Auteurs: Barthélemy Blédé, André Diouf et Pascaline Compaoré
Organisation affiliée: Institut d’Etudes de Sécurité (ISS)
Type de publication: Rapport
Date de publication: 2015
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Introduction
Ouvert sur l’océan atlantique, le Sénégal est doté d’une façade maritime de 718 kilomètres et d’un plateau continental naturel large d’environ 100 kilomètres. Le pays est également arrosé par trois grands fleuves et bénéficie de conditions climatiques favorables à la pêche. Ces atouts naturels participent à faire du Sénégal le deuxième grand producteur de poisson en Afrique de l’ouest avec des captures annuelles avoisinant les 450 000 tonnes, derrière le Nigéria (530 000 tonnes) et devant le Ghana (344 000 tonnes).
Le poisson contribue à la sécurité alimentaire de la population sénégalaise à laquelle il procure 47 % des protéines nécessaires. Les activités halieutiques jouent également un rôle primordial dans la vie socio-économique du pays, employant environ 600 000 Sénégalais, soit 17 % de la population active au Sénégal et 20 % de celle exerçant dans le secteur en Afrique de l’ouest. Certaines communautés sont presque entièrement dépendantes de la pêche comme source de revenu.
Ce secteur est cependant confronté à des difficultés diverses. En plus de la pêche illicite qui se présente sous plusieurs formes, il est en proie à des problèmes d’infrastructures, de gestion, d’accès au crédit, de surveillance, de contrôle, de suivi et d’environnement. Le phénomène naturel de l’érosion côtière perturbe aussi les activités halieutiques.
Ziguinchor, une région favorable à la pêche
La Casamance est organisée administrativement en trois régions (Kolda, Sédhiou et Ziguinchor). La région de Ziguinchor qui est le théâtre de l’étude se compose des départements d’Oussouye, de Bignona et de Ziguinchor.
Ziguinchor jouit de facteurs naturels favorables aux activités de pêche. La région est arrosée par le fleuve Casamance, long de plus de 300 kilomètres, ayant de nombreuses ramifications (bolongs en langue locale mandingue) qui se perdent dans une vaste forêt de mangrove propice à la cueillette des coquillages, notamment des huîtres. La région bénéficie également d’un front maritime de 85 kilomètres.
Par ailleurs, elle abrite un port dans la ville de Ziguinchor et plusieurs sites de déchargement de poisson dont ceux de Boudody, d’Elinkine, du Cap Skirring, et de Kafountine. Elinkine et Boudody sont des sites fluviaux tandis que Kafountine et Cap Skirring sont situés sur le littoral. Le fleuve, les bolongs, le front maritime et la forêt de mangrove font de la région de Ziguinchor une importante zone de pêche et de cueillette de coquillages.
D’une activité de subsistance à une activité commerciale
Malgré ces atouts naturels, les populations autochtones n’étaient pas portées vers la pêche qu’elles ne pratiquaient qu’à des fins de subsistance. Leur activité principale était l’agriculture. La pêche à but lucratif commencera à s’y développer avec l’arrivée progressive des pêcheurs des autres régions du pays, notamment des Thioubalos, des Niominkas, des Lébous, des pêcheurs de Guet Ndar et de Gandiol. Des pêcheurs ressortissants d’autres pays de l’Afrique de l’ouest comme le Ghana et le Mali viendront également s’installer dans la région pour exercer cette activité.
Le poisson contribue à la sécurité alimentaire de la population sénégalaise à laquelle il procure 47 % des protéines nécessaires. Les activités halieutiques jouent également un rôle primordial dans la vie socio-économique du pays, employant environ 600 000 Sénégalais, soit 17 % de la population active au Sénégal et 20 % de celle exerçant dans le secteur en Afrique de l’ouest. Certaines communautés sont presque entièrement dépendantes de la pêche comme source de revenu
La rébellion casamançaise qui dure depuis 1982 entraînera une transformation progressive des populations autochtones en pêcheurs professionnels. En effet, ce conflit armé a conduit des Casamançais à abandonner leurs villages et leurs champs pour trouver refuge dans des localités estimées plus sécurisées. Certains de ces déplacés deviendront pêcheurs pour survivre. La pêche ne sera plus pour eux une simple activité de subsistance, mais aussi une source importante de revenu. L’importance de la pêche dans la région de Ziguinchor en fait la troisième région sénégalaise comptant le plus de pêcheurs, derrière Saint-Louis et Fatick.
Poids des activités de pêche à Ziguinchor
Les pêcheurs de la région ont déchargé plus de 53 000 tonnes de produits halieutiques, soit 12 % de la production nationale, en 2014. Ces prises furent possibles grâce à 1 690 sorties mensuelles de pirogues en mer, dans le fleuve ou dans les bolongs dont 583 pirogues motorisées et 1 107 pirogues à rame. Plus de 140 espèces de poissons, de crustacées et de mollusques y sont pêchées sur les 400 variétés identifiées au Sénégal. Les espèces déchargées sont composées essentiellement de petits pélagiques côtiers comme l’ethmalose et la sardinelle qui ont une valeur marchande relativement faible. On y compte aussi des variétés à forte valeur marchande, dites « espèces nobles ». Ce sont notamment les poissons de fond (le grondeur sompatt et le barracuda par exemple), des crustacées (majoritairement la crevette rose) et des mollusques (comme la volute et les seiches). Les requins et les raies sont aussi prisés dans la région.
Le produit déchargé se répartit entre la transformation artisanale, la consommation locale, le mareyage et la transformation industrielle.
La transformation artisanale est la plus importante activité du secteur dans la région, accueillant 66 % des produits déchargés. Elle consiste à les fumer ou à les sécher. Le fumage qui apparaît comme la technique la plus simple se fait avec des fours artisanaux et concerne les espèces comme l’ethmalose, la sardinelle et le machoiron destinées en priorité à l’exportation vers des pays de l’Afrique de l’ouest. La Guinée et le Burkina Faso en sont les principales destinations.
Le séchage est plus complexe. Par exemple, la volute doit être ôtée de sa coquille, bouillie, salée et ensuite séchée sur des claies dressées à l’air libre. La volute séchée serait essentiellement destinée à l’exportation vers des pays asiatiques, mais aussi à la consommation locale. Les sélaciens, dont la raie guitare, sont éventrés, découpés, salés et séchés également avant leur acheminement vers le Ghana.
Défis du secteur de la pêche à Ziguinchor
Diverses formes de pêche illicite
Utilisation de matériel de pêche prohibé
La pêche avec des filets monofilament (ou filets monofilament) est presque la règle dans la région de Ziguinchor. L’usage de ce type de filets dont les mailles sont faites d’un filament fin en nylon est pourtant prohibé par le code de la pêche en son article 66. Il dispose que « sont interdits l’importation, la mise en vente, l’achat, la détention et l’utilisation des nappes et filets maillants fabriqués à partir d’éléments monofilaments ou multimonofilaments en nylon sauf dérogation spéciale ». Ce filet n’est pas respectueux de l’environnement en raison de la durée de sa dégradation qui se situe entre 30 et 40 ans et l’étroitesse de ses mailles qui ne laissent pas passer les espèces immatures. Ce matériel est cependant supposé permettre de meilleures parties de pêche selon ses utilisateurs. On le retrouve sur presque tous les sites de déchargement de poisson.
Les pêcheurs de la région ont déchargé plus de 53 000 tonnes de produits halieutiques, soit 12 % de la production nationale, en 2014. Ces prises furent possibles grâce à 1 690 sorties mensuelles de pirogues en mer, dans le fleuve ou dans les bolongs dont 583 pirogues motorisées et 1 107 pirogues à rame. Plus de 140 espèces de poissons, de crustacées et de mollusques y sont pêchées sur les 400 variétés identifiées au Sénégal
Des taux excessifs de prises accessoires
Les professionnels du secteur de la pêche du Cap Skirring dénoncent les pratiques de navires étrangers de pêche industrielle à la crevette rose. Ces gros bâtiments capturent toutes sortes d’espèces qui sont ensuite triées pour ne garder que la crevette. Les variétés non recherchées (prises accessoires) sont rejetées à l’eau, mais pour la plupart sans vie. Pour donner un ordre de grandeur, il est rapporté qu’un navire peut ramener en une seule prise cinq tonnes de poisson pour n’en retirer que 200 kilogrammes de crevettes. « Cette situation est certes regrettable, mais ne transgresse aucune disposition réglementaire » soutient un responsable de la Direction de la protection et de la surveillance des pêches (DPSP). Selon lui, des réflexions sont en cours au niveau international pour examiner dans quelle mesure les navires – pour des raisons de sécurité alimentaire – peuvent être obligés à ramener à quai toutes les espèces pêchées.
Les pêcheurs à la recherche de financements
La constitution d’une caution en vue de bénéficier d’un financement extérieur est problématique pour les professionnels de la pêche dans la région de Ziguinchor. Le bétail qui constitue l’essentiel des richesses appartient généralement à la communauté et aucun de ses membres ne saurait s’en prévaloir en guise de garantie. Des querelles familiales seraient d’ailleurs survenues au moment de la saisie de biens lorsque les débiteurs se sont trouvés en situation d’insolvabilité. Ceci expliquerait pourquoi l’activité de pêche est contrôlée en partie par des étrangers, notamment des Ghanéens, qui financent des pêcheurs locaux.
Problèmes d’infrastructures portuaires
La région ne dispose d’aucun port de pêche
La principale infrastructure dans les activités halieutiques est le port en tant que lieu d’accostage des navires de pêche et de déchargement du poisson. Il est aussi une plate-forme logistique pour le mareyage, la transformation, le stockage et l’expédition des produits halieutiques, ainsi que la fabrication ou la réparation du matériel de pêche tel que les pirogues et les filets. La région de Ziguinchor est dotée d’un port de 360 mètres de quai dont 280 dédiés aux navires de commerce et 80 aux navires à passagers14. Son accès est interdit aux pirogues auxquelles un site est réservé à Boudody. Cependant, celuici n’étant pas aménagé pour avoir un niveau d’eau suffisant pour tenir les pirogues à flot, les plus grosses d’entre elles sont tolérées au quai réservé aux navires de commerce. Les pêcheurs de Kafountine, du Cap Skirring et d’Elinkine n’ont pas cette opportunité de profiter d’un port commercial. Kafountine connaît une intense activité de pêche avec des pirogues de grandes dimensions qui ramènent à longueur de journée d’énormes quantités de poisson. « La pêche ici est très fructueuse en cette période de l’année. Comme vous pouvez le constater, ici on fait une pêche journalière et non de marée15. Malgré cette réalité, on n’a pas de port » nous a rapporté un dirigeant du Conseil local de pêche artisanale (CLPA) de Bignona, département dont relève Kafountine.
La transformation artisanale et la construction de pirogues contribuent à la déforestation
Hormis 25 claies de séchage de poisson en aluminium offertes par la coopération espagnole à Elinkine, la totalité de celles qu’on a pu voir dans la région de Ziguinchor sont essentiellement réalisées en bois. Toutefois, un projet de fabrication de claies en aluminium et de fours modernes est en cours à Kafountine grâce à un partenariat entre le groupement d’intérêt économique de l’union des femmes transformatrices de Kafountine et ONU Femmes. Le bois sert aussi à faire du feu pour fumer le poisson et bouillir la volute dont il faut extraire la bave. L’utilisation des pirogues essentiellement construites en bois est aussi une menace pour la forêt.
Des difficultés rencontrées dans la surveillance, le contrôle, et le suivi des activités halieutiques
Le secteur de la pêche dans la région de Ziguinchor tire profit de la présence d’une base de la marine sénégalaise installée à Elinkine qui dispose de postes à la Pointe Saint-Georges et à Diogué. Les piroguiers sont obligés de se faire contrôler à cette base où les militaires semblent plus intéressés par la découverte éventuelle d’armes ou de drogue que par la vérification du matériel de pêche et du produit pêché.
Par ailleurs, il est rapporté que des pêcheurs artisans vendent sans autorisation leurs produits à des navires de pêche industrielle en pleine mer dont certains ne remplissent pas dûment leurs journaux de bord. Ces affirmations ne sont pas partagées par les autorités maritimes qui disent faire confiance aux observateurs embarqués à bord des navires.
En outre, les agents du service régional des pêches sont en sous-effectif et n’ont souvent pas les moyens d’assurer la vérification et le suivi de toutes les pirogues. Ainsi, au Cap Skirring, il n’y a que deux agents qui, de plus, ne disposent d’aucun moyen de transport. Leur contrôle sur les pirogues à moteur s’exerce sous la forme de délivrance de bons de sortie en mer donnant droit à l’approvisionnement en carburant subventionné. Par contre, ils n’ont quasiment aucune maîtrise sur les pirogues à rame, ce qui peut fausser les statistiques relatives à la flotte de pêche. Il n’est pas sûr que les chiffres actuellement disponibles sur le nombre de pirogues actives dans la pêche à Ziguinchor comme dans le reste du Sénégal les prennent toutes en compte.
La mer ronge le littoral
L’érosion côtière est un autre problème dans la région de Ziguinchor. Par exemple, sur l’île de Diogué dans le département de Bignona, le visiteur est frappé par les dégâts causés par la mer. Des pans de murs de maisons détruites et des troncs de cocotiers déracinés jonchent la plage. Des étrangers, composés essentiellement de Ghanéens établis sur l’île, ont leurs cases presque dans l’eau alors que les populations autochtones ont préféré s’installer au centre de l’île.
Des actions en faveur d’une pêche durable
La gestion participative des activités de pêche
Les pêcheurs artisans, les mareyeurs, les transformateurs et autres professionnels du secteur de la pêche sont organisés en Groupements d’intérêts économiques (GIE). Les divers groupements constitués au niveau de chaque site de déchargement s’unissent en un GIE interprofessionnel pour la gestion commune de leurs activités. Leur président coordonne les activités du site assisté d’un bureau dans lequel presque toutes les professions sont représentées. Le contrôle des activités du GIE est effectué par un CLPA dont la présidence est assurée par le préfet du département et le secrétariat par le chef du service départemental des pêches.
Toutes les infrastructures du site, dont les locaux du GIE, sont offertes par l’État. Le GIE prélève des redevances qu’il est tenu de partager avec la municipalité en tenant compte d’une clé de répartition qui varie selon la localité. Au Cap Skirring, par exemple, la ventilation se fait après déduction des charges à concurrence de 30 % pour la mairie, 20 % pour le GIE, 40 % pour le fonds de réserve affecté à l’investissement et 10 % pour la formation. Par contre, à Boudody, la répartition a lieu avant déduction des charges de fonctionnement. En contrepartie, les mairies doivent procéder au ramassage des ordures et assurer l’éclairage public des sites, une obligation qu’il leur est reproché de ne pas toujours remplir.
Recommandations
-L’importance des activités halieutiques dans la région de Ziguinchor nécessite la construction de ports de pêche à Kafountine, au Cap Skirring et à Elinkine. Celui de Ziguinchor, quant à lui, devrait être aménagé pour permettre l’accostage des embarcations de pêche. L’existence des ports stimulera l’activité, permettra le contrôle des navires à quai et fera disparaître les risques encourus par les pêcheurs et les dockers au moment du déchargement des embarcations.
-Le Sénégal devrait aussi renforcer les services de l’administration des pêches en agents de terrain et en moyens logistiques conséquents. Le personnel opérationnel actuel qui est au maximum de deux agents par site ne peut permettre la couverture des zones de pêche qui sont étendues.
-Une politique devrait être initiée pour briser le mur de méfiance entre l’administration des pêches et les utilisateurs des pirogues à rame contre lesquels l’État n’a presque pas de moyens de coercition. Les autorités sénégalaises pourraient, par exemple, supprimer le permis de pêche pour les pirogues à rame et demander, en retour, qu’elles soient immatriculées. Une telle mesure faciliterait la gestion administrative des petites embarcations et permettrait d’avoir des statistiques plus précises sur la flotte de pêche.
-L’État devrait prendre davantage de mesures favorisant le repos biologique et la reproduction des espèces. Ceci implique d’une part de poursuivre la création des aires marines protégées et d’autre part de clarifier le régime juridique des Aires du patrimoine autochtone et communautaire (APAC). Le cas échéant, l’État pourrait étendre la politique des APAC aux autres régions du pays.
-La politique de gestion participative des pêcheries initiée par l’Etat à travers la création des Conseils locaux de pêche artisanale (CLPA) est à encourager. Les CLPA devraient veiller au suivi rigoureux des fonds affectés au maintien et à la réalisation des infrastructures (fonds de réserve) ainsi qu’à ceux destinés à la formation.
-L’aquaculture, qui peut constituer une alternative à la raréfaction des ressources halieutiques, mérite d’être davantage encouragée par l’État à travers des subventions ou la recherche de bailleurs de fonds étrangers
-D’autres États côtiers de l’Afrique de l’ouest pourraient s’inspirer de cette politique de gestion participative qui permet aux professionnels du secteur de la pêche artisanale de se prendre en charge.
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1 Commentaire. En écrire un nouveau
Et les bateaux usines étrangers qui raclent le plateau continental appauvrissent les pêcheurs sénégalais menacés de disparition
On n’en parle pas ?