Auteur (s) : Sabine Cessou, Journaliste
Date de publication: 2015
Source: Le Monde diplomatique
Par définition, le secteur informel — l’autre nom donné au « marché noir » en Afrique et en Asie — échappe à toute statistique. S’il est difficile à mesurer, son importance est indéniable : il représenterait près de 55 % du produit intérieur brut (PIB) cumulé de l’Afrique subsaharienne, selon la Banque africaine de développement.
De manière plus détaillée, l’Agence française de développement a relevé en 2006, après enquête sur le terrain, que 90 % des personnes actives exercent dans l’informel au Cameroun et au Sénégal, contre 80 % en Afrique du Sud, 50 % en Ethiopie et moins de 40 % au Maroc.
Qui sont-ils ? Commerçants, artisans, couturiers, ferrailleurs, mécaniciens, plombiers, maçons, chauffeurs, taxis… Souvent appris sur le tas, ces métiers représentent une véritable planche de salut pour la majorité. C’est le seul moyen de gagner sa vie, en gérant l’argent frais qui transite de main en main, hors de toute fiscalité.
Autre indicateur de l’importance du secteur informel : le faible taux de bancarisation qui persiste en Afrique subsaharienne (pas plus de 20 % selon la Banque mondiale). Ceux qui n’ont pas de compte gèrent autrement leurs flux financiers, par le biais d’une épargne elle aussi informelle. Il s’agit des fameuses « tontines », ces pots communs dont l’intégralité bénéficie successivement à chacun des participants, sous des formes parfois non financières — avec des biens immobiliers et du bétail.
Comme le relève l’économiste Kako Nubukpo, chercheur invité à Oxford, le secteur informel « n’est pas clairement séparé du secteur formel ». Des entreprises de construction dûment enregistrées ont recours à des sous-traitants non fiscalisés, par exemple. Des fonctionnaires mal payés arrondissent leurs fins de mois en exerçant le soir une autre activité, informelle, zémidjan (taxi-moto) ou épicier…
Le secteur informel n’est pas vraiment combattu par les pouvoirs en place, malgré les nombreuses injonctions des institutions financières internationales, car il sert d’« amortisseur » social. « Il permet d’accuser les chocs externes subis par le secteur formel, le plus souvent un secteur privé de petite taille tourné vers les exportations,nous explique Nubukpo. La vitalité du secteur informel s’explique aussi par l’immersion de ses pratiques dans les aspects socioculturels de chaque pays — proximité, solidarité, liens sociaux forts, sentiment d’appartenance familiale, ethnique, clanique, etc. »
La coexistence d’un immense secteur informel aux côtés d’un secteur formel plus réduit aboutit à une forme de schizophrénie économique, selon Mahamadou Lamine Sagna, ancien professeur d’économie à Princeton (Etats-Unis) et spécialiste du rapport à l’argent dans les sociétés subsahariennes. « On observe une coupure, voire un morcellement du corps social : dans l’économie formelle, on trouve une Afrique moderne, aisée, sophistiquée et mondialisée, qui vit à l’heure du XXIe siècle. Dans le secteur informel, en revanche, se renforcent des logiques traditionnelles parfois féodales, autour d’une solidarité organique que l’on ne retrouve ni dans la logique financière occidentale, ni dans les services des banques classiques. »
Très rares sont les pays d’Afrique qui donnent l’exemple en matière de lutte contre le secteur informel. Le Rwanda est l’un des rares à se distinguer dans ce domaine : depuis 2006, les petites et moyennes entreprises sont incitées à tenir des registres comptables et à payer les taxes. Selon une enquête gouvernementale effectuée en 2006, le secteur informel non agricole (14,5 % du PIB) comprend des entreprises opérant dans les mines (0,78 %), les manufactures (13 %), mais surtout les services (86 %). Il concerne 27 % des actifs et est constitué à 72 % de personnes ayant créé leur propre emploi — des hommes, majoritairement (71 %), qui gagnent 40 euros par mois en moyenne, à raison de cinquante heures de travail par semaine.
L’enquête a souligné les fortes réticences de ces opérateurs à aller dans le secteur formel, par crainte de « tracasseries avec les pouvoirs publics » (73 % des réponses). Sur la base de ces informations, des politiques ciblées ont été mises en place pour souligner les avantages du secteur formel, notamment en termes d’accès au crédit.
Ailleurs, c’est plutôt le secteur privé qui prend l’initiative. Au Cameroun, l’homme d’affaires Paul Fokam a monté Afriland First Bank, un empire bancaire à l’échelle de l’Afrique centrale, en commençant par un vaste réseau de microfinance. Au Kenya, le banquier James Mwangi, issu d’une famille rurale très modeste, a été le premier Africain à être désigné entrepreneur de l’année, en 2012, par le cabinet Ernst & Young. En 1993, il a racheté Equity Bank, une société de microfinance qui était au bord de la faillite, et il en a fait, en mettant l’accent sur les relations humaines (rapports avec ses employés et ses clients), la première banque généraliste d’Afrique de l’Est, avec huit millions de comptes au Kenya, au Rwanda, en Ouganda, en Tanzanie et au Soudan du Sud.
Une leçon qu’a bien comprise le jeune banquier ivoirien Jean-Luc Konan, 42 ans, qui a fondé en 2013 la Compagnie financière africaine (Cofina) à Abidjan et Dakar, pour desservir en crédit ce qu’il estime être un immense marché. « C’est là, dans ces 80 % d’opérateurs ignorés par les grandes banques, que se trouvent les multinationales africaines et les champions de demain », explique cet entrepreneur africain qui a financé trois mille dossiers en moins de deux ans, pour un encours de 30 millions d’euros.
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