Auteur : Julien Wagner
Organisation affiliée : Jeuneafrique
Type de publication : Entretien
Date de publication : Juin 2018
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Présent à l’Africa Energy Forum à Maurice (18 au 22 juin), le secrétaire général du Système d’échanges d’énergie électrique ouest-africain (EEEOA), le burkinabè Siengui Ki, 59 ans, est très demandé. Tout le monde veut savoir si le marché électrique régional sera bientôt une réalité. «Oui», assure inlassablement à chacun l’ancien directeur général de la Société nationale d’électricité du Burkina Faso (Sonabel), «ce n’est pas un rêve, c’est une réalité».
Jeune Afrique : Vendredi 29 juin s’ouvre officiellement à Cotonou le marché régional électrique ouest-africain. Qu’est-ce que cela change?
Siengui Apollinaire Ki : C’est une étape fondamentale. Dorénavant, il existe un cadre institutionnel et réglementaire qui régit le marché électrique de 14 pays (tous les membres de la Cedeao, moins le Cap-Vert). D’ici deux ans, quand toutes les interconnexions seront réalisées, les producteurs et distributeurs de la sous-région pourront vendre ou acheter de l’électricité sur n’importe quel point du réseau de transport.
En l’état, le réseau n’est pas encore entièrement opérationnel?
Non. Un certain nombre de travaux sont en cours sur le réseau haute tension. Nous sommes encore en train de finaliser l’interconnexion entre certains pays. C’est vrai pour la boucle Mali, Sénégal, Gambie, Guinée et Guinée-Bissau, ou celle entre la Côte d’Ivoire, la Gambie, la Sierra Leone et le Liberia, ou encore entre le Ghana et le Burkina Faso.
De quel ordre sera cette baisse?
Cela dépendra des pays. Ce qui est certain, c’est que le prix de revient pour les distributeurs va diminuer puisqu’ils pourront profiter de la concurrence entre une multitude de producteurs. Après, ce n’est pas le seul déterminant. Le prix de l’électricité dépend aussi beaucoup du système électrique pays par pays et des politiques des États en la matière. Une étude est en cours pour déterminer les surcoûts que ce réseau va éviter et établira les gains attendus pour les distributeurs.
Aujourd’hui, qui paye le plus cher l’électricité sur la zone et qui paye le moins cher ? Et qu’est-ce que cela changera pour eux? Le Liberia a probablement un des prix les plus élevés, entre 80 cents et 1 dollar le kilowattheure. En réalité, tous les pays qui ont une production isolée ont un prix très élevé parce qu’ils n’ont généralement pas suffisamment de centrales, et que celles-ci ont souvent des coûts de production importants. En Guinée, où les prix sont très bas, l’électricité est largement subventionnée par l’État et les Guinéens ne doivent donc pas s’attendre à de gros changements.
L’opérateur technique que vous représentez a été créé il y a vingt ans et l’autorité de régulation, l’ARREC (Autorité de régulation régionale du secteur de l’électricité de la Cedeao), a été créée il y a près de dix ans. Pourquoi a-t-il fallu attendre si longtemps l’avènement de ce marché?
Il nous fallait d’abord pouvoir jouir d’un minimum d’infrastructures opérationnelles afin qu’il est un sens. Il a aussi fallu réaliser des études pour comprendre comment le mettre en place. Nos deux organismes ont travaillé de concert pour élaborer les textes nécessaires, les règles de fonctionnement, déterminer les tarifs de transport, les règles de tarification…
En réalité, tous les pays qui ont une production isolée ont un prix très élevé parce qu’ils n’ont généralement pas suffisamment de centrales, et que celles-ci ont souvent des coûts de production importants
L’EEEAO est un opérateur technique. L’ARREC est un régulateur. Ils ont la tâche de s’assurer que tout fonctionne bien. Que distributeurs, transporteurs et producteurs remplissent leurs obligations et que chacun est rémunéré au bon prix. C’est cette phase de mise en place qui est terminée et qui permet de dire aujourd’hui que le marché démarre.
Comment cela se traduira-t-il concrètement?
Auparavant, la Côte d’ivoire vendait de l’énergie au Burkina Faso et au Mali au travers d’accords bilatéraux. Lorsqu’il se produisait un problème entre le vendeur ivoirien et l’acheteur malien, que l’un des deux ne respectait pas son contrat, il n’existait pas d’autorité pour trancher.
Dorénavant, il existe un premier niveau de règlement à l’amiable avec l’opérateur technique. Et si les protagonistes ne s’entendent toujours pas, on monte à l’échelon du régulateur qui, lui, peut prendre une sanction. Si d’aventure une telle décision est prise, la partie sanctionnée pourra la contester au dernier niveau de règlement des litiges, devant la Cour de justice de la Cedeao
Dans certains pays, comme au Nigeria, les distributeurs perdent de l’argent. Ne mettent-ils pas en danger tout le système?
En effet et c’est un de nos chantiers. Nos membres ne sont d’ailleurs plus seulement des sociétés de productions nationales, mais aussi de plus en plus des sociétés de distribution. Au fur et à mesure du temps, nous nous sommes rendus compte que si ces sociétés n’étaient pas plus efficaces, elles représenteraient un risque. Pour une raison simple: ce sont elles qui collectent l’argent.
C’est la vente aux clients qui rémunère distributeurs, transporteurs et producteurs. Si la distribution collecte insuffisamment, le système s’écroule. Nous tentons donc de les aider à renforcer leurs capacités de collecte et à réduire les pertes sur le réseau interne. En 2015 en Afrique de l’Ouest, les pertes globales sur le réseau variaient entre 10,6 et 32,2 %. Quant aux taux de recouvrement, ils variaient de 62 à 98 %. On doit faire beaucoup mieux.
Nous sommes partis d’une situation où aucun pays n’était capable de répondre à sa propre demande. Mais ce n’est plus le cas. Aujourd’hui, un pays comme le Ghana a une capacité de production supérieure à sa demande et un taux de couverture de sa population de près de 85%. Les unités de production ghanéennes veulent vendre à l’extérieur.
Mais ce n’est pas le seul pays. Le Nigeria est aussi en excédents. Non pas parce qu’il satisfait sa demande mais parce que, par manque d’investissements, les sociétés de distribution nigérianes ne sont pas capables de vendre la totalité de la production aux consommateurs. De sorte qu’aujourd’hui, beaucoup de producteurs attendent ce marché régional pour exporter. Le Nigeria fournit déjà 90 % de l’électricité du Bénin à travers une seule ligne de transport. Elle est aujourd’hui saturée et nous allons donc en construire une nouvelle.
De nombreux experts doutent que le réseau central puisse fournir même à long terme de l’énergie à tous les Africains car les investissements nécessaires sont faramineux. Les solutions hors-réseau, dites off-grid, peuvent-elles être la solution ?
Il ne faut pas opposer off-grid et on-grid. On commence toujours par du off-grid. C’est comme ça que se sont développés la plupart des systèmes électriques à travers le monde. Il faut considérer l’off-grid comme un «pré»-grid. Sur un point éloigné du réseau central, l’investissement pour être relié se justifie rarement.
Aujourd’hui, un pays comme le Ghana a une capacité de production supérieure à sa demande et un taux de couverture de sa population de près de 85%
En attendant, vous pouvez réaliser un réseau local. Or lorsque vous alimentez une localité, la demande y augmente de façon très rapide. Au bout d’un certain temps, cette demande justifiera les investissements pour la rattacher au réseau central. Et c’est comme ça qu’on avance. Off-grid et on-grid se complètent.
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