Mettre en œuvre l’architecture de paix et de sécurité: l’Afrique de l’Ouest, International Crisis Group
Les interventions successives de la Cedeao en Guinée-Bissau, au Mali ou encore au Burkina Faso ont mis en lumière les points forts de l’organisation et les limites de sa capacité d’action. Malgré une mobilisation forte en temps et en moyens, certains objectifs clés ont été négligés, comme le renforcement des institutions politiques et sécuritaires des Etats membres, le réexamen de toutes les dimensions de sa Force en attente, ou la coopération régionale contre les menaces transnationales. Ces dernières défient les moyens classiques de prévention et de résolution des crises, au-delà des dispositifs classiques de médiation et de déploiement de missions militaires.
Partie I: L’intervention de la CEDEAO en Guinée Bissau, au Mali et au Burkina Faso
L’organisation ouest-africaine était déjà intervenue dans le pays lors de la guerre civile de 1998-1999, mais le déploiement improvisé de l’ECOMOG entre les parties au conflit avait été un échec et s’était achevé par un désengagement précipité du pays.
Lorsqu’un coup d’Etat renverse en avril 2012 le Premier ministre Gomes Junior, alors favori pour remporter la présidentielle, la Cedeao profite de la situation pour renforcer son influence dans le pays et réduire celle de l’Angola.
Parallèlement à son implication politique, la Cedeao a déployé rapidement et sur fonds propres une mission militaire, une mission en Guinée-Bissau (ECOMIB), avec comme objectif annoncé de faciliter le départ des militaires angolais (effectif dès juin 2012) et de soutenir la restauration de l’ordre constitutionnel. La Cedeao a ensuite déployé une équipe d’experts militaires pour aider les autorités à relancer la RSS, tant attendue par les partenaires internationaux du pays.
Le rôle de la Cedeao pendant la crise politique malienne a souligné à la fois l’importance de l’organisation comme acteur diplomatique incontournable et son inconsistance comme instance régionale capable de mener seule une intervention militaire décisive dans un environnement complexe.
Dès le dernier trimestre de l’année 2011, les lenteurs dans les préparatifs électoraux et la dégradation de la sécurité dans le Nord du pays commencent à inquiéter la Cedeao.
La Cedeao est en revanche confrontée à une situation plus familière lorsque les déroutes successives de l’armée malienne dans le Nord provoquent dans la nuit du 21 au 22 mars 2012 un coup d’Etat contre le président Amadou Toumani Touré (ATT), mené par le capitaine Amadou Haya Sanogo.
La Cedeao a été déterminante pour lancer la transition après le coup d’Etat. Comme le souligne une personnalité politique malienne impliquée dans les premières tractations : «en trois semaines, on a eu, grâce à la Cedeao, un processus de retour à l’ordre constitutionnel». La Cedeao a ensuite continué à encadrer la transition et a corrigé les insuffisances de l’accord de sortie de crise du 6 avril.
La réponse de la Cedeao à la prise de contrôle de plus de la moitié du territoire malien a été beaucoup plus laborieuse que sa réponse au coup d’Etat à Bamako, exposant les grandes faiblesses de l’organisation quand elle envisage de recourir à la force. La menace d’une intervention militaire a été brandie aussi bien pour accentuer la pression sur la junte de Sanogo qui multipliait les exactions à Bamako et dans le Sud que pour contrer les groupes armés rebelles au Nord.
Après la reconquête des régions du Nord-Mali au début de l’année 2013, la Cedeao regagne une certaine influence sur le processus politique à travers les efforts du médiateur, Compaoré, dont le pays a abrité pendant plusieurs mois les dirigeants des groupes armés touareg du Nord-Mali.
La réponse de la Cedeao à la crise politico-institutionnelle burkinabè révèle que l’organisation ne bénéficie pas d’une image d’impartialité et de neutralité, étant donné sa dépendance décisionnelle forte vis-à-vis des personnalités politiques de la région. L’application de ses principes démocratiques et de bonne gouvernance se heurte parfois aux intérêts particuliers et aux amitiés personnelles. Dans sa réponse à la crise burkinabè, la Cedeao a manqué de professionnalisme, possible conséquence de l’absence de formalisation de ses activités de médiation.
L’implication de la Cedeao dans la gestion de la crise au Burkina Faso ne pouvait être que délicate, en raison du rôle central joué par le président Compaoré dans l’activité de l’organisation depuis plus d’une décennie. Depuis février 2012, le président de la Commission de la Cedeao est un Burkinabè, Kadré Désiré Ouédraogo, Premier ministre de Compaoré de 1996 à 2000, puis ambassadeur à Bruxelles de 2001 à 2012. Sans avoir jamais été un militant politique très actif au sein du régime, ce technocrate a toujours été un élément important du système Compaoré. Kadré Ouédraogo pouvait d’autant moins s’exprimer sur le projet de révision constitutionnelle de son ancien chef que ce dernier avait vigoureusement défendu sa candidature à la fonction la plus importante de la Cedeao.
A la suite du coup d’Etat de la garde présidentielle (RSP) le 16 septembre 2015, la Cedeao tergiverse et ne prend pas une position aussi ferme que celle de l’UA, qui condamne et sanctionne rapidement ses auteurs. Au lieu de l’isolement et de sanctions ciblées, la Cedeao choisit la médiation.
Enfin, les amitiés internes entre chefs d’Etat semblent avoir joué un rôle important dans l’incapacité de la Cedeao à agir plus fermement contre les putschistes. Des proches de Compaoré et du général Gilbert Diendéré, l’auteur du coup d’Etat, auraient activé leurs réseaux afin que ceux-ci exercent des pressions pour édulcorer la position de l’organisation.
Partie II: Les axes de la réforme institutionnelle
Les cas détaillés précédemment, en particulier la crise malienne, ont révélé les forces et les faiblesses actuelles de la Cedeao. L’organisation l’a elle-même bien compris puisque la Conférence des chefs d’Etat a demandé à la Commission de mener une auto-évaluation de l’action de la Cedeao au Mali, avec l’intention d’en tirer des leçons pour l’ensemble de l’architecture de paix et de sécurité régionale. La longue série de recommandations formulée en 2013 recouvre tous les domaines pertinents où des changements s’imposent. Ces propositions vont dans le bon sens et devraient être appliquées.
Le rapport terminé en 2013 à la suite d’un séminaire organisé par la Commission de la Cedeao est d’une grande lucidité sur les failles et les insuffisances du mécanisme de paix et de sécurité de l’organisation.
Il propose également que la Cedeao travaille de concert avec les autres communautés économiques régionales et l’UA afin de mieux définir les principes de «subsidiarité», d’«avantage comparatif» et de «partage des responsabilités».
Le rapport rappelle les difficultés de collaboration entre la Cedeao et l’UA et pré- conise l’établissement d’une ligne de communication directe, une «hotline», entre la présidence de la Commission de la Cedeao et la présidence de la Commission de l’UA. Il propose également que la Cedeao travaille de concert avec les autres communautés économiques régionales et l’UA afin de mieux définir les principes de «subsidiarité», d’«avantage comparatif» et de «partage des responsabilités».
Le rapport recommande par exemple que la Direction de l’alerte précoce et la Direction des affaires politiques se trouvent dans les mêmes locaux. La distance physique entre ces deux directions ne fait que matérialiser davantage la difficulté structurelle des différentes directions du Département des affaires politiques, de la paix et de la sécurité (PAPS selon l’acronyme anglais) à travailler ensemble.
Le document demande à la Cedeao d’accélérer, «sans retard supplémentaire», l’opérationnalisation de la Division de facilitation des médiations (Médiation Facilitation Division).
Parmi les nombreuses recommandations pour une amélioration de l’ESF, le rapport demande à la Cedeao de financer et d’équiper une force militaire spéciale de deux bataillons capable d’intervenir partout dans la région dans un délai maximal de 30 jours en cas d’urgence ; d’accélérer la réforme de la direction du maintien de la paix et de la sécurité régionale, en particulier par la création effective d’une division de soutien aux opérations de paix, à l’image des dispositifs existants à l’UA et à l’ONU ; et de créer un fonds consacré au soutien des opérations de paix, géré par le département chargé de conduire ces opérations, pour garantir la flexibilité, la discrétion et la réponse rapide aux situations d’urgence.
Le plan stratégique de la Commission de la Cedeao pour la période 2011-2015, rédigé lorsque la Commission était présidée par Mohamed Ibn Chambas, dresse un diagnostic sévère des faiblesses institutionnelles de l’organisation. Il est question de «manque de structures, de descriptions de postes, de rôles et de responsabilités bien définis», de «l’absence d’un système fonctionnel de suivi-évaluation», de «système de communication défaillant», de «manque de coopération entre les personnels et entre différents départements», de «ressources humaines insuffisantes, inadéquatement formées» et d’«absence de plans de formation».
Partie III: Les recommandations du rapport
Pour renforcer les institutions de la Cedeao, tout particulièrement dans le domaine de la paix et de la sécurité
A La Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de la Cedeao :
Réaffirmer le caractère prioritaire et irréversible de la mise en œuvre du projet de réforme institutionnelle proposé en 2013 visant à renforcer la capacité de l’organisation dans les domaines de la paix, de la sécurité, de la stabilité et du développement économique et social.
Au président du Nigéria :
Considérer la restauration de la diplomatie nigériane et de son influence en Afrique comme une priorité pour le gouvernement fédéral et faire de la redynamisation de la Cedeao un axe essentiel de cette diplomatie rénovée.
Au président de la Commission de la Cedeao :
Prendre des mesures immédiates visant à améliorer le fonctionnement des services, en réduisant les dysfonctionnements dans la gestion des ressources humaines, administratives et financières, et les blocages ou retards de mise en œuvre des décisions, qui résultent de la concentration des pouvoirs au niveau de la présidence de la Commission.
Pour renforcer l’efficacité de la Cedeao dans la poursuite de ses objectifs en matière de paix et de sécurité
A la Commission de la Cedeao :
Mettre en œuvre les recommandations de l’exercice d’auto-évaluation de la Cedeao après la crise au Mali conduit en 2013, notamment concernant l’opérationnalisation de la Division de facilitation des médiations et le réexamen de toutes les dimensions de la Force en attente de la Cedeao (doctrine, procédures opérationnelles, concept logistique et financements).
Aux organisations de la société civile des pays d’Afrique de l’Ouest :
Soutenir publiquement les recommandations formulées dans le cadre du projet de réforme institutionnelle de la Cedeao proposé en 2013, et établir une structure ad hoc de la société civile ouest-africaine pour effectuer le suivi indépendant de sa mise en œuvre.
Aux Etats membres de l’Union africaine et à la présidente de la Commission de l’Union africaine :
Clarifier les principes de subsidiarité, d’avantage comparatif et de partage des responsabilités afin de mettre fin aux tensions entre l’UA et la Cedeao lors de crises majeures en Afrique de l’Ouest et dans son voisinage
Aux partenaires internationaux de la Cedeao :
Soutenir la réforme institutionnelle de la Cedeao sans ingérence dans le processus, et poursuivre les projets d’assistance technique et financière tout en s’assurant qu’ils ne réduisent pas les incitations pour l’organisation à se réformer.
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