Dans le cadre du débat sur les systèmes de santé en Afrique de l’Ouest, WATHI s’est entretenu avec le Dr Falla Mané, président de l’Union des jeunes pharmaciens du Sénégal, pour discuter de la formation et de l’emploi des jeunes pharmaciens en plus des autres défis du secteur pharmaceutique. Il répond à nos questions dans cette seconde partie de l’entretien :
- Ne faut-il pas élargir la formation des pharmaciens à de nouvelles compétences pour renforcer leur rôle dans le contexte particulier des systèmes de santé africains ?
Tout ça est possible parce que ça se fait ailleurs. Aujourd’hui, aux Etats-Unis, on a des pharmaciens techniciens qui interviennent dans les structures sanitaires, dans la prise en charge des malades de manière assez pointue. Ils calculent le ratio alimentaire dont un patient a besoin et ils l’accompagnent dans la prise en charge. Au Canada, beaucoup ne font plus ce qu’on appelle les ordonnances magistrales, mais calculent au milligramme près le dosage dont le patient a besoin pour lutter contre sa maladie. Là-bas on trouve des pharmacies qui sont assez équipées pour fabriquer des médicaments pour leurs malades. Dans certains pays, on a pu déléguer au pharmacien d’officine les missions de vaccination et la prévention de certaines pathologies comme la grippe.
- Qu’est ce qui empêche de reproduire ces expériences au Sénégal en particulier et dans les autres pays africains ?
Au Sénégal, c’est une question de réglementation. Les missions du médecin, pharmacien, de chaque structure de santé sont définies par des textes. On ne peut pas y déroger. Pour les pharmaciens on a une mission de conseil. Quelqu’un qui vient en officine parce qu’il souffre de telle pathologie, on a l’obligation de l’accompagner avec certains médicaments pour le soulager et après le référer vers un médecin. Tu viens pour un rhume, la grippe, la fièvre, la douleur, là on peut te soulager en pharmacie mais jusqu’à un certain point seulement. Cependant il y a beaucoup de choses que les pharmaciens peuvent faire et que nous ne faisons pas ici.
C’est vrai que la formation de manière globale peut être incriminée parce que rien n’a évolué dans nos formations depuis les indépendances. Il y a eu une petite amélioration avec le système LMD (Licence-Master-Doctorat) sur la forme, mais sur le fond peu de choses ont changé. S’il y avait de véritables changements sur le fond, ça aurait dû nous permettre d’acquérir de nouvelles compétences, mais tel n’est pas le cas. Certains nous reprochent même le fait de nous plaindre de notre insertion alors que nous avons une formation de base et que nous devrions effectuer des formations complémentaires. Le problème c’est que cela implique que notre diplôme de Bac +6 ne suffit plus, et ça, ça n’est pas normal.
Chez nous, au moins 90 % des médicaments que nous consommons ne sont pas fabriqués dans le pays
Il y a des formations complémentaires dans le domaine de la qualité ou encore dans la logistique que tu dois acquérir après ton diplôme hors de la faculté de médecine si tu veux travailler dans certains secteurs. Parfois, tu dois même aller à l’étranger pour trouver ces formations. C’est la raison pour laquelle l’UJPS est en train de travailler sur un projet pour lister tous les postes qui peuvent être occupés par les pharmaciens dans les différents secteurs de la profession afin de relever quelles sont les compétences que requièrent ces postes-là.
Nous allons par la suite chercher des partenaires pour voir quels sont les diplômes qui dotent les pharmaciens des compétences spécifiques nécessaires. Nous mettrons nos résultats à la disposition de nos frères et sœurs pour les orienter. Nous allons voir si on peut avoir des mécènes pour accompagner les pharmaciens à faire les formations nécessaires. Cette démarche pourrait apporter une certaine diversité dans le milieu pharmaceutique au Sénégal.
- Vous parlez de la création d’industries pharmaceutiques et du développement des sous-secteurs de la pharmacie comme solution au chômage des jeunes pharmaciens ? Quelles sont les mesures à prendre pour encourager des réformes ?
Sur le plan industriel, je pense que c’est une question de réglementation parce que c’est un secteur très lourd en termes d’investissements et nous n’avons pas beaucoup de moyens dans le pays. La réglementation jusqu’à aujourd’hui impose que 51% du capital soit détenu par des pharmaciens, ce qui fait que les bailleurs de fond ne pouvaient pas intégrer ce secteur-là. En réalité, très peu de pharmaciens ont le potentiel pour disposer de 51% au minimum du capital d’une industrie pharmaceutique, cela a donc a été une barrière jusqu’à aujourd’hui.
Mais actuellement, on a vu qu’il y a le projet « Parenterus » qui vient de naître tout récemment, qui est une industrie pharmaceutique basée à Bayakh. Au-delà de « Parenterus », il y a deux autres projets initiés par des pharmaciens qui devraient démarrer très bientôt. C’est le début de quelque chose de nouveau parce que jusqu’à présent les unités de fabrication basées au Sénégal n’appartenaient jamais à des Sénégalais hormis Valdafrique.
S’il y a une volonté politique ferme, on peut avoir des unités industrielles qui nous sont propres
Il faut que l’Etat soutienne les entrepreneurs locaux avec une réglementation plus favorable mais également qu’il puisse les accompagner par la dotation de moyens. Au Maroc c’est ce qu’ils ont fait. D’ailleurs, il y a beaucoup de laboratoires marocains qui s’installent au Sénégal alors que beaucoup de Marocains se sont formés ici. Il me semble que c’est à Casablanca que le roi a offert un espace pour le développement des industries pharmaceutiques, en facilitant l’installation des bailleurs.
Chez nous, au moins 90 % des médicaments que nous consommons ne sont pas fabriqués dans le pays, alors qu’au Maroc au moins 70% des médicaments consommés sont produits localement. Là-bas, c’est une volonté politique qui a facilité l’encadrement de ce secteur et l’installation des bailleurs de fond et des investisseurs.
- L’Etat est-il assez puissant pour engager des réformes face au lobbying de l’industrie pharmaceutique internationale ?
Je considère que l’Etat est assez fort. Vous savez pourquoi ? Je travaille pour un laboratoire étranger d’une grande envergure sur le plan international mais, paradoxalement, le marché africain n’est pas un marché qui est réellement important pour eux. Le marché africain ne les préoccupe pas encore parce que nous n’avons pas encore les moyens. Nous n’avons pas de bonnes assurances, tout le monde ne se soigne pas à temps, tout le monde n’a pas les moyens de se soigner. Malgré tout ce que nous voyons comme médicaments qui circulent dans les pharmacies, c’est très infime par rapport à ce qui se fait dans d’autres pays. C’est à nous de développer notre marché.
- Est-ce à dire que le contexte actuel est plutôt favorable à ce qu’on développe l’industrie pharmaceutique locale ?
Exactement. S’il y a une volonté politique ferme, on peut avoir des unités industrielles qui nous sont propres. Les firmes pharmaceutiques sont tellement puissantes que certaines ont des budgets qui dépassent les budgets de nos pays. Ils ne vont pas venir et mettre beaucoup d’argent dans nos pays parce qu’ils ont l’œil ailleurs. Je donne l’exemple du laboratoire où je travaille que je connais très bien. Il y a deux pays, la Turquie et l’Arabie Saoudite, dans lesquels les chiffres d’affaires que le laboratoire fait sont quarante fois plus élevés que le chiffre d’affaires du laboratoire dans toute l’Afrique.
Le marché africain n’est pas si important pour ces firmes, ce qui explique que parfois nous avons parfois des ruptures de produits. C’est le cas par exemple du « Célestène ». Ce qui se passe avec le laboratoire qui produit ce médicament, c’est qu’il a atteint son niveau maximal de production du principe actif et ne peut donc pas dépasser le niveau de ce qu’il produit actuellement. Mais la demande est plus forte que le niveau de production. Alors ils décident d’approvisionner certains pays aux dépens d’autres, c’est-à-dire les pays les plus faibles. C’est ce qui explique que ce médicament soit souvent en rupture de stock dans les pharmacies sénégalaises.
- Comment voyez-vous la place du pharmacien dans le système de santé ?
Dans le système de santé sénégalais, le pharmacien est sous-coté et il n’est pas pris en compte. Il y a deux ans nous sommes partis voir le directeur des ressources humaines du ministère de la santé pour lui faire part de nos préoccupations en mettant sur la table le fait que l’essentiel des districts sanitaires du pays ne disposaient pas de pharmacien. Il nous a expliqué que dans un passé récent les pharmaciens ne voulaient pas de la fonction publique et préféraient le secteur privé.
C’est la raison pour laquelle, à un moment donné, dans leur politique de recrutement, ils ne prenaient plus beaucoup en compte les pharmaciens. Le problème c’est que pour n’importe quel professionnel qualifié, que ce soit pour un médecin, un pharmacien, un infirmier ou une sage-femme, si vous ne le mettez pas dans les conditions optimales qui lui permettent de faire carrière dans son secteur, il ne va pas rester. Aussi, si l’Etat veut que le pharmacien intègre le système sanitaire sénégalais, il doit le prendre en compte et l’accompagner de manière efficiente.
- Vous dites avoir fait des propositions pour améliorer la situation. Quelles sont-elles ?
Nous avons fait cinquante recommandations dans un mémorandum sur la profession pharmaceutique. Sur la formation et les compétences, nous avons fait la remarque que le défaut de compétences pratiques des jeunes pharmaciens est incriminé par beaucoup d’employeurs. Mais nous pensons que celui qui est diplômé a été sanctionné positivement par ses maitres avec l’octroi d’un doctorat et ne peut donc être tenu pour responsable d’un défaut de compétences. C’est la formation qu’il a subi qu’il faut en elle-même renforcer si on pense qu’il y a un défaut de compétences.
Il faut exiger davantage de rigueur dans l’encadrement des étudiants stagiaires, institutionnaliser l’encadrement de thèse au-delà de l’objectif spécifique de la recherche et ouvrir l‘internat à d’autres filières que la biologie
Sur cette base, nous avons recommandé qu’il faille adapter l’offre de formation aux exigences du marché de l’emploi pour les secteurs classiques de la pharmacie. Cela suppose d’établir un inventaire des compétences requises pour chaque secteur ainsi qu’un élargissement du stage pratique dans d’autres secteurs, comme par exemple chez les grossistes répartiteurs. Il faut exiger davantage de rigueur dans l’encadrement des étudiants stagiaires, institutionnaliser l’encadrement de thèse au-delà de l’objectif spécifique de la recherche et ouvrir l‘internat à d’autres filières que la biologie car ce sont les pharmaciens internes qui vont le plus s’orienter dans le secteur de la biologie. Il faut aussi créer un fonds d’appui à la formation du pharmacien permettant aux jeunes diplômes de se doter d’autres compétences spécifiques après leur doctorat leur permettant d’être efficients dans un secteur déterminé.
Un autre problème est le fait que l’inscription à l’ordre des pharmaciens puisse être parfois refusée aux jeunes diplômés, ce qui ne se voit dans aucune autre profession. Nous disons qu’il y a deux principes majeurs qui doivent être implémentés : la reconnaissance du titre de tout pharmacien diplômé et l’inscription à l’Ordre de tout pharmacien exerçant du seul fait de l’obtention de son diplôme. Les membres de l’Ordre, eux, disent qu’ils ne prennent en compte un pharmacien qu’à partir du moment où il exerce dans un secteur purement pharmaceutique. Quand tu es pharmacien diplômé et que tu exerces dans d’autres secteurs, ils disent que ce n’est pas un acte pharmaceutique et ils n’acceptent ton inscription à moins que tu sois pharmacien responsable de la boite où tu es. C’est très problématique !
Nous avons aussi fait des recommandations concernant la faiblesse de l’offre d’emploi, la difficulté d’ouvrir une officine de pharmacie ou encore la viabilité des officines, et à la fin du document nous avons dégagé des perspectives. Nous avons travaillé sur ce document pendant pratiquement un mois et demi malgré la faiblesse de nos moyens. Le problème reste que dans nos pays, on réfléchit, on fait des propositions mais c’est difficile de les faire mettre en œuvre.
- Hormis les problèmes des pharmaciens, quel regard portez-vous sur les faiblesses du système de santé sénégalais ?
L’accessibilité aux soins de santé est la première chose sur laquelle tout le monde doit travailler. Quand un Sénégalais est malade, il doit pouvoir se faire soigner dans l’espace où il réside. Je parle avant tout d’accessibilité géographique, c’est important. Après, il y a l’accessibilité financière. Au Sénégal, on n’a pas cette culture de l’assurance, toute la population n’a pas une prise en charge. L’Etat devrait créer les conditions pour permettre à tout Sénégalais qui est malade, de se soigner. Je parle de l’accessibilité financière du médicament mais aussi celle des structures sanitaires qui donnent des soins de qualité et des soins spécialisés. Cela nous fait défaut parce qu’il n’y a pas assez de spécialistes au Sénégal du fait d’une formation qui fait défaut.
On a remarqué que dernièrement le ministère de la santé commence à faire des efforts en dotant plus de bourses aux médecins qui veulent faire certaines formations de spécialisation. Mais il faut que ces formations soient ouvertes et il faut permettre aux jeunes Sénégalais d’y avoir accès.
Quand un Sénégalais est malade, il doit pouvoir se faire soigner dans l’espace où il réside
J’ai été président des étudiants de la faculté de médecine de Dakar et je peux vous dire que le constat qu’on avait fait est qu’il y a des formations de spécialisation où il y a plus d’étrangers que de Sénégalais. Cette situation pose vraiment problème. Elle est due au fait que les Sénégalais payent une inscription qui n’est pas aussi importante que celle des étrangers, et donc faire venir des étrangers permet à l’établissement de renflouer ses caisses. Néanmoins, sur le plan de la santé publique, notre population a de vrais besoins, comme des néphrologues, des cardiologues, des orthopédistes, des chirurgiens, ou encore des diabétologues. Il faut que l’Etat investisse des moyens dans ces spécialisations pour que les jeunes qui sortent puissent être orientés dans ces secteurs-là.
Notre système sanitaire est malade. Aujourd’hui, le plus grand travail dans les hôpitaux est fait par ceux qui sont en formation, comme des étudiants de septième année. Le Sénégalais lambda qui vient ne sait pas que ceux qui sont en train de le consulter, ce sont des jeunes en formation. On ne peut pas douter de leurs compétences parce qu’ils sont à un niveau d’études élevé ou parfois ils sont même en train de suivre une formation de spécialisation, ils sont déjà médecins. Mais le constat qu’on fait c’est qu’ils ne sont pas bien accompagnés.
Lorsque j’étais à la faculté et que je participais aux instances de décision, j’avais plaidé pour que les étudiants soient remboursés de leurs frais de stage. Je peux vous jurer qu’il y a des étudiants qui prennent en charge des malades à l’hôpital mais n’ont pas l’argent pour rentrer chez eux! Dans leur formation, c’est une obligation de faire beaucoup de services et c’est à eux qu’on va confier des malades. Ils ne sont pas bien accompagnés, on ne sait pas s’ils mangent à leur faim.
Le problème est que quand on est pas bien accompagné, on ne fait pas le travail comme on devrait. Ça peut faire partie des raisons pour lesquelles il y a certaines dérives dans nos structures sanitaires. L’Etat devrait être un peu plus regardant par rapport à ces problèmes et faire en sorte que tout étudiant en médecine, à partir de la septième année, puisse bénéficier d’une bourse d’accompagnement au-delà de la bourse universitaire.
Crédit photo : Sahel Intelligence
Dr Falla Mané est le président de l’Union des jeunes pharmaciens du Sénégal. Il est diplômé de la faculté de médecine de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar.
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Merci président