EXTRAITS DE L’ENTRETIEN
Réunir les acteurs de l’université autour d’une vision commune des chantiers
J’ai été recteur pendant sept (7) ans, et tout au long de mon mandat, l’université de Dakar a tiré dans la même direction. Parce qu’avant de démarrer, une vision commune sur les objectifs a été adoptée. Comme j’étais issu du monde syndical dès ma nomination, nous nous sommes inspirés des conclusions de la conférence mondiale sur l’enseignement supérieur. Nous avons établi un plan de travail prenant en compte six (6) paramètres à savoir la qualité, la pertinence, le financement, la coopération, l’internet et la communication et les étudiants.
Ensuite une démarche inclusive a été adoptée à l’intérieur de l’université dans le but d’intégrer tous les établissements, les partenaires sociaux et les étudiants, pour dessiner un tableau de bord dénommé « Vision-action ». Il constituait la synthèse de toutes les recommandations reçues qui ont été par la suite présentées à l’Assemblée de l’université. Puis l’on a institué une rencontre annuelle au sein de cette assemblée pendant laquelle toutes ses composantes rendent compte de leurs activités. Il y avait des difficultés, des grèves, mais jamais les gens ne se sont opposés aux orientations parce qu’elles étaient partagées.
Ensuite une démarche inclusive a été adoptée à l’intérieur de l’université dans le but d’intégrer tous les établissements, les partenaires sociaux et les étudiants, pour dessiner un tableau de bord dénommé « Vision-action ». Il constituait la synthèse de toutes les recommandations reçues qui ont été par la suite présentées à l’Assemblée de l’université
Dans un ouvrage à venir, je partage les méthodes d’élaboration des plans stratégiques des universités notamment comment les universités peuvent créer un consensus en leur sein pour aller dans la même direction. Pour cela, il faut retenir que l’université n’est pas la seule concernée. Cela concerne aussi la société, les donneurs d’ordre et les diplômés du système. Sur ces derniers, ils ne reviennent pas dans le système après l’obtention de leur diplôme, alors qu’ils sont nos meilleurs atouts. Aujourd’hui aux Etats-Unis, les fondations des universités ne sont plus financées par les industries mais plutôt par les diplômés et les “alumni” des universités (association d’anciens étudiants). Le président Obama s’est inspiré de ce modèle pour financer ses deux campagnes présidentielles, en raison de 50 dollars (27000FCFA) par américain. C’est ainsi qu’il a pu mobiliser énormément de ressources.
En 2009, nous avons mis en place la Fondation UCAD. Nous avons formé plus de 100.000 diplômés. Si chacun donnait 100.000 francs CFA (152 euros) par mois, la somme d’un milliard de francs CFA (équivalent à 1,5 millions euros) pourrait être récoltée en une année.
Il faudrait que l’on s’entende sur les orientations, que l’on s’accorde sur une base minimale, que tout le monde se mobilise pour atteindre les objectifs et que l’on puisse vérifier qu’ils ont été atteints. Mais aussi et surtout il faut que les gens rendent compte de leur gestion.
Il faut un leadership et l’on dit que lorsque la résultante des forces ne crée pas une dynamique, ce sont les leaders qui viennent pour changer les choses. Malheureusement, pour beaucoup, nous avons ce problème de leadership, donc il faudra agir sur plusieurs paramètres pour arriver à coordonner tout cela en responsabilisant les directeurs et en contrôlant ce qu’ils font. Il faudrait aussi écouter la communauté universitaire et tenir compte des dynamiques internes.
Améliorer la gouvernance et diversifier les sources de financements des universités
Il faut que les universités puissent tirer le maximum de l’Etat à travers les fonds publics. Cela est possible à trois niveaux. D’abord pour que l’Etat contribue, il faut établir un « corps-à-corps » afin de l’informer en permanence des résultats obtenus, des besoins et des contraintes mais aussi des bénéfices qu’il pourrait tirer de l’université.
Ensuite, il y a la contribution des collectivités locales, je me suis battu en vain pour que la ville de Dakar donne 10% de son budget à l’UCAD, car toutes nos publications portent le nom de Dakar et toutes nos activités injectent de l’argent dans la ville de Dakar. Nos 100.000 étudiants font tourner l’économie de Dakar, donc ce ne serait que justice que la ville de Dakar nous donne ce pourcentage.
Enfin l’Etat doit aider à la dotation initiale de la Fondation UCAD en mettant par exemple 10 milliards de FCFA (environ 15 millions d’euros), qui grâce à l’ « Endowment Fund » (fonds de dotation), ne seront pas utilisés. Par contre, les 10% d’intérêts générés par cette somme pourraient être utilisés.
A côtés des fonds publics viennent les ressources internes constituées par les frais d’inscription des étudiants, les droits d’inscription pédagogique par semestre, la formation continue ou à la carte, les revenus du patrimoine, la vente d’expertise et plus tard la vente de brevets, etc.
Quand je suis arrivé à l’université de Dakar, la première chose que l’on m’a annoncée était mon salaire mensuel de huit millions de francs CFA (12000 Euros). Aussi, à mon étonnement, l’on m’a demandé mes coordonnées bancaires, car dans toute ma carrière jamais une telle demande ne m’a été faite. En fait, il s’agissait du placement de la moitié des bénéfices provenant de l’argent de la fonction de service dans le compte du recteur. Or cet argent appartient au rectorat et non au recteur.
Quand je suis arrivé à l’université de Dakar, la première chose que l’on m’a annoncée était mon salaire mensuel de huit millions de francs CFA (12000 euros). Aussi, à mon étonnement, l’on m’a demandé mes coordonnées bancaires car dans toute ma carrière jamais une telle demande ne m’a été faite. En fait, il s’agissait du placement de la moitié des bénéfices provenant de l’argent de la fonction de service dans le compte du recteur (Ndlr: la fonction de service désigne ici les ressources internes énumérées plus haut). Or cet argent appartient au rectorat et non au recteur. Pour vous donner une idée du volume de cette somme, du mois de juillet au mois de décembre 2003 (6 mois), 100 millions de francs CFA (plus de 152 000 euros) sont passés dans un compte ouvert à cet effet. Si les leaders de l’enseignement supérieur n’ont pas une haute probité morale et éthique, tout effort entrepris sera vain.
Aussi est-il important de doter les universités des meilleures infrastructures qui pourraient être mises à la disposition du public sous forme de contrat de location. Mais surtout, ce qui est le plus prometteur, c’est la mise en place de la fondation de l’université, notamment la participation de l’ensemble des Sénégalais au financement de l’université.
Il faut un système de reddition de comptes et un management moderne
Récolter de l’argent ne suffit pas, car il faut utiliser les fonds de façon optimale et pour cela le Syndicat autonome de l’enseignement supérieur (SAES) avait compris la nécessité des conférences budgétaires. Ma principale priorité était les technologies, de répandre le réseau Internet dans tous les bureaux. Malheureusement, je ne pouvais pas le faire parce que l’étanchéité des bâtiments était défaillante. Donc c’est la conférence budgétaire qui doit indiquer les « sur-priorités » si l’on veut les traiter progressivement. Il faut examiner le budget à partir d’un logiciel de gestion en lieu et place de la gestion manuelle qui manque à donner une visibilité rapide. Aussi faut-il exploiter à fond la concurrence et prévoir une liquidité suffisante pour éviter une augmentation des coûts de services. Enfin, il faudrait anticiper sur les besoins. De même, il faudrait mettre en place un système de reddition des comptes à tous les niveaux du système d’enseignement supérieur.
Ce n’est plus une administration universitaire qu’il faut. C’est un management universitaire qu’il faut. On a besoin de leaders capables de manager les universités qui s’y engageront à fond. L’université a comme fonction de répondre aux besoins de sa société. Tous les membres de la société doivent savoir que la réponse peut se trouver à l’université quand ils ont un point de crispation. Cette dernière peut en faire sa problématique de recherche pour apporter une réponse en fonction de ce que dit la science
Ce n’est plus une administration universitaire qu’il faut. C’est un management universitaire qu’il faut. On a besoin de leaders capables de manager les universités qui s’y engageront à fond. L’université a comme fonction de répondre aux besoins de sa société, tous les membres de la société doivent savoir que la réponse peut se trouver à l’université quand ils ont un point de crispation. Cette dernière peut en faire sa problématique de recherche pour apporter une réponse en fonction de ce que dit la science.
Ce qui est déterminant, c’est qu’il y ait des enseignants engagés et formés à cela. Moi, j’ai eu la chance d’avoir eu une formation en mouvement syndical. De ce fait, ce n’est pas en sortant de son laboratoire et en manipulant des éprouvettes que l’on va manager l’université comme il se doit. Ce n’est pas de cette façon que l’on va connaître les gens, les disciplines et leurs problèmes. J’avais œuvré pour la création d’un grand centre de mesures avant ma nomination comme recteur de l’université. Je pouvais profiter de ma position pour faire avancer ce projet sauf que j’ai tenu à prendre en compte les besoins des autres. Aujourd’hui, l’on continue de se battre pour faire avancer le projet. Il nous faut de grands managers, de grands visionnaires et des gens qui se battent beaucoup.
Professeur de classe exceptionnelle, Abdou Salam Sall est professeur de chimie inorganique, branche de la chimie étudiant les composés minéraux. Il a été successivement secrétaire général du Syndicat autonome de l’enseignement supérieur (SAES), doyen de la Faculté des sciences et techniques (FST), recteur de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar (de 2003 à 2010) et président du comité de pilotage des Assises de l’éducation et de la formation au Sénégal. Il est l’auteur d’une cinquantaine de publications notamment “Les mutations de l’enseignement supérieur en Afrique : le cas de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD)”.