Dr Mohamed Ibn Chambas a été le dernier secrétaire exécutif de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) de 2002 à 2005 et le premier président de la Commission de la CEDEAO de 2006 à 2009. Il a donc joué un rôle clé dans l’organisation à un moment charnière de son évolution, celui des réformes institutionnelles de 2006.
Né le 7 décembre 1950 au Ghana, Mohamed Ibn Chambas est un avocat, diplomate, politicien et universitaire du Ghana. Il est diplômé en sciences politiques de l’Université du Ghana, Legon (B.A. 1973) et de l’Université Cornell Ithaca, New York (M.A. 1977, Ph.D. (1980) et est titulaire d’un diplôme en droit de l’Université Case Western Reserve, à Cleveland, dans l’Ohio.
L’expérience du Dr Chambas sur la scène internationale et africaine est ancienne. Parmi les premiers postes politiques qu’il occupe au Ghana figure celui de vice-ministre des Affaires étrangères en 1987. Député de Bimbilla, au nord du pays, de 1993 à 1996, il devient vice-ministre de l’Education en charge de l’Enseignement supérieur en 2000. Sur la scène africaine, il devient membre du Groupe d’action ministériel du Commonwealth chargé de faciliter une transition démocratique et constitutionnelle au Nigéria, en Sierra Leone et en Gambie. Il joue ensuite un rôle important en tant que médiateur entre les parties de la première guerre civile au Libéria dans les années 1990 et plus tard lors de la guerre civile en Côte d’Ivoire au début des années 2000.
Après son départ de la CEDEAO, Mohamed Ibn Chambas est nommé secrétaire général du groupe ACP (Groupe des Etats d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique) en novembre 2009. En décembre 2012, il est nommé envoyé spécial conjoint de l’Union africaine et des Nations unies, pour le Darfour et chef de la mission de paix hybride UA/ONU au Darfour.
Depuis septembre 2014, Mohamed Ibn Chambas est le représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU et chef du Bureau des Nations unies pour l’Afrique de l’Ouest (United Nations Office for West Africa, UNOWA), renommé Bureau des Nations unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel (UNOWAS).
Dans cette contribution au débat de WATHI sur les organisations régionales ouest-africaines, Dr Chambas s’exprime en tant que citoyen concerné par l’état et les perspectives de la région.
Entretien vidéo (en anglais)
Extraits de l’entretien
Le Maroc et la CEDEAO: la nécessité de clarifier les règles d’adhésion
Nous avons besoin d’un peu plus de réflexion, peut-être même de retourner au niveau de l’Union africaine afin d’analyser sa définition des régions africaines qui, comme vous le savez, remonte au Plan d’action de Lagos. Ce plan définit les cinq régions, encourage l’intégration profonde entre ces cinq régions pour ensuite les fusionner en une union continentale.
Désormais, la Commission de la CEDEAO devra apporter plus de clarté en ce qui concerne les implications de l’adhésion du Maroc pour les textes fondamentaux de l’organisation, en particulier son traité constitutif. Elle devra présenter toutes les implications de cette adhésion comme celle potentielle d’autres pays, car l’admission du Maroc constitue évidemment un précédent. Que devra-t-elle faire maintenant? Quelle sera sa réponse si d’autres pays souhaitent adhérer?
Le Maroc a des relations très amicales, des relations économiques avec de nombreux pays de l’Afrique de l’Ouest, sinon tous, mais c’est aussi le cas de beaucoup d’autres pays. Alors la question devient: quels sont les critères d’adhésion à toute organisation régionale et quelle devrait être la réponse si un autre pays demande à rejoindre l’organisation ?
Espérons qu’en décembre (2017), la Commission de la CEDEAO apportera plus de clarté sur les critères d’adhésion à la CEDEAO. Cela mettra les choses en perspective.
La question du leadership de l’Afrique de l’Ouest
Le Nigeria, par la taille de son économie, son rôle historique dans la région, son rôle dans le maintien de la paix dans plusieurs pays (le Libéria, la Sierra Leone) a fait preuve d’un leadership très marqué en matière de médiation des conflits et de contribution financière. On s’attend toujours à ce que le Nigeria soit au premier plan sur certaines questions. Maintenant que l’organisation est confrontée à certaines questions très importantes, parmi lesquelles l’élargissement des adhésions, certains estiment que le Nigeria ne se positionne pas assez clairement comme le grand frère traditionnel en Afrique de l’Ouest. Mais il y a bien sûr d’autres dynamiques à l’œuvre. Le Nigeria a des problèmes internes qui le préoccupent en ce moment.
Il devrait y avoir un calendrier clair de rotation de la présidence des organisations d’intégration régionale
Très bientôt, en fait dans moins de deux ans, nous assisterons à une autre élection dans le pays et les questions de leadership des partis politiques jouent déjà un rôle prépondérant au Nigeria en ce moment. D’autre part, nous devrions reconnaître qu’il y a un fort leadership émergeant dans d’autres pays de la région, en Côte d’Ivoire notamment, qui est sorti de sa guerre civile suivi d’un rebond sur le plan économique. Il existe certes encore des problèmes persistants en matière de réconciliation nationale et de réforme du secteur de la sécurité, mais ce qui n’est pas en cause, c’est le leadership fort que nous voyons en Côte d’Ivoire et sa forte croissance économique, lesquels sont très importants pour d’autres pays de la région. Le Sénégal aussi a toujours eu un fort leadership dans la région. Aujourd’hui, vous avez également la Guinée, qui préside l’Union africaine et qui démontre un leadership plus fort dans la région.
Je dois ajouter que le nouveau président du Ghana a décidé en prenant ses fonctions, – c’était une première-, de visiter tous les pays de la CEDEAO pour signaler qu’il fera du projet d’intégration de la CEDEAO une priorité de son gouvernement. Cela est salutaire. Tous les pays doivent faire preuve d’engagement.
Donner une chance à tous les pays de diriger l’organisation régionale
Il devrait y avoir un calendrier clair de rotation de la présidence des organisations d’intégration régionale. C’est une façon de faire en sorte que tous se sentent membres à part entière, peu importe la taille du pays ou la taille de son armée. Nous sommes tous membres de ce groupe, nous devons tous avoir une égale chance de le diriger. Cela peut contribuer à renforcer le sentiment d’appartenance à une organisation d’intégration régionale. De cette façon, chaque pays à un moment ou à un autre, dirigera l’organisation. Aucun pays n’est trop petit pour jouer un rôle approprié dans l’intégration de l’Afrique de l’Ouest.
Atteindre l’intégration régionale
Nous pouvons l’aborder de deux façons. Au niveau du leadership politique, tous les pays doivent avoir un sens de la participation. Aucun pays ne doit être écarté au plus haut niveau de la gestion et du fonctionnement de l’organisation.
Il y a un deuxième niveau, où nous devons mettre beaucoup d’accent sur l’efficacité et la bonne gouvernance de l’institution. Nous devons certes l’ouvrir aux professionnels possédant les compétences pertinentes, mais encore une fois, nous devrions être très conscients d’assurer un équilibre géographique.
Aucun pays n’est trop petit pour jouer un rôle approprié dans l’intégration de l’Afrique de l’Ouest
Nous devrions faire cela d’une manière équitable sur le plan géographique, mais surtout aussi, commencer à prendre en compte très sérieusement la question du genre. Cela a été quelque chose qui a manqué à l’organisation. Si vous regardez le personnel (à la CEDEAO), nous n’avons pas suffisamment de cadres féminins dans l’organisation. Cela doit être corrigé.
Quelle stabilité financière pour la CEDEAO?
L’équilibre entre les salaires, les autres dépenses et le budget programmatique doit être optimal. Je sais que la règle était que pas plus de 40% des dépenses devraient être consacrées à des activités récurrentes et 60% devraient être consacrées aux programmes (activités de l’organisation). Maintenant, si cela a été réalisé ou non, c’est une autre question. Certaines personnes diront que pour être plus efficace, la répartition devrait être de 30% pour les coûts récurrents et 70% pour les programmes.
La CEDEAO est une organisation de pays relativement pauvres. Il n’est pas normal que des pays pauvres fassent des sacrifices et des efforts pour fournir des ressources à l’organisation, et que celles-ci ne soient pas utilisées de manière efficace et efficiente pour atteindre les objectifs de l’organisation. Ce sont : l’approfondissement de l’intégration dans tous les autres secteurs, l’harmonisation des politiques publiques, l’intégration commerciale, l’intégration économique et agricole, la construction d’infrastructures… Voilà les principaux domaines de l’intégration.
Source photo : WATHI