Auteur(s) : Gilles Dussault, Laurence Codjia, Pascal Zurn, Valéry Ridde
Année de publication : 2018
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Depuis l’adoption par la communauté internationale des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) en 2000, des progrès importants ont été accomplis dans le secteur de la santé. En Afrique subsaharienne, la baisse du taux de mortalité infantile a été de 52% et celui de mortalité maternelle de 49 %. Ces estimations d’ensemble cachent toutefois des variations importantes. Par exemple, en 2015, le taux de mortalité maternelle était de 856 pour 100000 naissances vivantes au Tchad, mais de 315 pour 100000 naissances vivantes au Bénin. Au sein d’un même pays, des variations existent également, entre les zones urbaines et les zones où l’accès aux services de santé infanto-maternelle et à des conditions de vie meilleures n’est pas assuré. Il suffit par exemple de relever les différences entre le Nord et le Sud dans des pays comme le Mali ou le Niger.
Dans le secteur de la santé, les acteurs de la coopération internationale ont progressivement réalisé que l’accès aux services n’était pas qu’une question monétaire, et renvoyait aussi à la disponibilité de personnel qualifié
Cet article d’introduction fait d’abord un bref état de la situation des ressources humaines en santé dans les pays à faible revenu en général et en Afrique subsaharienne plus spécifiquement. La problématique de l’adéquation de la formation avec les besoins de personnel des services de santé, les mécanismes permettant leur recrutement, leur déploiement et leur fidélisation dans les milieux ruraux pour l’atteinte des objectifs de santé et de développement durable y sont abordés. Ensuite, nous présentons le cadre dans lequel les études de ce numéro ont été réalisées, à savoir, l’initiative du Fonds Muskoka pour réduire la mortalité maternelle et infantile dans neuf pays francophones (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée, Mali, Niger, Sénégal, Tchad, Togo).
État de la situation des ressources humaines pour la santé dans les pays à faible revenu
Au moment de l’adoption des OMD, la mobilisation de ressources financières était perçue comme la première priorité pour atteindre ces objectifs. Dans le secteur de la santé, les acteurs de la coopération internationale ont progressivement réalisé que l’accès aux services n’était pas qu’une question monétaire, et renvoyait aussi à la disponibilité de personnel qualifié. Un rapport commandé par la Fondation Rockefeller a sonné l’alarme en 2004 en montrant que l’insuffisance d’effectifs sanitaires était l’obstacle principal au progrès vers l’atteinte des OMD de santé.
Plus récemment, l’Assemblée mondiale de la santé a adopté le document Ressources humaines pour la santé : stratégie mondiale à l’horizon 2030 qui établit à 4,2 millions, le besoin d’effectifs supplémentaires en Afrique. Alors que les besoins sont en croissance en raison de l’augmentation des maladies non-transmissibles et chroniques et de la persistance des maladies transmissibles, la situation ne peut que s’aggraver à moins d’un investissement considérable dans la capacité de production d’effectifs additionnels formés selon des normes de qualité irréprochable. Cela devra s’accompagner de mesures pour convaincre les nouveaux professionnels de rester dans leur pays et éviter qu’ils ne partent chercher de meilleures conditions de travail ailleurs, mais aussi pour favoriser leur déploiement dans les zones rurales.
Un Code de bonne pratique en matière de recrutement international des personnels de santé a bien été adopté en 2010 par l’Assemblée mondiale de la santé pour amener, tant les pays destinataires que les pays d’origine, à limiter les effets négatifs des migrations. Il était temps d’agir car par exemple, le nombre de médecins formés en Afrique du Sud et pratiquant au Canada avait augmenté de 60% entre 1993 et 2003 et ceux formés au Nigéria avaient triplé au cours de la même période.
En 2017, 900 médecins en provenance de six pays Africains francophones (Bénin, Congo, Côte d’Ivoire, Mali, Sénégal, Togo) étaient inscrits à l’Ordre des médecins en France. Ce nombre est faible au regard du nombre total de médecins en France, mais pour les pays d’origine, il représente une perte significative. Un effort supplémentaire reste à faire pour que ce code de bonne pratique soit mieux connu et appliqué dans la plupart des pays concernés tant par les départs que par l’arrivée des professionnels de santé.
En 2016, le rapport de la Commission de haut niveau sur l’emploi en santé et la croissance économique, a estimé que le déficit en personnels de la santé serait de 18 millions pour mettre en oeuvre la couverture universelle de la santé d’ici 2030. En outre, ce déficit se concentrerait principalement dans les pays à faible revenu. Au-delà des chiffres, la Commission met aussi l’accent sur la nécessité de transformer la formation des personnels pour l’adapter aux besoins changeants des populations. Elle insiste aussi sur l’importance d’offrir des conditions de travail décentes pour favoriser le recrutement et la fidélisation de ces personnels.
Depuis 2011, les partenaires de l’initiative Muskoka ont soutenu l’accréditation d’écoles de formation et l’harmonisation des curricula de formation en Afrique de l’Ouest
Ce rapport avance que des solutions sont possibles pour surmonter ce déficit en ressources humaines pour la santé. Parmi elles, citons une meilleure efficacité dans la gestion des personnels de santé existants par une prise de décision basée sur des analyses de données fiables, des politiques de formation, incluant la mise en place de mécanismes d’assurance de qualité, comme l’accréditation des programmes et des institutions de formation, des mécanismes d’insertion dans la vie professionnelle des nouveaux diplômés, une répartition des tâches plus efficiente par l’expansion des champs d’exercice des infirmiers, pharmaciens et autres cliniciens non-médecins, et des systèmes d’incitations qui favorisent un déploiement plus équitable des personnels entre les divers niveaux de services, plus cohérent avec la distribution géographique des populations.
C’est dans ce contexte que le Comité régional de l’OMS en Afrique a adopté en 2017 un cadre de mise en oeuvre de la stratégie mondiale des personnels de la santé d’ici 2030. L’objectif de cette feuille de route est d’orienter les efforts des États membres dans la réalisation des investissements dans les ressources humaines pour l’atteinte des Objectifs de développement durable et de la Couverture sanitaire universelle.
Le Fonds français Muskoka
Lors du sommet du G8 de juin 2010, tenu à Muskoka au Canada, la France s’est engagée à augmenter sa contribution à la santé reproductive, maternelle, néonatale et infantile (SRMNI) de 500 M€ additionnels sur la période 2011-2015 dont 95 M€ sur cinq ans pour soutenir le travail conjoint de quatre agences des Nations Unies -l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), l’ONU Femmes, le Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA) et le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF). Ce mécanisme de financement a été prolongé de trois ans en 2015.
Dans le cadre de cette contribution supplémentaire, le Fonds Français Muskoka (FFM) a été à l’origine de la création d’un mécanisme innovant de coordination et d’appui technique par ces quatre agences des Nations Unies. L’objectif était de contribuer de façon synergique à la réduction de la mortalité et la morbidité maternelles, néonatales et infanto-juvéniles dans les pays cibles, grâce à la mise en oeuvre d’une série d’interventions sur les systèmes de santé.
S’agissant des ressources humaines, ces interventions ont ciblé le plaidoyer en faveur de l’investissement en matière de personnels de santé, d’une prise de décision mieux informée dans le recrutement, le déploiement, l’amélioration de la qualité de la formation des sages femmes, et le renforcement de la qualité des services produits par le personnel de santé maternelle et infantile.
Depuis 2011, les partenaires de l’initiative Muskoka ont soutenu l’accréditation d’écoles de formation et l’harmonisation des curricula de formation en Afrique de l’Ouest. Dans la plupart des pays d’Afrique francophone, la capacité de produire des personnels de santé s’est nettement améliorée, en particulier dans les grandes villes. Toutefois, il s’avère que la capacité des pays à absorber les flux annuels de diplômés reste insuffisante.
Les cas du Burkina Faso, de la Côte d’Ivoire et du Niger montrent une absence de politiques de formation, de recrutement ou de déploiement des ressources humaines en appui à la poursuite de l’objectif de couverture sanitaire universelle
Des pays comme le Burkina Faso et le Mali ont progressé vers la formulation de politiques intégrées, couvrant tant la formation que le recrutement et le déploiement. Ailleurs, ces questions font plutôt l’objet d’interventions ponctuelles et isolées, alors qu’il est démontré que pour être efficaces, elles doivent être multiformes et viser toutes les dimensions des problèmes. De façon générale, on observe un manque de données fiables sur les effectifs disponibles et peu de connaissances valides sur les facteurs qui influencent la dynamique du marché du travail en santé, à savoir des flux d’entrées et de sorties du marché et des choix d’orientation professionnelle et d’installation. Faute de telles connaissances, les interventions peuvent difficilement produire le résultat recherché d’amélioration de la qualité et de l’accessibilité des ressources humaines en santé.
La question de l’attraction des personnels de santé dans les zones rurales, isolées, pauvres et de leur fidélisation, se pose partout dans le monde, du Nord au Sud. En Afrique subsaharienne, elle est d’une acuité particulière, compte tenu du faible nombre de prestataires de soins disponibles. Les cas du Burkina Faso, de la Côte d’Ivoire et du Niger montrent une absence de politiques de formation, de recrutement ou de déploiement des ressources humaines en appui à la poursuite de l’objectif de couverture sanitaire universelle.
Chacun de ces trois pays souffre d’un problème de faible accessibilité des populations rurales et pauvres à des soins de qualité prodigués par du personnel sanitaire qualifié et supervisé. Les facteurs explicatifs de la difficulté de certains médecins, infirmiers et sages-femmes à s’installer en zones mal desservies sont quasiment les mêmes que dans les pays à revenus plus élevés : le manque d’infrastructures, d’équipements et de conditions de vie adéquates, l’éloignement de la famille, la crainte de l’isolement professionnel, l’absence d’incitations financières et non-financières comme l’accès à la formation continue ou à un statut de fonctionnaire.
Quant aux facteurs qui encouragent le choix de travailler dans ces zones, ce sont aussi sensiblement les mêmes : accéder plus rapidement à un poste à responsabilité, acquérir de l’expérience, bénéficier de la reconnaissance sociale des communautés. Les facteurs de résistance tendent à être plus forts que ceux d’attraction. La connaissance plus fine de ces facteurs doit pouvoir être utile à la formulation des politiques et des interventions en mesure de répondre aux attentes des prestataires de soins.
Implications pour les politiques et pour la recherche
Les études conduites dans le cadre du projet Muskoka exposent que la qualité de la formation des personnels de santé dépend de la mise à disposition d’infrastructures, de ressources pédagogiques, de formateurs de qualité et de la mise en oeuvre de programmes conduisant à la maîtrise des compétences qui permettent de répondre efficacement aux besoins, précisément des mères et des enfants. Cela suppose une volonté politique d’investir, qui n’est pas toujours présente.
Il faut peut-être aussi s’interroger sur les stratégies de transfert des connaissances dans le domaine des ressources humaines, autrement dit sur les processus qui conduisent les chercheurs à produire des travaux utiles et pertinents pour les décideurs mais aussi sur les conduites des responsables des politiques qui doivent tenir compte, notamment, des données probantes disponibles pour prendre leurs décisions. Or, nous savons encore peu de choses sur l’efficacité de ces stratégies de transfert des connaissances tout comme elles sont encore très rarement mises en oeuvre de manière explicite dans les pays d’Afrique francophone. Le Burkina Faso vient de se doter d’une unité de gestion et de transfert des connaissances directement rattachée au cabinet du Ministre de la santé, stratégie novatrice qu’il faudra évaluer.
Les chercheurs doivent être mieux formés à partager leurs résultats et les décideurs à mieux les comprendre et les utiliser. Cependant, on doit absolument multiplier les stratégies interactives entre ces deux mondes pour que les rencontres soient efficaces car la volonté politique n’est pas suffisante. Elle doit s’accompagner de l’utilisation de données probantes adaptées aux contextes de chaque pays. Autrement dit, il devient urgent de s’intéresser à la science de l’utilisation de la science en Afrique francophone.
Par ailleurs, il ne suffit pas de bien former les futurs prestataires de soins ; il faut en former un nombre suffisant et les rendre accessibles et disponibles là où leurs services sont requis. Une autre leçon, elle aussi peu nouvelle mais importante à rappeler, est que les interventions ponctuelles et isolées ont peu de chances de produire des effets durables. Par exemple, introduire des incitations financières pour attirer des personnels dans les zones mal desservies, sans tenir compte des autres facteurs de motivation qui appellent des incitations de nature professionnelle, de renforcement du système de santé ou de conditions de vie, risque de n’avoir que peu de résultats.
Les facteurs qui influencent les décisions d’installation des nouveaux diplômés des programmes de formation des professionnels de santé sont désormais amplement étudiés et connus et ne peuvent donc plus être ignorés au moment de définir des interventions pour rendre le déploiement plus équitable. Le Rapport sur la santé dans le monde 2013 rappelait combien la recherche est essentielle pour soutenir les efforts visant à atteindre la couverture universelle en santé.
Les pays africains devront investir plus et mieux dans la formation et la création de l’emploi des jeunes diplômés en santé pour répondre à la pénurie des personnels de la santé d’ici 2030
L’identification de ces facteurs montre que de telles interventions ne dépendent pas du seul secteur de la santé, mais exige la collaboration des secteurs de l’éducation, de la fonction publique, de la planification et surtout des finances. Il est donc important d’utiliser une approche multisectorielle et d’avoir une bonne connaissance du marché du travail des personnels de santé pour concevoir des politiques efficaces. Les chercheurs en économie du travail ne collaborent peut-être pas suffisamment avec ceux en ressources humaines et santé publique.
Dans les pays cibles de l’initiative Muskoka, en 2015, les dépenses publiques de santé varient entre 3 et 7% du budget de l’État et ne dépassent pas 2 % du Produit Intérieur Brut. Seuls deux des neuf pays dépensent plus de 100 USD per capita en santé – en parité de pouvoir d’achat, soit la Côte d’Ivoire 190 et le Mali 118. La part du budget de l’État et de la richesse nationale consacrée au secteur de la santé laisse peu de marge pour investir dans la formation, le recrutement et le déploiement. En 2001, l’ensemble des pays de la Région Afrique de l’OMS s’étaient pourtant engagés à dépenser à au moins 15%. de leur budget pour la santé (Déclaration d’Abuja 2001), un objectif encore loin d’être atteint.
Les pays africains devront investir plus et mieux dans la formation et la création de l’emploi des jeunes diplômés en santé pour répondre à la pénurie des personnels de la santé d’ici 2030. Des investissements plus importants sont nécessaires pour créer des emplois décents dans le secteur de la santé, pour assurer la couverture universelle de la santé, pour contribuer à maîtriser le flux des candidats à l’immigration et plus généralement réduire la pauvreté. Le renforcement des systèmes de santé et l’amélioration de leur accessibilité financière et géographique doivent évidemment être concomitants à cet effort sur les ressources humaines, car ce sont deux faces d’une même pièce.
Les pays francophones d’Afrique, en général, ont pris conscience de la nécessité d’investir dans les ressources humaines de la santé pour mettre en oeuvre la couverture sanitaire universelle. Par exemple, à la suite des études réalisées grâce au Fonds français Muskoka, les huit pays de l’Union Économique Monétaire de l’Afrique de l’Ouest (UEMOA : Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo) ont développé des plans d’investissement en faveur des personnels de santé afin de développer des mécanismes innovants de mobilisation des ressources financières intérieures et extérieures.
La couverture sanitaire universelle passe notamment par la réduction de la participation financière des usagers, l’extension des services de santé aux personnes encore non couvertes ainsi que la fourniture de nouveaux services de santé. Mais ces trois stratégies n’auront de sens que si les services de santé disposent de personnels qualifiés, disponibles, accessibles, supervisés et accueillants. Pour cela, les pays d’Afrique francophone doivent poursuivre leurs efforts sans relâche et nous pensons que les données présentées dans ce numéro hors-série seront d’une utilité indéniable, non seulement parce qu’elles sont tirées d’une recherche de qualité mais aussi car elles sont accessibles en français, ce qui est rare, et donc à saluer !
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