Fatimata Ly
Les questions économiques, telles que le chômage, la pauvreté et le développement des infrastructures, occupent une place centrale dans les préoccupations des Mauritaniens, dont plus de 60 % de la population a moins de 25 ans. Parmi cette jeunesse, 42 % se trouvent sans emploi, ce qui exacerbe les tensions sociales et les aspirations de changement. Par ailleurs, les défis socio-économiques auxquels le pays est confronté sont aggravés par l’ émigration irrégulière ces deux dernières années, avec plus de 22 000 Mauritaniens tentant de rejoindre l’outre-Atlantique par voie maritime, soulevant des inquiétudes tant au niveau local qu’international.
Dans ce contexte, l’élection présidentielle de 2024 revêtait une importance capitale, portée par des espoirs et des attentes, mais aussi par une certaine inquiétude, notamment parmi les jeunes dont la participation politique reste insuffisante face aux enjeux cruciaux. Ce faible engagement expliqué par un sentiment de désillusion et de méfiance envers le système politique limite la motivation des jeunes à s’impliquer activement dans la vie politique. Alors que la nation se préparait à choisir son futur président, il est essentiel de comprendre comment ces dynamiques socio-économiques influencent les résultats et l’avenir de la Mauritanie.
Contexte historique et politique
Depuis son indépendance, la Mauritanie a connu de nombreuses transitions politiques souvent marquées par des coups d’État. L’élection de Mohamed Ould Ghazouani en 2019 a été un moment charnière, symbolisant une volonté pour le président Mohamed Ould Abdel Aziz de respecter les limites de mandat, un fait rare dans la région du Sahel. Si la Mauritanie semble avoir tourné la page des coups d’État, cependant, la persistance de l’influence militaire dans la politique nationale soulève des questions sur l’avenir de la gouvernance démocratique en Mauritanie. Le premier mandat de Ghazouani a été marqué par des réformes et une lutte contre la corruption, bien que ces efforts aient parfois été perçus comme des tentatives d’écarter des adversaires politiques. Mohamed Ould Abdel Aziz, ancien président a été condamné à cinq ans de prison pour enrichissement illicite, abus de fonctions, et autres délits financiers. En 2024, la réélection de Ghazouani s’est jouée dans un contexte de continuité et de réformes inachevées.
Les candidats et leurs programmes
Sept candidats ont été validés pour l’élection présidentielle de 2024, dont le président sortant Mohamed Ould Ghazouani. Parmi les autres candidats, Biram Dah Abeid, leader de l’opposition, s’est positionné comme le principal rival, axant sa campagne sur la lutte contre la corruption et la gabegie même si la perception de la corruption en Mauritanie a montré une légère amélioration avec un score de 30 en 2022, par rapport à un score de 29 en 2020 . Mohamed Lemine El Mourtaji El Wavi et Hamadi Ould Sid’El Moctar, représentants respectivement des partis ‘L’autre Choix’ et ‘Rassemblement national pour la réforme et le développement’, font également partie de la course, avec des visions distinctes pour le futur de la Mauritanie.
Les autres candidats, tels que Ba Mamadou Bocar et Dr. Antoine Slimane Soumare, représentent de nouvelles figures sur la scène politique, bien que leur impact soit limité par leur faible notoriété et la domination des figures politiques établies. Leurs programmes mettent l’accent sur l’importance de la justice, des droits humains, et du développement économique, mais ils peinent à obtenir un soutien massif en raison de l’influence persistante des partis traditionnels.
Déroulement de la campagne
La campagne officielle pour l’élection présidentielle du 29 juin 2024 en Mauritanie a débuté le 14 juin à minuit et s’est achevée le 27 juin, soit 14 jours de campagne. La campagne s’est globalement déroulée dans le calme, malgré quelques incidents isolés comme des affrontements entre partisans de différents candidats à Nouadhibou rapportés dans un communiqué du ministère de l’intérieur sans précision. Le parti au pouvoir était très présent à Nouakchott avec de nombreuses affiches et meetings, tandis que l’opposition était plus discrète.
Presque tous les candidats ont lancé leur campagne à Nouakchott, la capitale, à l’exception de Biram Dah Abeid qui a tenu son meeting d’ouverture dans la ville stratégique de Kaédi qui comprend une forte communauté peul et soninké. Le président sortant Mohamed Ould Ghazouani a démarré sa campagne devant des milliers de supporters dans un stade de Nouakchott.
Les candidats ont parcouru le pays pour présenter leur programme très axé sur la jeunesse et organiser des meetings, souvent nocturnes et festifs à Nouakchott, sous des tentes le long des avenues. Certains rassemblements, comme ceux du camp présidentiel, étaient plus animés que d’autres. Les candidats Biram Dah Abeid et Outouma Soumaré ont utilisé les réseaux sociaux pour atteindre un public plus jeune, en plus du porte-à-porte. Les candidats moins connus ont privilégié les rencontres directes dans les quartiers pour établir un lien personnel avec les électeurs, utilisant des ressources limitées et des réseaux communautaires pour se faire connaître.
Si Ghazouani a mis l’accent sur la jeunesse et le développement socio-économique dans ses prises de parole, Abeid a dénoncé la corruption du régime en place mais a aussi abordé la place des communautés discriminées et l’immigration des jeunes. Les autres candidats ont évoqué le potentiel économique du pays et la nécessité d’une nouvelle vision politique.
Le jour du scrutin et les résultats
La Mauritanie a comme système électoral un scrutin uninominal majoritaire à deux tours, les candidats doivent être musulmans et âgés d’au moins 40 ans selon la constitution. Le premier tour de l’élection présidentielle s’est déroulé le 29 juin 2024. Environ 1 million sur les 1,97 million d’enregistrés ont pu voter, soit un taux de participation d’environ 55 %,
Le président sortant, Mohamed Ould Ghazouani, a été réélu dès le premier tour avec 56,12 % des voix. Son principal adversaire, Biram Dah Abeid, a recueilli 22,10 % des suffrages, tandis que les autres candidats ont obtenu des scores beaucoup plus modestes.
La faible mobilisation électorale en Mauritanie résulte de plusieurs facteurs. La politique est souvent perçue négativement, entraînant un désintérêt des électeurs malgré les conditions difficiles. L’offre politique, marquée par une instabilité due à des rivalités traditionnelles, n’a pas évolué suffisamment depuis l’indépendance pour dépasser ces controverses. De plus, la jeunesse mauritanienne, peu politisée, est plus volatile électoralement. D’un autre côté, il est intéressant de savoir que même si une partie de la population ne partage pas les idéaux politiques de l’opposition, elle tend à soutenir, poussée par un fort désir de changement.
Si Ghazouani a mis l’accent sur la jeunesse et le développement socio-économique dans ses prises de parole, Abeid a dénoncé la corruption du régime en place mais a aussi abordé la place des communautés discriminées et l’immigration des jeunes. Les autres candidats ont évoqué le potentiel économique du pays et la nécessité d’une nouvelle vision politique
Ainsi, la Mauritanie peine à mobiliser ses électeurs, contrairement à certains pays voisins tel que le Sénégal dotée d’une dynamique électorale plus engageante et d’une mobilisation plus forte.
L’opposition mauritanienne tel que le camp de Biram Abeid a aussi formulé plusieurs griefs concernant les irrégularités électorales lors de l’élection présidentielle de 2024. Plusieurs candidats ont dénoncé des fraudes et des manipulations durant le processus électoral. Ils ont exprimé des doutes sur la transparence et l’intégrité de la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI). La CENI est accusée d’avoir commis des fraudes, notamment un bourrage d’urnes dans environ 700 bureaux de vote où les représentants du parti de Biram Abeid auraient été chassés.
Les défis post-électoraux
L’élection présidentielle de 2024 a révélé des dynamiques complexes de la scène politique. La persistance des candidats comme Biram Dah Abeid illustre une stabilité et une continuité des attentes populaires, ainsi qu’une polarisation persistante entre les forces établies et l’opposition. Les résultats montrent également un défi pour les nouveaux entrants et les partis d’opposition, qui peinent à briser la domination des figures politiques établies.
Les candidatures variées et les résultats montrent une scène politique en évolution, avec des partis traditionnels et de nouvelles formations cherchant à répondre aux attentes divergentes de la population. Le faible succès des candidats émergents révèle des obstacles importants à la construction d’une base électorale solide et à la rupture avec les structures politiques établies. Cependant, il est important de noter les irrégularités constatées dès la phase préélectorale et après l’élection présidentielle.
La légitimité de la CENI est d’abord en question malgré la modification du règlement intérieur de la CENI en 2022, la CENI est critiquée pour sa gestion du processus électoral concernant sa transparence et son efficacité. Ce remaniement a été le fruit d’un consensus entre le parti au pouvoir et les principaux partis d’opposition, visant à améliorer la transparence des élections avec l’adoption en 2022 d’un système de représentation proportionnelle basé sur des listes nationales, tribales et parlementaires, avec la participation des partis d’opposition, afin d’accroître la représentation des groupes minoritaires.
Pour cette élection, la CENI a également mis en place un système de publication des résultats en temps réel bien que des membres de l’opposition demandent des audits plus approfondis de ses procédures.
Malgré les efforts annoncés , des irrégularités ont été signalées, notamment l’exclusion d’une grande partie de la diaspora mauritanienne, ce qui a suscité des critiques sur la violation des droits démocratiques.
Ainsi, la Mauritanie peine à mobiliser ses électeurs, contrairement à certains pays voisins tel que le Sénégal dotée d’une dynamique électorale plus engageante et d’une mobilisation plus forte
La diaspora mauritanienne a été largement exclue du vote lors des élections récentes. Un arrêté ministériel ( arrêté conjoint numéro 000140, issu du ministère des Affaires étrangères et de la Coopération ainsi que du ministère de l’Intérieur et de la Décentralisation en date du 26 janvier 2023) a restreint la participation à certains pays , ce qui a suscité des critiques sur la violation des droits civiques. Seules quelques localisations, comme la France avec 19,563 mauritaniens ou la Côte d’ivoire, ont été autorisées à organiser le vote, allant à l’encontre de la loi qui stipule que les opérations électorales doivent être organisées dans les pays où le nombre d’inscrits mauritaniens atteint au moins cent.
Cette décision exclut des pays clés comme le Sénégal, où réside la plus grande communauté mauritanienne à l’étranger, comptant environ 46 518 personnes sur un total d’environ 128 508 selon les statistiques de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), en 2019 représentant 2,84% de la population totale du pays. Environ 23,331 mauritaniens résident au Mali et 8,781 en Espagne, où la tenue des élections législatives et présidentielles n’ont pas eu lieu.
Des violations des droits de l’homme ont été constatés juste après l’annonce des résultats avec des affrontements entre manifestants et forces de sécurité, entraînant des morts et des blessés. L’internet a été coupé pendant 22 jours, limitant la communication et l’organisation des manifestations. Des troubles ont eu lieu dans plusieurs villes, notamment Kaédi, où trois personnes ont été tuées, dont deux en détention et une à l’hôpital.
Crédit photo: Agence mauritanienne d’information
Fatimata LY est stagiaire en communication à WATHI et étudiante en Master 2 Diplomatie et Géostratégie au Madiba Leadership Institute du groupe ISM. Passionnée par la recherche sur les questions de sécurité et de bien-être en Afrique, elle s’engage activement dans des initiatives visant à améliorer la situation des populations vulnérables. Elle est également stagiaire en plaidoyer et leadership au sein d’OASIS Sahel, une ONG internationale dédiée à la promotion de l’éducation des filles et à l’autonomisation des femmes dans la région du Sahel.
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Bravo ma nièce