Auteur: Nina Krotov-Sand
Publié par: Reporterre
Type de publication: Article
Date de publication: 10 février 2017
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Nouveau fleuron des organisations internationales engagées dans la lutte contre les trafics de ressources naturelles, le concept de « criminalité environnementale » connaît un essor dans le langage politique et médiatique contemporain. Entre 2014 et 2016, les montants concernés par le crime environnemental ont grimpé de 26 % et atteint une valeur estimée entre 91 et 259 milliards de dollars. Avec une activité dont la croissance est estimée 2 à 3 fois plus rapide que celle de l’économie globale, les trafics liés aux ressources naturelles constituent le quatrième marché criminel mondial, surpassant en termes de revenus générés le trafic illégal d’armes légères.
La criminalité environnementale fait référence aux atteintes portées par l’homme à son environnement ; elle concerne notamment l’exploitation illégale d’espèces sauvages, la pollution et le rejet de déchets toxiques ou encore la criminalité plus récente liée à la gestion de l’eau et au commerce des émissions de dioxyde de carbone. Cette notion renvoie donc à des réalités à géométrie et à géographie variables.
Toutefois, l’évolution majeure que traduit l’émergence du concept de « crime environnemental » réside dans le lien nouvellement formulé entre des pratiques qui nuisent à l’environnement et la volonté de criminaliser ces actes, soit d’inscrire les atteintes à l’environnement dans le champ du droit. Ce faisant, tout acte nuisible à l’environnement n’est pas automatiquement qualifié de « crime environnemental ». Pour ce faire, cet acte doit en effet violer une législation en vigueur dans la zone où il est commis (et c’est là, bien souvent, que le bât blesse).
Moins exposée médiatiquement que d’autres régions du globe victimes de crimes environnementaux, l’Afrique de l’Ouest qui s’étale sur la partie occidentale de l’Afrique subsaharienne constitue un pôle d’exploitation illégale et de transit pour le trafic d’espèces naturelles ; entre 2007 et 2014, plus de 17.000 kg d’ivoire ont ainsi été saisis dans les grands ports de la région. En Afrique de l’Ouest toutefois, la criminalité environnementale présente des spécificités endémiques en ce qu’elle concerne principalement la pêche illicite ainsi que l’exploitation forestière illégale.
La criminalité forestière déborde la seule problématique écologique
La criminalité forestière renvoie non seulement à l’abattage et la récolte illicite des bois mais aussi à un ensemble d’activités connexes, telles que la fraude et la falsification de documents, la corruption, le recel et le blanchiment du bois et des revenus générés par ce trafic. Par ailleurs, elle concerne aussi la réception et la consommation de faune et de flore sauvages ; autrement dit, elle engage la responsabilité des pays importateurs de bois.
La criminalité environnementale fait référence aux atteintes portées par l’homme à son environnement ; elle concerne notamment l’exploitation illégale d’espèces sauvages, la pollution et le rejet de déchets toxiques
À l’origine d’un accroissement dramatique de la pression anthropique dans les zones touchées par l’exploitation illégale du bois, les dégâts environnementaux causés par ces pratiques sont nombreux (pollution, destruction de forêts primaires, perturbation des écosystèmes complexes, pertes d’habitats vitaux pour certaines espèces de faune et de flore, érosion et épuisement des sols). Bien que victimes de trafic de bois en tout genre, les pays ouest-africains sont particulièrement exposés au trafic de bois précieux et tropicaux ; qu’il s’agisse du bois de rose au Nigéria, au Ghana, au Bénin ou en Côte d’Ivoire, du kevazingo au Gabon, ou encore du bois de vène, du doussié, du caïlcédrat et du rônier dans divers pays sahéliens, l’exploitation illégale et intensive constitue une menace pour la survie de ces espèces.
Ce faisant, la criminalité forestière déborde la seule problématique écologique ; en Afrique de l’Ouest : les impacts socio-économiques et sécuritaires liés au trafic de bois sont tout aussi préoccupants. Constituant une source de financement de la criminalité organisée transnationale et locale, le trafic de bois crée et alimente certains conflits dans la région l’on parle alors souvent de « bois de conflit » ou encore de « bois de sang ». En Casamance une région forestière du Sénégal enclavée entre la Gambie et la Guinée-Bissau le bois illégalement exporté par la Gambie entre 2010 et 2014 (dont 95 % pourraient être classés comme étant du « bois de conflit ») a largement contribué au financement du Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (MFDC) et permis à ce groupe rebelle armé de poursuivre ses revendications d’indépendance.
Par ailleurs, la spoliation des ressources par les réseaux de trafic illégal constitue une menace pour la survie économique de la sous-région. En échappant à tout système de taxation gouvernemental, l’exploitation illégale des bois prive les États concernés de revenus indispensables au développement de ces pays. Le think tank Africa Progress Panel estime ainsi que pas moins de 17 milliards de dollars échapperaient, chaque année, aux économies africaines en raison du trafic de bois.
La lutte contre la criminalité forestière se heurte à deux obstacles majeurs, liés à la dimension transnationale de ces trafics d’une part (les ressources forestières illégales franchissent de nombreuses étapes transport, transformation en vue de l’insertion dans le circuit légal et de nombreuses frontières), et d’autre part, à la sophistication croissante des moyens employés par les trafiquants. À ce titre, un rapport du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) et d’Interpol (l’Organisation internationale de police criminelle) recense plus de 30 techniques d’abattage, de blanchiment et de commercialisation des grumes illégales. Toutefois, si la multiplication et l’ingéniosité des méthodes employées ajoutent leur dose de complexité, c’est la dimension régionale de ces trafics qui pose le plus de problèmes ; en effet, les insuffisances et le manque d’harmonisation des législations forestières constituent, à l’heure actuelle, le nœud gordien de la lutte contre les crimes forestiers.
Les opérateurs étrangers et les pays importateurs dont nombre d’États européens ont leur part de responsabilité
Afin de pallier ces lacunes, plusieurs stratégies régionales et internationales ont fleuri ces dernières années. Au sein de l’Union européenne (UE), le plan d’action Flegt acronyme anglais pour « application des règlementations forestières, gouvernance et échanges commerciaux » adopté en 2003, propose des mesures destinées à garantir l’origine légale du bois bénéficiant d’une certification Flegt.
Alors que plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest le Ghana, le Cameroun, le Gabon, la Côte d’Ivoire ou encore le Libéria ont signé un accord de partenariat Flegt, peu d’améliorations ont toutefois pu être constatées. En août 2015, Mediapart a ainsi publié un rapport confidentiel commandité par l’UE et portant sur l’exploitation forestière au Cameroun, révélant qu’en dépit de l’accord Flegt passé avec l’UE, aucune entreprise européenne comme africaine, y compris celles certifiées FSC (Forest Stewardship Council) ne respectait les législations forestières en vigueur dans le pays.
Or, si les failles au sein de l’administration camerounaise ont été largement pointées du doigt, n’oublions pas, ainsi que le souligne un rapport de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), que « ces infractions n’auraient pas lieu si elles n’étaient pas motivées par une demande continue dans les principaux pays consommateurs » ; autrement dit, les opérateurs étrangers et les pays importateurs dont nombre d’États européens ont leur part de responsabilité, notamment en raison du déficit de contrôle aux importations et à la consommation. En somme, et au regard d’intérêts économiques aisément identifiables (l’utilisation de bois obtenu de manière illicite réduit drastiquement les coûts de production), on constate que l’exploitation et le trafic de bois perdurent malgré la prise de conscience qui s’opère et la multiplication des outils destinés à le contraindre.
Ce faisant, la criminalité forestière déborde la seule problématique écologique ; en Afrique de l’Ouest : les impacts socio-économiques et sécuritaires liés au trafic de bois sont tout aussi préoccupants
Loin d’être un enjeu périphérique, la criminalité liée aux forêts est une menace réelle dont les coûts à la fois écologiques et humains pèsent de manière croissante sur notre devenir collectif. Aussi, n’est-ce pas notre rôle d’agir, en tant que « citoyen-consommateur », en ajustant nos comportements et choix de consommation d’une part, et en exigeant plus de transparence quant à la provenance du bois présent sur nos marchés d’autre part ? Puisque les outils politiques et législatifs existent et qu’il s’agit désormais de les mettre en œuvre cette forme de lobbyisme écologique et citoyen, en raison de son impact économique évident, émerge comme un moyen de pression privilégié afin d’enrayer la criminalité forestière, et plus largement, les atteintes sciemment portées à notre patrimoine biologique.
La superficie totale des forêts couvre environ 30 % de la surface émergée de la planète. La déforestation représente 12 % des émissions mondiales de gaz à effets de serre. Entre 13 et 15 millions d’hectares de forêts disparaissent chaque année, soit environ un quart de la superficie de la France. Toutes les minutes, ce sont 2.400 arbres qui sont abattus. En 2015, Greenpeace estimait par ailleurs que 15 à 30 % du volume de bois produit à l’échelle mondiale était issu d’une récolte illégale, tandis que cette tranche atteignait 50 à 90 % dans les principaux pays tropicaux.
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