposition de créer des sociétés de commercialisation) et la Côte d’Ivoire (à travers la création du CCC) sont maintenant en train de revenir vers une plus grande implication de l’état dans la gestion de la chaîne de valeur, suivant ainsi en partie l’exemple de la réforme du Cocobod au Ghana.
- Coton
En 1960, les pays de la zone Franc CFA de l’Afrique de l’Ouest et du Centre ne représentaient que 1 % de la production mondiale de fibres de coton et 11 % de la production en Afrique subsaharienne. Au cours des quarante années suivantes, la production a augmenté à un taux de croissance cumulé de 9 % par an et, en 2000, ces pays représentaient 4,4 % de la production mondiale totale et 69 % de la production de l’Afrique subsaharienne (Tefft, 2010). Vers 2010, la zone Franc CFA de l’Afrique de l’Ouest et du Centre est devenue le deuxième plus grand exportateur de coton au monde après les Etats-Unis, tandis que le coton est devenu une source majeure de revenus pour plus de 2 millions d’Ouest-africains.
Etant donné que la production de coton augmentait rapidement dans la zone Franc CFA, les sociétés cotonnières ont commencé à connaître des difficultés croissantes. Les parties prenantes en Afrique de l’Ouest francophone sont à la recherche d’un nouveau modèle d’organisation de la chaîne de valeur du coton qui s’appuie sur les succès du système intégré précédent tout en étant compétitif et fiable au niveau mondial pour les agriculteurs et les contribuables.
Autres chaînes de valeur à fort potentiel de croissance
- Huile végétale
L’Afrique de l’Ouest accuse un important déficit structurel en ce qui concerne l’huile végétale, un accroissement rapide de la demande et une forte dépendance vis-à-vis des importations, notamment l’huile de palme bon marché en provenance d’Indonésie et de la Malaisie. Cette forte dépendance vis-à-vis de l’huile de palme importée est ironique, dans la mesure où l’Afrique de l’Ouest a dominé l’industrie mondiale de l’huile de palme dans les années 1960, le Nigeria à lui seul représentant 27 % des exportations mondiales en 1961 (Nigeria Federal Ministry of Agriculture and Rural Development, 2011).
Les autres oléagineux importants de la région sont le coton-graine, les arachides et, dans une moindre mesure, le soja, le sésame et (récemment) le tournesol. Par ailleurs, la demande d’huile végétale à l’échelle mondiale s’avère importante, notamment l’huile de palme avec ses applications dans les biocarburants et, d’après les projections de l’OCDE/ FAO (OECD/FAO, 2012), la demande internationale devrait rester forte jusqu’en 2021.
La région dispose d’un fort potentiel agronomique et d’une longue expérience en matière de production de matières premières de base telles que le coton-graine, les fruits et grains de palmier à huile, les arachides et le sésame. La forte demande d’huile de palme à l’échelle internationale a également entraîné une augmentation des investissements directs étrangers dans les plantations de palmiers à huile en Afrique de l’Ouest.
À l’instar de nombreuses autres chaînes de valeur dans la région, la transformation existe à la fois à l’échelle artisanale et industrielle.
- Niébé
Le Niger est le deuxième plus grand producteur au monde. Les autres producteurs de l’espace CEDEAO sont, par ordre d’importance, le Burkina Faso, le Mali, le Bénin, le Ghana, le Togo, le Sénégal et la Côte d’Ivoire (Langyintuoa et al., 2003). Le niébé est produit principalement dans les régions intérieures arides de l’Afrique de l’Ouest en raison de sa tolérance à la sécheresse et de la pression moins forte des insectes dans ces zones, et le commerce bien développé le mène au Sud, vers les principaux marchés côtiers.
- Fruits destinés à la transformation
La demande de jus de fruits est en forte augmentation dans la région, notamment au Nigeria, au Ghana et en Côte d’Ivoire. Selon des enquêtes menées, les consommateurs considèrent les jus de fruits (consommés directement ou incorporés dans les boissons aromatisées à base de yaourt) comme une alternative plus saine aux boissons gazeuses, même si ces dernières sont plus largement consommées en raison de leur caractère bon marché.
Etant donné que le secteur de la transformation des jus de fruits est en plein essor et que le capital régional privé est bien en place, le principal défi pour l’industrie est de renforcer les capacités de production nationale de matières premières, fraiches et transformées, en concentrés et pulpes.
- Noix de cajou
Le Nigeria, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau et le Bénin sont tous de grands producteurs. En plus de la forte demande mondiale, un marché intérieur pour l’utilisation des noix de cajou comme casse-croûte prend de l’importance, notamment au Nigeria. Le défi consiste maintenant à accroître les rendements et à augmenter considérablement la capacité de transformation en noix de haute qualité destinées à l’exportation vers les marchés mondiaux. L’Afrique australe et de l’Est compte de nombreux exemples d’entreprises de transformation (par exemple Condor à Maputo, au Mozambique) exportant des produits de la plus haute qualité, certifiés HACCP, vers les marchés internationaux.
Etant donné que l’Inde s’industrialise et que la demande intérieure de noix de cajou réduit sa capacité d’exportation, l’Afrique de l’Ouest peut jouer un rôle de premier plan dans la transformation de ces noix pourvu que l’offre soit stimulée et que la qualité soit renforcée et devienne certifiée par des organismes indépendants.
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