Auteur(s) :
Jeremy Révillon
Date de publication : Juillet 2013
Résumé
Le Rwanda est considéré par les bailleurs de fonds internationaux comme l’un des meilleurs élèves d’Afrique en matière économique. Avec un PIB en constante augmentation, une inflation maîtrisée et des investissements étrangers en progression, le pays semble être en mesure d’atteindre les objectifs de son ambitieuse « Vision 2020 et de l’EDPRS I et II ». Ce serait alors un véritable exemple pour le reste du continent.
Les réformes macro-économiques font les beaux jours de Kigali dans les classements internationaux. Création d’entreprises, facilités d’accès au crédit, paiement des taxes : la majorité des mesures prises en matière fiscale encourage l’entrepreneuriat. Pour preuve, il faut compter seulement six heures pour faire enregistrer son entreprise au sein de « Rwanda Development Board », organe institutionnel créé à cet effet en 2009. On souligne l’esprit pro-entreprise qui règne dans le pays, avec en parallèle une lutte sans merci contre la corruption notamment avec l’Office de l’Ombudsman.
L’ensemble des réformes économiques et politiques contribue à l’amélioration rapide des conditions d’existence de la population. Que ce soit en matière de santé, d’enseignement ou de lutte contre la pauvreté, le Rwanda présente des chiffres en constante amélioration depuis près de quinze ans.
Cependant ce tableau idyllique cache de nombreuses failles. Le pays reste sous perfusion de l’aide internationale. A titre d’exemple, le budget national était financé à presque 50% par les aides des bailleurs de fonds. Or, celles-ci sont freinées depuis plusieurs mois par la réaction des principaux donateurs aux événements du Kivu de l’automne 2012 dans lesquels le pays est accusé par l’ONU de soutenir militairement le mouvement rwandophone rebelle du M23. Certes, Kigali refuse d’admettre un quelconque soutien aux rebelles congolais, mais l’ONU et les organisations non-gouvernementales ne l’ont pas vu de cette façon.
Par ailleurs, le Rwanda reste un pays enclavé, et son adhésion à la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC), ainsi qu’à d’autres organes d’intégration sous-régionale comme le CEPGL n’a pas encore véritablement réglé ses problèmes en matière d’échanges et d’infrastructures. Les coûts prohibitifs d’importations et d’exportations pèsent lourd dans la balance commerciale du pays, surtout que le pays dispose de très peu de ressources minérales et énergétiques. A cela s’ajoute le coup exorbitant de la croissance démographique estimée à 3% ! Et si le miracle économique rwandais n’était qu’un leurre ?
Introduction :
En 1994, année de la fin de la guerre et du génocide des Tutsis, le Rwanda est reparti de zéro. Quatre années de guerre civile entre le FPR et le gouvernement du Président Juvenal Habyarimana avaient détruit tous les secteurs de la vie nationale, et entraîné des déplacés de guerre, des massacres de populations civiles, une crise économique et politique. Aujourd’hui, à une année seulement des vingt ans de la commémoration du génocide des Tutsis, soit cinquante et un ans après le recouvrement de son indépendance, le pays est vu comme un modèle économique par les bailleurs de fonds internationaux.
Doing Business souligne chaque année les efforts faits par le gouvernement en matière de réformes économiques, et les entrepreneurs rwandais semblent baigner dans un grand parfum d’optimisme. Paul Kagamé donne souvent à lire à ses visiteurs le récent livre « Rwanda, Inc. Comment une nation dévastée est devenu un modèle économique pour le monde en développement».
Le pays paraît s’être débarrassé de ses vieux démons, même si le FDLR, Front De Libération du Rwanda, principal mouvement d’opposition externe opérant à partir du territoire congolais, mène de temps en temps des incursions sur les frontières occidentales du pays. La stabilité politique incarnée par Paul Kagamé, président depuis l’année 2000, et la sécurité, au prix d’un contrôle et d’un autocontrôle important de la population, renforcent aussi la stabilité économique, tant et si bien que l’image mais aussi la réalité attachées au Rwanda évoquent la bonne gouvernance du pays. Mais à l’opposé de cette image respectable, les défenseurs des droits de l’homme ou de la liberté de la presse dénoncent les dérives autoritaires du gouvernement, les médias anglo-saxons reprenant depuis peu ces critiques.
Cette note a pour objectif majeur la compréhension du développement économique du pays à travers des chiffres et des statistiques, que l’on pourra également comparer avec la Vision 2020 tout en analysant les points forts mais aussi les points faibles du changement économique rwandais. Cette vision globale des performances du Rwanda nous permettra alors de voir ce qui a été fait au cours de ces quinze dernières années, et ce qui reste à faire pour arriver aux objectifs ambitieux de 2020.
Le miracle économique
Des performances économiques soutenues
La réussite économique rwandaise peut se résumer à quelques chiffres : une augmentation moyenne de son produit intérieur brut (PIB) de l’ordre de 7,6% entre 2003 et 2011 (la Vision 2020 ambitionnait 8 %), une inflation contrôlée à 9,21% en moyenne (quand l’Ouganda atteignait 28% en septembre 2011 et le Kenya 17%) et des investissements directs étrangers (IDE) qui ont explosé jusqu’en 2009 (multipliés par 40) avant de retomber en 2010.
En valeur, le PIB est passé de $1,7 à $5,6 milliards entre 2000 et 2010, tandis que le PIB par habitant est estimé à 693 dollars en 2012 (contre 200 dollars en 2003)8 . Cette évolution est due à l’ensemble des pans de l’économie rwandaise : la production agricole a progressé de 322% entre 2003 et 2011, l’industrie minière a multiplié par seize ses revenus, les industries manufacturières par quatre, les banques par trois et demi et les transports et communications par près de cinq9 .
Alors que la crise financière internationale affecte également le continent africain, le Rwanda tire nettement son épingle du jeu et présente de meilleurs résultats que ses voisins dans tous les domaines économiques. Le franc rwandais s’est peu déprécié en 2011 (0,9% contre le dollar, contre 20% pour le shilling tanzanien, kényan et ougandais) et en 2012 (4,9% contre le dollar). L’inflation maîtrisée témoigne de la bonne politique de la banque centrale rwandaise, la BNR ou Banque Nationale du Rwanda, qui a augmenté son taux directeur progressivement de 6% en novembre 2010 à 7,5% au printemps 2012 pour contenir la tension inflationniste.
Les exportations ont suivi l’évolution de la production, avec une multiplication par quatre et demi : de $51 millions en 2003, elles étaient de $238 millions en 2010. Le principal partenaire de Kigali est le Kenya, un des pays fondateurs de la Communauté d’Afrique de l’Est, organisation que le Rwanda a rejointe en 2007. A cet effet, le pays bénéficie depuis juillet 2009 de l’union douanière est-africaine, créée en 2005 par les trois pays fondateurs (Kenya, Ouganda, Tanzanie), avec notamment la mise en place d’un tarif extérieur commun (0% pour les matières premières, 10% pour les produits intermédiaires, 25% pour les produits finis) qui rapporta 8,4% des recettes fiscales du pays en 2010-2011.
Des réformes attractives
Quand un entrepreneur étranger arrive à Kigali, son regard risque vite de se tourner vers un des nombreux panneaux : « Join the war against corruption. ». Le ton est donné. Le pays s’est fait le champion régional de la lutte contre la corruption. Transparency International confirme, en classant le pays à la troisième place du continent africain, et à la 50ème place sur les 183 pays étudiés en 2012 concernant la lutte contre la corruption, une amélioration de 16 places par rapport à 2010. Joseph Sanders, président de Visa le signale dans la préface de l’ouvrage Rwanda, Inc. : « Le Rwanda s’est rapidement et clairement distingué en raison de son attitude pro-business et de sa tolérance zéro pour la corruption ».
Par ailleurs, le Rwanda est considéré par beaucoup comme l’endroit idéal pour développer son entreprise. Stable politiquement, le pays bénéficie surtout de ses réformes macroéconomiques. Pour ouvrir son entreprise il faut seulement deux procédures et trois jours, là où la moyenne de la Communauté d’Afrique de l’Est est de dix procédures et vingt-deux jours. On parle même de quelques heures seulement pour les nationaux. Le pays est classé dans le top 10 mondial dans ce domaine.
Pour l’enregistrement dans le livre foncier, alors qu’il fallait trois cent quinze jours en 2008, et encore soixante jours en 2009, il n’en faut plus que vingt-cinq en 2012, là encore le meilleur score de la Communauté. Le Rwanda est un exemple en matière d’accès au crédit, classé par Doing Business dans le top 10 mondial. Là où le pays présentait des faiblesses, comme dans les délais pour obtenir un permis de construction, des efforts ont été faits : il faut maintenant 164 jours pour s’en procurer un en 2012, contre 307 en 2005.
En matière fiscale le gouvernement facilite les procédures pour les paiements des entreprises. Depuis 2010, on enregistre et paie la TVA de manière trimestrielle et non plus mensuelle, et ont été adoptés des registres fiscaux électroniques pour cette taxe. De manière générale il suffit de dix-huit paiements par an pour être en règle avec l’administration fiscale du pays. Une nouvelle fois le classement de Doing Business place le pays dans le top 10 mondial dans ce domaine.
Les taxes représentent en moyenne 31,3% du profit des entreprises (en comparaison avec les 49,6% kényans). Cette politique en faveur de l’entrepreneuriat a pour objectif de réduire au maximum les circuits parallèles et d’obtenir ainsi un meilleur rendement fiscal. Il n’est donc pas surprenant de retrouver le Rwanda à la troisième place africaine du classement général de Doing Business, à la 52ème place mondiale en 2013 (l’Ouganda est 120ème, le Kenya 121ème, la Tanzanie 134ème et le Burundi 159ème).
Très clairement, le pays a pour stratégie d’être le meilleur endroit pour lancer une entreprise en Afrique, et son rêve d’être un hub régional pour les services financiers ou les télécommunications est loin d’être inaccessible. Pour la Banque Mondiale, « le Rwanda a une approche globale pour rendre la réglementation des affaires favorable aux entreprises ». Le pays est classé 63ème en terme de compétitivité (et premier de la région est-africaine) par le forum économique mondial
La redistribution de la croissance
Les performances économiques du pays entraînent de fait une amélioration des conditions de vie de ses habitants. Un exemple frappant est la décision prise par le gouvernement en juillet 2011 d’abaisser les taxes sur le carburant de 50 francs rwandais par litre, puis de 50 francs supplémentaires en janvier 2012. Cela a permis une réduction du prix du carburant d’environ 10%, ressentie par l’ensemble de la population.
En effet cette baisse de la taxation a contribué à atténuer les effets de la hausse des denrées alimentaires et des autres services corollaires comme les transports en commun et les échanges divers issus de l’activité économique. Cette mesure a également permis d’aligner la taxation du carburant sur celle du reste de la Communauté d’Afrique de l’Est alors que le pays ne produit pas de pétrole. Cette mesure populaire a été rendue possible par d’autres aménagements fiscaux (taxe sur les jeux, mise en place du prélèvement de l’impôt à la source…).
Les statistiques économiques confirment l’amélioration des conditions de vie des habitants. Le pourcentage de la population vivant sous le seuil de pauvreté national était de 60,4% en 2000. Il est passé à 56,9% en 2006 puis à 44,9% en 2011. L’objectif de la Vision 2020 était de 40% en 2010 et de 30% en 202022. Il convient d’atténuer cette prévision et de considérer le pays sur la bonne voie. Dans le même temps, la population vivant dans une extrême pauvreté est passée de 37% en 2006 à 24% en 201123.
Anecdotiques mais révélateurs, d’une part le risque de disette récurrent depuis l’indépendance dans le centre du pays a disparu, d’autre part l’un des symboles de cette politique est la campagne nationale « one cow per family », dont l’objectif majeur est non seulement la réduction de la pauvreté par l’augmentation de la productivité agricole (grâce à l’utilisation grandissante du fumier naturel), mais aussi un programme destiné à réduire la malnutrition en buvant le lait de vache.
C’est aussi dans le domaine de la santé que les performances du pays en ont fait un exemple pour les États en voie de développement. Le rapport de lutte contre la malaria signale que les cas, les admissions et les morts dus à la maladie ont reculé de plus de 50% dans l’ensemble du pays 24. Le Rwanda a fait des progrès dans la réduction de la mortalité maternelle, avec 487 décès (pour 100 000 naissances) en 2010, contre 750 en 2005 et 1071 en 2000, là où les objectifs à mi-terme de la Vision 2020 étaient de 600 décès (ils sont de 200 pour 2020). Dans le même temps la mortalité des nouveaux-nés est passée de 107 pour 1000 en 2000 à 86 en 2006 et 50 en 2011.
En matière de santé, les Rwandais bénéficient aussi de quarantehuit dollars de dépense en moyenne par habitant en 2009, contre seulement neuf dollars en 2000. C’est là également la meilleure performance de la région est-africaine. Une assurance santé universelle est disponible pour tous les Rwandais, elle représente un coût de $2 par an. En 2010, 92% de la population était couverte.
En matière d’éducation sexuelle, les résultats sont également probants. L’utilisation moyenne de contraceptifs est la plus élevée de la région, avec 52% des femmes utilisant un moyen de contraception (contre 17% en 2005). Le taux de natalité est de ce fait passé de 6 enfants par femme en 2000 à 4,6 en 201134 (l’objectif de la Vision 2020 est de 4,5 enfants par femme). Le taux de prévalence au virus du sida est quant à lui passé de 13% en 2000 à 2,9% en 2010.
Les limites rwandaises : géopolitique et structurelle
Le miracle économique rwandais ne doit pas masquer des faiblesses récurrentes depuis dix années. Il existe une réelle dépendance du pays vis-à-vis de l’aide internationale, alors que celle-ci s’inscrit en pointillés en raison des accusations lancées contre Kigali d’une implication dans le conflit touchant l’est de la République Démocratique du Congo.
Le pays doit également faire face à sa situation géographique pénalisante : territoire isolé d’Afrique, pression démographique sur un territoire exigu et sans accès à la mer, le Rwanda dépend du bon vouloir de ses voisins est-africains concernant ses importations et ses exportations, et le coût des infrastructures reste très élevé, comme la mobilité de sa population. Enfin, Kigali doit surveiller avec attention le cours des matières premières comme le café et le thé, ses principales sources de devises.
Une dépendance à l’aide internationale
Du fait de sa situation particulière et de la bonne gouvernance caractérisant le pays, le Rwanda a la chance de pouvoir bénéficier d’une aide internationale importante. Celle-ci devrait représenter 48% du budget pour l’année 2012-2013. Le conditionnel est de mise car la situation politique et militaire inhérente à l’est de la République Démocratique du Congo a fait changer les choses au cours de l’automne 2012. Dans les six derniers mois de 2012, un mouvement rebelle congolais, le M-23, débuta une guerre contre le gouvernement de Kinshasa.
Le 20 novembre, il prenait la ville de Goma. Le Rwanda se retrouva vite accusé d’aider les mutins, accusations lancées par son voisin de la RDC mais également par un rapport de l’ONU. Kigali s’en défendit. Les États-Unis gelèrent leur aide militaire, la Belgique mit fin à sa coopération militaire, les Allemands, les Suédois et les Néerlandais suspendirent partiellement des aides au développement, tout comme la banque africaine de développement (poussée par les membres scandinaves de son conseil d’administration). Même la GrandeBretagne, l’allié le plus fidèle depuis la gouvernance Blair, et principal contributeur au budget rwandais, suspendit son aide.
Même si cette suspension fut parfois d’un montant dérisoire ou de courte durée, elle a mis en évidence la vulnérabilité du pays. Le pays recevait $603 millions d’aide en 2006 et $1 milliard en 2010. Cela correspond à $100 par habitant, le taux le plus élevé de la région est-africaine. Il y a cinq ans, l’aide internationale représentait même 63% du budget. Et cette aide permet de financer 70% du budget de la Communauté d’Afrique de l’Est. Paul Kagamé a toujours répété vouloir sortir de cette dépendance, parfois trop liée au contexte politique.
Il l’a dit de manière offensive en anticipation des suspensions de l’automne 2012 : « l’aide étrangère est un poison, nous devons apprendre à nous en passer… » Et il a déclaré après les suspensions : « Aucun pays au monde ne reçoit l’aide internationale et ne l’utilise de meilleure façon que le Rwanda. Donc je ne suis pas sûr que ces gens qui donnent l’aide internationale veulent que nous nous développions. Ils donnent une aide et espèrent que nous resterons des mendiants. Ils vous donnent de l’aide pour que vous les glorifiez et dépendiez d’eux. Ils ne cessent de l’utiliser comme un outil de contrôle et de gestion ».
Le coût des infrastructures et la question récurrente de l’enclavement
Au-delà de sa dépendance à l’aide internationale, le Rwanda présente un problème géographique de taille : le pays est enclavé dans la région des Grands Lacs. Sans accès à la mer, et donc à un port (Mombasa et Dar Es Salaam se situent à 1440 kilomètres de Kigali), le pays paie très cher son enclavement, et ce malgré son intégration au sein de la Communauté d’Afrique de l’Est. Si le gouvernement rwandais souligne régulièrement les performances économiques du pays à l’aide du classement général de Doing Business, il ne pavoise guère sur celui de DHL Global Connectedness, un index qui mesure les échanges d’un pays avec le reste du monde (dans quelle mesure un pays participe à la mondialisation si l’on simplifie grossièrement)…
Les Wathinotes sont soit des résumés de publications sélectionnées par WATHI, conformes aux résumés originaux, soit des versions modifiées des résumés originaux, soit des extraits choisis par WATHI compte tenu de leur pertinence par rapport au thème du Débat. Lorsque les publications et leurs résumés ne sont disponibles qu’en français ou en anglais, WATHI se charge de la traduction des extraits choisis dans l’autre langue. Toutes les Wathinotes renvoient aux publications originales et intégrales qui ne sont pas hébergées par le site de WATHI, et sont destinées à promouvoir la lecture de ces documents, fruit du travail de recherche d’universitaires et d’experts.
The Wathinotes are either original abstracts of publications selected by WATHI, modified original summaries or publication quotes selected for their relevance for the theme of the Debate. When publications and abstracts are only available either in French or in English, the translation is done by WATHI. All the Wathinotes link to the original and integral publications that are not hosted on the WATHI website. WATHI participates to the promotion of these documents that have been written by university professors and experts.