Transformation des systèmes agroalimentaires en Afrique de l’Ouest : facteurs et tendances
Auteurs :
Frank Hollinger (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture)
John M. Staatz (Michigan State University)
Pourquoi une étude de la politique Agricole en Afrique de l’Ouest ?
Après avoir été longtemps négligée, l’agriculture de l’Afrique de l’Ouest retrouve une place de choix dans les programmes politiques.
L’adoption par l’Union africaine du Programme détaillé de développement de l’agriculture africaine (PDDAA) et la Déclaration de Maputo de 2003 ont marqué un nouvel engagement de l’Afrique dans ce secteur. Elles ont été suivies en 2005 par l’adoption par la CEDEAO de la Politique agricole régionale de l’Afrique de l’Ouest (ECOWAP), puis le développement et l’adoption d’accords ECOWAP/PDDAA par la CEDEAO et ses 15 Etats membres et l’élaboration de plans d’investissement pour exécuter ces accords.
La crise des prix alimentaires de 2008 est une étape importante car elle a remis l’agriculture sous les feux de la rampe, et l’intérêt croissant des investisseurs privés extérieurs pour l’agriculture ouest-africaine a encore accentué cette attention.
D’ici à 2018, la population des pays de la CEDEAO vivra en plus grand nombre dans les villes que dans les zones rurales et cette population urbaine, qu’elle soit pauvre ou de classe moyenne, a de nouvelles et étonnantes exigences par rapport au système alimentaire.
Un très grand nombre de jeunes entrent chaque année sur le marché du travail, et une agriculture qui se modernise et un système agroalimentaire plus développé ont le potentiel de créer les nombreux emplois dont ces jeunes ont désespérément besoin.
Ces mutations en Afrique de l’Ouest se produisent dans un contexte international en évolution, caractérisé par des conditions climatiques et un marché plus volatiles et des pressions croissantes exercées par la concurrence.
La plus grande ouverture des marchés régionaux et internationaux ces dernières années offrent de nouvelles opportunités de croissance et d’investissement, mais suscitent aussi de graves préoccupations quant à l’organisation et le contrôle des systèmes agroalimentaires ouest-africains.
Parmi les nombreux défis que les décideurs doivent relever, deux se trouvent au cœur des nombreuses concertations politiques en Afrique de l’Ouest :
- Le dilemme des prix-alimentaires : Ainsi, « fixer des prix justes » pour l’Agriculture est un exercice d’équilibre délicat consistant à mesurer les intérêts des producteurs et des consommateurs.
- Débat sur la taille et la propriété des exploitations et des entreprises agroalimentaires : Bien que les politiques de la plupart des pays de la CEDEAO adoptent la notion de « l’exploitation familiale » comme fondement de la stratégie de développement agricole, en pratique, le dé- bat s’amplifie dans la région sur la question du bon équilibre entre exploitations commerciales à grande échelle (y compris étrangères) et plus petites entreprises agricoles.
Les facteurs des changements structurels de l’Agriculture ouest-africaine
- Une démographie galopante
Sur les trente dernières années, la population d’Afrique de l’Ouest a plus que doublé, avec un taux d’augmentation annuel de 2,7 %. Traduit en termes absolus, cela représente une progression de 139 millions d’habitants en 1980 à 301 millions en 2010.
Quant à la population régionale, elle atteindra selon les prévisions 388 millions en 2020, 490 millions en 2030 et 736 millions en 2050 (UNDESA, 2011).
Cette situation impose un besoin considérable de création d’emplois pour les années à venir, étant donné que les 80 millions de jeunes gens entre 5 et 14 ans arriveront sur le marché du travail lors de la prochaine décennie.
- Urbanisation
La population ouest-africaine est en pleine urbanisation. Entre 1980 et 2010, le nombre de citadins a augmenté de 4,5 % par an contre 1,8 % pour les ruraux. Cette tendance devrait se prolonger entre 2011 et 2050, avec des prévisions d’augmentation de 3,7 % par an contre 0,5 % seulement dans les zones rurales (UNDESA, 2011). Dès 2020, sur les 388 millions d’individus résidant en Afrique de l’Ouest, la moitié habitera en zone urbaine, et selon les prévisions, le taux d’urbanisation atteindra 65 % en 2050 (UNFPA, 2010).
- Une transformation sectorielle lente
Malgré une croissance économique forte sur les vingt dernières années, les statistiques officielles de la répartition sectorielle du PIB révèlent une très faible variation depuis les années 1980
La part de l’agriculture dans le PIB a chuté dans les pays avec un PIB par habitant et des taux de croissance élevés (Cap-Vert, Ghana et Nigeria). Or, dans un grand nombre de pays, la part de l’agriculture dans le PIB a même augmenté depuis les années 1980.
Selon les statistiques officielles, le secteur tertiaire continue de dominer l’ économie, avec 42 % du PIB en moyenne sur la période 2000-2009 pour les pays de la CEDEAO, suivi par l’agriculture (36 %) et l’industrie (23 %).
La part de l’agriculture dans le PIB est à peine supérieure à celle de l’Asie de l’Est, du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, même si ces dernières régions ont des revenus par habitant trois fois plus élevés que celle des pays d’Afrique subsaharienne.
Si le secteur informel se caractérise par les activités économiques ne se conformant pas aux obligations de s’enregistrer auprès des autorités publiques, tenir des comptes et payer des impôts), le gros de l’Agriculture ouest-africaine fait partie de l’ économie informelle. La contribution estimée de l’économie informelle (Agriculture comprise) au PIB va de 43 % en Côte d’Ivoire à 77 % au Niger.
La part du secteur agricole dans l’emploi total apparaît ainsi surestimée, et s’explique en partie par la saisonnalité de la plupart des activités agricoles, a fortiori sous régime pluvial, qui oblige les ménages agricoles à s’engager dans des activités multiples, et quelquefois aussi sur une base saisonnière.
De même, tous les producteurs agricoles ne sont pas ruraux, puisque de nombreux ménages urbains sont impliqués dans l’agriculture, notamment les jardins potagers et l’élevage en périphérie des villes et des agglomérations. Pour un certain nombre de pays d’Afrique de l’Ouest, les statistiques officielles révèlent une population agricole bien supérieure à la population rurale.
- Une part croissante d’acheteurs nets du secteur alimentaire
Ainsi, des études menées en Ethiopie, au Kenya, au Mali, au Mozambique, au Rwanda, au Sénégal, en Somalie, en Tanzanie, en Zambie et au Zimbabwe entre le milieu des années 1980 et 2002 ont révélé que, quel que soit le pays, les vendeurs nets de féculents ne dépassent jamais la moitié des petits exploitants. La proportion habituelle est d’environ un tiers. Selon le pays, 5 à 40 % des petits exploitants n’achètent ni ne vendent des féculents.
Il en résulte deux conséquences : (1) l’amélioration des systèmes de commercialisation des denrées alimentaires passe non seulement par le renforcement des liens entre les zones rurales et urbaines mais également par la commercialisation intra-rurale, car de nombreux acheteurs nets de féculents vivent en zone rurale ; (2) des prix de produits alimentaires plus élevés ne profitent pas systématiquement aux individus vivant en milieu rural, en tout cas sur le court terme, car nombre d’entre eux sont des acheteurs nets de denrées alimentaires.
Une classe moyenne émergente
Dans un contexte économique africain en regain, l’augmentation de la classe moyenne a déclenché l’intérêt des décideurs politiques et du secteur privé, y compris les investisseurs étrangers.
Comprendre les spécificités des classes moyennes ouest-africaines et leur comportement d’acheteurs de produits alimentaires devient donc essentiel pour les perspectives de développement du marché visant à permettre aux producteurs nationaux et régionaux de s’emparer d’une part importante de ce marché et de devenir plus concurrentiels à l’import.
- Augmentation progressive de la sécurité alimentaire
Selon le rapport sur l’ état de l’insécurité alimentaire dans le monde (SOFI) de 2012 publié par la FAO (FAO, 2012b), la part des individus sous-nourris dans la population totale a été réduite de moitié, passant de 20 à 10 % entre 1990 et 2006-2008, avec un nombre de personnes souffrant de sous-nutrition chutant de 37,3 millions à 28,5 millions sur la même période.
Les taux de sous-nutrition en Afrique de l’Ouest sont généralement plus bas qu’en Afrique de l’Est, du Sud et du Centre.
Par ailleurs, bien que le taux de sous-nutrition ait chuté dans 11 des 13 pays pour lesquels la SOFI a collecté des données (seuls la Gambie et le Liberia sont en hausse), en raison de l’augmentation de la population, le nombre absolu d’individus sous-nourris a augmenté dans sept pays (Côte d’Ivoire, Gambie, Guinée, Liberia, Sénégal, Sierra Leone et Togo).
Des progrès économiques et politiques encore fragiles dans l’ensemble
- Crises récurrentes
Les catastrophes naturelles et d’origine humaine récurrentes ont sérieusement affecté le développement des systèmes agroalimentaires en Afrique de l’Ouest :
- En l’absence d’outils de gestion des risques comme l’assurance-récolte, les sècheresses et les récoltes perdues obligent fréquemment les agriculteurs à vendre leurs biens pour survivre.
- Face au risque de catastrophe naturelle, les agriculteurs privilégient la résilience et la gestion des risques au niveau de l’exploitation, souvent en diversifiant leurs activités agricoles et non-agricoles.
- L’instabilité de la production alimentaire locale due au climat augmente l’intérêt des transformateurs de produits alimentaires et des détaillants à se tourner vers les produits importés plutôt que vers la production locale pour s’assurer un approvisionnement régulier.
Etant donné le caractère inévitable des catastrophes naturelles à venir et le nombre croissant de conflits qu’elles peuvent générer autours d’accès aux ressources agricoles de plus en plus rares (notamment dans un contexte de changement climatique), le renforcement des modalités de résolution de ces conflits devront être un élément essentiel des stratégies de développement Agricole.
- Une pression croissante sur les ressources naturelles
La croissance démographique peut provoquer une intensification agricole en consolidant les liens entre les milieux rural et urbain, en générant une demande alimentaire supplémentaire et en diminuant les coûts de transaction de l’approvisionnement des intrants et des services de soutien.
Pour l’ensemble de la région, la superficie moyenne de terre arable par résident rural est d’à peine 0,5 hectare. Environ 20 % de la population rurale habite dans un lieu où la densité est encore plus élevée.
Ces densités de population plus élevées, surtout en zones non irriguées, contribuent à réduire les jachères et à fragmenter la taille des exploitations agricoles au point où elles ne permettent pas de subvenir à l’existence, à moins de produire un excédent commercialisable.
À l’instar du reste du continent, l’Afrique de l’Ouest perd de sa couverture forestière à cause de l’expansion agricole, de l’abattage du bois de chauffage et du développement de l’industrie forestière. Le taux de déforestation de l’Afrique est deux fois plus élevé que dans le reste du monde.
- Changement climatique
Les taux moyens annuels de précipitations et de ruissellement ont chuté de près de 30 %, avec comme conséquences des effets dévastateurs sur les populations locales et leurs moyens de subsistance. Depuis le milieu des années 1990, les conditions pluviométriques se sont améliorées, notamment dans le Sahel continental (Niger, nord du Nigeria et Tchad), bien qu’elles aient été accompagnées d’une plus grande variabilité inter-annuelle des précipitations.
Brown et Crawford (2008) estiment que les températures devraient augmenter de 2,5 à 3° C d’ici à 2100 et les rendements de maïs baisser de 6,9 % d’ici à 2020, même si le rendement du mil, culture résistant mieux à la sécheresse, ne devrait pas en pâtir.
Mondialisation et changements technologiques
- Mondialisation et engagement de nouveaux acteurs internationaux
Les réformes économiques entreprises depuis le milieu des années 1980, associées à d’autres réformes sectorielles ont conduit à une plus grande ouverture de l’Afrique de l’Ouest aux marchés internationaux, à une époque où le processus de mondialisation s’est accéléré dans le monde entier.
L’ouverture accrue des marchés de la région aux importations d’aliments transformés en provenance de l’étranger (morceaux de poulets surgelés, lait en poudre), souvent à très bas prix, menace aussi la compétitivité de certaines industries nationales.
Depuis le début des années 2000, un nombre croissant d’acteurs, en particulier la Chine et l’Inde mais aussi le Brésil et la diaspora africaine, constitue une source majeure pour la demande d’exportations africaines et pour l’investissement et l’assistance technique dans les domaines de l’agriculture et de l’agroalimentaire (parfois liés à l’exportation).
Les nouveaux acteurs sont aussi devenus d’importants fournisseurs d’importations de machines agricoles et de produits manufacturés. Si la plus grande disponibilité de produits manufacturés légers bon marché (textiles synthétiques, sandales en plastique bas de gamme) peut être une aubaine pour les consommateurs ouest-africains, elle étouffe la production locale de biens concurrents et remet en cause la stratégie d’expansion axée sur l’Agriculture en Afrique de l’Ouest et sa croissance (résultant d’une demande pour des produits manufacturés locaux), à l’instar de la Révolution verte en Asie.
- La révolution des technologies de l’information
L’utilisation de téléphones portables par les négociants a amélioré l’intégration du marché et leur accessibilité accrue dans les zones rurales leur offre de nouvelles opportunités en tant qu’outil intégré aux programmes de vulgarisation agricole. Grâce à l’expansion de services de transfert de fonds s’appuyant sur les télécommunications modernes, le potentiel de diffusion des services bancaires mobiles par le biais de téléphones portables ainsi que la plus grande simplicité des versements d’argent par les immigrés à leurs familles habitant dans des zones rurales pourraient développer les services financiers et la capacité des ménages en milieu rural à faire face à des situations de crise alimentaire.
- La révolution des biotechnologies
La révolution des biotechnologies, y compris le développement des variétés transgéniques, laisse entrevoir de meilleurs rendements (en élaborant du maïs résistant à la sécheresse par exemple), une teneur en nutriments accrue et une réduction de l’utilisation de pesticides.
Les préoccupations soulevées concernent entre autres la sécurité des hommes et de l’environnement, le risque de voir les droits locaux de la propriété intellectuelle s’appliquant aux variétés indigènes transférés au profit d’entreprises internationales, et la crainte de voir les marchés d’intrants passer aux mains des multinationales. Les Etats-membres de la CEDEAO et les partenaires au développement de la région ont des politiques différentes en ce qui concerne les organismes génétiquement modifiés (OGM).
Les gouvernements de Burkina Faso et le Nigeria, par exemple, ont sollicité que les OGM fassent partie d’une stratégie diversifiée pour accroître la production agricole, tout comme la Banque africaine de développement. D’autres pays de la région, cependant, se sont soit opposés à l’introduction des OGM ou n’ont pas pris de position officielle sur la question.
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