Auteur(s) :
Benoit Gauthier et Xavier Coeln (ambassade de France au Kenya service économique régional)
Date de publication
Février 2018
Le PIB du Kenya s’élevait à 78 Mds USD en 2016, plaçant le pays en tête de la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE) et en troisième position en Afrique de l’Est, derrière l’Ethiopie (80 MUSD) et le Soudan (119,0 MUSD). Rapporté à la taille de sa population, 48 millions d’habitants en 2016, le Kenya dispose du PIB par habitant le plus élevé de la zone CAE à 1677 USD, ce qui le place dans la catégorie des pays à revenu intermédiaire, le seul en Afrique de l’est.
Le Kenya est d’abord une économie de services, qui représentent 56 % du PIB et sont le principal moteur de la croissance, portée principalement par l’immobilier, le tourisme et les TIC. Le niveau de développement des services de transports, de médecine, d’éducation ou encore financiers et bancaires fait du Kenya une plateforme régionale. Ainsi, le Kenya est considéré comme un acteur de premier plan de l’économie numérique sur le continent, aux côtés du Nigéria et de l’Afrique du sud, le Nairobi Stock Exchange est la troisième place boursière du continent, tandis que les grandes banques kenyanes sont implantées dans tous les pays voisins.
Le secteur agricole représente quant à lui 26 % du PIB en 2016 mais emploie toujours les deux-tiers de la population. Le Kenya a réussi à développer une base exportatrice de produits agricoles et agroalimentaires (thé, horticulture, café et légumes frais) insuffisante toutefois pour couvrir ses importations. Le secteur industriel ne représente que 18 % du PIB en 2016, ce qui illustre les difficultés à faire passer le Kenya d’une économie du négoce à un stade industriel ; des réserves de pétrole et de gaz, comparables à celles de la Guinée équatoriale ou de la RDC, ont été identifiées dans le nord du pays, sans être exploitées à ce stade.
La croissance du PIB a atteint 5,8 % en 2016 mais devrait refluer en 2017 à 5,0 %, avant de repartir à la hausse portée par les investissements publics dans les infrastructures
Conjoncturellement, la croissance du PIB a atteint 5,8% en 2016 mais devrait refluer en 2017 à 5,0%. En 2016, le taux de croissance du secteur des services s’est élevé à 7,0 % contre 5,2 % pour l’industrie et 4,1 % pour le secteur agricole. En 2017, la croissance devrait enregistrer une baisse par rapport à la prévision de 6% : au premier semestre, les services ont crû de 6,8 %, l’industrie de 4,4 % et le secteur agricole de 1,4 %. Plusieurs facteurs, dont certains exogènes, expliquent ce ralentissement de l’activité : (i) le cycle électoral et ses complications ont alimenté un comportement attentiste de la part des investisseurs ; (ii) l’encadrement des taux bancaires depuis septembre 2016 a réduit le financement bancaire du secteur privé ; et enfin, (iii) un épisode de sécheresse a lourdement affecté la production agricole. Sur l’ensemble de l’année 2017, le FMI estime que la croissance devrait atteindre 5,0 %. Le Fonds prévoit cependant une amélioration de l’activité en 2018, avec une croissance de 5,5 %.
Par ailleurs, il maintient ses estimations sur le long-terme et, en particulier, il estime que la croissance du Kenya franchira à nouveau la barre des 6,0 % dès 2019. La mise en place de la stratégie Vision 2030, en misant sur le développement des infrastructures, a doublé le rythme de croissance annuel depuis le début des années 2000 ; mais les fruits de la croissance sont très inégalement répartis et les inégalités restent fortes. Lancé en 2008 sous le mandat du président Kibaki et repris par son successeur, le président Kenyatta, le programme Vision 2030 ambitionne de transformer le Kenya « en un pays intermédiaire nouvellement industrialisé, qui confère à ses citoyens un haut niveau de vie, dans un environnement propre et sécurisé » d’ici 2030. Pour atteindre cet objectif, le pays s’est engagé dans une politique ambitieuse d’investissements publics, qui a permis au Kenya de quasiment doubler son taux de croissance depuis le début des années 2010 : il est passé à 6,0 % au cours de la période contre 3,4 % en moyenne au cours de la décennie 2000.
Mais cette politique d’investissements, outre qu’elle a induit une dégradation notable des finances publiques, ne s’est pas traduite par une répartition équitable des fruits de la croissance : estimé à 0,69, le coefficient de Gini calculé sur la base des revenus, révèle ainsi un fort niveau d’inégalités au Kenya.
L’Etat a mené depuis 2008 une politique budgétaire expansionniste qui a entraîné une hausse du déficit public et de la dette publique
Les efforts de résorption du déficit public initialement prévus pour 2016 ont été retardés à 2018 en raison du calendrier électoral. Le déficit public s’est fortement creusé dans les années 2010 : il est passé d’une moyenne de 2,2 % du PIB entre 2000 et 2010 à 6,3 % depuis lors. Cette évolution s’explique par la politique d’investissement pour la mise en œuvre de la Vision 2030 mais aussi par la couteuse mise en œuvre de la décentralisation à partir de 2013 : la création de 47 comtés a en effet contribué à la hausse significative des coûts récurrents observés sur la période, via des transferts de l’État vers les comtés.
Alors que les dépenses ont légèrement augmenté entre 2015 et 2016, passant de 27,3 % du PIB à 27,5 % du PIB, les recettes ont diminué, passant de 19,2 % du PIB en 2015 à 18,8 % du PIB en 20162 . Le déficit s’est donc mécaniquement creusé, de 8,1 % du PIB en 2015 à 8,7 % en 2016. En 2016 et 2017, les dépenses imputables à l’accélération du projet ferroviaire Standard Gauge Railway (SGR), reliant Mombasa à Nairobi et inauguré en juin 2017, ainsi que celles liées à l’organisation des élections en août et en octobre 2017 , ont retardé la baisse programmée du déficit. Selon les données nationales, le déficit public aurait atteint 9,3 % du PIB en 2017, en raison d’une contreperformance des recettes (18,3 % du PIB) et d’un niveau stable de dépenses (27,6 % du PIB).
L’Etat met désormais en place des mesures visant à inverser la trajectoire des finances publiques. Plusieurs réformes structurelles devraient améliorer l’efficacité de l’administration fiscale aux niveaux central et local et renforcer la rationalisation des dépenses. Les dépenses aussi bien courantes que d’investissement devraient connaître une baisse sensible sur les prochaines années, passant de 27,5 % du PIB en 2016 à 22,9 % en 2022. Cependant, l’augmentation des recettes devrait rester fragile et ne pas dépasser la barre des 20 % du PIB au cours des cinq prochaines années, une faible progression justifiée par la difficulté à mettre en œuvre des réformes fiscales d’envergure comme la fiscalisation du patrimoine foncier.
Corollaire du creusement du déficit public, la dette publique a également significativement progressé depuis le début de la décennie, passant de 43,1 % du PIB en 2011 à 57,6 % du PIB en 2017. En 2017, le niveau de dette publique a atteint 57,6 % du PIB. D’après les autorités, les efforts de consolidation (cf. supra) devraient conduire à une stabilisation de la dette à 58,0 % du PIB en 2018, avant d’entraîner une inversion de la trajectoire d’endettement. Outre son niveau, la composition de la dette a fortement évolué. En juin 2012, la dette était composée à parts égales entre interne et externe. Toutefois, l’endettement public s’est majoritairement réalisé à l’étranger au cours des dernières années, au point que la dette externe représente désormais 52 % de l’endettement public.
Dans sa dernière analyse de viabilité de la dette (décembre 2016), le FMI estimait que le Kenya présentait un risque de surendettement faible. La revue du programme prévue en février pourrait toutefois dégrader l’évaluation du risque du Kenya. Le coût de la dette externe publique s’est en effet renchéri à la suite du recours à des instruments nouveaux en 2014 et 2015 : l’émission d’eurobonds (2,750 Mds USD en plusieurs tranches), un emprunt syndiqué de 750 MUSD mais aussi un premier emprunt semi-concessionnel de 3,8 Mds USD auprès de la Chine pour le financement du Standard Gauge Railway.
A fin septembre 2017, la dette commerciale représentait 37,3 % de la dette externe et la dette contractée auprès de la Chine, non concessionnelle, 21,6 % du total à elle seule. Si cet endettement non concessionnel ne représente qu’une faible part de la dette totale, il est effectué sur des maturités courtes et dans des conditions moins favorables que les prêts concessionnels. Pour cette raison, le gouvernement kényan souhaite désormais mobiliser davantage l’épargne domestique mais cette stratégie pourrait vite trouver des limites : elle induit un effet d’éviction du secteur privé et pourrait ne pas suffire pour couvrir les échéances à venir (2019 pour une partie de l’eurobond de 2014 et plusieurs prêts syndiqués). Surtout, la capacité du pays à accroitre ses recettes en devises par ses exportations est limitée par des goulots d’étranglement dans les chaines de valeurs des secteurs exportateurs, notamment agro-alimentaire et industriel, et les tensions au sein de la CAE. La revue du FMI interviendra donc dans un contexte où les marges de manœuvre budgétaires de l’Etat sont réduites par rapport à la précédente revue (décembre 2016).
Une politique monétaire et bancaire sous tension, en raison de la dégradation de la position externe du pays.
Le déficit commercial se serait aggravé en 2017, puisqu’il était estimé à 15,7 % du PIB à la fin juillet selon les données nationales, alors qu’il s’était établi à 12,2 % du PIB en 2016. Le déficit commercial se serait dégradé en raison de la sécheresse qui a contraint les autorités à importer des biens alimentaires et entraîné la stagnation des exportations selon la Banque mondiale. Fin juillet, le niveau d’importations était de 25,1 % et celui des exportations de 9,4% du PIB. La balance commerciale kenyane est structurellement déficitaire, en raison d’un déséquilibre entre les exportations (10 % du PIB environ depuis 2010) et des importations portées par la stratégie de développement des infrastructures (22 % du PIB depuis 2010).
On constate cependant un affaiblissement graduel de la performance exportatrice du Kenya, en raison de facteurs conjoncturels (épisodes de sécheresse récurrents depuis 2015) qui affectent l’agriculture, mais également structurels tels que l’affaiblissement de la compétitivité relative des produits kenyans sur les marchés consommateurs, face à l’émergence de concurrents très agressifs dans les domaines de spécialités du pays (horticulture, café, produits verts transformés). La reconquête des parts de marché du Kenya à l’exportation, vitale pour l’équilibre de la position externe du pays, repose sur l’élévation des filières agricoles et agroalimentaires dans les chaines de valeur mondiales et l’industrialisation du pays. Une orientation stratégique a été prise en ce sens depuis 2014, par la création de dispositifs visant à attirer les investissements productifs (zones franches export et zones économiques spéciales), mais ils tardent à produire leurs effets et pèsent lourdement sur les finances publiques par les dépenses fiscales induites.
Le déficit courant aurait augmenté de 5,2 % à 6,1 % du PIB entre 2016 et 2017. La dégradation du solde commercial devrait se traduire par une augmentation du déficit courant, attendu à 6,1 % du PIB contre 5,2 % en 2016. Le déficit courant est structurellement inférieur au déficit commercial en raison du niveau élevé des transferts de la diaspora . En 2016, plus d’un tiers du déficit courant a été financé par les investissements directs étrangers (IDE), qui s’établissaient à 1,9 % du PIB. Toutefois, d’après la Banque mondiale, le volume d’IDE aurait diminué en 2017 conduisant à ce que la majorité du déficit courant soit financé par l’endettement externe de l’Etat.
En 2017, le shilling s’est très légèrement déprécié face au dollar (-1,1 %) alors qu’il poursuit sa dépréciation face à l’euro (-15,0 %). Ces évolutions reflètent en réalité le mouvement d’appréciation de l’euro face au dollar. La très faible dépréciation du shilling kényan par rapport au dollar résulte d’une mobilisation de ses réserves de change par la Banque centrale : le niveau des réserves était supérieur à six mois d’importations début 2017, mais s’est stabilisé à 5,2 mois d’importations depuis lors. Le pays bénéficie par ailleurs d’une ligne de précaution octroyée par le FMI en mars 2016 pour une durée de 24 mois ; le montant total de la ligne s’élève à 1,5 Mds USD dont 845 MUSD sont disponibles aujourd’hui…
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