Oswald Padonou
Étudiant à la Sorbonne à Paris il y a quelques années, j’avais eu le bonheur d’exploiter le cadre analytique posé dans l’ouvrage Sociologie des crises politiques : la dynamique des mobilisations multisectorielles de Michel Dobry qui y enseigne, dans l’analyse des crises politiques des années 2000 à 2012 au Niger, en Côte d’ivoire et plus tard au
Burkina Faso.
Cet ouvrage pose une question centrale qui prend davantage de sens dans le contexte de crise multidimensionnelle que vit le monde avec la pandémie du covid-19 et ses effets socio-économiques et politiques: la crise consacre-t-elle une continuité ou, au contraire, une solution de continuité dans le jeu social?
Dans sa recension de l’ouvrage et en faisant écho à la réflexion de Dobry, le politologue français Bertrand Badie en dit ceci: «La réponse à la question passe par un usage pertinent et mesuré du concept de mobilisation qui permet effectivement de faire la part, dans toute crise, de ce qui relève de la récurrence et de ce qui relève de l’innovation et, surtout de ce qui s’explique par référence à une stratégie et à un mode d’organisation sociale connus et pratiqués et de ce qui s’explique par référence à la création d’engagements nouveaux».
Avec cette réinitialisation du logiciel de gouvernance publique que facilite la présente crise, il faut clairement une mobilisation convergente des énergies pour capitaliser ces acquis et instaurer/généraliser un revenu universel qui contribuera à réduire l’extrême pauvreté
Sans préjuger de ce que la crise actuelle pourrait réellement consacrer car de toute façon son issue fera observer des continuités et des ruptures, j’observe en Afrique de l’Ouest, deux situations, deux défis sur lesquels la dynamique des mobilisations peut produire une rupture qui pourrait être perçue comme une innovation politique et socio-économique.
Premièrement, le Bénin, en raison des mesures prescrites par le Gouvernement pour circonscrire la propagation du virus, notamment l’interdiction des rassemblements, fait l’expérience d’une campagne électorale exclusivement par les canaux médiatiques (affichage, crieur public, radio, télévision, réseaux sociaux numériques, etc.). Cette aventure vouée à l’échec ou au succès constituera un baromètre important pour jauger la responsabilité du gouvernement béninois au même titre que le taux de participation et les précautions sanitaires prises le 17 mai, jour du scrutin des communales et municipales.
Cependant, il n’y a que des situations de crise qui offrent ces vraies occasions de rupture et d’innovation, mais uniquement dans le cas où la complexité des mobilisations sociales, leur juxtaposition et leur opposition sont à peu près convergentes vers cette remise en cause du «confort» de l’habituel et du connu.
Deuxièmement, la fête du travail en cette année 2020, a eu une consonance bien particulière en raison, encore une fois de la pandémie du covid-19 qui a mis à l’arrêt ou en ralentissement tout le système productif des pays affectés. Si, au Sénégal, les syndicats n’ont pas présenté en toute responsabilité de cahier de doléances au gouvernement, il est tout de même opportun d’observer que l’ensemble des partenaires sociaux au Sénégal comme ailleurs, à l’occasion d’examiner la possibilité de pérenniser post-covid19, les transferts de fonds effectués par les pouvoirs publics aux citoyens vulnérables ou impactés par la crise.
Cela n’a peut-être l’air de rien, en raison des montants relativement faibles versés (12.250 F CFA par mois au Togo et 25.000 F CFA en Côte d’Ivoire) mais pour la plupart des personnes impactées, c’est la toute première fois de leur vie qu’ils reçoivent de l’argent de l’État…et cela change leur rapport à la puissance publique.
Elles révèlent les bontés insoupçonnées, les générosités calculées, les grands leaders et les piètres dirigeants et même l’omniscience de nombreux commentateurs capables de dire exactement ce qu’il aurait fallu faire hier et aujourd’hui pour en arriver à l’ultime conclusion : plus rien ne sera comme avant
Avec cette réinitialisation du logiciel de gouvernance publique que facilite la présente crise, il faut clairement une mobilisation convergente des énergies pour capitaliser ces acquis et instaurer/généraliser un revenu universel qui contribuera à réduire l’extrême pauvreté, à doper quelque peu la consommation et à intégrer ces citoyens sans emplois ou dont les emplois sont informels mais qui participent tout de même à la création de la richesse, dans le renouvellement du pacte social et républicain en quête de sens.
Dans la conjoncture actuelle, ces mesures innovantes mises en œuvre essentiellement par nécessité pour contenir de probables velléités de contestation voire de révolte de ceux qui n’ont rien à perdre, peuvent représenter l’une des «solutions de continuité» par l’effet des mobilisations et devenir un gain structurel qui fera relativiser, dans la postérité, ce que fût le covid-19: certes un monstre dévastateur des vies, mais également une crise traversée par des processus de relégitimation.
Et c’est toute la «magie» des crises: elles produisent des drames et des héros, assomment ceux qui ont tout prévu sauf ce qui arrive, au même titre que ceux qui n’ont rien prévu du tout. Elles révèlent les bontés insoupçonnées, les générosités calculées, les grands leaders et les piètres dirigeants et même l’omniscience de nombreux commentateurs capables de dire exactement ce qu’il aurait fallu faire hier et aujourd’hui pour en arriver à l’ultime conclusion : plus rien ne sera comme avant!
Mais fort heureusement, nous reviendrons à certaines habitudes, et probablement pas à d’autres. Ce qui importe, c’est ce que nous tirons individuellement et collectivement de cette crise, après avoir perdu des parents et des amis. L’opportunité qu’elle représente pour faire ce qui paraissait impossible : affecter les milliards engloutis dans les élections et les sommets onéreux au financement d’un mécanisme de revenu universel minimum, conditionné bien entendu.
Source photo : ONU Info
Docteur en Science politique et président de l’Association béninoise d’études stratégiques et de sécurité (ABESS), Oswald Padonou est enseignant-chercheur en relations internationales, études stratégiques, politiques de défense et de sécurité. Il est spécialiste de l’Afrique de l’Ouest et est l’auteur de plusieurs publications sur les dynamiques politiques et sécuritaires de la région.
2 Commentaires. En écrire un nouveau
Un projet d’expérimentation de la délivrance d’un revenu universel inconditionnel au Sénégal existe : voir le site http://www.darui.fr
Très belle analyse d’une situation qui malgré le bilan macabre assez lourd et quoiqu’on en dise constitue peut être le détonateur d’une nouvelle relation entre le peuple et les dirigeants. Cette situation à permis aussi aux dirigeants africains qui pendant longtemps maquillent les chiffres de la pauvreté et du chômage de reconnaître la vulnérabilité d’une de la majorité de leurs populations respectives.