Le commerce agricole en Afrique de l’Ouest et du Centre : les frontières sont-elles abolies ?
Document de travail du rapport sur le commerce agricole, revue d’économie du développement – 2013
Auteurs :
Catherine Araujo Bonjean, Chargée de recherche CNRS, Clermont Université, Université d’Auvergne
Stéphanie Brunelin, Doctorante, Clermont Université, Université d’Auvergne
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État des lieux du commerce agricole inter-régional en Afrique de l’Ouest et du Centre
Le commerce agricole inter-régional a connu de fortes avancées politiques et institutionnelles, notamment liées à la libre circulation des produits au sein des unions monétaires et douanières. Les obstacles qui subsistent sont liés à la faiblesse des infrastructures, l’importance des risques, la mauvaise application des textes… et sont difficilement mesurables. Les auteurs s’attachent à évaluer le coût additionnel lié au passage d’une frontière sur 5 produits agricoles sur 142 marchés répartis dans 15 pays.
En Afrique de l’Ouest et du Centre, les produits agricoles font l’objet de courants d’échanges sur de longues distances intenses et très anciens. Ils jouent un rôle essentiel dans la régulation de l’offre des produits alimentaires dans chaque pays et participent à la sécurité alimentaire des populations.
Malgré la libéralisation du commerce au sein des trois différentes zones d’intégration (UEMOA, CEDEAO, CEMAC), des obstacles à la fluidité des échanges agricoles subsistent. Ils sont liés aux coûts de commercialisation élevés, conséquence de la faiblesse des infrastructures de communication, de l’importance des risques, mais aussi de conflits à l’origine de détournements de trafic – à l’instar du conflit ivoirien.
Si, de manière officielle, il n’existe plus de prélèvements sur les produits agricoles de la zone de production jusqu’au lieu de consommation, les contrôles aux frontières restent coûteux dans la mesure où ils sont source de retard et de pertes importantes, surtout sur les produits périssables.
Les prélèvements qui subsistent peuvent revêtir un caractère totalement illégal et bénéficier à des organisations criminelles. Les cas de fermeture des frontières se sont multipliés ces dernières années. Ces restrictions d’échanges discrétionnaires sont souvent la réaction de pouvoirs publics suite à une hausse des prix alimentaires ou à de mauvaises récoltes. Quelle que soit leur origine, ces obstacles aux échanges contribuent à l’augmentation de l’ensemble des coûts, ce qui pénalise les producteurs et les consommateurs.
Les obstacles aux échanges agricoles ne se rencontrent pas seulement au passage des frontières, ils sont également nombreux à l’intérieur du pays mais difficiles à appréhender car le commerce agricole reste mal connu. De fait, les échanges agricoles intra-pays et entre pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre relèvent pour l’essentiel du secteur informel et sont très mal mesurés.
Ce constat étant fait, comment mesurer l’intégration des pays par les échanges agricoles ?
Une approche indirecte basée sur l’étude des mouvements de prix permet non seulement d’évaluer l’importance des coûts de commercialisation, mais également l’impact de mesures de politique économique ou de chocs exogènes sur la circulation de marchandises, l’objectif final étant de tester l’effectivité de l’intégration monétaire et douanière pour les produits agricoles dans cette région d’Afrique.
L’ouverture commerciale en bonne voie
Le principe de libre circulation des produits à l’abri d’un tarif extérieur commun…
Depuis la création en 1994 de l’UEMOA, les produits agricoles circulent librement au sein de l’union. L’harmonisation des règles d’origine avec celles de la CEDEAO a permis l’élargissement du marché commun à l’ensemble des pays des deux zones. De plus, la CEDEAO a adopté en janvier 2006 un tarif extérieur commun identique à celui de l’UEMOA. Les pays de ces deux zones d’intégration forment donc aujourd’hui un vaste marché commun pour les produits agricoles.
Du côté de la CEMAC, les produits agricoles circulent librement au sein de l’union. D’abord zone de libre-échange puis union douanière, la CEMAC s’est dotée d’un Tarif Extérieur Commun (TEC) en 1993.
… Entravé par des recours à la protection nationale
On note toutefois que leur réglementation autorise les pays membres à appliquer des dispositifs temporaires de protection (Taxe Conjoncturelle à l’Importation pour l’UEMOA, Taxe de Sauvegarde et de Droit Compensateur pour la CEDEAO). Mais ces recours à la protection vis-à-vis des produits d’importation internationaux ont des effets potentiellement déstructurant sur les échanges intra-communautaires.
Des taux de protection différentiés alimentent un trafic de réexportation des pays à faible taux vers les pays avec des taux plus élevés. Ces derniers doivent donc en parallèle renforcer les contrôles aux importations en provenance des pays de la communauté.
Il est difficile d’harmoniser les tarifs de protection dans des pays où les conditions d’accès au marché international sont très différentes. Les pays de l’intérieur bénéficient d’une protection naturelle liée au coût de transport des marchandises importées. En revanche, le secteur agricole des pays côtiers est plus directement soumis à la concurrence des produits importés. L’augmentation du taux de protection nécessaire pour protéger les agriculteurs des pays côtiers représente un coût excessif pour les consommateurs des pays enclavés.
Identification des obstacles aux échanges transfrontaliers
- Les barrières tarifaires et non-tarifaires
Les réformes des dispositifs institutionnels vont clairement dans le sens de l’ouverture des marchés agricoles domestiques vers les marchés de la zone dans un premier temps, puis vers les marchés extérieurs. Toutefois, les rapports du West Africa Trade Hub (WATH) montrent que les échanges de marchandises sont encore entravés par des barrières de différentes natures.
Selon ces rapports, les principales entraves aux échanges agricoles viennent de la non-application ou de la méconnaissance des textes de l’intégration régionale.
Ainsi, la circulation des produits importés sur les deux principaux corridors routiers Dakar-N’Djamena et Abidjan-Lagos – reliant les pays ouest- africains aux pays d’Afrique Centrale se heurte à un patchwork de règles appliquées différemment selon les pays (WATH, 2011).
Au Sénégal, 38 % des représentants du secteur public rapportent l’existence de restrictions quantitatives sur notamment les arachides, le sucre et l’huile de palme. Au Nigéria, une étude du WATH rapporte que le maïs figure explicitement sur la liste des exportations prohibées, tandis que sur la liste des importations interdites figurent des produits comme le manioc, les volailles, les bovins, les huiles végétales raffinées.
- Les coûts additionnels : un frein à l’intégration commerciale
Un important obstacle à une plus grande intégration des marchés reste sans doute l’importance des coûts qui s’additionnent tout au long de la chaîne de commercialisation : coût des transports et plus généralement de la logistique, mais aussi coûts engendrés par la lourdeur des procédures administratives.
Le coût élevé du transport s’explique par la régulation excessive du secteur des transports et le mauvais état des routes, mais aussi par l’importance de la corruption aux différents postes de contrôle (ECA, 2010). Les coûts de transaction incluent également les coûts de collecte de l’information sur les marchés, les coûts liés à la passation des contrats commerciaux, la rémunération des commerçants, une prime de risque etc.
L’indice de performance logistique de la Banque Mondiale indique que les pays africains sont nettement en retard en ce qui concerne les douanes, infrastructures, et la rapidité des procédures d’exportation et d’importation. Ainsi le coût des échanges transfrontaliers est-il deux fois plus élevé en Afrique Subsaharienne qu’en Asie de l’Est et dans les pays de l’OCDE. Le coût est particulièrement élevé pour les produits agricoles qui pour la plupart sont des produits périssables.
- L’exercice de la souveraineté alimentaire au niveau national
La mise en place d’un marché commun laisse peu de place à des politiques agricoles autonomes, qui représenteraient de facto des restrictions au commerce intra régional.
Jusqu’en 2008, la concurrence des importations venant d’Europe ou d’Amérique a fait profiter les consommateurs d’une alimentation à faible coût. En contrepartie, le secteur agricole a souffert d’un sous-investissement, raison pour laquelle la CEDEAO s’est concentrée sur la mise en place d’une politique extérieure commune.
En revanche, la flambée des prix agricoles internationaux en 2008 puis en 2011 a fait voler en éclat l’unité des politiques agricoles, les États ayant pris des mesures d’urgence unilatérales (suspension des droits de douane, de la TVA…).
De toute évidence, ces mesures visant à protéger les consommateurs vont à l’encontre de la construction du marché commun, même si elles ont un caractère temporaire. Elles démontrent aussi du manque de confiance des États dans le marché communautaire pour la réalisation d’une sécurité alimentaire effective.
Les politiques régionales à l’épreuve du contexte international
Les analyses quantitatives réalisées depuis 2011 ont montré une réduction des coûts de commercialisation liés à la distance entre 1990 et 2011. Cependant, le passage des frontières reste coûteux, mais plus faible lorsque les deux pays partagent la même monnaie.
Compte tenu du contexte international caractérisé par des prix alimentaires élevés, il apparaît important de poursuivre les efforts d’ouverture des marchés nationaux vers les marchés des autres pays de l’union monétaire (UEMOA ou CEMAC), mais aussi pour les pays de l’UEMOA vers les pays de la CEDEAO.
Les prix internationaux élevés constituent à court terme une menace pour la sécurité alimentaire des pays dépendants du marché mondial. Pour ces pays, il est particulièrement important de veiller à ce que les obstacles aux échanges ne grèvent pas davantage le pouvoir d’achat des consommateurs, déjà fortement amputé par la hausse des prix des matières premières.
Mais il est nécessaire pour les décideurs publics de se rappeler que les prix internationaux élevés créent aussi un environnement favorable au développement de l’agriculture africaine et font naitre de nouvelles opportunités d’échanges intra-régionaux. Elle réduit le besoin de protection des agricultures nationales et permet aux productions locales de regagner en compétitivité.
Les producteurs, qui souffraient jusqu’en 2008 de la concurrence des importations à bas prix venant du marché international, peuvent aujourd’hui trouver de nouveaux débouchés sur le marché régional. Parallèlement, la hausse des prix internationaux incite les pays importateurs à se tourner vers le marché régional pour combler une partie de leur déficit.
Conclusion et Recommandations
Dans ce contexte de prix internationaux élevés, pour que les producteurs et consommateurs puissent exploiter les opportunités offertes par le marché régional, il est essentiel de réduire toutes formes d’obstacles aux échanges intra-régionaux. Les mesures de sauvegarde nationales prises de façon non concertée, telles que les interdictions d’exportation, même temporaires, sont particulièrement déstructurant.
Ces mesures discrétionnaires sont une source importante de risque pour le secteur privé, qui amène à une augmentation du coût des transactions commerciales, voire à l’abandon de liaisons commerciales. L’élimination de ces pratiques, source d’inefficacités, devrait être une priorité.
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