Yacine Bio Tchané
Récemment, un journaliste de la radio BBC a narré ses mésaventures pour se rendre de Freetown (Sierra Léone) à Banjul (Gambie). Bien que les deux capitales soient à 700 km l’une de l’autre, soit 50 minutes par avion, il n’y a que deux vols par semaine qui permettent cette ligne directe. Les options de vol disponibles les autres jours nécessitent un voyage d’un minimum de 24h via l’Europe, de 30h via Casablanca (Maroc) et de plus de 30 heures via Abidjan (Côte d’Ivoire) et Dakar (Sénégal).
Ce récit m’a rappelé la fois où, suite à l’annulation brusque d’un vol entre Cotonou (Bénin) et Niamey (Niger), j’ai dû m’y rendre par la route afin de pouvoir honorer le lendemain un rendez-vous d’affaires si difficilement acquis et qui ne pouvait être reporté. Après 1 000 km de route parcourus en 15h de temps, quasiment sans arrêt, j’arrivais à Niamey à l’aube. Le vol prévu ce jour aurait duré 4h15 via Lomé (Togo) ou 5h25 via Abidjan. Autrement, le seul vol disponible ce même jour ne m’aurait permis d’arriver à Niamey que 24h après, ce qui m’aurait fait rater mon rendez-vous.
Ces aventures ne sont pas inhabituelles pour ceux qui voyagent fréquemment à travers l’Afrique. Entre la cherté des billets d’avion, la multitude et la complexité des escales, et la lourdeur des procédures de visas, il est peu aisé de se déplacer en Afrique, au besoin ou selon les urgences. Les autres modes de transport (routiers, ferroviaires, maritimes) sont si peu développés que les alternatives sont rares. Tout comme le transport des personnes est coûteux, l’envoi de colis ou courriers et les frais de transferts d’argent restent prohibitifs.
Et pourtant, on prône l’intégration régionale en Afrique. La Vision pour 2063 de l’Union africaine ambitionne de construire une « Afrique intégrée, prospère et pacifique, dirigée et gérée par ses propres citoyens, et représentant une force dynamique sur la scène internationale ». L’unité et l’intégration constituent une partie importante de cette vision. Toutefois, les diverses statistiques démontrent que l’Afrique est encore peu «connectée».
Les difficultés de voyager en Afrique, un frein à l’intégration
A travers son Indice d’ouverture sur les visas en Afrique, la Banque africaine de développement (BAD) met en exergue les mesures d’assouplissement de visas à l’égard des ressortissants africains qui ont été prises dans chacune des sous-régions du continent. Les tendances principales pour l’année 2016 étaient les suivantes ( http://bit.ly/2rIf9g2 ):
- Les Africains n’ont pas besoin de visa pour se rendre dans 20% de pays africains ;
- Les Africains peuvent obtenir un visa à l’arrivée dans 25% de pays africains ;
- Les Africains ont besoin de visas pour se rendre dans 55% de pays africains ;
- Parmi les 20 pays les plus ouverts en matière de visas, 75% se situent en Afrique de l’ouest et en Afrique de l’est ; seul un pays se situe en Afrique du nord et aucun pays ne se situe en Afrique centrale ;
- Seuls 9 pays parmi les 55 pays d’Afrique offrent des visas électroniques (e-Visas) ;
- Seuls 13 pays parmi les 55 pays d’Afrique ont supprimé le visa aux Africains ou permettent aux Africains de prendre le visa à l’entrée du pays.
Le graphe ci-dessous illustre l’état des lieux par pays (http://bit.ly/2rUMqQh)
Les limites de l’aviation et de la libéralisation du ciel africain
Les Etats africains ont signé un accord de libéralisation du ciel africain en 1999 qui faisait suite à la déclaration de Yamoussoukro (Côte d’Ivoire) de créer un espace aérien unique. Toutefois, cet accord n’est pas en vigueur compte tenu de la réticence de certains Etats qui refusent de se conformer aux normes de fonctionnement internationales et de donner accès à leur ciel aux autres pays d’Afrique.
Ainsi, il règne un climat de protectionnisme des espaces aériens. Les Etats africains préfèrent créer des compagnies nationales que d’unir leurs forces pour mettre sur pied de grandes compagnies régionales qui pourront desservir autant de capitales africaines que possible ainsi que le reste du monde.
Outre la question du libre accès au ciel africain, les compagnies aériennes africaines peinent à passer le test international de sécurité si bien qu’elles sont souvent interdites d’atterrir ailleurs que sur le territoire africain. L’Union européenne a élaboré une liste noire de compagnies aériennes interdites d’accès sur son territoire ou faisant l’objet de restrictions pour non-respect des normes internationales en matière de sécurité.
A la date du 16 mai 2017, la liste comprenait 85 compagnies aériennes certifiées dans 13 pays africains, dont l’Union Européenne juge qu’il y a une insuffisance de supervision de la sécurité par leurs autorités nationales de l’aviation. Les pays concernés sont : la République Démocratique du Congo (21 compagnies), l’Angola (13 compagnies), le Soudan (12 compagnies), le Congo (8 compagnies), la Lybie (7 compagnies), la Sierra Léone (7 compagnies), le Gabon (6 compagnies), la Guinée Equatoriale (4 compagnies), Sao Tomé et Principe (2 compagnies), l’Erythrée (2 compagnies), Djibouti (1 compagnie), le Nigeria (1 compagnie), et le Zimbabwe (1 compagnie) (http://bit.ly/2gFkqM4 ).
Les faiblesses du commerce inter régional en Afrique
Le volume du commerce inter-régional est estimé à 12% en Afrique comparé à 61% dans l’Union Européenne. En décomposant ce taux par région, les flux sont de 66% en Afrique australe, 14% en Afrique de l’ouest, 8% en Afrique centrale et 8% en Afrique du nord.
https://twitter.com/EcobankResearch
Les pays enclavés enregistrent des volumes de commerce inter-régional plus élevés que les pays côtiers. Les pays qui échangent le plus avec leurs voisins sont le Sénégal, le Kenya, la Côte d’Ivoire, le Cameroun, le Ghana et la Tanzanie.
Ces statistiques ne reflètent que le commerce formel ou officiel étant donné que la vaste majorité des transactions, celles menées de façon officieuse (mais non illégale) par les petits commerçants est indétectable.
Les coûts élevés des transactions
Bien que les partenaires commerciaux des pays africains soient principalement l’Union Européenne (30%) et l’Asie (15%), la moyenne régionale des coûts de transports internationaux pour tous les modes de transport est plus élevée en Afrique que dans le reste du monde (http://bit.ly/2tssrdT).
Source : Étude sur les transports maritimes 2015 (CNUCED). (En pourcentage de la valeur des importations)
Quant aux transactions financières, la Banque mondiale estime le coût moyen des transferts d’argent dans le monde à 7,68% (juin 2015) tandis que ce coût s’établit à 9,74% en Afrique subsaharienne. Celle-ci demeure la région de destination pour laquelle les coûts sont les plus élevés malgré la tendance à la baisse. Les trois principaux canaux de transfert utilisés sont les bureaux de poste, les sociétés de transfert d’argent et les banques. Les coûts de transfert d’argent par ces canaux sont respectivement de 5,14%, 6,59% et 10,96% (http://bit.ly/2sAgeE5) .
La concrétisation d’une Afrique unie et intégrée commence par une réelle volonté politique des dirigeants. Celle-ci se traduit par la mise en vigueur des accords établis mais aussi par une prise de conscience sur les manques à gagner et sur la non-compétitivité de leurs Etats s’ils n’adoptent pas une vision plus régionale dans la formulation de leurs politiques.
Des pistes d’actions pour renforcer l’intégration en Afrique :
- Les organisations régionales et leurs partenaires financiers ont un grand rôle à jouer dans la construction d’infrastructures structurantes entre Etats africains afin d’accroître la quantité des échanges, d’améliorer leur qualité et de réduire les coûts des transports, de la communication et des transactions à travers le continent ;
- Les initiatives telles que l’Indice d’ouverture des pays et les plaidoyers des internautes doivent s’intensifier afin de mettre la pression sur les pays réticents pour les amener à alléger les procédures d’entrée sur leurs sols. Lors de rencontres internationales, la question doit être abordée en incluant des témoignages de pays qui facilitent l’obtention de visas à l’arrivée, qui octroient des e-visas ou qui ne demandent pas de visas afin de démontrer le gain en visibilité, visiteurs et investissements ;
- L’Union africaine doit prendre le leadership pour d’une part amener les Etats à ouvrir leur ciel aux compagnies aériennes africaines et respecter les normes de fonctionnement internationales; d’autre part, parler d’une seule voix au nom de l’Afrique avec les autorités aériennes du reste du monde.
Crédit photo : africanewsagency.fr
Yacine Bio Tchané est économiste et cumule dix années d’expérience dans les secteurs des finances publiques et privées, du développement international et de la gestion d’entreprises. Diplômée de la London School of Economics, elle a débuté sa carrière en tant qu’analyste (ODI Fellow) pour le gouvernement sud-africain avant de s’installer au Bénin où elle travaille dans un cabinet de conseils – Alindaou Consulting International – qui fournit de l’assistance technique aux organisations et entreprises et conduit divers types d’études à travers l’Afrique, plus précisément en Afrique de l’Ouest. Yacine s’intéresse aux réformes économiques et sociales les plus pertinentes pour le continent africain et à l’autonomie financière des femmes africaines.
1 Commentaire. En écrire un nouveau
Face à tous ces défis d’intégration, pourrons nous dire que l’afrique de l’ouest ou la CEDEAO s’éfforce de réaliser l’intégration sous régionale ? puisque c’est certainement un gage de l’atteinte de l’intégration africaine