Extraits de l’entretien
Des réponses structurelles face aux effectifs pléthoriques dans les universités
Si on parle aujourd’hui de l’accès à l’enseignement supérieur, il faut dire que l’on a une explosion des effectifs des étudiants, résultat des efforts que la communauté internationale a eu à faire au niveau de « l’Éducation pour tous ». En soutenant massivement l’enseignement primaire, et après l’enseignement secondaire, la base éducative s’est beaucoup élargie et à la clé il y a eu beaucoup de bacheliers. L’évolution de la courbe des bacheliers de 1951 à 2010 au Sénégal, montre une croissance presque exponentielle. Ceci n’a pas eu que des avantages, avec 95% de bacheliers issus de la formation générale et 5% de la formation technique et professionnelle… Dans les 95% du bac général, plus de 70% étaient des bacheliers littéraires. S’est alors posé le problème de leur admission dans le système d’enseignement supérieur.
Le gouvernement a agi sur trois (3) niveaux, d’abord au niveau de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD) avec un préalable renforcement des capacités d’accueil de l’UCAD. Ensuite, les universités de Thiès, de Bambey et de Ziguinchor (régions ouest, centre et sud du Sénégal) ont été créées. Sur ce point, beaucoup de difficultés ont été rencontrées. La première difficulté est que le gouvernement n’a pas doté ces universités d’infrastructures physiques capables d’accueillir les jeunes, notamment à Ziguinchor (sud du Sénégal) qui pourtant est une ville ayant la capacité d’absorption d’une université. Quant à l’université de Thiès (ouest du Sénégal), elle était d’abord une association d’établissements qui devaient se regrouper en vue de sa formation. Le problème de cette université, c’est le manque de caractère académique des enseignants et une situation conflictuelle en leur sein qui ont fini par causer sa dislocation. Enfin pour l’université de Bambey, c’est la ville elle-même qui n’a pas la capacité d’absorption d’une population universitaire.
L’évolution de la courbe des bacheliers de 1951 à 2010 au Sénégal, montre une croissance presque exponentielle. Ceci n’a pas eu que des avantages, avec 95% de bacheliers issus de la formation générale et 5% de la formation technique et professionnelle
Mais se pose aussi le problème de l’université de Saint-Louis (nord-ouest du Sénégal) qui a été créée en 1990 et qui peine à réunir dix mille étudiants (10.000) aujourd’hui, en comparaison avec l’université de Dschang au Cameroun, créée en 1993 et qui en 2015 regroupait trente cinq mille étudiants (35000). Donc pourquoi la communauté académique de Saint-Louis a-t-elle voulu que l’université reste embryonnaire ? Que serait l’université de Saint-Louis avec un effectif de trente mille (30000) étudiants ? Le chiffre d’affaires généré par ces trente mille étudiants, en raison de deux cent mille francs CFA par étudiant, serait dès lors de six (6) milliards de FCFA (environ 9, 146 millions d’euros).
Enfin le gouvernement a aussi misé sur l’enseignement privé, sauf que contrairement au Kenya par exemple qui a édicté des règles suite aux conditionnalités de la Banque Mondiale (BM) sur l’ouverture de l’enseignement supérieur, le Sénégal a tardivement établi des normes, ce qui a fait que des universités ont été ouvertes suite à une simple déclaration. Donc il y a eu une absence d’Etat et d’une capacité de réponse. Mais aujourd’hui force est de reconnaître la place et le rôle de l’enseignement supérieur privé qui regroupe quand même 30% des effectifs de l’enseignement supérieur.
Favoriser la recherche et l’esprit entrepreneurial dans les formations académiques
L’enseignement supérieur, est différent de l’enseignement général et secondaire; il est orienté et piloté par la recherche, les programmes ne sont pas figés et sont les résultats de la recherche. Naturellement, il existe un socle de compétences que l’on assoit mais il y a une partie qui bouge en fonction de la recherche et c’est pour cela que la corrélation recherche/enseignement supérieur fait que la recherche nourrit l’enseignement supérieur.
La qualité donc se mesure à l’aune de la production scientifique mais aussi à l’aune de l’efficience du système, c’est-à-dire du passage du flux de transit à l’intérieur du système et du taux de placement et de l’ouverture du marché. Donc le gros problème qui s’est posé à nous, c’est que nous avons hérité d’un système d’enseignement supérieur classique, c’est-à-dire qui se limite à l’enseignement des fondamentaux, où les enseignements étaient disciplinaires et où la formation professionnelle, bien qu’existante, était confiée à des établissements qui en retour ne recrutaient pas assez d’étudiants.
La qualité donc se mesure à l’aune de la production scientifique mais aussi à l’aune de l’efficience du système, c’est-à-dire du passage du flux de transit à l’intérieur du système et du taux de placement et de l’ouverture du marché
C’est dans ce contexte, que la réforme LMD (Licence-Master-Doctorat) a été introduite. Il faut savoir que ce qui va caractériser le monde de demain, c’est la mobilité durant la période de travail. Cela signifie que ceux qui sont compétents vont entrer dans le métier par une compétence définie, mais vont migrer tout au long de leur cursus vers d’autres métiers. De ce fait, en faisant la réforme LMD nous avons tenu compte de cet aspect en consolidant le socle disciplinaire par les Licences et en dédiant les Masters au savoir-faire.
Au niveau de l’université de Dakar particulièrement, la réforme LMD nous a permis de revisiter notre offre éducative et son adéquation avec les besoins du marché, et la nécessaire mobilité, mais elle nous a aussi permis d’améliorer le flux de transit de 10% dans tous les établissements.
En faisant la réforme LMD nous avons tenu compte de cet aspect en consolidant le socle disciplinaire par les Licences et en dédiant les Masters au savoir-faire
De ce fait d’un point de vue mécanique des améliorations ont été apportées, d’un point de vue de l’efficacité externe, il faudrait que l’on puisse la mesurer, mais d’un point de vue global de la conscience entrepreneuriale, il reste encore des choses à faire.
L’on entend souvent évoquer l’articulation de la formation avec les besoins de l’économie, mais c’est à se demander si cette dernière existe. De quelle économie parle-t-on ? De celle qui n’emploie pas les médecins sortants de formation? Le problème, c’est que pendant longtemps, l’on a fourni une formation en ne considérant que l’emploi placé, or tel n’est pas le but de l’enseignement supérieur. Il a comme vocation d’ouvrir le marché en permanence, donc la formation offerte aux jeunes devrait les prédestiner à des postes d’employeurs plutôt qu’à ceux d’employés.
Le problème, c’est que pendant longtemps, l’on a fourni une formation en ne considérant que l’emploi placé, or tel n’est pas le but de l’enseignement supérieur. Il a comme vocation d’ouvrir le marché en permanence, donc la formation offerte aux jeunes devrait les prédestiner à des postes d’employeurs plutôt qu’à ceux d’employés
C’est la raison pour laquelle un incubateur d’entreprise a été créé à l’UCAD. Par la suite, le Sénégal a gagné le concours du parc scientifique et technologique des Nations unies dans l’optique d’utiliser les résultats de la science pour créer des industries et des emplois. Malheureusement, bien qu’on ait gagné de hautes luttes cette affaire, par des gestions politiques, les résultats escomptés non pas été produits. Les choses sont beaucoup plus complexes que cela, mais il faut qu’on inscrive dans les imaginaires des uns et des autres la nécessité de changer les choses.
Nous ne sommes qu’au début du processus de l’utilisation de l’enseignement supérieur, il faut qu’on continue à travailler sur la recherche pour comprendre les choses, les analyser et créer l’innovation qui permet de créer des entreprises avec des niveaux concurrentiels élevés, continuer à renforcer la formation en tenant compte des outils technologiques qui se sont développés. Il faut que l’on continue à s’intéresser à ce qui se passe dans la société et à pouvoir l’éclairer par la science. Nous devons être politiques sans être d’aucun bord politique. Notre bord politique, c’est la science.
Professeur de classe exceptionnelle, Abdou Salam Sall est professeur de chimie inorganique, branche de la chimie étudiant les composés minéraux. Il a été successivement secrétaire général du Syndicat autonome de l’enseignement supérieur (SAES), doyen de la Faculté des sciences et techniques (FST), recteur de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar (de 2003 à 2010) et président du comité de pilotage des Assises de l’éducation et de la formation au Sénégal. Il est l’auteur d’une cinquantaine de publications notamment “Les mutations de l’enseignement supérieur en Afrique : le cas de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD)”.