Auteur: Dr. Martial Jeugue Doungue
Type de publication : Newsletter
Date de publication : 2016
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Le Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits des femmes dit « Protocole de Maputo » adopté le 11 juillet 2003 par la Conférence de l’Union africaine (UA) complète utilement la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) sur les aspects dont il traite et confirme l’ouverture de l’Afrique à des champs nouveaux des droits de l’homme déjà perceptibles à travers l’adoption en 1990 de la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant et la multiplication des gages de l’attachement aux droits de l’homme. Le Protocole de Maputo est un traité qui impose des contraintes sur les pays qui l’ont ratifié.
53 États l’ont signé et le traité est entré en vigueur le 26 octobre 2005 quand le nombre minimum de ratifications est arrivé à 15 sur les 53 États membres de l’Union Africaine (UA). Ce protocole est un instrument régional pour la protection des droits fondamentaux des femmes et se considère lui-même comme étant le premier instrument législatif visant à protéger la femme africaine de toutes les formes de discriminations. Ses 31 articles formulent une série de dispositions pour la protection des droits spécifiques des femmes et des filles en Afrique, en tenant compte de l’environnement socioculturel. Ainsi, le Protocole condamne et interdit les mutilations génitales féminines et proclame le droit à l’autodétermination sexuelle, renforce les droits des femmes dans le mariage et reconnaît aux femmes et aux hommes des droits égaux de posséder et d’acquérir des biens.
En revanche, la Charte africaine n’avait pas pris en considération les spécificités de la situation des droits de la femme en Afrique, et avait adossé la protection des femmes en Afrique sur les textes internationaux (article 18 § 3 de la Charte). L’écho du tumulte progressiste et féministe qui a connu son apogée à la conférence de Beijing de septembre 1995 est finalement parvenu au législateur africain des droits de l’homme. À travers le Protocole de Maputo, il a en effet tenu compte de ce qu’en dehors des problèmes généraux rencontrés par toutes les femmes du monde, la femme africaine est particulièrement en butte à d’autres problèmes et qui ont notamment trait à des pratiques discriminatoires attentatoires au principe universel d’égalité entre l’homme et la femme (lévirat, polygamie, incapacité en matière successorale, etc.) ; aux violences liées à des traditions ancestrales (mariages forcés, scarifications, mutilations sexuelles, etc.). Si donc le Protocole de Maputo est en substance ordonné autour de l’élimination de toute forme de discrimination et de violence à l’égard des femmes, cela doit logiquement conduire à l’institution d’une égalité réelle entre hommes et femmes en Afrique. Cependant, depuis la décennie internationale des femmes, on considère, face à la pauvreté des femmes, que l’exclusion de celles-ci du processus de développement durable constitue un véritable problème en Afrique.
Le Protocole de Maputo est le fruit des efforts déployés par un grand nombre d’organisations non-gouvernementales (ONG) en vue de protéger explicitement et de manière spécifique les droits des femmes par un Protocole additionnel à la Charte africaine des droits de l’homme. Certaines clauses de la CADHP avaient été critiquées parce qu’elles étaient formulées en des termes si vagues, notamment ce qui concerne les droits des femmes, qu’il n’était guère possible d’en dégager des revendications pour des modifications législatives ou des actions politiques concrètes, en dépit des discriminations massives dont les femmes et les filles font l’objet en Afrique. Après de nombreux cycles de consultation menés aux niveaux national et régional entre des acteurs gouvernementaux et civils, un document commun, élaboré sous la direction de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, a été adopté pour servir de base au Protocole de Maputo.
Le Protocole de Maputo engage les États africains à garantir aux femmes leurs droits fondamentaux, parmi lesquels un large éventail de droits civils et politiques et de droits économiques, sociaux et culturels (droit à la vie, à l’intégrité et à la sécurité de la personne, l’interdiction de la discrimination, le droit à la justice, le droit de participation à la chose publique, le droit à l’éducation, la protection sociale, le droit à la santé, le droit à la sécurité alimentaire, le droit à un logement adéquat, etc.); la prohibition des pratiques traditionnelles néfastes (excision, lévirat, sororat, mariage précoce, forcé, etc.); l’obligation d’apporter une protection spécifique aux femmes dans les conflits armés. Ce protocole représente par ailleurs une avancée importante en matière de droits reproductifs.
Ainsi, le Protocole condamne et interdit les mutilations génitales féminines et proclame le droit à l’autodétermination sexuelle, renforce les droits des femmes dans le mariage et reconnaît aux femmes et aux hommes des droits égaux de posséder et d’acquérir des biens.
Le Protocole de Maputo garantit à toute femme le droit au respect de sa personne et au libre développement de sa personnalité, l’interdiction de toute exploitation ou de tout traitement dégradant, l’accès à la justice et l’égale protection devant la loi, ainsi que la participation au processus politique et à la prise de décision.
Le Protocole protège aussi le droit des femmes à la sécurité alimentaire, leurs droits en matière de procréation et leur droit à un logement adéquat. En effet, le droit d’accès à une alimentation saine et adéquate doit être garanti aux femmes. C’est dans cette optique qu’à travers le Protocole, en son article 15, les États prennent les mesures nécessaires pour assurer aux femmes l’accès à l’eau potable, aux sources d’énergie domestique, à la terre et aux moyens de production alimentaire, l’établissement des systèmes d’approvisionnement et de stockage adéquats, le droit à un habitat adéquat (article 16) qui implique l’accès à un logement et des conditions d’habitation acceptable, le droit à un environnement culturel positif (article 17), et le droit à un environnement sain et viable (article 18), pour assurer aux femmes la sécurité alimentaire.
Le Protocole de Maputo met l’accent sur la jouissance par la femme des droits égaux à ceux de l’homme dans le mariage et les deux sont considérés comme des partenaires égaux dans cette institution. Ceci signifie notamment qu’aucun mariage n’est conclu sans le plein et libre consentement des deux, que la femme mariée a le droit de conserver son nom, de l’utiliser à sa guise conjointement ou avec celui de son mari, qu’elle a le droit, pendant la durée du mariage, d’acquérir des biens propres, de les administrer et de les gérer librement ; et pour éviter le mariage forcé des filles mineures, l’âge minimum de mariage de la jeune fille est de 18 ans (article 6). En cas de séparation de corps, divorce et annulation du mariage, les femmes jouissent des mêmes droits que les hommes.
Ainsi, le Protocole condamne et interdit les mutilations génitales féminines et proclame le droit à l’autodétermination sexuelle, renforce les droits des femmes dans le mariage et reconnaît aux femmes et aux hommes des droits égaux de posséder et d’acquérir des biens
Le Protocole garantit en outre le droit d’accès à la justice et à l’égale protection devant la loi (article 8) qui impose aux États parties d’assurer l’accès effectif des femmes à l’assistance et aux services juridiques et judiciaires, l’appui aux initiatives locales, nationales, régionales, continentales visant cet objectif, la sensibilisation de toutes les couches de la société aux droits de la femme et la formation des organes chargés de l’application de la loi à tous les niveaux pour qu’ils puissent interpréter et appliquer effectivement l’égalité des droits entre l’homme et la femme, une représentation équitable des femmes dans les institutions judiciaires et celles chargées de l’application de la loi. Ensuite, le droit de participation au processus politique et à la prise de décision : revendiqué par une frange des femmes africaines diplômées de l’enseignement supérieur, d’une manière qui fait penser à un mimétisme des appels à la parité à la mode dans la plupart des pays occidentaux, ce droit est consacré par l’article 9 du Protocole.
Le Protocole de Maputo apporte une protection novatrice à certaines catégories de femmes particulièrement vulnérables, en occurrence les femmes en situation de détresse (il s’agit ici des femmes incarcérées en état de grossesse ou d’allaitement, celles issues des populations marginales, “les femmes chefs de famille”, les femmes pauvres), les femmes handicapées, les femmes âgées, les veuves et les femmes rapatriées ou réfugiées. La finalité étant la jouissance par ces dernières de leur droit au développement durable.
Les femmes handicapées et les femmes âgées bénéficient des mesures prévues dans le Protocole aux articles 22 (protection spéciale des femmes âgées) et 23 (protection spéciale des femmes handicapées).
Tout comme dans la CADHP, il n’est pas précisé dans le Protocole si le handicap visé est mental et/ou physique. Au contraire, dans la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant, la protection de l’article 13 bénéficie à «tout enfant qui est mentalement ou physiquement handicapé».
Les droits de la femme relatifs aux méthodes de contraception, à l’espacement des naissances, à la détermination du nombre d’enfants et à la maternité se heurtent non seulement aux pesanteurs des traditions africaines toujours vivaces, mais également à certaines intransigeances religieuses qui ne laissent souvent que très peu de place à l’exaltation du bien-être de l’individu face aux dogmes inspirés par la foi.
La société civile africaine n’est pas en marge de cette croisade contre le Protocole de Maputo. Les femmes congolaises par exemple ont estimé que porter atteinte à la vie en dépénalisant l’avortement est une violation grave; par conséquent, plusieurs associations ont lutté pour la non-ratification dudit Protocole par la République Démocratique du Congo (RDC).
Une autre cause des discriminations est l’ignorance par les femmes de leurs droits et le manque d’une véritable culture des droits.
Malgré l’existence d’instruments juridiques posant le principe d’égalité entre hommes et femmes, les discriminations à l’égard des femmes demeurent une réalité vivace en Afrique. Le professeur Amsatou SOW SIDIBÉ se demande d’ailleurs si ce phénomène n’est pas l’une des causes du sous-développement et des conflits en Afrique. Les pratiques discriminatoires sont complexes et peuvent revêtir diverses formes. Leurs causes sont multiples et peuvent être directes, indirectes, légales, de fait, liées aux violences, etc. Elles peuvent être d’origine socio-culturelle, économique, structurelle, judiciaire et à l’ignorance par les femmes de leurs droits ou liées à la diversité et à la différence, etc.
Bien que l’homme et la femme soient tous les deux des êtres humains, il y a des différences entre eux. La différence est manifestement physique, physiologique. Mais, elle peut se traduire par des manifestations autres que physiques, par le comportement, les goûts, etc. Or, il y a comme une tendance naturelle à minimiser ou à rejeter l’autre qui est différent de soi. Les discriminations à l’égard des femmes sont des discriminations sexistes. Elles sont fondées sur la différence de sexe entre les deux catégories de personnes. La femme est victime de stéréotypes sexistes qui favorisent l’homme. Aujourd’hui, les femmes sénégalaises réclament une réforme du droit de la famille, non pas dans le sens d’une substitution du droit islamique au droit laïc, mais plutôt dans le sens d’une abolition des discriminations persistantes.
Une autre cause des discriminations est l’ignorance par les femmes de leurs droits et le manque d’une véritable culture des droits. Ceci est caractérisé par la faible prise de conscience d’une grande partie de la population de l’existence de droits fondamentaux de la personne humaine et donc de la poursuite de pratiques sociales qui bafouent les droits, les femmes étant souvent considérées plus comme des objets de droit que comme des sujets de droit. Quant aux règles de droit, les populations qui les ignorent pour l’essentiel, ne se les approprient pas. De surcroît, il y a peu de structures sociales, peu d’organisations, peu de personnes qui interviennent en faveur d’un respect des droits de la femme, en tant que partie intégrante des droits de la personne humaine. Les personnes n’ont pas le réflexe d’exiger la reconnaissance et l’application de leurs droits à travers le dialogue social, encore moins sur le plan juridique.
En outre, les populations ne sont pas toujours capables de s’indigner lorsque les droits des personnes ne sont pas respectés, le résultat étant que l’impunité est très importante. Les discriminations à l’égard des femmes prennent parfois leurs origines dans la pratique judiciaire. D’abord l’accès à la justice est difficile pour les femmes. La justice coûte cher et les procédures sont complexes. Certaines discriminations sont des questions taboues (par exemple, les abus sexuels). Enfin, la société réprouve le fait qu’une femme se présente devant la justice pour réclamer certains droits. Enfin, les facteurs structurels de discriminations sont essentiellement la faiblesse des politiques et le manque d’actions efficaces pour renforcer les capacités des femmes et changer positivement les mentalités. De nombreuses discriminations sont héritées de certaines pratiques coutumières ou d’une mauvaise interprétation des religions.
Le Protocole de Maputo est appelé à produire des effets dans un contexte socio-culturel où le poids des coutumes et des religions rend extrêmement complexe la protection effective des droits de la femme.
Contrairement à la CADHP qui s’inspire des valeurs africaines, le Protocole de Maputo les présente comme un obstacle à l’émancipation de la femme africaine. Il y a lieu de s’interroger sur le rôle que peuvent jouer certaines coutumes et l’interprétation des religions dans les discriminations faites aux femmes. Il semble donc utile de rappeler que les droits des femmes sont pour l’essentiel des droits universels et que la diversité culturelle qui est fondamentalement un élément de mise en œuvre des droits ne peut signifier l’acceptation de traditions négatives. Il faut donc sérier et écarter toutes les pratiques négatives pour n’honorer que celles qui sont valorisantes pour les femmes. Des pratiques telles que l’excision, les viols, les abus sexuels, les harcèlements sexuels et les agressions sur des mineures sont donc à bannir car constitutives de violences atroces à l’égard des femmes.
Dr. Martial JEUGUE DOUNGUE Enseignant-Chercheur, Expert en Droits de l’homme et Droit Humanitaire Membre-Expert du Groupe de Travail ECOSOC Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples.
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