Mette Bakken, Mathias Hounkpè
Le 7 Décembre 2016, sauf changement de dernière minute, les Ghanéens se rendront aux urnes pour les 7emes élections générales du pays. Depuis le rétablissement de la démocratie multipartiste au début des années 1990, le Ghana a toujours été reconnu comme l’une des expériences de démocratisation les plus réussies et les plus prometteuses de l’Afrique de l’Ouest et même au-delà. Cependant, quelques menaces planent sur les prochaines élections générales.
Que ce soit par rapport à son cadre institutionnel, à ses institutions en général, ou par rapport à ses pratiques, la 4ème République du Ghana a eu jusque-là un parcours unique. A la suite de six élections, généralement considérées comme crédibles, et deux alternances pacifiques (d’un parti politique à un l’autre) au sommet de l’Etat, la culture démocratique semble s’être enracinée dans le pays.
A l’issue des premières élections générales compétitives organisées en 1992, l’ancien Chef de l’Etat John Jerry Rawlings a régné pendant deux mandats (soit au total huit ans) avec le National Democratic Congress (NDC), un parti de centre-gauche. La présidence de la République a été ensuite occupée, pendant les deux mandats suivants, par M. John Kufuor avec le New Patriotic Party (NPP), un parti libéral-conservateur. Âprement disputées, les élections de 2008 ramènent le NDC au pouvoir, cette fois-ci sous le leadership de feu Prof. Atta Mills. Le NDC a remporté les élections au second tour par une très courte victoire d’à peine 50,23%, et le NPP a concédé la victoire de manière pacifique en permettant au pays de continuer son aventure démocratique.
Avec seulement quelques milliers de voix au-dessus du seuil de 50% au premier tour lors d’élections tout autant âprement disputées qu’en 2008, John Mahama, qui a pris le pouvoir à la suite du décès du président Mills, a gagné la présidentielle de 2012. Cette fois-là en revanche, l’opposition a crié à la fraude en accusant la Commission Electorale de manipulation des résultats en faveur du pouvoir. Le recours devant la Cour Suprême qui s’en est suivi a tenu le pays en haleine pendant plusieurs mois. Les faiblesses du système venaient ainsi, à l’occasion de ce processus électoral, d’être mises à nu.
Quel est l’enjeu?
C’est dans ce contexte que John Mahama se présente pour un deuxième mandat alors que Nana Akufo-Addo – qui a été le candidat du NPP en 2008 et 2012 – espère fermement que cette troisième tentative sera la bonne. Face aux difficultés économiques et sociales croissantes, notamment un fort taux d’inflation et une augmentation des taxes et du prix de l’essence, la campagne électorale tourne essentiellement autour des questions liées au développement économique, au chômage et à la pauvreté. Après huit années passées au pouvoir, le NDC représente le bouc-émissaire parfait qui devrait porter la responsabilité de cette situation difficile que traverse le pays. De façon tout à fait prévisible, le NPP bâtit sa campagne autour de l’idée d’un pays en crise à cause de la mauvaise gestion, de l’incompétence et de la corruption du gouvernement/pouvoir sortant.
Depuis le rétablissement de la démocratie multipartiste au début des années 1990, le Ghana a toujours été reconnu comme l’une des expériences de démocratisation les plus réussies et les plus prometteuses de l’Afrique de l’Ouest et même au-delà.
Suite à la réhabilitation par la Cour suprême de 3 des 12 candidatures à la présidentielle précédemment rejetées par une décision controversée de la Commission électorale, cinq autres candidats seront représentés sur le bulletin de vote pour la présidentielle de 2016, portant ainsi à 7 le nombre total de candidats en lice. La capacité de l’un ou l’autre de ces cinq candidats à gagner suffisamment de votes pourrait déterminer si un second tour sera nécessaire ou non entre les deux premiers. Autrement dit, de la capacité de l’un de ces candidats à priver les deux premiers d’un nombre substantiel de votes devrait dépendre l’éventualité d’un second tour. Selon le Code électoral du Ghana, devient président de la République le candidat qui gagne au moins 50 % des votes plus une voix. A défaut, un deuxième tour est organisé entre les deux candidats arrivés en tête au premier tour.
Les élections et l’avenir de la démocratie au Ghana
Les élections générales de décembre 2016 constitueront un test décisif de la capacité du Ghana à organiser des élections crédibles et pacifiques. Car, en effet, le contexte sociopolitique a bel et bien changé. Ainsi, la confiance de l’opinion publique en la Commission électorale est la première source de préoccupations. Chargée, comme on le sait, de la gestion indépendante et impartiale de tout le processus électoral – de la confection de la liste électorale à la tenue des élections – la Commission électorale a été unanimement reconnue comme une institution hautement fiable pendant presque deux décennies, mais la débâcle qui a suivi les élections de 2012 a sérieusement entamé sa réputation.
Ces dernières années, la confiance de l’opinion publique a chuté pratiquement de moitié en passant de 59% à 37% alors que seulement 46% des électeurs pensent que les prochaines élections seront justes et équitables. Ceci constitue un très mauvais départ, notamment dans un contexte qui avait toujours été marqué par une grande assurance et une sérénité appréciable face aux joutes électorales.
Au fond, il est effectivement possible que la Commission Electorale organise des élections crédibles, mais si les perceptions en ce qui concerne sa capacité – et même sa volonté – de le faire demeurent faibles, elles peuvent être instrumentalisées par les parties perdantes aux élections afin de remettre en cause la crédibilité des résultats. Par ailleurs, les scandales récents de corruption au sein de l’appareil judiciaire n’ont pas arrangé les choses : alors qu’elle était saluée pour sa gestion du contentieux électoral des élections antérieures, la justice discréditée en ajoute aux difficultés. Le scénario du perdant des élections qui rejette les résultats et en appelle à la rue pour protester – ce qui, parfois, débouche sur la violence et des pertes en vies humaines – est classique sur le continent africain.
Ces dernières années, la confiance de l’opinion publique a chuté pratiquement de moitié en passant de 59% à 37% alors que seulement 46% des électeurs pensent que les prochaines élections seront justes et équitables.
Ceci nous amène à la deuxième source d’inquiétudes pour les prochaines élections. Alors que les intimidations, les harcèlements et la violence étaient plutôt localisés lors des précédentes élections, cette fois-ci cela pourrait être assez différent. En visite en Août cette année au Ghana, la mission conjointe de haut niveau CEDEAO-UA-ONU a exprimé de sérieuses préoccupations en ce qui concerne la situation préélectorale et “a reconnu qu’il y avait des risques réels de violence électorale“. Ces dernières années, les protestations et troubles violents ont été en hausse – passant de 24 en 2013 à 63 en 2015, passant du simple au presque triple. De façon plus spécifiquement liée aux élections, il y a des groupes de milices affiliés aux partis politiques, c’est-à-dire des groupes armés qui perturbent les activités électorales des partis adverses.
Les élections partielles organisées l’année dernière dans la région du Nord-Est du pays ont connu l’apparition de tels groupes associés aux deux plus grands partis politiques – lesdits Azorka Boys (qui seraient liés au NDC) et les Bolga Bulldogs (qui seraient liés au NPP). En dépit de ce que le Gouvernement a plusieurs fois insisté sur son intention de “régler le compte des fauteurs de troubles pendant les élections“, les menaces à la sécurité des électeurs et du processus électoral continuent de peser sur l’environnement électoral.
Comment s’en sortira le modèle démocratique de l’Afrique?
A moins d’un mois du Jour J, la campagne électorale est à son comble et les préparatifs pour les élections vont bon train. Ces élections peuvent se révéler le test le plus difficile pour la consolidation de la démocratie au Ghana. Cependant, après plus de deux décennies, le pays a construit des institutions relativement fortes qui sont capables de garantir la crédibilité des élections. L’expérience nous apprend que les partis politiques sont généralement disposés à recourir aux dispositions légales et aux voies de droit pour le règlement du contentieux électoral.
La Commission électorale dispose d’un palmarès confortable et, malgré les recours toujours pendants devant la justice, sa nouvelle présidente, Mme Charlotte Osei, a été saluée par ses pairs pour ses performances dans un environnement pré-électoral plutôt difficile. Le Ghana dispose d’une société civile forte et dynamique qui, par le passé, a contribué de manière constructive à la promotion de la démocratie, y compris à l’amélioration de l’intégrité des élections à travers l’éducation civique, la sensibilisation des électeurs et l’observation électorale.
L’histoire nous apprend que la démocratie est une bataille permanente, une conquête de tous les jours. Le Ghana n’est certainement pas le seul pays dans ce cas. A travers le continent, les expériences de démocratisation – bâties sur l’Etat de droit, les institutions et les processus – rencontrent assez souvent des défis analogues. Au final, c’est la capacité du système à continuer sa marche inexorablement qui déterminera si la démocratie deviendra le seul jeu auquel tout le monde participe ou non.
Photo: Infos d’Accra
Mette Bakken est Chargée de Programme à l’Institut international pour la démocratie électorale (International IDEA) et est basée au bureau régional d’Addis-Abeba. Mathias Hounkpè est l’administrateur du programme de Gouvernance politique à OSIWA.