Auteur: Olivier Vallée
Type de publication : article
Date de publication : Juillet 2020
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Le réseau des lagunes de la Côte d’Ivoire, entre le Liberia et la Gold Coast (le futur Ghana) abrite la rencontre de plusieurs sangs qui forment le carrefour d’expériences de peaux qui dansent et de masques qui tremblent. Le personnage féminin central de Maryse Condé est chevauché par les divinités telluriques de la Guadeloupe, provoquant la terreur de la communauté blanche de Bingerville tandis que le célèbre prophète « grebo » William Wadé Harris habité par l’Esprit saint va convertir à Jésus.
Né au Liberia, son obsession est le rejet de l’alcool que les trafiquants d’esclaves puis d’hévéa et de palmistes ont introduit sur les rives du golfe du Bénin. Les bateaux venus d’Europe déversaient alors du gin (The Drink of Kings), boisson transparente et cadeau de choix aux rois noirs de l’Atlantique. La vocation prophétique de Harris est aussi quête de justice, de paix et de prospérité́ dans le règne de Christ, une anticipation du Pentecôtisme.
Il a du succès et 100 000 ivoiriens seront baptisés par ses soins entre 1913 et 1914. Ses épigones ivoiriens, dont monsieur Albert, lui rendront hommage ainsi qu’à Houphouët Boigny associé à l’œuvre de la rédemption spécifique des Noirs et en particulier des peuples de la lagune dont est issu Harris.
Harris, le faiseur de miracle qui prêchait en haut de forme anticipait la « success story » ivoirienne dont Abidjan fut un temps la vitrine et Houphouët le magicien. D’autres substances ont remplacé le gin. En septembre 2018, la police brésilienne avait découvert 1,19 tonne de cocaïne cachée dans des engins de chantier sur le port de Santos à destination d’Abidjan.
L’enquête a permis de déterminer que la drogue devait transiter par la Côte d’Ivoire, pour ensuite être envoyée en Italie, et plus particulièrement en Calabre. Ce démantèlement est le troisième du genre en Côte d’Ivoire en moins de trois ans, et le plus important par son ampleur. Mais les saisies, même spectaculaires, ne sont qu’une goutte d’eau dans l’océan du trafic. Dès 2009, un rapport de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) évaluait à quelque 250 tonnes la quantité de cocaïne qui avait déjà transité par cette voie.
Les passions et les trafics, les jeunes bandits, les rébellions, les règlements de compte et les vieux corrompus transforment la ville, la globalisent et la rebaptisent. Abobo est renommée Bagdad City en 2001. Les combats et les barrages miliciens fracturent la ville et renouvellent les niches de retrouvailles des nantis.
Les passions et les trafics, les jeunes bandits, les rébellions, les règlements de compte et les vieux corrompus transforment la ville, la globalisent et la rebaptisent
À Marcory, la zone 4 laisse entrer les Blancs et les nouveaux riches de la guerre par des passages négociés avec les forces de défense et de sécurité de Gbagbo. Celui-ci tolère malgré lui la République du Golf, du nom de cet hôtel que Ouattara s’est octroyé pour son contre-gouvernement sous la protection de l’ONUCI et de la France. Dès qu’il prend la tête de l’État, la perle des lagunes voit ses beaux quartiers prendre de la valeur. En effet à la fin de la guerre civile entre pro-Gbagbo Laurent et pro-Alassane Ouattara, l’immobilier de luxe explose en Côte d’Ivoire.
Rien qu’en 2017, selon des professionnels, ce segment a enregistré plus de 345 millions de dollars (200 milliards de francs CFA) de transactions. Un record quand on sait que, cette même année, le secteur de l’immobilier en Côte d’Ivoire était estimé à environ 1,2 milliard de dollars au total. Sans surprise, Abidjan, la capitale économique du pays, concentre environ 95 % des projets. Et ce sont les quartiers de Marcory, du Plateau et de Cocody qui tirent leur épingle du jeu avec des prix de vente qui, en moins de huit ans, ont doublé pour des appartements de standing moyen ou de haut standing.
La riviera conquise par les villas imposantes de ceux d’en haut, protégées comme des bunkers et illuminées par des projecteurs. Comme beaucoup de villes d’Afrique les sociétés de sécurité quadrillent les résidences fortunées où souvent une « panic room » est prévue pour les cas d’extrême urgence. Ces bâtisses s’érigent dans le luxe mais dans le mépris des droits fonciers des premiers maîtres du sols.
L’informel s’érige en source d’insalubrité et d’insécurité quand il concerne la préservation des zones résidentielles de la métropole. Là où certaines autorités (district, municipalité du Plateau, gouvernement…) ne voient que désordre, les autorités municipales des communes plus populaires de l’agglomération reconnaissent quant à elles plus volontiers l’importance sociale de ce même informel en évoquant « un mal nécessaire. »
La riviera conquise par les villas imposantes de ceux d’en haut, protégées comme des bunkers et illuminées par des projecteurs. Comme beaucoup de villes d’Afrique les sociétés de sécurité quadrillent les résidences fortunées où souvent une « panic room » est prévue pour les cas d’extrême urgence.
Dès lors, la diversité des réponses apportées aux questions sanitaires et sécuritaires, qui ne sauraient être résolues par une seule politique d’expulsion et de rejet, souligne assez nettement l’opposition entre un modernisme occidental fantasmé, objet de reconstructions, et les diverses tentatives gestionnaires et parfois participatives qui peuvent se mettre en place dans certaines communes de l’agglomération.
La réponse fantasmatique est de projeter sur Abobo ou Yopougon une smart city qui introduise dans le virtuel et la vitesse des groupes sociaux confrontés au ralenti des rues inondées, des coupures de courant électrique, du défaut d’eau potable ou de la diffusion des maladies. Le couple présidentiel français n’est pas venu dans la métropole ivoirienne pour hanter ces « habitats précaires » ou « bas quartiers ».
C’est aussi l’endroit où la guerre des sexes, après la tourmente des migrations des travailleurs et des paysans chassés des campagnes, concentre les femmes les plus vulnérables, « petites » bonnes, épouses répudiées décrites par Aya de Yopougon26 dans le quartier « Mon mari m’a laissée » (dit aussi Sicobois), allogènes, femmes malades ou vieillies, ou jeunes en ascension difficile à travers leur corps et l’amour.
Dès lors, la diversité des réponses apportées aux questions sanitaires et sécuritaires, qui ne sauraient être résolues par une seule politique d’expulsion et de rejet, souligne assez nettement l’opposition entre un modernisme occidental fantasmé, objet de reconstructions, et les diverses tentatives gestionnaires et parfois participatives qui peuvent se mettre en place dans certaines communes de l’agglomération.
Et tout commence par le magicien des bois et des ombres monumentales qui transporte Abidjan hors ses murs avec ses puissantes stèles. Il défie les grands monopoles du béton et les pharaons politiques. « Du feu renaît la vie. » Jems Robert Koko Bi, l’artiste en est persuadé. Ces blocs ligneux dont sortent des visages affutés opèrent la saisie des ombres blanches qui modèlent l’évolution de la Côte d’Ivoire dont la croissance économique annuelle de 8 % après l’Indépendance, le dénommé « miracle ivoirien » ne peut exister qu’à cause du système d’accumulation de richesses d’Abidjan, centre politique et économique improvisé d’un pays qui fut tardivement colonisé et rétif à la brutale exploitation coloniale.
Cette colonie tardive par apport à l’ensemble sénégambien et du Soudan français a été gérée par les militaires et déjà par les entreprises de construction du chemin de fer et des bâtiments du gouvernement colonial. À l’économie de traite de drainer par les comptoirs et l’impôt et les cultures de rente.
Dès lors, la diversité des réponses apportées aux questions sanitaires et sécuritaires, qui ne sauraient être résolues par une seule politique d’expulsion et de rejet, souligne assez nettement l’opposition entre un modernisme occidental fantasmé, objet de reconstructions, et les diverses tentatives gestionnaires et parfois participatives qui peuvent se mettre en place dans certaines communes de l’agglomération
Durant la seconde guerre mondiale, la férule de Vichy et la résistance du mouvement communiste international au nazisme rallie Houphouët-Boigny au groupement d’études communistes (GEC) d’Abidjan. Après 1945, Jean Rose, président de l’Association des colons de Côte d’Ivoire, puis après le Haut-Commissaire Paul Béchard et le général Borgnis- Desbordes déclenchent menaces, arrestations et exécutions contre les militants du GEC passés au Rassemblement Démocratique Africain.
René Pleven et François Mitterrand complètent la manœuvre en décrochant Houphouët-Boigny du PCF. Jacques Foccart triomphe et n’hésitera pas à financer ses opérations en obtenant un contrat de ramassage des ordures d’Abidjan. Il transforme Port-Bouêt en base militaire et point de départ d’actions de contre-insurrection.
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