Auteur : Madiodio Niasse
Organisation affiliée : Programme Adaptation au Changement Climatique en Afrique (PCCA)
Type de publication : Rapport de recherche
Date de publication : 2007
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L’Afrique de l’Ouest, une des régions les plus pauvres du monde est aussi l’une des plus vulnérables aux aléas du climat, telle que cela a été illustré par l’ampleur des impacts de la variabilité climatique au cours des trois à quatre dernières décennies. Les images de famine du Sahel ont fait le tour du monde dans les années 1970 et 1980. Depuis lors des efforts significatifs d’adaptation ont été entrepris dans tous les secteurs de la région aux échelles aussi bien nationales que locales. Mais les crises alimentaires récentes dans des pays tels que le Niger viennent nous rappeler la persistance de la vulnérabilité de la région aux vicissitudes des conditions climatiques.
Les scénarios d’évolution du climat en Afrique de l’Ouest indiquent que la variabilité climatique que nous connaissons actuellement va s’amplifier et s’intensifier. Sécheresses et inondations vont non seulement devenir plus fréquentes mais aussi de plus grande ampleur.
Pour faire face à ces perspectives et amoindrir les impacts sociaux, économiques et environnementaux des changements climatiques attendus, les États de la région ont identifié des mesures d’adaptation à moyen et long termes dans les Communications Nationales changement climatiques et les mesures prioritaires urgentes dans le cadre de leurs Plans d’Action Nationaux d’Adaptation (PANA).
Ensuite, pris individuellement, les États de l’Afrique sont si faibles économiquement qu’il leur est souvent difficile de mobiliser seuls les ressources financières en particulier nécessaires pour concevoir et mettre en œuvre des mesures d’adaptation conséquentes (comme par exemple la réalisation de barrages). Enfin, le fait d’envisager les réponses aux changements climatiques dans une perspective collaborative permet de réduire les coûts supportés par chacun des pays impliqués.
Contexte régional
Du point de vue géographique, on distingue les deux grandes entités suivantes : les pays dits du Sahel, au nombre de neuf (9), comprennent le Burkina, le Cap-Vert, la Gambie, la Guinée Bissau, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Sénégal et le Tchad ; et les pays du Golfe de Guinée, au nombre de huit (8), sont formés par le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Ghana, la Guinée, le Liberia, le Nigeria, la Sierra Leone et le Togo.
Du point de vue de la pluviométrie , la plupart des pays de l’Afrique de l’Ouest sont à cheval sur plusieurs zones éco-géographiques, comprenant : la zone désertique saharienne (avec en moyenne moins de 150 mm de pluie par an), la zone sahélienne aride (150 et 400 mm de pluie par an) ; la zone soudano-sahélienne semi-aride ( 400 et 600 mm de pluie par an); la zone soudanienne subhumide (600 et 900 mm de pluie par an) ; la zone soudano-guinéenne et guinéenne humide (avec une pluviométrie annuelle variant de 900 mm à plus de 1500 mm).
Les principaux cours d’eau de la région (Niger, Sénégal, Gambie, réseau du lac Tchad) prennent leur source dans des régions soudano-guinéennes bien arrosées avant de traverser les zones sahéliennes où les déficits pluviométriques sont chroniques. Ces cours d’eau permettent ainsi une sorte de transfert inter-zonal d’eau douce des régions humides vers les régions arides.
Forte interdépendance entre États dans le secteur de l’eau
Bien que couvrant moins du quart de la superficie du continent africain, l’Afrique de l’Ouest concentre 25 bassins fluviaux transfrontaliers, soit un peu moins de la moitié des quelques 60 cours d’eau internationaux que compte l’Afrique.
Ainsi à l’exception du Cap Vert, chacun des pays de la région partage au moins un cours d’eau international. Les pays ont généralement un facteur de dépendance supérieur à 40% : le facteur de dépendance représente la part totale de ressources renouvelables en eau du pays produite à l’extérieur de ses frontières. A noter que des pays tels que le Niger et la Mauritanie ont des facteurs de dépendance de l’ordre de 90%. Au total, les bassins fluviaux transfrontaliers couvrent près de 70% des de la superficie totale de la région.
Vulnérabilité de l’Afrique de l’Ouest au Changement Climatique
L’Afrique de l’Ouest, et en particulier sa partie sahélienne, est non seulement un domaine de l’aridité, mais a connu ces dernières décennies des perturbations majeures de ses conditions climatiques. Ces perturbations ont revêtu une ampleur exceptionnelle depuis le début des années 1970. Cette situation a comme conséquence le glissement des isohyètes d’environ 200 km vers le sud. Les débits moyens des grands fleuves de la région ont connu des variations concomitantes et plus prononcées comparées à celles de la pluviométrie.
On a ainsi noté une baisse moyenne de 40 à 60 % des débits depuis le début des années 70. Du fait de la variabilité climatique, beaucoup de ces zones humides de l’Afrique de l’Ouest sont aujourd’hui en péril comme en témoigne la réduction significative de leur étendue au cours des dernières années. La superficie maximale inondée du delta intérieur du Niger, deuxième plus grande zone humide d’Afrique, a baissé d’environ 37000 km2 au début des années 1950 à approximativement 15000 km2 en 1990.La variabilité climatique a eu des impacts directs sur les conditions de vie des populations rurales mais aussi sur les économies nationales des pays de l’Afrique de l’Ouest, ceux du Sahel en particulier.
Les événements extrêmes (crues dévastatrices, sécheresses, changements brusques de températures) ponctuent la variabilité et le changement climatiques et semblent devenir plus fréquents en Afrique de l’Ouest. Leurs coûts environnementaux et socio-économiques sont souvent très élevés. En 1999, des pluies torrentielles sur le fleuve Niger et ses affluents bénino-nigerians conduisirent à l’ouverture des vannes des barrages de Kainji, Jebba et Shiriro au Nigeria, ce qui entraîna d’énormes pertes humaines et matérielles. La même année des inondations sur la partie ghanéenne de la Volta Blanche firent des dizaines de morts et des centaines de maisons détruites. Comme on le voit donc, l’Afrique de l’Ouest est présentement confrontée à périls climatiques sérieux. Devant cette situation, le milieu naturel, les populations humaines et animales ont eu à réagir de différentes manières avec des résultats variables.
Niveau de préparation aux perspectives climatiques
Perspectives climatiques
Le Troisième Rapport d’Évaluation (TRE) du Groupe Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat (GIEC) de 2001, après avoir rappelé les modifications importantes que le climat a connues au cours du 20ème siècle au plan mondial, prévoit des changements encore plus profonds au courant du 21ème siècle. Il est prévu que les changements à venir se manifesteront sous les formes suivantes :
- augmentation de la température à un rythme sans précédent, comparé aux changements qui ont eu lieu au cours des dix derniers millénaires.
- intensification du cycle hydrologique se traduisant dans quelques régions du monde par l’augmentation des précipitations et des inondations (hautes latitudes) alors que d’autres régions du monde (latitudes tropicales) connaîtront des risques accentués de déficits pluviométriques et de sécheresses.
- élévation du niveau de la mer.
De telles évolutions du climat auront des impacts multiformes et de grande ampleur. Le milieu biophysique subira des transformations importantes qui affecteront la faune, la flore et la biodiversité en général. Des destructions massives d’habitations et d’infrastructures physiques sont prévisibles suite aux inondations et à l’avancée de la mer. Les perturbations dans les secteurs de l’agriculture, de la pêche, de l’élevage, etc. auront des incidences significatives sur les économies des régions affectées, et sur la sécurité alimentaire des populations.
Bien que couvrant moins du quart de la superficie du continent africain, l’Afrique de l’Ouest concentre 25 bassins fluviaux transfrontaliers, soit un peu moins de la moitié des quelques 60 cours d’eau internationaux que compte l’Afrique
Actions de partages des coûts d’adaptation envisageables en Afrique de l’Ouest
Objectif Stratégique 1 : Collaboration dans le développement et la gestion des connaissances d’aide à la décision
Un tel travail d’affinement exige de la collaboration, en particulier à travers les actions spécifiques suivantes :
Pour faire face efficacement au changement climatique il est essentiel d’avoir l’information la plus précise possible sur les tendances évolutives du climat et les formes que revêtiront ses impacts. Si au plan global il subsiste de grandes incertitudes sur l’évolution du climat, malgré les avancées scientifiques au cours des dernières années, à l’échelle régionale et locale la marge d’incertitude s’amplifie étant donné que les scénarios d’évolution sont basés sur les sorties des Modèles globaux souvent mal adaptés aux échelles réduites.
- Amélioration et harmonisation des réseaux de collecte de l’information climatique (et appuyer les organisations de bassin à renforcer leurs capacités internes en matière de collecte, d’analyse et d’absorption de données scientifiques liées au climat).
- Renforcement et l’élargissement des réseaux d’experts et des projets de recherche tels que : HYCOS-AOC (Niger, Tchad, Volta, Sénégal), PRESAO, AMMA.
- Appuyer et/ou collaborer avec des initiatives pertinentes telles que le Projet UICN-GWPCILSS financé par la Banque Mondiale, notamment en ce qui concerne le travail envisagé sur les modèles de prévision de changement climatique.
- Revitalisation et renforcement des capacités du GIEC-Sahel (CILSS) et élargissement de son mandat à toute l’Afrique de l’Ouest.
Objectif Stratégique 2 : Collaboration dans le développement, l’exploitation durable de ressources naturelles et écosystèmes transfrontaliers
Dans la prévention et la gestion des impacts du changement climatique sur les ressources transfrontalières telles que les cours d’eau, aquifères partagés et autres écosystèmes partagés, une collaboration interétatique est souvent importante voire indispensable. On observe par exemple que 75% du potentiel hydroélectrique de l’Afrique de l’Ouest est concentré entre 3 pays : Nigeria (37.6%), Guinée (25,8%) et Ghana (11,4%). Étant donné que ces pays sont soit en amont (cas de la Guinée) soit en aval (Nigeria et Ghana) de cours d’eau transfrontaliers, l’exploitation unilatérale par ces pays de leurs potentialités présente des risques de créer des tensions voire des conflits interétatiques.
Objectif Stratégique 3 : Identifier, promouvoir et diffuser des technologies, techniques et pratiques appropriées d’adaptation au changement climatique
Identification et réplication de techniques et pratiques prometteuses d’adaptation. Il existe ici et là des techniques et pratiques d’adaptation qui ont donné de bons résultats dans le contexte actuel de variabilité climatique et qui devraient pouvoir aider à réduire la vulnérabilité au changement climatique. Les techniques du « zaï » et des demi-lunes sont par exemple aujourd’hui bien connues dans les campagnes du Burkina mais aussi au Mali et au Niger. Le zaï une technique traditionnelle de préparation du sol. Il consiste à faire, avant le démarrage de la saison des pluies, des trous avec un petit aménagement, ceci afin d’y emmagasiner une partie de l’eau de ruissellement. Il s’agit ensuite d’y semer les graines de mil ou de sorgho dont la germination et la croissance seront ainsi moins sensibles à l’irrégularité de la pluviométrie.
Financement des mesures d’adaptation
Parmi les instruments financiers envisageables pour financer les mesures d’adaptation mentionnées plus haut, on peut citer les suivants : Les fonds Marrakech : Il s’agit de fonds mis en place par les Accords de Marrakech pour aider les pays en développement à faire face à leurs besoins d’adaptation au changement climatique. Ces fonds comprennent : (a) le Fonds PMA qui a mobilisé 42,8 millions USD en mi-2005 ; (b) le Fonds Spécial changement climatique dont le montant total des engagements se chiffre à près 40 millions USD en mi-2005 ; (c) le Fonds d’Adaptation du protocole de Kyoto.
On observe par exemple que 75% du potentiel hydroélectrique de l’Afrique de l’Ouest est concentré entre 3 pays : Nigeria (37.6%), Guinée (25,8%) et Ghana (11,4%)
A côté des fonds Marrakech, il y a les opportunités suivantes :
- Financements par des sources bilatérales (qui souvent financent l’adaptation par le biais de contributions de pays riches au GEF en général et au Fonds Marrakech en particulier).
- Financement multilatéraux : des organismes multi-latéraux tels que la Banque Mondiale ont mis en place des instruments financiers qui appuient les efforts d’adaptation. Les Fonds Carbone de la Banque Mondiale dotés de ressources de plus de 2 milliards de dollars US sont répartis entre 9 fonds dont le BioCarbon Fund et le Community Development Fund. Ces fonds financent des projets pouvant potentiellement contribuer à la réduction de la vulnérabilité des communautés de base aux impacts du changement climatique tout en jouant un rôle positif de mitigation.
- Les ONG aident souvent à accéder aux fonds mentionnés plus haut.
- Le secteur privé, par la réalisation d’investissements directs dans des secteurs tels que les infrastructures, peut financer des actions d’adaptation.
Il y a enfin les assurances. Le recours aux assurances comme mesures d’adaptation reste timide dans les pays en développement. Les assurances n’en constituent pas moins des moyens efficaces de partage du risque climatique partage à l’échelle nationale mais aussi potentiellement à l’échelle d’ensembles économiques comme l’UEMOA et la CEDEAO. Parmi les options d’assurance envisageables comme mesures d’adaptation on peut mentionner les suivantes :
- Fonds Communs d’Assurance Internationale (International Insurance Pool) : Un tel fonds commun fut jadis envisagé pour les petites îles face à la menace de la montée du niveau de la mer. Il s’agit d’un fonds collectif qui permet de partager les risques de pertes.
- Assurances partenariales public-privé (Public-Private Insurance Partnerships) :C’est un système dans lequel l’État met en place un système de protection du risque de l’investisseur privé face aux pertes possibles dues au changement climatique.
- Assurance Régionale contre les Catastrophes (Regional Catastrophe Insurance Scheme) : Il s’agit de réserves financières mis en place au niveau régional et alimenté par les contributions des États membres. Les États victimes de crises dues au changement climatique ont accès aux fonds mis en place sous forme de prêts.
Conclusion
En ordre dispersé, les pays ouest-africains auront des difficultés à faire face au changement climatique. Du fait de leur faiblesse économique et aussi de leur forte interdépendance dans le partage de certaines ressources naturelles vitales telles que l’eau, les pays de l’Afrique de l’Ouest ont intérêt à ce que les efforts d’adaptation qu’ils envisagent à l’échelle nationale soient complétés par des actions de collaboration interétatique. De telles actions permettent d’atténuer les coûts d’adaptation par la réalisation d’économies d’échelle, la réplication des bonnes pratiques et le partage du fardeau de réalisation de gros investissements transfrontaliers. C’est sur la base de telles préoccupations qu’est proposé le présent Projet de Stratégie Régionale d’Adaptation au Changement Climatique basée sur le Partage des Risques. Pour chacun de ces axes stratégiques, des actions spécifiques sont proposées. Mais il est important de valider de façon participative aussi bien les axes stratégiques suggérés que les interventions proposées.
Les assurances n’en constituent pas moins des moyens efficaces de partage du risque climatique partage à l’échelle nationale mais aussi potentiellement à l’échelle d’ensembles économiques comme l’UEMOA et la CEDEAO
En ce qui concerne la mobilisation du financement requis pour la mise en œuvre des actions préconisées, le programme ACCA peut agir dans les directions suivantes :
- formation des parties prenantes sur les instruments financiers existants
- mise à disposition de fonds pour aider à résoudre la contrainte du co-financement qui rend souvent difficile l’accès au Fonds d’adaptation qui sont régis suivant les règles du GEF
- aide à la mise en place de mécanismes régionaux d’assurance qui favorise le partage au niveau régional du risque climatique.
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