Les problèmes de développement de l’Afrique subsaharienne en général et de l’Afrique de l’Ouest en particulier sont remarquables. Les niveaux de malnutrition et de pauvreté demeurent des plus élevés au monde et perdurent. L’organisation des institutions et des interventions publiques à cet effet demeure inefficace. Cette inefficacité s’avère moins frappante et moins handicapante dans les pays africains anglophones, qui donnent grand espoir de progrès, que dans les autres pays (francophones et autres). Pour relever donc le défi de développement qui s’impose plus aux pays non anglophones, l’enseignement supérieur a un rôle important à jouer. A cet effet, deux principales réformes s’imposent : l’articulation fonctionnelle universités-gouvernements et l’option de formation universitaire.
Une articulation universités-gouvernement déficiente
L’articulation fonctionnelle universités-gouvernements est très déficiente dans les pays non anglophones de l’Afrique de l’Ouest. Tout semble montrer dans ces pays que les gouvernements fonctionnent parallèlement aux universitaires dans l’identification et la mise en œuvre des actions de développement. Les universités ne sont pas sollicitées dans le cadre des interventions importantes et capitales des pays, tout comme elles ne semblent pas se concentrer réellement sur les activités de recherches qui favoriseraient le développement national.
Au Bénin par exemple, l’une des actions phares de développement ces dernières années a été l’octroi de microcrédits aux plus pauvres. Cependant, la gestion de l’initiative telle qu’elle a été conçue pousse à croire que ces microcrédits ont été octroyés sans une caractérisation scientifique des « plus pauvres ». Il en résulte que des personnes bien loin de la pauvreté bénéficient des microcrédits au détriment des véritables cibles de l’initiative, ce qui substantiellement réduit l’impact d’un projet qui aurait pu être un outil efficace de lutte contre la pauvreté.
Il urge de mettre en place un dispositif qui garantisse une bonne articulation entre les universités et les gouvernements
En réalité, il ne s’agit pas nécessairement de conduire de nouvelles études, mais de se fonder sur des références et des résultats de recherche existants dans le domaine et de les exploiter pour améliorer l’efficacité des politiques publiques. Il urge de mettre en place un dispositif qui garantisse une bonne articulation entre les universités et les gouvernements. À cet effet, des actions conjointes réunissant le gouvernement et le monde universitaire devront être menées pour le bien-être des populations en apportant des réponses significatives sur la question de la pauvreté.
Une formation de masse dans les universités, une option privilégiée qui est sans issue
L’enseignement primaire est le lieu par excellence de la formation de masse. Il est nécessaire que le plus grand nombre d’enfants bénéficie d’une éducation primaire et également d’un enseignement secondaire pour une meilleure insertion dans le milieu professionnel. À titre d’exemple, l’agriculteur doit pouvoir lire la notice des équipements et le mode d’utilisation des différents intrants agricoles. Le fait que la globalisation culturelle tende aujourd’hui à faire de l’anglais le principal véhicule linguistique rend la chose encore plus nécessaire. Cette langue doit être davantage enseignée dans les établissements scolaires en plus des différentes langues officielles des pays. Cela constitue un défi.
Pour ce qui est de la formation universitaire, elle devrait être plus sélective, ce qui réduirait considérablement le nombre pléthorique d’étudiants dans les facultés. Il semble exister aujourd’hui une disproportion entre le nombre d’universités dans ces pays et leur population. Le Bénin par exemple compte à ce jour sept universités pour une population d’environ 10 millions d’habitants. L’option de formation de masse explique aussi pourquoi les gouvernements poursuivent une politique de la gratuité, ou de quasi-gratuité, de l’enseignement supérieur. Nous pensons que ceci est une erreur, puisque la formation universitaire devrait être une option de « luxe ».
Il faut moins de chercheurs et plus de professionnels techniciens pour résoudre les problèmes qui se posent.
Lorsque les autres options de formation sont bien organisées et qu’elles sont suffisamment professionnalisées et pertinentes par rapport aux besoins du pays, la formation universitaire devient une option non impérative car elle n’est pas indispensable pour que le jeune formé gagne sa vie. Tout porte à croire que la résolution des problèmes auxquels l’Afrique de l’Ouest est confrontée passera par une nouvelle grille de lecture de l’accès à la formation universitaire. Il faut moins de chercheurs et plus de professionnels techniciens pour résoudre les problèmes qui se posent. Il faut plus de praticiens et d’entrepreneurs, donc plus de collèges et de lycées de qualité bien équipés que d’universités.
Il est important que les universités ne soient plus des lieux de formation de masse, mais qu’elles soient plus sélectives dans le choix des étudiants. La tendance actuelle à une prolifération incessante des universités nationales devrait être revue et les projets d’universités régionales impliquant plusieurs pays devraient être prioritaires. Ceci n’est toutefois pas envisageable si des mécanismes d’organisation et de gestion efficaces des enseignements primaire et secondaire ne sont pas mis en place pour faciliter l’employabilité et l’emploi des jeunes.
Du surpeuplement dans nos universités
Dans un système éducatif où l’horizon de l’emploi est sombre, les jeunes se voient obligés de poursuivre de longues études. La conséquence est l’engorgement excessif des universités, une situation qui mène vers des crises. L’exemple typique est la crise à la Faculté des Lettres, arts et sciences humaines (FLASH) de l’Université d’Abomey-Calavi (UAC) au Bénin où s’observe en ce moment une « crise de surpeuplement universitaire ». Le ratio étudiants/enseignants a dépassé la limite tolérable, et ce malgré l’adoption du système LMD (Licence-Master-Doctorat) dans l’espace du Réseau pour l’excellence de l’enseignement supérieur en Afrique de l’Ouest (REESAO).
Ce système exige en effet une professionnalisation de la formation universitaire, un nombre réduit d’étudiants par enseignant, et des conditions didactiques appropriées. Il apparaît pourtant que le ratio étudiants/enseignants n’est pas conforme dans toutes les catégories de formation, qu’il s’agisse des formations classiques ou des formations professionnelles. C’est dire que le système LMD a été adopté sans que les conditions objectives de sa mise en œuvre aient été réunies : il doit donc être revisité en profondeur dans tous les pays qui l’ont adopté afin de l’adapter et de le réajuster aux réalités socioéconomiques de l’espace régional ouest-africain.
Source photo : jacquelinepenge.blogspot.sn
Emile N. HOUNGBO est Ingénieur agroéconomiste et titulaire d’une thèse de doctorat en “Dynamique de pauvreté et développement durable”. Il est actuellement Enseignant-Chercheur à l’Université d’Agriculture de Kétou (UAK), au Bénin.