Auteur : Roch Nepo
Organisation affiliée : Sci Dev Net
Type de publication : Dossier
Date de publication : Juillet 2015
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De quoi s’agit-il en fait?
De ce que la plupart des lexiques spécialisés d’usage courant définissent, en substance, comme étant «l’opération consistant à arrêter volontairement l’approvisionnement en énergie électrique d’un ou de plusieurs consommateurs pour rétablir rapidement l’équilibre entre la production et la consommation du réseau». Il s’agit donc, au fond, d’une mesure de sauvegarde destinée à prévenir les risques d’effondrement brusque en tension ou en fréquence, susceptibles d’entraîner la coupure de la totalité d’un sous-réseau électrique.On distingue ainsi, de façon classique, quatre (4) types de délestage, à savoir:
–le délestage sur ordre, survenant en fonction des heures de pointe de consommation et à la suite d’une intervention humaine directe idoine;
–le délestage sur comptage de l’énergie, rendu nécessaire, dès lors que la mesure automatique de la moyenne de la puissance consommée en 10 secondes indique un dépassement de la puissance souscrite par une ou plusieurs catégories données de consommateurs (notamment ceux raccordés en haute tension, avec une puissance souscrite supérieure ou égale à 250 KVA);
–le délestage sur seuil de puissance et/ou de courant, se traduisant par la coupure automatique, au moyen d’un relais ad hoc, des « départs » de prises de courant jugés non prioritaires, des lors qu’un seuil prédéfini (de puissance ou d’intensité) est dépassé;
-et enfin, le délestage sur seuil de fréquence qui se met automatiquement en place aussitôt que la fréquence du réseau franchit un certain seuil fixé par les instances compétentes en charge de la régulation de l’activité de production et de distribution de l’énergie électrique.
Voilà pour ce qui est de l’essai d’élucidation sémantique afin que, d’entrée, le lecteur profane soit «sensibilisé», un tant soit peu, aux rudiments d’un jargon éminemment technique et qui, de plus en plus, fait l’objet d’une récupération par le commun des mortels.
Un mal porteur d’une immense détresse aux plans économique et social
Au-delà de la dimension savante des choses en termes de clarifications liminaires, le consommateur lambda retient du délestage dans sa version tropicalisée pour ainsi dire, avant tout, son caractère généralisé (plutôt que d’être circonscrit à une localité donnée, il concerne l’ensemble du territoire national), récurrent, arbitraire, sauvage, déstabilisant et singulièrement invalidant. Ce qui en fait l’un des avatars les plus mortifères auxquels se trouve irrémédiablement assujetti l’Africain subsaharien contemporain, en cette ère du tout numérique où l’électricité a presque valeur d’oxygène, au propre comme au figuré.
En effet, dans ses manifestations les plus perverses, le délestage a ceci de particulier que son impact est quasi-instantané, brutal, massif, ne laissant d’autre choix à ses victimes sacrificielles que celui d’une résignation mêlée d’indignation et d’une révolte sourde sur fond de précarité des conditions de vie et de détresse tant physique que psychologique.
C’est dire si l’on a affaire à un vrai phénomène de société, ravageant tout sur son passage et semblant se vautrer confortablement dans la durée; et ce, dans le mépris souverain d’une qualité de vie qui n’en finit pas de se détériorer au fil du temps et d’une économie rendue progressivement exsangue, peu productive, non compétitive, complètement délabrée, en raison de l’indisponibilité d’un des facteurs de production réputés les plus critiques après la ressource humaine et le capital…
Pourtant, l’électricité est censée n’être plus un luxe, à l’heure du “mobile banking” et des réseaux sociaux aux mille facettes (pour ne citer que ces deux exemples) dont l’utilité pour la population, toutes couches confondues, n’est plus à démontrer.
Ce qui en fait l’un des avatars les plus mortifères auxquels se trouve irrémédiablement assujetti l’Africain subsaharien contemporain, en cette ère du tout numérique où l’électricité a presque valeur d’oxygène, au propre comme au figuré
Au contraire, elle est devenue un produit de première nécessité par excellence. Au même titre que l’eau potable.
Dans cette perspective, il convient, en tout premier lieu, d’observer que la répercussion quasi-mécanique, sur les prix de revient des biens et services de consommation courante, des surcoûts exorbitants consécutifs à l’utilisation de groupes électrogènes pour suppléer, ne serait-ce que partiellement, à la pénurie d’énergie, a pour effet immédiat d’éroder sensiblement le pouvoir d’achat déjà relativement faible des agents économiques en général et des ménages en particulier.
Double fracture, numérique et… électrique
Il en découle, par rapport aux pays du Nord, un risque élevé d’aggravation des fractures énergétique et numérique préexistantes, compte tenu de la consubstantialité avérée de ces deux phénomènes, dans un monde de plus en plus globalisé et fortement tributaire de l’énergie électrique, marqué par un développement prodigieux de l’économie du savoir et une accélération sans précédent du rythme de l’innovation technologique.
Autrement dit, ne pas régler le problème énergétique revient ni plus ni moins à se condamner d’emblée à une marginalisation certaine, à ramer à contre-courant du progrès et, par voie de conséquence, à refuser le développement.
Cette fresque à peine réaliste qui vient d’être très grossièrement esquissée de la crise énergétique en Afrique n’est pas sans cacher un certain nombre de disparités, variables d’un pays à l’autre, notamment en termes d’amplitude (intensité) et de fréquence des dysfonctionnements constatés, même si l’option méthodologique a été faite, ici, de mettre surtout l’accent sur les points communs les plus représentatifs de la réalité observée.
C’est ce qui explique, par exemple, qu’entre la situation de pays comme le Maroc, l’Algérie, l’Afrique du Sud, la Côte d’Ivoire ou le Kenya, d’un côté, et celle de pays tels que le Bénin, le Nigeria, le Tchad, la Guinée Conakry ou le Burkina Faso, de l’autre, le hiatus peut parfois être aussi frappant que celui résultant de l’observation du jour et de la nuit.
Diagnostic sans appel
Avant que de tenter de répondre à ce faisceau d’interrogations fondamentales, prenons juste la peine de réexaminer la définition sommaire du délestage proposée en préambule et qui met en exergue le fait qu’en définitive, ce type de dysfonctionnement n’est que la résultante d’un déficit cruel entre d’une part, la capacité globale de production d’énergie électrique par les organismes habilités à cet effet; et d’autre part, les besoins de consommation exprimés par les ménages, les entreprises et les administrations.
Autrement dit, ne pas régler le problème énergétique revient ni plus ni moins à se condamner d’emblée à une marginalisation certaine, à ramer à contre-courant du progrès et, par voie de conséquence, à refuser le développement
Partant de ce constat basique, on peut en inférer que les principales causes explicatives du délestage sont de deux ordres:
- celles liées à la qualité globale intrinsèque des infrastructures de production, de transport et de distribution de l’énergie électrique en place;
- celles découlant de l’existence ou non et de la performance relative d’un dispositif de planification et de prospective, à même d’anticiper les dynamiques sociodémographiques et les évolutions technologiques, en les intégrant à temps dans le processus d’élaboration des différents programmes d’investissements en matière de recherche et développement, de construction et de modernisation des équipements.
Si les délestages sont subitement devenus monnaie courante, à un moment donné du processus de développement des États africains, c’est bien parce que, du fait de leur relative vétusté et de leurs faibles capacités, les systèmes mis en place au lendemain des indépendances ne sont plus en adéquation avec les besoins sans cesse grandissants, consécutifs à l’explosion démographique et à l’évolution de l’appareil de production qui ont été enregistrées, en l’espace de quelques décennies, et dont il a été malheureusement fait peu de cas.
Dans cet ordre d’idées, pourraient être incriminés, au titre des causes profondes des délestages, les facteurs ci-après:
- Pendant très longtemps, la faiblesse relative de la part des budgets nationaux alloués au secteur énergétique n’a pas permis de financer convenablement les investissements devant assurer le renouvellement des équipements afin qu’ils puissent répondre efficacement à l’évolution quasi exponentielle des besoins.
- A cela s’ajoute le fait que l’énergie électrique est vendue à un prix largement subventionné, bien en-deçà du prix de revient. Conjugué à l’étroitesse des marchés intérieurs de nos micro-Etats, cela ne permet pas de couvrir les charges d’exploitation et de dégager une marge suffisante, susceptible d’être affectée au financement des investissements d’un secteur à forte intensité capitalistique.
- Malgré le niveau relativement élevé des subventions dont bénéficie l’énergie électrique, il ressort d’une récente enquête menée par l’hebdomadaire Jeune Afrique, que les tarifs auxquels sont soumis les Africains seraient parmi les plus élevés de la planète, alors que les coupures de courant électrique sont fréquentes. A titre d’illustration et selon cette étude, le consommateur africain paierait en moyenne 14 cents de dollar (13 centimes d’euro) son kilowattheure, quand son homologue d’Asie du Sud ne débourserait que 4 cents pour la même quantité d’énergie.
- On observe des lenteurs excessives et beaucoup de dysfonctionnements dans l’opérationnalisation effective des initiatives communautaires (projets sous-régionaux d’interconnexion ou de réalisation et d’exploitation d’infrastructures d’envergure tels que les barrages hydroélectriques et assimilés) censées optimiser les coûts de structure via de substantielles économies d’échelle inhérentes à la taille critique des programmes concernés et partant, améliorer sensiblement la rentabilité et les performances du secteur.
La mobilisation des ressources en faveur du développement du secteur énergétique est loin d’être optimale, dans la mesure où des pans entiers du marché international des capitaux demeurent inexplorés à ce jour, alors même que nous nous trouvons en présence d’une problématique éminemment transversale qui à un titre ou à un autre et eu égard à la fulgurante montée des interdépendances qui caractérisent le fonctionnement de l’économie mondiale contemporaine, interpelle et intéresse les plus grands décideurs de ce monde.
Enfin, telle l’Arlésienne, le fameux mix énergétique optimal devant consister en une judicieuse combinaison de différentes sources d’énergies tant traditionnelles et fossiles que renouvelables (en fonction des contraintes technologiques et de coûts), peine toujours à se réaliser à grande échelle, sous nos latitudes tropicales, quand bien même quelques expériences pilotes isolées se feraient remarquer çà et là sur le continent et mériteraient d’être encouragées.
Pistes de solutions
1.Rompre avec le fétichisme séculaire des énergies non renouvelables
Il s’avère de plus en plus impératif de se libérer définitivement du fétichisme des sources d’énergies traditionnelles et non renouvelables pour s’inscrire résolument dans une démarche plus hardie et novatrice, privilégiant systématiquement un recours accru aux énergies renouvelables, pour autant que celles-ci sont disponibles et accessibles tant en termes économiques que technologiques. Ceci suppose que l’on fasse l’option claire:
– d’investir massivement en matière de recherche & développement et d’innovation technologique;
– de mobiliser, par conséquent, les ressources financières nécessaires.
2.Opter pour un partenariat public-privé intelligent
En raison de sa forte intensité capitalistique, le secteur énergétique requiert, pour se développer de façon harmonieuse et durable, des investissements particulièrement massifs, peu compatibles avec les contraintes budgétaires de nos États et même des institutions communautaires.
Par ailleurs, il apparaît de plus en plus que, partout dans le monde, en matière de financement du développement, l’État a suffisamment montré ses limites en tant qu’intervenant direct, son métier devant désormais se recentrer sur ses missions régaliennes de création et de régulation du cadre institutionnel appelé à servir de catalyseur indispensable aux différentes initiatives émanant des autres acteurs socio-économiques.
Enfin, les responsables en charge de la gouvernance du secteur énergétique gagneraient à cibler davantage d’autres acteurs institutionnels de second ordre tels que les collectivités décentralisées qui représentent, à n’en pas douter, le point d’ancrage, le creuset par excellence où s’enracine le vrai développement qui est, avant tout, synonyme de développement local.
En effet, les collectivités décentralisées offrent l’avantage d’une relative proximité, d’une plus grande accessibilité et d’une meilleure souplesse en termes de mécanismes de fonctionnement ou d’intervention, quand bien même elles souffriraient d’une autonomie financière limitée du fait d’un transfert défectueux de ressources à leur profit par l’État central, en vertu des lois de la décentralisation.
3.Mieux rentabiliser le secteur énergétique par la vérité des prix
A l’analyse, l’un des axes les plus pertinents et efficaces d’amélioration de la rentabilité du secteur énergétique est la stricte application de la vérité des prix. Ceci revient à repenser ou à redimensionner de fond en comble, à défaut de la supprimer purement et simplement (ce qui, en l’état actuel des choses, relèverait d’une hérésie!), la politique de subvention systématique en vigueur, à ce jour; laquelle, reconnaissons-le, répond au légitime souci des pouvoirs publics, de rendre accessible à une population majoritairement pauvre un bien réputé collectif et tutélaire, en raison de sa grande utilité sociale.
Pour ce faire, plutôt que de continuer d’imposer des «prix politiques», les États devraient s’évertuer à promouvoir la pratique de prix justes (au sens comptable et commercial), à même de refléter fidèlement les contraintes d’exploitation, quitte à ce que des mécanismes appropriés soient trouvés pour rendre le prix de l’électricité supportable par les populations, au regard de leurs revenus. Ces nouvelles mesures d’accompagnement, à imaginer, pourraient prendre les formes ci-après une fiscalité plus adaptée aux spécificités du secteur;
-un élargissement des marchés nationaux trop étroits et donc peu viables à terme, grâce à la mise à contribution de dispositifs idoines (existants ou à créer) d’intégration régionale;
-la mise en œuvre d’une politique commerciale plus agressive, ciblant le segment de clientèle haut de gamme représenté par les grands comptes (grands groupes industriels et miniers, secteur de la téléphonie mobile et des TIC, bancassurance, sociétés portuaires, etc.) qui permettent de réaliser l’essentiel du chiffre d’affaires;
-la diversification des sources d’énergies aux fins de réduire les coûts de revient résultant d’une dépendance excessive des produits pétroliers (fuel) destinés à alimenter les centrales thermiques.
4.Optimiser l’investissement-formation
Comme dans la plupart des secteurs de pointe, il importe de faire du développement des ressources humaines un atout majeur de la performance organisationnelle.
A cet effet, la priorité devrait consister à concevoir et à mettre en œuvre une démarche d’ingénierie des compétences qui maximise les synergies avec les compartiments opérationnels du secteur, de sorte à optimiser l’atteinte des objectifs stratégiques.
5.Améliorer la gouvernance du secteur
Dans une double démarche d’audit et de reconfiguration des processus, toute la superstructure organisationnelle et institutionnelle mise en place aux échelons national (sociétés de production et/ou de commercialisation), sous-régional (exemples: West African Power Pool et South Africa Power Pool) et continental (exemple : Association des sociétés d’électricité d’Afrique) pour assurer la gouvernance du secteur énergétique, devra, si nécessaire, faire l’objet d’une remise à plat.
Ce faisant et à la suite d’une concertation générale, le cadre institutionnel en vigueur, y compris les instruments juridiques et réglementaires qui s’y rapportent, devra être réaménagé pour permettre à tous les acteurs et parties prenantes, autant qu’ils sont (pouvoirs publics, privé national et international, collectivités locales, partenaires au développement; coopération sous régionale, régionale ou internationale, etc.), d’apporter une contribution qualitative, si modeste soit-elle, au développement et à une meilleure gouvernance du secteur.
6.Privilégier les projets à caractère communautaire, régional et international
S’il est tout à fait légitime, pour chaque pays, de chercher à réaliser son indépendance ou son autonomie en matière énergétique, une telle ambition ne saurait être nullement antinomique avec la prise en compte de certaines réalités objectives incontournables.
En effet, l’énergie électrique étant, par nature, difficilement stockable en grande quantité, la vraie question devrait plutôt se poser de savoir comment faire pour bénéficier des échanges d’énergie avec l’étranger ce qui, au demeurant, constitue une pratique très courante dans le monde, à travers les interconnexions de réseaux, sans pour autant en dépendre dans une trop forte proportion.
Dans cet ordre d’idées, il est souhaitable que, dans toute la mesure du possible, soit recherché le maximum de synergies avec un certain nombre d’initiatives heureuses en faveur de la promotion du secteur énergétique en Afrique, qui bénéficient d’un très fort soutien politique et institutionnel, et au nombre desquelles on peut citer:
- la fondation «Énergie pour l’Afrique» de l’ancien ministre français Jean-Louis Borloo;
- le programme «AKon Lighting Africa» d’électrification des zones rurales africaines par l’énergie solaire, initié par la star américaine d’origine sénégalaise, AKON (Alioune Badara Thiam, de son vrai nom);
- le programme «Sustainable Energy for All» (SE4ALL) des Nations Unies.
Les gouvernements africains gagneraient certainement à prendre une part plus active au processus de mise en œuvre effective de ces différents projets, en essayant d’intégrer dans leur arsenal de politiques publiques, un vibrant plaidoyer en faveur desdites initiatives.
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