Dans cet entretien, le docteur Hodé Luphin, neurochirurgien, est revenu sur les difficultés qui entravent le bon fonctionnement du système de santé au Bénin, notamment la vétusté des hôpitaux, le déficit de médecins et les raisons qui l’expliquent, le manque d’organisation des systèmes de soins. Il nous parle également de la suspension du droit d’exercer dans le public et le privé et de l’importance pour les populations de recourir aux assurances pour une meilleure prise en charge. Il souligne la nécessité d’une politique de santé globale efficace et préventive.
Extraits de l’entretien
Je ne pense pas être le mieux placé pour parler des difficultés du système de santé au Bénin de façon générale, car je ne peux qu’avoir une vision par rapport à ma spécialité. Vous allez interroger un gynécologue qui n’aura pas du tout les mêmes problèmes ou les mêmes défis que moi, un cardiologue non plus. Donc il est difficile pour un médecin surtout un spécialiste d’avoir une idée globale sur le secteur de la santé.
Mais je peux parler du secteur de la santé au Bénin par rapport à la neurochirurgie. Il faut avoir à l’esprit que l’organisation du système de santé au Bénin est pyramidale, avec les hôpitaux périphériques, les hôpitaux de zone et l’hôpital de référence. Notre hôpital de référence, le Centre hospitalier universitaire Hubert Maga, a été construit en 1962. Le pays avait un ou peut-être deux millions maximum d’habitants. Actuellement, nous sommes à 10 millions dans le pays et c’est le même hôpital avec les mêmes dimensions que lorsque nous étions à 2 millions. Donc vous comprenez qu’il ne peut répondre aux besoins de tous les Béninois.
C’est la même chose pour la plupart des hôpitaux de zone. Ils ont été construits il y a longtemps. La population a changé. Les défis de la santé ont totalement changé. Il y a de nouvelles maladies émergentes que nous voyons de plus en plus. Est-ce que ces hôpitaux ont suffisamment de moyens techniques pour répondre à ces défis ? Il est évident que non.
Il faut avoir à l’esprit que l’organisation du système de santé au Bénin est pyramidale, avec les hôpitaux périphériques, les hôpitaux de zone et l’hôpital de référence
Maintenant, si je prends le domaine de la neurochirurgie, actuellement au Bénin nous sommes neuf neurochirurgiens, ce qui fait un neurochirurgien pour à peu prés un million d’habitants, alors que la norme établie est de un neurochirurgien pour 200.000 habitants dans les pays occidentaux. Donc nous avons une charge en principe cinq fois plus élevée.
Dans la pratique, ce n’est pas le cas du fait que tous les Béninois ne vont pas vers les hôpitaux et parmi ceux qui arrivent, tous n’ont pas les moyens pour arriver à une prise en charge chirurgicale. Les torts sont partagés. Il y a un problème culturel, certains malades préfèrent aller vers les plantes pour se soigner. Mais il y a aussi un problème d’organisation des soins. Quoi que l’on puisse dire, il faut savoir que les soins ont un coût. Les populations doivent s’organiser avec l’aide de l’Etat pour souscrire à des assurances.
La survenance des maladies dites émergentes
Nous sommes dans une phase de transition, la plupart des maladies infectieuses ou parasitaires sont de plus en maitrisées. Les maladies non transmissibles telles que le diabète, le cancer, l’accident vasculaire cérébral, qui représentent les nouveaux défis sont plus facilement diagnostiquées parce que nous disposons de moyens plus importants d’investigations.
Maintenant, si je prends le domaine de la neurochirurgie, actuellement au Bénin nous sommes neuf neurochirurgiens, ce qui fait un neurochirurgien pour à peu prés un million d’habitants
Toutefois, on n’a pas de statistiques fiables pour en parler. En dehors de cela, les affections les plus fréquentes sont les affections traumatiques. Nous recevons environ 500 à 600 cas de traumatismes par an. Il faut avoir de nouvelles réponses à tous ces cas.
La politique de prévention de ces maladies
Le ministère a un département qui s’occupe des maladies non transmissibles avec quelques études initiées pour mesurer l’ampleur. Il y a de la sensibilisation avec la journée du diabète et de l’accident vasculaire cérébral. Après, il reste à savoir si les messages passent au niveau des populations. Nous pouvons dire qu’il y a quand même une ébauche de politique de sensibilisation même si elle ne répond pas efficacement.
La disponibilité des professionnels de la santé
Nous faisons face à un déficit de médecins et à une disponibilité limitée. Les responsabilités sont multiples. Il y a d’abord le problème des plages horaires parce qu’il n’y a pas suffisamment de salles pour les consultations. Du coup, les acteurs ne donnent pas le maximum d’eux-mêmes parce que les structures ne suivent pas. Les hôpitaux fonctionnent dans des conditions difficiles.
Les maladies non transmissibles telles que le diabète, le cancer, l’accident vasculaire cérébral, qui représentent les nouveaux défis sont plus facilement diagnostiquées parce que nous disposons de moyens plus importants d’investigations
Ensuite, si certains acteurs préfèrent rester à l’extérieur, c’est parce que le système n’est pas bon. Si on leur propose mieux ailleurs aussi bien financièrement qu’au niveau de l’organisation des services, c’est normal qu’ils ne souhaitent pas rentrer servir au pays. Je suis resté deux ans (après mon retour au Bénin) avant d’avoir un bureau, donc tout cela fait que les médecins préfèrent ne pas venir ici.
Sur la décision du gouvernement béninois de suspendre le droit pour les médecins d’exercer dans le public et le privé en même temps. Cette suspension a le mérite de clarifier les choses, parce qu’il y a des médecins qui sont dans le secteur public mais passent 99% de leurs temps dans le privé. Certains médecins ont des structures privées qu’ils cherchent à rentabiliser. Cependant, la décision du gouvernement a d’autres conséquences.
Tous les malades qui étaient consultés dans le privé reviennent vers le public pour voir les mêmes médecins. L’afflux est de plus en plus important, ce qui prolonge les temps de prise en charge et diminue l’efficacité de la prise en charge. La situation risque de ne pas être tenable sur le long terme.
Le plateau technique en neurochirurgie au Bénin est très bon. On n’a rien à envier à aucun hôpital en Afrique de l’Ouest
Si cette suspension n’est pas levée, le plus gros risque est que les compétences quittent le public pour aller vers le privé. Les rémunérations offertes par l’Etat sont largement insuffisantes et pour une profession qui est libérale à la base, les gens ne devraient pas avoir cette contrainte. Si c’est juste le temps de clarifier, tant mieux, sinon c’est la population qui risque de plus y perdre.
La situation en ce qui concerne la neurochirurgie
Nous enregistrons beaucoup de patients pour ce qu’on appelle la neuro-traumatologie, c’est-à-dire tout ce qui est traumatisme crânien et traumatisme vertébral. Mais la plupart des patients sont enregistrés aux phases de l’exploration et du diagnostic qui sont des étapes. Peu d’entre eux arrivent à la prise en charge en chirurgie. Il y a plusieurs paramètres qui limitent l’acceptation de cette chirurgie.
Un patient à qui on a diagnostiqué par exemple une sciatique, qui est une maladie douloureuse, quand on lui explique que pour le traiter, il faudrait un traitement chirurgical, il ne comprend pas et a souvent peur qu’on puisse traiter un nerf (peur de la paralysie). C’est la première barrière.
Cette suspension a le mérite de clarifier les choses, parce qu’il y a des médecins qui sont dans le secteur public mais passent 99% de leurs temps dans le privé
La deuxième barrière, c’est le coût de cette chirurgie. Il est souvent un peu plus élevé que celui des autres opérations chirurgicales en raison de sa délicatesse. Elle demande également beaucoup plus de moyens techniques. Ce sont ces deux facteurs qui essentiellement limitent le nombre de patients en neurochirurgie, sinon il y a quand même de l’activité.
Le plateau technique en neurochirurgie au Bénin est très bon. On n’a rien à envier à aucun hôpital en Afrique de l’Ouest. J’ai fait plusieurs hôpitaux en Afrique de l’Ouest, j’ai été formé au Sénégal, je sais ce qu’ils ont en Côte d’Ivoire, au Togo… Même des chirurgiens de renommée internationale viennent opérer ici sans aucun souci technique.
Le délai de prise en charge, un problème majeur
Pour conclure, je souhaiterais aborder le problème lié au délai de prise en charge pour la neurochirurgie. Ce délai est de façon conventionnelle de 6 heures à 24 heures après le traumatisme. C’est ce délai qui, lorsqu’il est respecté, permet une prise en charge optimale.
Dans notre système de soins, cela constitue un défi. Le délai dépasse souvent les cinq jours avant que le patient ne puisse être opéré. Il est ainsi donc quasi impossible d’avoir les mêmes résultats en termes de réussite de la chirurgie que dans les pays développés. Cette situation est due aux coûts de la prise en charge allant de l’ambulance au scanner, qui sont difficilement supportés par les victimes et leurs familles. Je lance un appel aux populations à mieux s’organiser avec l’aide de l’Etat pour souscrire aux assurances afin d’éviter les complications pour assurer les coûts de la prise en charge.
Source photo : rfi.fr
Docteur Hodé Luphin est spécialiste en neurochirurgie au Centre national hospitalier universitaire Hubert Maga de Cotonou depuis juillet 2012. Il a été formé notamment à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar et à l’Université de Strasbourg en France.