Tendances de la demande et de la consommation en Afrique de l´Ouest
Auteurs :
Frank Hollinger (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture)
John M. Staatz (Michigan State University)
Chaque année, la FAO compile des bilans alimentaires (BA) pour chacun des Etats membres de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Ce chapitre analyse les données de ces BA sur une trentaine d’années (1980 à 2009) afin d’identifier les grandes tendances de la disponibilité moyenne apparente de calories, protéines et lipides par personne dans ces pays aussi bien que l’évolution des principaux groupes de denrées alimentaires dans les régimes alimentaires de la région.
Résultats portant sur la disponibilité accrue de macronutriment
Les bilans alimentaires (BA) estiment la quantité de nourriture disponible pour la consommation humaine au niveau de la vente au détail et non pas la consommation réelle.
La comparaison des BA de la FAO pour les quinze pays de la CEDEAO sur la période 1980 -2009 permet d’évaluer la performance des systèmes alimentaires ouest-africains en termes de fourniture de macronutriments (calories, lipides et protéines) aux populations de ces pays, ainsi que l’ évolution de la part de chacun des principaux groupes alimentaires dans les régimes alimentaires des différents pays.
Les BA calculent la disponibilité par habitant à partir d’estimations de la production nationale de divers produits alimentaires corrigées des importations et exportations, des variations des stocks, des utilisations non alimentaires (aliments pour animaux et utilisations industrielles) et des pertes entre la récolte et la vente au détail (y compris les pertes durant la transformation).
La disponibilité alimentaire nette au niveau de la vente au détail ainsi calculée est ensuite divisée par le nombre estimé d’habitants, puis convertie en différents nutriments selon un tableau de la composition des aliments.
Compte tenu de ces réserves, l’analyse de la disponibilité de calories, protéines et lipides par habitant, selon les BA de la FAO pour les années 1980 à 2009, indique que la disponibilité de macronutriments s’est en général accrue au cours de cette période et que la qualité du régime alimentaire s’est modérément améliorée, mais avec des différences significatives entre les pays (MeNsope et Staatz, 2013).
Quatre pays— le Burkina Faso, le Mali, le Ghana et le Nigeria— ont accru leurs calories disponibles par habitant d’au moins 50 % entre 1980-1985, période de sècheresse et de grave pénurie alimentaire dans le Sahel, et 2007–2009.
À la fin de la période, les BA pour le Ghana, le Nigeria et le Burkina Faso indiquent les niveaux les plus élevés de disponibilité de calories par habitant parmi tous les pays de la région, et le Mali dépassait la moyenne régionale.
Tous les autres pays, sauf le Bénin, la Côte d’Ivoire et le Liberia, ont accru leurs disponibilités estimées de calories par habitant d’environ 6 à 15 %. Le Bénin a accru sa disponibilité calculée de calories par habitant de 29 %. En Côte d’Ivoire, la disponibilité estimée de calories par habitant a fléchi de 7 % au cours de cette trentaine d’années. Elle a chuté de 11 % au Liberia mais a commencé à remonter après la guerre à partir de 2004.
- Féculents
Les chiffres sur les échanges commerciaux analysés ont indiqué une augmentation de la consommation de riz et de blé dans la région, ce qui a entraîné un essor des importations de ces deux céréales.
Les tendances varient selon les pays, mais les éléments clés de cette évolution concernent le riz, le blé, le mil et le sorgho ainsi que le maïs.
- Riz
Les préoccupations suscitées par la consommation et les importations croissantes de riz se trouvent au centre des débats sur la politique alimentaire en Afrique de l’Ouest depuis une vingtaine d’années. Le riz est historiquement l’aliment de base principal en Guinée-Bissau, au Sénégal, en Sierra Leone et en Guinée et le deuxième aliment de base (après le manioc) au Liberia.
L’attrait du riz en tant que « denrée de préparation rapide », plus pratique en zone urbaine, ainsi que l’accroissement des surfaces cultivées dans plusieurs pays comme le Mali, ont conduit, depuis les années 1980, à des augmentations de la consommation apparente par habitant de riz dans tous les pays de la CEDEAO, où il n’est pas l’aliment de base principal, sauf en Côte d’Ivoire et en Gambie, où la disponibilité par habitant a stagné.
- Blé
La consommation apparente de blé par habitant (consommé principalement sous forme de pain, pâtes alimentaires et nouilles) a augmenté dans dix des quinze pays de la CEDEAO entre 1980-85 et 2004-09, et a stagné ou légèrement baissé au Bénin, au Cap-Vert, en Côte d’Ivoire, au Niger et au Togo.
Les plus fortes augmentations par habitant se sont produites au Sénégal (12 kg), au Ghana (10 kg) et en Gambie (8 kg). Mais comme pour le riz, une inégalité des niveaux de consommation par habitant dans la région suggère un important potentiel de croissance, surtout en raison de la popularité des produits à base de blé pour les plats préparés en zone urbaine.
Comme pratiquement tout le blé est importé en Afrique de l’Ouest, ces augmentations de la consommation apparente par habitant, jointes à l’essor démographique, ont fait s’envoler les importations de blé pendant la période considérée. Et pourtant, la contribution relative du blé dans l’alimentation est restée très modeste par rapport aux autres féculents.
- Mil et sorgho
La consommation apparente de mil et de sorgho par habitant a été stable ou en baisse entre le début des années 1980 et 2009 dans presque tous les pays de la région dans lesquels ces céréales sont des aliments de base importants.
Comme la consommation apparente totale de féculents par habitant a augmenté dans presque tous les pays, l’importance relative du mil et du sorgho en tant qu’aliment de base a diminué dans la région.
- Maïs
La consommation apparente de maïs par habitant a fortement augmenté entre 1980-1985 et 2004- 09 dans six des quinze pays de la CEDEAO (Burkina Faso, Mali, Sénégal, Nigeria, Ghana et Togo).
Au Burkina Faso, Sénégal, Nigeria et Togo, la disponibilité par habitant a progressé plus rapidement que celle du riz. Ce sont le Togo, le Bénin, le Burkina Faso et le Ghana qui ont enregistré les niveaux les plus élevés de consommation apparente par habitant (entre 35 et 66 kg) en 2005/09.
- Manioc
Le niveau de la consommation apparente de manioc par habitant est en hausse, parfois spectaculaire, surtout sur le littoral humide. Les niveaux de consommation apparente par habitant les plus élevés se retrouvent au Ghana, au Liberia et au Bénin, suivis du Nigeria, du Togo, de la Côte d’Ivoire et de la Guinée (tous supérieurs à 100 kg). La consommation apparente par habitant a stagné dans plusieurs de ces pays entre 1980/82 et 2007/09, mais elle a augmenté de 35 % au Nigeria, 68 % au Ghana et 25 % au Bénin.
- Ignames
Les ignames sont un aliment de base important dans un plus petit nombre de pays mais leur consommation apparente par habitant y a augmenté plus rapidement que celle du manioc. En volume, les ignames restent le principal aliment de base en Côte d’Ivoire et le deuxième au Ghana, au Nigeria, au Bénin et au Togo. En outre, la disponibilité en ignames par habitant a augmenté beaucoup plus rapidement entre 1980/82 et 2007/09 au Ghana, au Nigeria et au Togo que celle du riz ou du blé.
Comment l’urbanisation influence-t-elle la consommation alimentaire ? Enseignements dégagés des enquêtes budget-consommation
- L’importance des dépenses alimentaires dans les budgets des ménages
Les dépenses alimentaires représentent un pourcentage élevé des dépenses totales des ménages selon les enquêtes pays de ReSAKSS, dans une fourchette comprise entre 39 % en Côte d’Ivoire et 62 % au Bénin (Tableau 6.2). L’enquête budgétaire nationale du Nigeria (Nigeria National Budget Survey) de 2009/10 estime ce chiffre à 65 % pour l’ensemble de sa population (55 % dans les zones urbaines et 72 % dans les zones rurales) (NBS, 2012a). Ces chiffres n’ont guère changé par rapport à l’enquête de 2003/04 qui avait relevé que 64 % des dépenses totales étaient consacrées à l’alimentation (58 % dans les zones urbaines et 67 % dans les zones rurales).
- Evolution des dépenses alimentaires urbaines
Les dépenses alimentaires urbaines représentaient 30 % des dépenses alimentaires totales au Burkina Faso (2009), 38 % au Nigeria (2009/10), 40 % au Mali (2006) et entre 50 % et 60 % en Côte d’Ivoire, au Ghana et au Sénégal à la date des dernières enquêtes. Le chiffre total pour le Nigeria semble bas, étant donné le degré d’urbanisation du pays, mais les parts représentées par les zones urbaines sont plus importantes (et en augmentation au fil du temps) pour les produits de haute valeur comme les produits d’origine animale, les fruits et légumes et les boissons.
- Structure des dépenses alimentaires selon les principaux groupes d’aliments
Dans sept des neuf pays, les céréales représentent la plus grande part des dépenses alimentaires totales. Parmi eux se trouvent quatre pays du Sahel (Burkina Faso, Mali, Niger et Sé- négal) et trois pays du littoral (Nigeria, Côte d’Ivoire et Togo). En Côte d’Ivoire, la forte part des céréales reflète principalement l’importance du riz. Au Nigeria, les racines, les tubercules et les plantains viennent au deuxième rang des dépenses alimentaires, juste après les céréales. Par contre, au Bénin et au Ghana les produits de l’ élevage et le poisson représentaient la plus grande part des dépenses alimentaires, suivis des racines et tubercules (Bénin) et céréales (Ghana).
- Féculents : dépenses importantes et composition en évolution
Parts des budgets. Les féculents (céréales, racines et tubercules ensemble) représentent entre 30 et 50 % des dépenses alimentaires totales dans les pays du littoral. Leur part est encore plus considérable dans les pays enclavés du Sahel.
Les achats de féculents absorbent une portion particulièrement importante du budget alimentaire des pauvres. Dans six des sept pays pour lesquels des informations sont disponibles pour la décennie 2000-09, le pourcentage du budget alimentaire des consommateurs urbains consacré aux féculents a diminué parallèlement à l’augmentation des revenus.
- Evolution de la composition des dépenses consacrées aux féculents suite à la hausse des revenus et à l’urbanisation.
Les enquêtes menées pendant la dernière décennie indiquent la part prépondérante du riz dans les dépenses alimentaires totales des populations urbaines de la plupart des pays. Dans cinq des huit pays, les consommateurs urbains consacrent entre 15 % et 25 % de leurs dépenses alimentaires totales au riz. Ces parts n’étaient inférieures qu’au Ghana (entre 11 et 14 %), au Nigeria (9 % en moyenne) et au Togo (entre 6 % et 7,5 %).
À l’exception du Niger, les dépenses de riz en milieu urbain dans les pays du Sahel dépassaient celles consacrées au mil et au sorgho ensemble, malgré une consommation par personne plus élevée de ces derniers comme indiqué dans les bilans alimentaires.
Dans les pays du littoral humide, à l’exception du Nigeria, les dépenses de riz en zone urbaine approchaient (au Togo et au Ghana) ou dépassaient (en Côte d’Ivoire) les dépenses totales de racines et de tubercules.
Il semble que dans les zones urbaines au Nigeria, toutefois, le gari ait pris de l’importance en tant qu’aliment commode, en partie peut-être en raison des restrictions commerciales auxquelles est soumis le riz blanchi.
Il est frappant de constater que, dans la plupart des pays, les quintiles de revenus les plus bas consacrent une part similaire, voire plus importante, de leur budget au riz que celle des quintiles de revenus les plus élevés.
À l’exception du Burkina Faso, la part du riz dans les dépenses alimentaires en zone urbaine décroissait quand les revenus augmentaient. Ce phénomène était particulièrement marqué en Côte d’Ivoire, où la part du riz dans les dépenses alimentaires totales s’élevait à 25 % dans le quintile des revenus le plus bas mais seulement à 13,5 % dans le quintile des revenus les plus élevés.
On constate une tendance similaire au Ghana et au Togo, bien que les différences entre les quintiles de revenus soient moins prononcées. Au Mali et au Niger, c’est le deuxième quintile de revenu le plus faible qui consacre la plus grande partie de son budget alimentaire total au riz (25 % et 21 %, respectivement).
Au Sénégal, le pays bénéficiant du revenu par habitant le plus élevé parmi les quatre pays du Sahel avec la plus longue tradition de forte consommation de riz, la part des budgets urbains consacrée au riz a chuté brutalement avec l’augmentation des revenus, les consommateurs plus aisés ayant diversifié leurs régimes alimentaires au détriment des féculents.
En revanche, au Mali et au Niger, pays à revenus plus faibles, la part du riz dans le budget alimentaire urbain était élevée (entre 19 et 25 %) et variait peu pour 80 % de la répartition des revenus, ne tombant que pour les groupes de revenus les plus élevés.
Le Burkina Faso fait exception : la part du riz dans les dépenses alimentaires urbaines a augmenté systématiquement pour tous les quintiles de revenus, depuis le quintile le plus bas jusqu’au plus élevé (entre 16 % et 25 %). De même, la part du blé a augmenté de 2 % à 5 %, tandis que celle du mil et du sorgho a plongé de plus de 14 % à 3 %.
Dépenses alimentaires en zones rurales
Dans les zones rurales des quatre pays sahéliens, les plus grandes parts du budget alimentaire étaient consacrées au mil et au sorgho, avec peu de variation parmi les quatre premiers segments de revenus. Les ménages ruraux dépensaient une plus petite portion de leurs revenus pour acheter du riz, quoique cette part augmentait ou restait stable dans la plupart des pays.
Parmi les personnes interrogées, les habitants du monde rural au Sénégal, en Côte d’Ivoire et au Mali consacraient les plus grandes parts de leurs revenus au riz (entre 15 % et 25 %).
Les ménages ruraux attribuaient au maïs une plus faible part de leurs revenus qu’au riz, sauf au Togo. En outre, dans tous les pays, sauf le Burkina Faso et le Niger, la part du maïs dans les dépenses alimentaires totales diminuait lorsque les revenus augmentaient.
La consommation de blé représentait moins de 2 % des dépenses alimentaires rurales, sauf au Sénégal où elle se situait entre 5 % pour le quintile de revenus le plus bas et 8 % pour le quintile de revenus les plus élevés.
Les parts des racines et tubercules dans les dépenses rurales totales au Ghana étaient plus petites qu’en zones urbaines mais elles augmentaient proportionnellement aux revenus. En Côte d’Ivoire, la part des revenus que les ménages ruraux consacraient aux racines et tubercules était le double de celle de leurs homologues urbains, surtout pour les trois segments de revenus intermédiaires.
Les parts de budget consacrées aux racines et tubercules ont évolué différemment dans les deux principaux pays consommateurs couverts par des enquêtes répétées : en Côte d’Ivoire, leur part a augmenté dans les zones urbaines (de 8,8 % en 1993 à 12,1 % en 2008), mais a nettement chuté dans les zones rurales (de 31,7 % à 22,2 %).
Demande croissante de produits alimentaires de base transformés
Au fur et à mesure que les consommateurs ouest-africains s’urbanisent et que le coût d’opportunité de leur temps augmente avec la hausse des revenus et un mode de vie urbain plus frénétique, ils recherchent davantage de denrées de base transformées et commodes.
La proportion de denrées alimentaires de base transformées est plus importante dans les zones urbaines que dans les zones rurales pour les six pays.55 Cette proportion bondit également lorsque l’on passe d’un pays à faible revenu comme le Niger, où essentiellement toutes les denrées alimentaires de base s’achètent sous forme non transformée, à une économie émergente comme le Ghana, où 70 % des dépenses de maïs et 60 % de celles de manioc étaient consacrées à des produits transformés en zone urbaine.
- Fruits et légumes
La part du budget alimentaire consacrée aux fruits et légumes était presque constante pour tous les groupes de revenus dans les zones urbaines. Cela implique que les dépenses par habitant en fruits et légumes augmentent à peu près de façon proportionnelle aux revenus. La tendance est moins uniforme dans les zones rurales où la part de budget consacrée aux fruits et légumes diminue avec la hausse des revenus ruraux au Burkina Faso, au Ghana et au Mali, elle augmente en Côte d’Ivoire, au Niger et au Togo et reste stable dans les différents quintiles de revenus au Sénégal.
La comparaison des enquêtes budget-consommation de la fin des années 1980 et du début des années 1990 à celles des années 2000 révèle que, dans les zones urbaines, les parts de budget consacrées aux fruits et légumes ont augmenté en Côte d’Ivoire, au Ghana et au Sénégal et légèrement diminué au Mali. La seule réduction importante de la part du budget consacrée aux fruits et légumes se constate au Burkina Faso où elle est tombée de 9,0 % en 1994 à 8,1 % en 2009, année de flambée des prix des denrées alimentaires de base.
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