Rapport du Secrétaire général sur la situation en Afrique centrale et les activités du Bureau régional des Nations Unies pour l’Afrique centrale
Conseil de sécurité des Nations Unies
Principaux faits nouveaux survenus dans la sous-région de l’Afrique centrale
Tendances et faits nouveaux en matière de politique, de paix et de sécurité
En République du Cameroun, les troubles sociaux ont perduré dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest au sujet de l’imposition de la langue française dans le secteur judiciaire, le secteur de l’éducation et dans d’autres secteurs. Si les premières vagues de protestations fin 2016 concernaient les revendications formulées par des syndicats représentant les avocats et les enseignants, par la suite les accusations ont aussi porté sur la discrimination politique et économique de la population anglophone, qui a marqué l’histoire du pays. De nombreux affrontements avec les forces de sécurité se sont produits, des grèves générales (villes fantômes) se sont poursuivies, des militants anglophones ont été arrêtés et une panne générale d’Internet a touché les deux régions (du 17 janvier au 20 avril).
Les efforts du Gouvernement pour apaiser d’emblée les tensions ont échoué.
Le 17 janvier, il a interdit les activités de Cameroon Anglophone Civil Society Consortium (CACSC) ainsi que celles du mouvement séparatiste, le Southern Cameroons National Council, les accusant de mener des actions contraires à la Constitution et de chercher à saper la sécurité de l’État. Il a également arrêté des dirigeants du CACSC, Felix Agbor-Balla et Fontem Aforteka’a Neba, le 17 janvier et le journaliste et militant, Mancho Bibixy, le 20 janvier.
Ils devront tous trois répondre d’accusations de terrorisme et, s’ils venaient à être condamnés, seraient passibles de la peine de mort, en vertu de la loi antiterroriste de février 2014. Le procès des trois principaux militants et de cinq autres personnes, tous des civils, s’est ouvert le 13 février au tribunal militaire de Yaoundé. Le 7 avril, la Cour a ajouté 25 autres personnes à la liste des inculpés de l’affaire.
Dans le même temps, un autre procès militaire s’est ouvert contre un journaliste de Radio France Internationale, Ahmed Abba, que le Gouvernement accuse d’avoir collaboré avec Boko Haram. Il est en détention depuis le 30 juillet 2015. L’inculpé, qui a plaidé non coupable, a été condamné à 10 ans de prison le 20 avril 2017.
Le 15 mars, le Président Paul Biya a nommé le Président et 13 représentants de la Commission nationale pour la promotion du bilinguisme et du multiculturalisme, qu’il a créée le 23 janvier. Le 17 mars, la Présidence a également fait savoir au CACSC qu’elle était prête à mener un dialogue pour répondre à ses doléances. En outre, le 30 mars, le Ministre de la justice a exposé plusieurs mesures prises par le Gouvernement pour régler la crise, y compris la création d’une section de common law à l’École nationale de la magistrature, de facultés de droit anglophones dans plusieurs universités, le redéploiement de magistrats selon des critères linguistiques et la nomination de magistrats anglophones supplémentaires à la Haute Cour de justice.
Ces mesures ont été jugées insuffisantes par les avocats en grève et la direction du CACSC, qui ont continué d’exiger la libération immédiate et l’amnistie des personnes détenues et le rétablissement des services Internet dans les deux régions. Ces services ont été rétablis le 20 avril.
*Boko Haram
Les opérations militaires concertées de la Force multinationale mixte (FMM) et des forces armées nationales des pays du bassin du lac Tchad ont continué d’affaiblir la capacité d’attaque de Boko Haram. Le groupe a certes axé la plupart de ses attaques contre des positions militaires mais il demeure capable de frapper la population civile par des attentats-suicides. Pendant la période considérée, Boko Haram a été responsable d’au moins 76 attaques dans l’extrême-nord de la République du Cameroun, dont 15 étaient des attentats-suicides, et de quatre attaques dans la région du Lac de la République du Tchad, causant la mort de 48 personnes en République du Cameroun et de 24personnes en République du Tchad.
Evolution de la situation humanitaire
S’il est vrai que les opérations militaires ont affaibli et dispersé les combattants de Boko Haram, les attaques et les attentats-suicides se poursuivent dans l’extrême-nord de la République du Cameroun, où on estime que 220000 personnes ont été déplacées. La région compte également plus 86000 réfugiés nigérians. De plus, le commencement de la saison sèche a facilité les mouvements, ce qui a entraîné une multiplication des attaques le long des routes principales, entravant ainsi l’acheminement de l’aide humanitaire. L’Accord tripartite entre la République du Cameroun, la République fédérale du Nigéria et le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a été signé le 2 mars à Yaoundé.
L’Accord détermine les conditions et procédures de retour volontaire des réfugiés nigérians, dans le respect de leur sécurité et leur dignité. Toutefois, le HCR a signalé que des demandeurs d’asile nigérians continuaient d’être refoulés par la République du Cameroun en dépit de l’Accord et qu’en 2017, au 21 mars, plus de 2600 réfugiés avaient été renvoyés contre leur gré dans des villages du Nigéria situés près de la frontière.
Le Gouvernement de la République du Cameroun a nié la véracité de ces signalements. Dans l’est du Cameroun, de graves déficits de financement menacent la viabilité de programmes d’aide alimentaire vitaux pour les réfugiés de République centrafricaine, dont 276 000 sont encore dans le pays. Pour l’année 2017, la communauté humanitaire œuvrant au Cameroun cherche à collecter 310 millions de dollars pour fournir une assistance vitale à 1,2 million de personnes et répondre à leurs besoins urgents ou chroniques.
Situation des droits de l’homme
En République du Cameroun, une manifestation pacifique organisée le 28 novembre par des étudiants de l’Université de Buea a été réprimée par les forces de sécurité, qui ont employé la force de façon excessive et procédé à des arrestations et détentions arbitraires. Le 8 décembre, des protestations organisées par des groupes de jeunes à Bamenda, la capitale de la région du nord-ouest, se sont envenimées lorsque la police et les forces de sécurité ont utilisé des gaz lacrymogènes et des canons à eau contre les manifestants, puis ont finalement ouvert le feu. Au moins deux manifestants ont été tués et quatre policiers blessés.
Un poste de police a été incendié et le feu a été mis à des véhicules de services gouvernementaux. D’autres violations du droit à la liberté d’expression et d’association, aux réunions pacifiques et à l’accès à l’information se sont produites, y compris l’arrestation et la détention de journalistes, la mise hors service de l’Internet et la fermeture de deux stations de radio à Bamenda et Buea entre la mi-janvier et la mi-avril.
Un plan d’action national pour guider l’application de la résolution 1325 du Conseil de sécurité a été mis au point et doit être officiellement présenté au Gouvernement de la République du Cameroun. En 2016, le pays a adopté un nouveau Code pénal qui protège les droits des femmes et des filles, en particulier pour ce qui est de la garde des mineurs, des mutilations génitales féminines et de la violence sexuelle. La stratégie nationale sur la violence sexiste et le Plan d’action national sur les mutilations génitales féminines ont récemment été examinés pour les rendre conformes aux normes internationales en matière de droits de l’homme.
Situation sécuritaire au Cameroun: Avril 2018
Ligue Internationale des Femmes pour la Paix et la Liberté (WILPF)Cameroun
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Les différents actes d’agression de la secte Boko Haram dans la partie septentrionale et la crise anglophone dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du Cameroun ont fait plus de 273 victimes aussi bien des civils et militaires que des terroristes et séparatistes. Entre meurtres, enlèvements et destructions des édifices publiques et habitats privés, certains habitants des villes affectées ont pris refuges dans les villes voisines tandis que le gouvernement et autres acteurs sociaux ont continué dans la logique et le désir de faire revenir la paix dans l’ensemble des villes du pays.
Bilan de la crise
Boko Haram
Les données du journal L’œil du Sahel montrent 34 victimes parmi lesquelles 15 civils dont 07 tués (comme dans l’attaque du 08 Avril à Alagarmo) et 08 blessés. 01 chauffeur de camion a été enlevé le 09 Avril entre Sale et Zigague par Boko Haram. Dans la nuit du 02 Avril 2018 dans la localité de Sagme (Fotokol), 06 militaires ont perdu la vie dans une violente attaque des Djihadistes de Boko Haram; plus de 07 membres des forces de défense en tout ont été tués dans les différentes attaques et 01 autre a été blessé. Signalons cette attaque du 1er Avril où 15 terroristes ont perdu la vie.
Au total, au moins 32 terroristes dont 03 kamikazes ont trouvé la mort. Une trentaine de cases ont été incendiées par les extrémistes Djihadistes de la secte Boko Haram. 150 bœufs ont été récupérés le 18 Avril par les membres infiltrés du comité de vigilance à Zigague, aux environs de Dougouma (Nigéria) ; 245 autres têtes de bœufs ont été emporteés à Zuru. 05 mines de Boko Haram ont également été désamorcées par les membres des forces de défense à l’Extrême-Nord. Le trihebdomadaire L’œil du Sahel annonce aussi une « crise de migrants » dans la localité de Wack, région de l’Adamaoua, où 5.444 personnes fuyant les exactions de Boko Haram y vivent en sursis comme déplacés internes.
Crise anglophone
Les agressions menées par les séparatistes dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest ont fait au moins 239 victimes selon les informations enregistrées dans le journal en ligne Le journal du Cameroun : le mois d’Avril 2018 s’est ouvert par l’enlèvement d’une douzaine de touristes étrangers (Suisses et Italiens) à Nguti dans le Koupé Manengoumba, région du Sud-Ouest, qui ont été libérés le 03 Avril grâce à la collaboration des forces de défense, de la population, des services de sécurité et l’Etat. Le 08, un juge à la retraite a été pris en otage dans le Sud-Ouest, ce qui a fait plus de 13 de personnes enlevées. Par ailleurs, le 05 Avril, 14 otages ont été libérés dont les douze étrangers.
Plus de 14 morts ont été enregistrés du côté des civils, y compris le Surveillant Général du Lycée de Kosala et une maîtresse (dont la mort a semé la psychose au sein des populations de Muyuka dans le Sud-Ouest) de l’Alpha Bilingual Nursery and Primary School et plusieurs autres ont été blessés. Le 18 Avril, la brigade de gendarmerie d’Eyumodjock a été attaquée par des individus armés, aucune perte en vie humaine n’a été enregistrée du côté de forces de sécurité. Le 19 Avril, 06 militaires du BIR ont été blessés dans l’explosion d’une mine. Le 12 Avril, quelques 200 personnes fuyant les fusillades entre les forces séparatistes et l’armée camerounaise à Ediki ont trouvé refuge dans la ville de Mbanga (Littoral).
L’afflux de nombreux citoyens anglophones a soulevé une légère panique au sein des populations de l’arrondissement de Fongo-Tongo, département de la Menoua, Région de l’Ouest. Le convoi du Gouverneur du Sud-Ouest a été attaqué par les sécessionnistes alors qu’il se rendait à l’installation du Nouveau Préfet de la localité de Lebialem. Le 20 Avril 2018, les populations de Buea (Sud-Ouest) baignent dans la confusion : les séparatistes membres de « l’Ambazonian Defense Forces » (ADF) avaient adressé un ultimatum à l’attention des fonctionnaires pour les sommer de quitter la ville.
Quelques réponses
Du gouvernement
- Le 03 Avril 2018, le Ministre de l’Administration Territoriale (MINAT) Paul Atanga Nji interdit la vente d’armes à feu dans 06 régions (Adamaoua, Littoral, Centre, Ouest, Nord-Ouest et Sud-Ouest), car cette situation constitue « une menace réelle à l’ordre public ». Dans son communiqué, il ordonne également la fermeture jusqu’à nouvel ordre des armureries qui y sont établies. Le MINAT appelle par ailleurs tous ceux qui sont en possession d’armes de se faire enregistrer auprès de l’autorité administrative compétente dans les brefs délais. Après sa 3e vague de « tournée de la paix » qui a débuté le 09 Avril dans le Littoral, la mesure interdisant la vente d’armes s’est étendue le 26 Avril sur toutes les dix régions du pays.
- L’état de la prolifération d’armes et le port illicite sont de nature à nuire à la situation sécuritaire. Selon les chiffres officiels, il existe actuellement 3.800 autorisations de port d’arme, pourtant, plus de 27.000 armes seraient en circulation. Le 15 avril, le MINAT déclare sur la Cameroon Radio télévision (CRTV) que l’Etat du Cameroun mène un dialogue sur la crise anglophone, dialogue avec les chefs traditionnels, les évêques, les députés, les hommes politiques, les sénateurs… Mais les séparatistes n’y sont pas conviés, car : « on ne peut pas parler à ceux qui ont tenté de briser l’autorité de l’Etat, à ceux qui mettent en cause l’autorité de l’Etat ». En rapport avec l’idée de marginalisation des anglophones, Paul Atanga Nji soutient que les anglophones ont de tout temps bénéficié de la confiance du Président de la République avec la nomination des ressortissants des régions anglophones dans le gouvernement.
- Une conférence sous régionale sur la circulation des armes de petit calibre qui contribuent au développement des conflits s’est tenue en République Centrafricaine, regroupant tous les pays membre de la CEMAC dont le Cameroun. A cette occasion, il a été recommandé de renforcer les capacités des acteurs sous régionaux en charge des questions de sécurité sur la lutte contre la prolifération des armes de petits calibres.
- Le 21 Avril 2018, s’est tenue une réunion à huis clos dans la capitale Yaoundé qui regroupait autour du Ministre de la Défense, tous les chefs militaires des dix régions du Cameroun. « La rencontre avait pour but de d’évaluer la situation sécuritaire du Cameroun, surtout dans les deux régions anglophones et l’Extrême-Nord où le pays est en guerre », a confié Beti Assomo. Au sortir de cette réunion, il a été retenu que « la situation sécuritaire dans l’ensemble du pays est sous contrôle des autorités administratives et des forces de défenses et de sécurité », à l’exception des deux régions anglophones. Un point a aussi été fait sur la célébration prochaine de la fête de l’unité nationale afin que tout se déroule dans la paix et la tranquillité dans toutes les dix régions du pays.
- Peter Mafany Mussongue, président de la Commission Nationale du Bilinguisme et du Multiculturalisme (CNBMC), a été au chevet des victimes et blessés dans les attaques des sécessionnistes. Il rappelle aux uns et aux autres que toute revendication qui passe par la violence fait plus de mal que de bien ; la violence n’est pas le moyen idéal de communication dans la revendication.
- Le Préfet de l’arrondissement de Fongo-Tongo, Jules EKoumé, a exhorté les populations locales à rester vigilantes et à surveiller attentivement les entrées de la ville. Il a été recommandé à la population de signaler tout visiteur suspect aux forces de l’ordre tout en restant calme et en manifestation un esprit de solidarité, d’amour et de vie commune à l’endroit de leurs compatriotes ayant fui l’insécurité croissante dans les régions anglophones.
- Le Préfet Chamberline Ntou’ou Ndong a annoncé que tout est mis en œuvre pour arrêter les assassins du Surveillant Général du Lycée de Kosala.
- Vu les nombreux déplacements des ressortissants de Kambé dans le Nord-Ouest vers Département de la Vallée du Ntem, Le Préfet qui les accueille a prôné le vivre ensemble dans la paix et l’unité nationale. Le dialogue a été recommandé comme moyen parfait utilisé en période de mécontentement. Les sécessionnistes ont été appelés à laisser les élèves aller à l’école.
Cameroun : la crise anglophone à la croisée des chemins
International Crisis Group
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Synthèse
Au Cameroun, les anglophones, qui représentent 20 pour cent de la population, se sentent marginalisés. Leurs frustrations se sont exprimées avec force fin 2016 lorsque des revendications corporatistes se sont transformées en demandes politiques, donnant lieu à des grèves et des émeutes. L’ampleur du mouvement a été telle que la politique répressive du gouvernement cette fois n’a pas suffi pour rétablir le calme, l’obligeant à négocier avec les syndicats et à faire quelques concessions. La mobilisation s’affaiblit, mais le mécontentement d’une majorité de la communauté anglophone demeure.
Après avoir vécu trois mois sans Internet, six mois d’opérations « ville morte » et une année scolaire gâchée, beaucoup réclament aujourd’hui le fédéralisme ou la sécession. A un an de l’élection présidentielle, la résurgence du problème anglophone est porteuse d’instabilité. Le gouvernement camerounais, avec l’appui de la communauté internationale, devrait rapidement prendre des mesures d’apaisement afin de rétablir la confiance et le dialogue. Souvent méconnu de la partie francophone, le problème dit anglophone existe au Cameroun depuis les indépendances. Une réunification mal conduite, fondée sur un projet centraliste et assimilationniste, a mené à un sentiment de marginalisation économique et politique de la minorité anglophone et à une prise en compte défectueuse de sa différence culturelle.
La crise actuelle constitue une résurgence particulièrement inquiétante de ce vieux problème. Jamais la question anglophone ne s’était auparavant manifestée avec une telle acuité. La mobilisation des avocats, enseignants et étudiants à partir d’octobre 2016, ignorée puis réprimée par le gouvernement, a ravivé des mouvements identitaires datant des années 1970, qui demandent le retour au modèle fédéral existant entre 1961 et 1972. L’arrestation des figures de proue du mouvement et la coupure d’Internet en janvier ont achevé de saper la confiance entre le gouvernement et les activistes anglophones. Depuis, les deux régions anglophones vivent au rythme des villes mortes, du boycott des écoles et d’incidents violents sporadiques.
Les groupuscules sécessionnistes se multiplient depuis janvier. Ils profitent de la situation pour radicaliser la population avec l’appui d’une partie de la diaspora anglophone. Si le risque de partition du pays est très faible, celui d’une résurgence à moyen terme du problème sous forme de violence armée est élevé, car certains de ces groupuscules appellent désormais à la violence. Les mesures gouvernementales prises depuis mars – la création d’une Commission nationale pour le bilinguisme et le multiculturalisme, de sections Common Law à la Cour suprême et à l’Ecole nationale d’administration et de magistrature, le recrutement de magistrats anglophones et de 1 000 enseignants bilingues, ou encore le rétablissement d’Internet après 92 jours d’interruption – ont eu peu d’effets.
Les figures de proue de la contestation les jugent tardives et insuffisantes. La réaction de la communauté internationale a été plutôt limitée, mais elle a néanmoins poussé le gouvernement à adopter les mesures sus-énoncées. Le régime de Yaoundé semble en effet plus sensible aux demandes internationales qu’à celles des acteurs nationaux. Sans une pression ferme, persistante et coordonnée des partenaires internationaux du Cameroun, il est peu probable que le gouvernement s’oriente vers des solutions de fond.
La crise anglophone illustre à la fois un problème classique de minorité, qui oscille entre désir d’intégration et d’autonomie, et des problèmes plus structurels de gouvernance. Elle montre les limites du centralisme national, alors que la décentralisation, engagée en 1996, est peu effective. La faible légitimité de la plupart des élites anglophones dans leurs régions, le sous-développement, la fracture générationnelle et le patrimonialisme sont des maux communs au Cameroun. Mais la combinaison d’une mauvaise gouvernance et de la question identitaire risque d’être particulièrement difficile à traiter.
La résolution du problème anglophone passe par une réponse internationale plus ferme et le rétablissement de la confiance, grâce à des mesures d’apaisement cohérentes qui répondent aux revendications des corporations en grève. Il y a urgence : les élections approchent, et la crise risque de miner le processus. Dans cette perspective, plusieurs mesures immédiates s’imposent :
Discours d’apaisement et de reconnaissance du problème anglophone par le président de la République ;
Libération provisoire des meneurs de la mobilisation anglophone ; Sanctions contre les membres des forces de sécurité responsables de bavures durant la crise ;
Mise en œuvre rapide des mesures gouvernementales annoncées en mars 2017, ainsi que des 21 points qui ont fait l’objet d’un accord entre les syndicats anglophones et le gouvernement en janvier 2017 ;
Remaniement ministériel et réorganisation de la haute administration en vue de mieux refléter le poids démographique, politique et historique des anglophones, d’inclure les jeunes générations et des personnalités plus légitimes en zone anglophone ;
Restructuration de la Commission nationale pour le bilinguisme et le multiculturalisme afin d’inclure paritairement les anglophones, de la doter d’un pouvoir de sanction et de garantir l’indépendance de ses membres ;
Décriminalisation du débat politique, y compris sur le fédéralisme, notamment en cessant d’utiliser la loi antiterroriste à des fins politiques, et recours à un tiers (l’Eglise catholique ou un acteur international) comme observateur voire médiateur entre le gouvernement et les organisations anglophones.
A plus long terme, le Cameroun devra engager des réformes institutionnelles pour remédier aux problèmes profonds dont la question anglophone est le symptôme. Il s’agira notamment d’appliquer de façon rigoureuse et d’améliorer les lois sur la décentralisation en vue de réduire les pouvoirs des administrateurs nommés par Yaoundé, de créer des conseils régionaux, de mieux distribuer les ressources financières et les compétences, et enfin d’adopter des dispositions légales spécifiques aux régions anglophones dans les domaines de l’éducation, la justice et la culture.
Le Cameroun – qui fait face à Boko Haram dans l’Extrême-Nord et aux miliciens centrafricains à l’Est – doit éviter l’ouverture d’un nouveau front potentiellement déstabilisateur. Une aggravation du problème anglophone pourrait affecter l’élection présidentielle et les élections générales prévues en 2018. Surtout, elle pourrait déclencher des revendications sur l’ensemble du territoire et une crise politique de plus grande ampleur.
Le conflit Boko Haram au Cameroun Pourquoi la paix traîne-t-elle ?
Pr Ntuda Ebode Joseph Vincent, Pr Mark Bolak Funteh, Dr Mbarkoutou Mahamat Henri et M. Nkalwo Ngoula Joseph Léa
Friedrich Ebert Stiftung Cameroun
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Historique et contexte d’émergence du phénomène boko haram au cameroun
Les activités de Boko Haram en territoire camerounais ont retenu l’attention des médias et de l’opinion publique à partir de 2014. Pourtant, la nébuleuse s’y était introduite des années avant, profitant des fragilités de la région de l’Extrême-Nord pour assoir son puissant réseau de soutiens locaux.
Extrême-Nord, historique d’une crise
Les premiers indices d’une présence effective de Boko Haram au Cameroun remontent à 2009 lorsque les rescapés de la secte, fuyant les affrontements avec les forces de sécurité nigérianes, ont transité ou se sont repliés dans les localités du corridor frontalier avec le Nigeria, notamment à Fotokol, Mora, Maroua, Kousseri, Amchidé, Kerawa, Djibrilli, Bornori, Tolkomari, Kolofata, etc. S’appuyant dès 2011 sur un puissant réseau d’imans locaux, de prédicateurs itinérants, de jeunes boursiers camerounais recrutés parfois depuis le Nigéria et le Soudan, Boko Haram se lance dans une campagne de prosélytisme et de recrutement dans les départements du Mayo Sava, Mayo Tsanaga, Logone et Chari. Selon un bilan consolidé d’International Crisis Group (ICG) de novembre 2016, entre 3 500 et 4 000 Camerounais, très majoritairement des hommes, auraient rejoint Boko Haram pour des raisons diverses : opportunisme, fanatisme, vengeance personnelle, goût de l’aventure.
Certains l’ont rejoint par contrainte, à la suite d’enlèvements estimés par ICG à plus de 1 000 depuis 2014. Le Mayo-Sava représente le plus important foyer de recrutement de Boko Haram, mais les autres départements frontaliers (Mayo Tsanaga, Logone et Chari) et les villes comme Maroua et Kousseri ont également beaucoup contribué en hommes. Profitant de la vague de réfugiés qui arrivent au Cameroun dès 2012, les éléments de Boko Haram venus du Nigéria voisin s’y sont infiltrés et ont engagé des activités de propagande et d’implantation de cellules dans l’Extrême-Nord.
Des attaques isolées et très localisées ont été enregistrées la même année sur la ligne frontalière située entre Dabanga, Fotokol, Makari, et Kousseri ; suivies entre 2013 et 2014 d’une vague d’enlèvement d’expatriés occidentaux et d’élites locales. Le gouvernement Camerounais resté attentiste au départ, devant cette menace nouvelle parfois perçue comme un problème nigéro-nigérian, a dû sortir de sa réserve pour déclarer officiellement la guerre à Boko Haram en mai 2014. Depuis cette période, la région est le théâtre d’une guerre hybride qui articule attaques conventionnelles (dès 2014), guérilla, tactiques asymétriques (à partir de l’été 2015), au gré de l’évolution des capacités opérationnelles de Boko Haram et du rapport de force militaire (Mbarkoutou, 2016).
Les estimations obtenues à partir du croisement des données d’ACLED, d’ICG à travers sa plateforme Crisis watch et du journal l’Œil du Sahel – trois sources ouvertes reconnues pour leur suivi rigoureux de cette crise depuis 2013 – font état d’environ 556 attaques et 77 attentats suicides perpétrés par Boko Haram dans la région de l’Extrême-Nord entre janvier 2013 et juin 2017. Depuis 2014, plus de 150 militaires et environ 1 670 civils auraient trouvé la mort dans le conflit Boko Haram. Un chiffre qui s’alourdirait à plus de 2 000 civils selon l’œil du Sahel, si on remonte à 2012.
Le conflit a entraîné un afflux des réfugiés nigérians au Cameroun. Plus de 90 000 individus enregistrés par le HCR, entrés par les localités de Kewara, Amchidé, Fotokol, Tourou, Mogodé, sont principalement concentrés dans le camp de Minawao (qui en accueille plus de 59 000 depuis juillet 2013 contrairement à sa capacité d’accueil qui n’est que de 39.000 places) et les villages voisins qui abritent près de 33 000 réfugiés. Les déplacés internes sont tout aussi nombreux dans les localités de la région (Mémé, Makary, Kousseri, Afadé), et posent d’énormes défis humanitaires.
Jusqu’ en septembre2017, on dénombrait 325 589 personnes déracinées dont 235 913 déplacés internes, 30 278 réfugiés non enregistrés et 59.398 retournés. 91% de ces déplacés le sont à cause du conflit Boko Haram (DTM, 9 juillet 2017). Environ 60% des déplacés internes sont hébergés au sein de familles hôtes, elles-mêmes déjà vulnérables. Les autres déplacés internes et réfugiés s’installent dans des camps de fortune le long des axes routiers (Maroua-Kousseri, KolofataMora). Ces chiffres alarmants sur les victimes révèlent l’ampleur de l’enracinement d’une menace qui a bénéficié d’un terreau favorable.
Contexte d’émergence du conflit Boko Haram
La violence islamiste qui sévit actuellement dans l’Extrême-Nord du Cameroun s’inscrit dans l’histoire des dynamiques culturelles, sociopolitiques et économiques de la région. Le positionnement géostratégique singulier de cette partie du Cameroun, au confluent de plusieurs foyers de conflits chroniques et de poches de marginalité, a aménagé un terrain propice à l’implantation de Boko Haram.
La région de l’Extrême-Nord est un espace éloigné du centre politique et polarisé par le nord-est du Nigéria – épicentre de l’insurrection islamiste – avec qui il entretient une grande proximité historique, géographique, socioculturelle, linguistique et religieuse. Elle jouxte le bassin du lac Tchad, espace carrefour abritant une multitude de groupes ethniques liés par une solidarité transfrontalière, à l’instar de l’ethnie Kanuri présente aussi bien dans le Borno nigérian que dans les départements du Mayo Sava et du Mayo-Tsanaga camerounais.
Malgré l’exiguïté de son territoire, la région affiche une croissance démographique dynamique qui l’a placée au rang de région la plus densément peuplée du Cameroun, avec une population estimée à trois millions et demi d’habitants (BUCREP, 2010). Cependant, l’attention des pouvoirs publics n’est pas à la hauteur de ce poids démographique. On note un net désengagement socio-économique et institutionnel de l’Etat, comme en témoignent les indicateurs socio-économiques alarmants livrés par l’Institut National des Statistiques et la Banque Mondiale: plus de 70 % de la population de cette région vit sous le seuil de pauvreté, 50% à 70% d’enfants y souffrent de malnutrition chronique.
En dehors de la ville de Maroua, chef-lieu de la région de l’Extrême-Nord, qui concentre la plupart des institutions publiqueset des infrastructures comparables à celles de grandes villes méridionales, le reste de la région connaît un faible niveau de développement en infrastructures routières, énergétiques, sanitaires, éducatives et un tissu industriel quasi inexistant. Une véritable fracture sociale se dessine entre les zones urbaines et rurales, entre la région tout entière et les régions du sud du pays. Cette fracture alimente la frustration et le sentiment d’abandon dans le cœur des populations. L’emprise de l’ignorance a également constitué un facteur favorable à l’enracinement de l’extrémisme.
Sur le plan éducatif, la Région de l’Extrême-Nord enregistre des indicateurs tout aussi inquiétants. Le taux d’alphabétisation des individus de 15 ans ou plus est de 40,1% dans l’Extrême-Nord contre 74,3% en moyenne nationale ; let aux de scolarisation des enfants de 6-11 ans est de 63,0% contre 85,1% en moyenne nationale ; le taux d’utilisation de l’électricité est de 21,4% contre 62,1% en moyenne nationale. Cet état des lieux s’explique non seulement par la réticence à fréquenter les écoles dites de type occidental, mais aussi par la préférence des parents à inscrire leurs progénitures dans les écoles coraniques domestiques ou itinérantes.
Sans instruction citoyenne, ni formation pratique, les jeunes issus de ce modèle d’éducation sont non seulement moins compétitifs pour accéder aux opportunités d’emploi et d’épanouissement, mais aussi exposés aux risques de radicalisation et d’instrumentalisation. La région de l’Extrême-Nord a toujours été perçue par les pouvoirs publics comme un espace de désordre où ils peinent à imposer leur autorité.
Elle est en proie depuis des décennies à une intense criminalité transfrontalière organisée qui a continuellement mutée, au gré des circonstances et des réponses coercitives de l’Etat, en combinant enlèvement, embuscade sur des véhicules de transport en commun, raid sur les campements (Saibou Issa, 2006; 2010). La région est également un espace de transit et de trafic de la drogue, du carburant frelaté, des médicaments, des pièces détachées, des armes légères et de petit calibre en provenance du Soudan, de la Centrafrique et du Tchad.
Parties prenantes et enjeux du conflit Boko Haram
La cartographie des acteurs du conflit permet de dessiner un maillage complexe d’intervenants locaux, nationaux et internationaux mus par des rationalités spécifiques, et tirant des bénéfices économiques, politiques, symboliques et affectifs de ce conflit.
La filière camerounaise de Boko Haram et son réseau logistique
Le mouvement insurrectionnel qui sème la terreur dans l’Extrême-Nord du Cameroun mobilise un ensemble très hétérogène d’acteurs avec de nombreuses ramifications dans les sphères religieuses, politiques et économiques locales. Au cœur de cet ensemble complexe, on retrouve les leaders et les combattants de la mouvance terroriste d’inspiration salafiste djihadiste. Boko Haram ou le « Groupe des partisans de la sunna pour la prédication et le jihad » (comme il se définit) bascule dans l’insurrection armée dans le nord-est Nigérian dès 2009 en agrégeant des profils divers allant des fanatiques aux individus enrôlés de force ainsi que de purs affairistes. Le groupe armé va progressivement muter son modus operandi au gré des réponses sécuritaires des Etats du bassin du lac Tchad.
Axée au départ sur des attaques frontales dans une logique guerrière résolument symétrique, la stratégie du mouvement va évoluer vers des formes plus asymétriques et hybrides avec notamment le recours aux bombes humaines, aux Engins Explosifs Improvisés (EEI), aux scènes de pillage et d’enlèvement des paysans. Ayant au départ un agenda localement circonscrit au territoire nigérian, Boko Haram a progressivement manifesté un intérêt particulier pour le Cameroun. L’intérêt était d’aménager une base arrière de repli dans la guerre qui l’opposait à l’armée nigériane, de sécuriser les couloirs d’approvisionnement par la connexion des espaces sanctuarisés et de contrôler des zones de prélèvement des ressources humaines, logistiques, militaires, matérielles, informationnelles et alimentaires.
La déclaration de guerre lancée par le Cameroun en mai 2014 suivie de l’allégeance très médiatisée à Daesh en mars 2015 ont déterminé Boko Haram à considérer le territoire camerounais comme un front légitime du djihad. Pour s’implanter durablement et sécuriser ces lignes d’approvisionnement, la milice islamiste étend ses ramifications jusqu’aux réseaux mafieux camerounais et tchadien qui contrôlent des transactions immobilières et foncières ainsi que les principaux axes empruntés par les produits de la contrebande à l’instar des axes Kousséri – N’Djamena, Mora – Maiduguri en passant par Kolofata et Banki (village où est stocké le carburant trafiqué du Nigéria). D’ailleurs, les combattants de Boko Haram empruntent dans leur mobilité les mêmes itinéraires que les produits de la contrebande.
C’est la preuve d’un mariage opérationnel qui revêt une grande importance tactique pour le groupe terroriste car il lui offre une parfaite maîtrise des voies de contournement des check points et des points de passage névralgiques en territoire camerounais. A côté des groupes organisés, Boko Haram peut également compter sur des particuliers, intermédiaires financiers, transporteurs informels, passeurs, qui jouent des rôles déterminants dans la chaîne logistique.
Ces adeptes, militants et relais, véritables acteurs de l’ombre bien intégrés dans la société, ont permis au groupe terroriste de faire main basse sur une bonne partie de l’économie informelle de la région qui repose sur le commerce transfrontalier du bétail, poisson, poivre rouge, cigarette, médicament, pièces détachées de moto.
L’offensive politique et militaire du gouvernement camerounais
Lorsque le Cameroun se décide à combattre Boko Haram en 2014, il est déjà aux prises avec de multiples menaces sécuritaires consécutives au débordement du conflit centrafricain à sa frontière orientale, à l’activisme des pirates sur son littoral et au banditisme militaire ourdi par des rebelles tchadiens et centrafricains dans le septentrion. Avec l’intensification des incursions de Boko Haram et du flux de réfugiés nigérians dans l’Extrême-Nord, le gouvernement camerounais a fait le choix de passer à l’offensive pour juguler cette tendance haussière.
Mais au-delà de cette inquiétude sécuritaire évidente, des calculs politiques et diplomatiques auraient déterminé la décision de Yaoundé. L’entrée en guerre contre Boko Haram a donné l’occasion au gouvernement camerounais de réchauffer ses relations diplomatiques avec Paris.
Au départ très distantes et caractérisées par l’évitement, les relations entre M. Hollande et M. Biya se sont améliorées avec la libération des otages français d’abord et la lutte contre un ennemi commun ensuite. Sur le plan de la politique intérieure, la lutte contre Boko Haram a ouvert une fenêtre d’opportunité permettant au régime de se re-légitimer et de neutraliser l’action des forces de l’opposition. La rhétorique de l’union sacrée, la loi antiterroriste controversée et la récupération des victoires réalisées par les forces de sécurité sur le front, illustrent tous les bénéfices politiques tirés par le pouvoir.
Quant aux forces de défense camerounaises, elles se sont mises à pied d’œuvre pour contrer l’expansion de la menace terroriste. A la posture purement défensive observée au tout début du conflit, a succédé l’initiative offensive à partir de février 2015 jusqu’à présent, à travers les opérations Emergence 4 et Alpha. Les opérations conduites parallèlement au niveau bilatéral (TchadCameroun; Nigéria-Cameroun ; etc.) et multilatérales (avec la Force Multinationale Mixte) ont permis de déloger les terroristes de plusieurs bastions, de démanteler leurs camps d’entraînement et leurs entrepôts de fabrication d’engins explosifs, de couper leurs circuits d’approvisionnement. Ces réactions musclées qui ont réduit substantiellement leur capacité opérationnelle ont contraint les djihadistes à revenir aux tactiques asymétriques auxquelles les troupes camerounaises semblent moins aguerries.
Futurs possibles de la crise sécuritaire dans l’Extrême-Nord Cameroun
Les changements induits par le conflit et les dynamiques de l’environnement économique sous régional alimentent de nombreuses inquiétudes et renforcent la vraisemblance des hypothèses les plus pessimistes sur l’avenir du conflit Boko Haram.
• Les épreuves difficiles de certains réfugiés nigérians au Cameroun représentent une bombe à retardement qui pourrait prolonger le conflit dans la durée. Ceux qui sont installés dans le camp de Minawao vivent dans des conditions psychiques difficiles de déracinement en dépit des efforts de l’Etat et ses partenaires (HCR) pour améliorer le niveau d’assistance. Résignés et mal informés sur la situation dans leur pays, certains (13 091) ont tenté entre avril et juin 2017 de regagner les villes de Banki et Pulka qui connaissent pourtant un chaos humanitaire.
Ces derniers mois, l’inflation des attaques terroristes dans le Mayo Sava a renforcé les suspicions à l’égard des réfugiés nigérians, ouvrant parfois sur des amalgames. De janvier à juin 2017, 4 317 nouveaux réfugiés hors camp auraient été reconduits de force à la frontière par les services de sécurité camerounais (communiqué du HCR du 14 juillet 2017). Aux dures conditions auxquelles ils sont confrontés dès leur retour au Nigéria, s’ajoute le traitement indécent qu’ils reçoivent de la part de l’armée nigériane qui les soupçonne de complicité avec Boko Haram.
Une telle considération pourrait figer leur frustration et aménager le lit de l’extrémisme violent. Le discours de Boko Haram pourrait sur le court terme rencontrer un écho particulier auprès de cette cible vulnérable. La mouvance islamiste aurait déjà infiltré ces communautés pour engager une campagne de retournement puisque neuf présumés combattants de Boko Haram et cent complices, infiltrés au sein de ces réfugiés venant du Cameroun ont été interpellés au début du mois de juillet selon Ahmed Satomi, directeur de l’Agence de gestion des urgences pour l’Etat du Borno.
Ce scénario n’est pas si éloigné de celui qu’on pourrait envisager pour les déplacés internes dont la vulnérabilité socioéconomique et la stigmatisation sociale accroient le risque de conflit intercommunautaire. Ce risque est démultiplié avec l’approche d’échéances électorales locales où les enjeux liés à l’autochtonie, l’allogènie et l’ethnicité pourraient être agités dans la mobilisation des soutiens communautaires.
• La surpopulation carcérale dans la prison de Maroua où sont écroués plusieurs présumés membres de Boko Haram, en attente de procès, est préoccupante. Plus de 1 000 personnes arrêtées dans le cadre de la lutte contre Boko Haram y sont détenus (Amnesty International, 2016), soit trois fois sa capacité d’accueil. Une situation d’autant plus préoccupante que ces présumés partagent leur quotidien avec des prisonniers de droit commun. Pourtant, l’actualité sécuritaire de l’Occident et du Moyen Orient nous rappelle que les prisons ont régulièrement fonctionné comme des foyers de radicalisation et des lieux de reconstitution des réseaux islamistes.
Le risque que cette prison devienne une future académie du djihad n’est pas à négliger, même s’il faut tempérer cette hypothèse en signalant que la majorité des « radicalisés » incarcérés à Maroua ou à la prison centrale de Yaoundé, sont moins des radicalisés idéologiques portés par une conviction inébranlable de défendre l’islam, que des adeptes et militants opportunistes qui voulaient tirer profit d’une collaboration, fut-elle furtive, avec Boko Haram.
• La perspective que Boko Haram emprunte les méthodes de Daesh et s’inspire de sa trajectoire guerrière semble pour l’instant hypothétique, en raison du faible soutien opérationnel de l’Etat Islamique à la nébuleuse, mais n’est pas à écarter. En effet, les revers militaires et la perte de son emprise territoriale sur le théâtre irako-syrien ont poussé Daesh à entrer dans un djihad plus décentralisé voir individualisé, exporté en Europe, qui recourt aux moyens de bord (voiture bélier, couteau, bonbonne de gaz, etc.) pour échapper à la vigilance des services de renseignement. Ce djihad inspiré par le théoricien Abou Moussab Al Souri dans son livre culte intitulé Appel à la résistance islamique mondiale, vise à polariser irrémédiablement la société occidentale et créer à terme une guerre civile entre la majorité de la population et la minorité musulmane.
Les connexions entre Boko Haram et l’Etat Islamique pourraient servir de porte d’entrée à une telle théorie qui séduit déjà plusieurs extrémistes en occident. Et les pertes de bastions de Boko Haram pourraient déterminer un tel changement de cap. Dans cette perspective, les futures actions de Boko Haram pourraient s’orienter vers des centres urbains pour diffuser leur propagande, radicaliser à distance et pousser leurs cibles vers des attaques urbaines autonomes sans lien avec un commandement opérationnel. L’appel lancé par Shekau dans une vidéo de propagande diffusée le 1er avril 2017, appelant ses partisans à attaquer les sites du Cameroun et même sa capitale, annonce le début ce revirement stratégique.
Cameroon’s anglophone war, part 1: A rifle as the only way out
Emmanuel Freudenthal, Freelance journalist, and regular IRIN contributor
Before the army destroyed his village and killed his three brothers, Abang was a farmer and an electrician. Today, he’s one of hundreds of anglophone men fighting with hunting rifles and magical amulets against the US- and French-trained Cameroonian army in an attempt to win independence for a new country they call Ambazonia.
Cameroon’s anglophone minority has been requesting greater autonomy since former territories held by the British and French were federated into one central African nation in 1961. These demands have become steadily more vocal since the 1980s.
In October 2017, peaceful protests – calling for the use of English in courts and classes – took a turn for the worse when security forces killed dozens of demonstrators and jailed hundreds more. This violence led to the birth of several separatist armed groups that have since killed and kidnapped numerous officials in the Northwest Region and the Southwest Region, the two majority anglophone areas. Abang’s group, the Ambazonia Defense Forces, or ADF, is the largest.
More than 180,000 people have been displaced by counter-insurgency operations by Cameroon’s security forces, who have killed civilians and burnt down villages. Most of the fighters interviewed by IRIN joined the militia after they were forced to flee their homes.
In a report published today, Amnesty International says separatists have killed at least 44 security forces and attacked 42 schools since February 2017. Some of the attacks on schools were attributed to the Ambazonia Defense Forces by the local population, but Amnesty could not establish that link and a spokesman for the ADF denied the group’s involvement. Amnesty also reported allegations that more than 30 people have been arbitrarily killed by security forces, including a high-profile attack on the village of Dadi in December 2017 in which at least 23 people, including minors, were arrested and then severely tortured.
The government has denied allegations of systematic human rights violations by its security forces. It says it is open to dialogue, but insists that the unity of Cameroon is “non-negotiable.”
Abang, who is in his 30s, is tall and slightly hunches forward when he sits. His friendliness and quick smile disappear only when he talks about the unfairness that drove him to take up arms. Then, his eyes darken and he gesticulates angrily as he talks. He is wearing a black T-shirt – the only top he possesses, he says.
Abang lives in a camp that consists of a few buildings made from mud, a courtyard (that the fighters call the parade ground), and a couple of bamboo poles on which flags are occasionally hung. There are 50 other fighters in the camp.
“Even if they kill me, there is no problem,” explains Abang. “I’m sacrificing my life.” According to the leader of the Ambazonia Defense Forces, Cho Ayaba, his group has 1,500 active soldiers spread over more than 20 camps throughout anglophone Cameroon.
Over the course of a week, IRIN met combatants from several camps and saw about 100 fighters in total. The ADF appears to be the main armed group operating in anglophone Cameroon. Their equipment is poor – they wear flip-flops rather than combat boots.
Around his neck, Abang carries what he calls, with a smirk, a monkey gun. It’s a hunting rifle made in Nigeria. To load it is cumbersome: you twist a screw under the barrel so the gun snaps open in the middle, push a cartridge inside the chamber, click the rifle back into place, and finally twist the screw to lock it.
Abang carries half a dozen red hunting cartridges tucked into a belt around his waist. He can’t afford more than that. None of the ADF men in Abang’s camp have assault rifles; the entire rebel army appears to have barely a dozen of them.
That’s no match for the assault weapons carried by the soldiers of the Cameroonian army. They have been trained and equipped by France and the United States for their fight against the Islamist extremist group Boko Haram. Their guns spray hundreds of bullet every minute; Abang can perhaps reload once in that time.
Daily life is difficult, Abang says. There’s barely enough space to sleep side by side on the floor of the huts lent to them by the nearby village. There’s not enough food, and the river water that they drink is milky with silt.
For Abang, there’s nowhere else to go. The army destroyed his village, sending his whole family fleeing into the bush, where, he believes, they are still hiding. The military then set up a camp in his village, and now he says he can’t even go back to tend to his cocoa trees. After fleeing the attack, he wandered around the region, spending some time in a refugee camp in Nigeria. He hasn’t seen his wife and children for a long time.
Nearly every ADF soldier has a story like Abang’s. And the line separating these soldiers from refugees is very thin; their journeys are nearly the same.More than 180,000 Cameroonians, mostly anglophones, are estimated to have been displaced during just eight months of conflict. This includes 160,000 inside the country and more than 21,000 refugees registered in camps in Nigeria, according to the UN. Real numbers may be a lot higher because many of them are hiding in the bush or have not yet been reached by humanitarian agencies. IRIN met a dozen would-be refugees in Cameroon and members of another group in Nigeria who claimed they were about 350-strong – none had met UN workers.
Among them is an old woman who sits in the shade of a palm tree – she’s one of those displaced by the conflict but still inside Cameroon. Her cane leans against the tree’s rough trunk and her legs are stretched out in front of her. She has given birth to 11 children, and raised them. But now they’re nearly all gone.
“They’ve killed my children, 10 children they’ve killed,” she says, in an ethereal voice. Her hands shake slowly, as if rustled by a gentle breeze. Pointing to a woman nearby cradling a baby, she adds: “She’s the only one who remains.”
The old woman goes on to explain how, a few months earlier, her children had been returning home to their village of Mavas from Akwaya. Army troops stopped them on the road and killed all of them, she says.
The rest of the family fled, moving to a small hut by their farm, a few hours’ walk from Mavas. The old woman’s surviving daughter explains that she had been pregnant at the time so they couldn’t make it the several days’ walk all the way to Nigeria. Now she seems more worried for her mother. “She’s been sick,” she says, “since her children died.”
Like many other villages in the anglophone regions, Mavas is now deserted. It used to boast a bustling market where farmers would bring their yams and you could eat some grilled fish and maybe drink a beer. Now, it’s completely empty. A couple of schoolgirls who’ve fled to Nigeria hurry to pack a few clothes they had left behind, before rushing away again.
ADF fighters act as guides through the empty village. Several of them used to live there and, like the old woman, had to flee. One of the fighters walks into a large house with mud walls and a zinc roof. He opens a door with a broken lock and invites us inside. “This is my room,” he says, pointing with his rifle. A mosquito net hangs over a bed without a mattress. “They have carried it away,” he explains. “They’ve spoiled everything.”
He recalls the moment the army came in February. He had been playing with his sister’s children. Then the troops “just started shooting,” he says. He fled, and soon after joined the growing ranks of the ADF.
Back at camp, listening to the ADF fighters, it is difficult sometimes to distinguish between systemic discrimination by the Cameroonian state and personal setbacks.
All have stories of unfair treatment, as do many civilian anglophones. One says he should have been hired for a government job but was passed over because he is an English speaker. Another says he and his classmates studied in English, and that because state exams are given only in French this prevented him and others from attending university.
Discrimination against the use of the English language ignited the armed rebellion, but IRIN’s interviews with the ADF fighters also point to long-held grievances over the lack of basic state services and economic stagnation in the anglophone regions.
Abang says he joined the ADF because the state took resources from his region, but he also accuses francophones of “deceiving” anglophones more generally. “I was working in Douala as an electrician,” he explains. “They only paid me 3,000 CFA ($5.40) when I had worked for more than 200,000 CFA ($360).”
The odds may be stacked against the fighters, but they seem undaunted, driven by their anger against the state. “Until they kill me, I’ll do my best to fight, until I get my independence,” says Abang. “I’m not alone, we are many.”
Cameroon Analysis: Will Anglophone strikes continue in coming weeks amid grievances from Western Cameroonians?
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Current Situation: Anglophone strikes
Since early November 2016, the Anglophone regions of Western Cameroon, namely the country’s Northwest and Southwest regions have been experiencing increased tensions over the community’s perceived social and cultural marginalization by the largely Francophone state. Although the tensions have been long, this particular period was triggered by lawyer Anglophone strikes, denouncing the appointment of unqualified Francophone magistrates, not familiarized with common law across Western Cameroon. Soon afterwards, the teachers’ unions joined in, as they protested against the imposition of French in Anglophone schools. Since then, we witnessed frequent protests and strikes by such elements throughout these regions, with the former often turning unruly.
Meanwhile, in early December, and in response to the perceived unwillingness of the Cameroonian State to address their demands these unions, along with a wide array of Anglophone civil society groups created CACSC, leading to the ongoing wave of ghost town strikes. Such Anglophone strikes have been widely adhered to across the Southwest and Northwest regions as evidenced on January 16-17, 23-24 and February 6, 11. The strikes have been largely peaceful, in alignment with CACSC’s spirit, nonetheless several isolated instances of unrest have been recorded, namely, the reported attack by disgruntled youth against Francophone schools in Limbe, Southwest Region on January 17.
On January 17, the Cameroonian government banned CACSC, subsequently arresting the latter’s leaders. Also on January 17 the Cameroonian government reportedly imposed restrictions on internet access in the Anglophone regions, which are still ongoing as of the time of writing. Additionally, the Cameroonian government has allegedly threaten with sanctions to any media outlet advocating for secession or federalism.
Assessments & Forecast
Since the establishment of the Federal Republic of Cameroon in 1961, joining the largely english speaking regions of Western Cameroon with the newly formed French Speaking Cameroon, the country was established as a bilingual state. However in practice, the country has been largely run and dominated by the French-speaking majority, which accounts for eight of the country’s ten regions and 80 percent of the population. This tendency has been gradually institutionalized, especially since the government system was changed from a federation into a unitary state in 1972, and has been consolidated during the rule of longstanding President Paul Biya.
This lack of institutionalized bilingualism, has created amongst the english speaking population of Western Cameroon an environment of perceived social and cultural marginalization by the Francophone State. Such marginalization has been translated not only by an increased use of French in both the educational and legal system, but also by the absence of Western Cameroonians in senior government positions.
In addition, the use of French as the country’s main language has created employment obstacles for anglophone citizens. Thus, especially alienating the youth across the Northwest and Southwest Regions vis-a-vis the state, creating a hotbed for civil discontent, not witnessed in the region since the calls by the Southern Cameroon National Council (SCNC) of independence more than two decades ago. Such grievances have set the ground for the ongoing “ghost town” campaign.
This entrenched sense of marginalization allowed an initial movement of Anglophone teachers and lawyers unions seeking for social demands, to evolve into political demands that would enhance the bilingual character of the nation, particularly the reestablishment of federalism. In this context, the Cameroon Anglophone Civil Society Consortium (CACSC) has emerged as the most prominent organization amongst the Anglophone movement calling for federalism and further recognition from the largely Francophone state.
With a strategy of civil disobedience through the implementation of a series of “ghost town” Anglophone strikes across Northwest and Southwest Cameroon, CACSC has succeeded in installing the debate about the reestablishment of federalism both in the national spectrum and in the international arena, as the Anglophone problem has gained momentum in the international media and intellectual spheres across the globe.
While the organization has highlighted the peaceful stance of its campaign, several isolated episodes of violence have been recorded amid their strikes, such as the clashes recorded in Ndop, Northwest Region on February 10 leaving two protesters killed. Additional organizations, such as the Southern Cameroons National Council (SCNC) have taken a more radical stance advocating for secession, calling for the establishment of the Anglophone self-proclaimed Republic of Ambazonia. As a continuation of their separatist ideology since the organization’s establishment in 1995. In this regard, several splinter groups and disgruntled youths have engaged in violent acts amid the Anglophone strikes, namely, attacks against non-compliant organizations, particularly French-speaking schools and scuffles with security forces.
Such a stance has the potential to hinder the Anglophone strikes camping, which as of the time of writing has enjoyed wide adherence and public support, given that it could generate public animosity towards the civil movement and most importantly provide justification for crackdowns by security forces. FORECAST: Nonetheless, given that such groups are likely to remain a minority voice amongst the Anglophone camp, CACSC sponsored “ghost town” strikes are likely to continue in the coming weeks, with an elevated level of adherence across the english-speaking regions.
President Paul Biya’s tight grip on power with the help of a robust political apparatus and the support of the Army has allowed him to rule the country since 1982, being the second longest-ruling leader in the whole continent still in power. In this context, the emergence of a civil disobedience campaign in the Anglophone Regions, which constitutes the stronghold of the opposition Social Democratic Front (SDF) party, marks an unusual political challenge for Biya’s regime.
Thus, Yaounde has taken a hardline stance vis-a-vis the Anglophone movement as evidenced by the imposition of a ban against CACSC and the subsequent arrest of its leaders on January 17 over “terrorism” charges. Also the government imposed internet disruptions across the Southwest and Northwest Cameroon on January 17, which are still ongoing as of the time of writing, jeopardizing life and business continuity in Western Cameroon. This measure has drawn wide international criticism as prominent humanitarian organizations have labeled such policy as a sign of increased authoritarianism by the Cameroonian regime.
Consequently, the Cameroonian government has continuously framed Anglophone activists as criminals, while stressing the united and indivisible character of Cameroon and threatening media outlets of advocating for Federalism or secession. This intransigent posture underscores the perceived political backlash that eventual concessions to the Anglophone minority could have on a national level, where additional regions may see such concessions as a sign of the regime’s weakness, subsequently destabilizing the government. In this regard, as evidenced in the government’s rhetoric, Yaounde is particularly against the implementation of a federal system.
Since the Cameroonian regime is based on the unified character of the country, with Paul Biya as the primary element of such unification, a federal system might create the environment for democratic expressions to emerge on the regional level, consequently, setting the ground for political criticisms that could eventually lead to substantial challenges for the regime.
FORECAST: While the government established a Commission for the Promotion of Bilingualism and Multiculturalism in order to address the Anglophone grievances, such efforts are unlikely to represent significant changes on the ground. Moreover, given the aforementioned potential challenges, Yaounde is likely to maintain their animadversion towards the implementation of a federal system, preserving the unitary character of the state. Thus, CACSC sponsored “ghost town” Anglophone strikes are likely to continue in the coming weeks, with an elevated level of adherence across the english-speaking regions.
Nonetheless, if CACSC does not succeed to render real compromise from Yaounde in the foreseeable future, the strike campaign may lose its current momentum. Indeed, the great economic toll that such manifestations are having in the already deprived economy of Western Cameroon, coupled with the increased pressure exerted by parents in light of the continued teachers’ Anglophone strikes, are likely to hinder the adherence, and subsequently the success of such campaigns in coming months.
Source photo : aa.com.tr