Birame Faye
Le chef de l’Etat, Macky Sall, a affirmé à plusieurs reprises sa volonté de bâtir un Sénégal vert. Sur le plan agricole, cette option exige des ruptures profondes et des consensus forts à plusieurs niveaux, si l’on veut adresser la crise écologique de façon efficace.
L’offre politique est porteuse de ruptures transformatrices d’une agriculture conventionnelle. Celle qui, depuis des décennies, peine à assurer les besoins alimentaires de la population sénégalaise et à fixer les jeunes ruraux dans leur terroir, malgré les importantes ressources publiques qui lui sont dédiées. En 2017, le secteur primaire a bénéficié de 175 milliards de francs Cfa à titre d’investissements publics pour n’assurer que 63% de nos besoins alimentaires. Bien au contraire, elle continue de dégrader les sols et la biodiversité, et contribue aux émissions de gaz à effet de serre à hauteur de 37% (Mepn, 2010) alors qu’on niveau mondial, «l’agriculture, la foresterie et l’usage des terres représentent 24% des émissions de gaz à effet de serre en 2010», selon le Baromètre des agricultures familiales 2018.
Pourtant, au moins trois fonctions essentielles de l’agriculture ont été réaffirmées dans la nouvelle Lettre de politique sectorielle du Sénégal : «nourrir au mieux et durablement, sur une base endogène, les populations», «gérer durablement les ressources naturelles», «améliorer l’état nutritionnel des populations». De telles ambitions exigent une remise en cause du modèle productiviste au profit d’un système de production plus durable et respectueux des équilibres des écosystèmes dans ce contexte de péjoration climatique.
En 2017, le secteur primaire a bénéficié de 175 milliards de francs Cfa à titre d’investissements publics pour n’assurer que 63% de nos besoins alimentaires
Au Sénégal, le rythme de dégradation du couvert forestier demeure soutenu, même si la dernière évaluation des ressources forestières du Sénégal (Fao, 2015) a relevé qu’il est passé de 45 mille à 40 mille ha par an. Une perte continue de puits de carbone pendant que les émissions de gaz à effet de serre sont loin d’être maîtrisées ; d’où l’urgence d’engager les politiques publiques agricoles dans une transition verte pour faire face aux multiples défis complexes et étroitement liés aux objectifs de développement durable.
La longue marche agroécolo…
L’idée d’une transition agroécologique n’est pas si nouvelle au Sénégal. En 2007 déjà, la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) avait souligné que «l’agriculture biologique n’est plus un phénomène propre aux pays développés. En 2006, elle était pratiquée dans 120 pays sur un total de 31 millions d’hectares et représentait un marché de 40 milliards de dollars». Elle avait ainsi recommandé le passage à une agriculture plus écologique, car elle est «capable de nourrir le monde».
A l’échelle continentale, une conférence sur le thème «Agriculture écologique : atténuer le changement climatique, assurer la sécurité alimentaire et l’autonomie pour les sources de revenus ruraux en Afrique» a été organisée à Addis-Abeba, en novembre 2008, par l’Union africaine (UA) et la FAO. Cette dernière a d’ailleurs été sollicitée pour appuyer l’UA à développer un plan d’action africain sur l’agriculture écologique. Ce plan a eu le mérite d’exister, mais jusqu’à présent, il n’a pas été traduit dans les politiques nationales. Cela, malgré les conclusions qui ont été mises en exergue par le rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation, Olivier De Schutter, en décembre 2010. Selon ce dernier, «l’agroécologie accroît la productivité au niveau local», «réduit la pauvreté en milieu rural» et «facilite l’adaptation au changement climatique».
En novembre 2015, Dakar a abrité le premier symposium panafricain sur l’agroécologie. La rencontre a été conclue par une série de recommandations parmi lesquelles la nécessité pour les gouvernements d’amorcer une phase de transition agroécologique, car l’agriculture conventionnelle telle que promue aujourd’hui dans les choix politiques a montré les limites sur plusieurs plans. Depuis la rencontre de Dakar, les mouvements sociaux ont continué le plaidoyer sans effet politique majeur.
«l’agroécologie accroît la productivité au niveau local», «réduit la pauvreté en milieu rural» et «facilite l’adaptation au changement climatique»
C’est l’une des raisons pour lesquelles le symposium mondial sur «L’agroécologie et les objectifs de développement durable», organisé à Rome en avril 2018, a rappelé aux décideurs politiques l’urgence de passer à l’action. Selon Ipes-Food (2016), «les systèmes agroécologiques sont aussi performants que l’agriculture industrielle en termes de production totale et supérieurs en termes de résistance aux stress environnementaux, et qu’ils permettent une augmentation des rendements agricoles dans les régions où la sécurité alimentaire n’est pas assurée». Dès lors, la question est de savoir les leviers sur lesquels l’État peut s’appuyer pour matérialiser une transition agroécologique efficace et durable.
Mettre en échelle l’agroécologie
Si le Sénégal s’engage dans une transition verte, il lui faudra des politiques publiques plus sensibles à la question agroécologique. Les pratiques agricoles endogènes sont nombreuses et assez documentées au Sénégal par des organisations telles que IED Afrique et d’autres. Elles ont juste la particularité d’être menées à petite échelle et expérimentées par des paysans, le plus souvent sans l’appui de la recherche ou d’une organisation d’appui au développement. Ces expériences paysannes ont fini de prouver leur efficacité en termes d’augmentation de la productivité, de conservation de la biodiversité, de renforcement de la sécurité alimentaire et nutritionnelle.
Elles sont largement partagées avec les pouvoirs publics, mais ne parviennent pas à vaincre le scepticisme de nombre de hautsfonctionnaires qui participent à l’élaboration des programmes agricoles et au processus de prise de décision politique. Ces «éco-pessimistes» restent convaincus que, face à la demande alimentaire étroitement liée à la croissance démographique, le gouvernement ne saurait se passer d’une agriculture conventionnelle intensive, car il y va de la stabilité socio-politique.
Ces «éco-pessimistes» restent convaincus que, face à la demande alimentaire étroitement liée à la croissance démographique, le gouvernement ne saurait se passer d’une agriculture conventionnelle intensive, car il y va de la stabilité socio-politique
A la suite du symposium panafricain organisé à Dakar en 2015, la FAO avait choisi le Sénégal comme pays pilote où il était envisagé un projet de «mise à l’échelle supérieure de l’agroécologie». Par ailleurs, l’Agence régionale pour l’agriculture et l’alimentation (ARAA), le désormais bras technique de la CEDEAO en charge des questions agricoles, a récemment lancé un Programme d’appui à la transition agroécologique en Afrique de l’Ouest, en ciblant 5 pays : Burkina Faso, Mali, Côte d’Ivoire, Togo et Sénégal. L’objectif est de «favoriser l’émergence, l’adoption et la diffusion de pratiques écologiquement intensives dans les exploitations familiales, mais aussi des modes de gestion et d’organisation favorisant cette adoption».
Mieux, le Programme national d’investissement agricole de la sécurité alimentaire et nutritionnelle (PNIASAN), dont la vocation devrait être en principe d’opérationnaliser le volet agricole de la phase 2 du Plan Sénégal émergent (PSE), donc intégrant le Programme d’accélération de la cadence de l’agriculture au Sénégal (PRACAS II), a pris en compte la dimension changement climatique et la problématique de gestion durable des terres. Ce sont des opportunités pour valoriser des pratiques agroécologiques.
Reconsidérer la place de l’arbre
Jusqu’ici, la culture extensive prime sur la protection des ressources forestières. Une approche de défrichement abusif qui a fini de déboiser le bassin agricole du Sénégal (ex-bassin arachidier). Et pour cause, pendant des décennies, le modèle de production a donné peu de considération à l’arbre, pourtant facteur majeur de conservation et de fertilisation des sols. L’État continue de subventionner l’agriculture, mais n’impose pas aux paysans la valorisation de l’arbre fertilitaire ou fruitière dans les terres de cultures.
L’État continue de subventionner l’agriculture, mais n’impose pas aux paysans la valorisation de l’arbre fertilitaire ou fruitière dans les terres de cultures
Une transition agroécologique supposerait que l’on reconsidère la place de l’arbre dans les exploitations agricoles pour renforcer la qualité du sol et même protéger les cultures contre certains auxiliaires ravageurs. A ce propos, la recherche a démontré que la régénération naturelle assistée des arbres est l’une des meilleures stratégies de reverdissement des terres agricoles. Elle consiste à protéger les espèces endogènes disponibles dans les périmètres agricoles. D’ailleurs, cette approche a donné de résultats dans l’ex-bassin arachidier depuis les années 1980, à travers la mise en œuvre de plusieurs programmes comme le Projet de reforestation dans le nord du bassin arachidier (PREVINOBA), le Projet agroforestier de Diourbel (PAGF), et dans d’autres pays du Sahel comme le Niger.
Éviter le reboisement systématique
Au contraire, le reboisement systématique n’est pas la voie indiquée. L’effort de reboisement et l’engagement des parties prenantes ont souvent été liés à la vie des programmes. Le taux de survie des plants est faible et la pérennisation des initiatives de reboisement est difficile. D’ailleurs, l’Administration forestière, dans le cadre de sa mission de reboisement, privilégie les espaces protégés et maîtrisés. Une approche développée dans le cadre du projet de la Grande muraille verte lequel a le délicat défi d’être appliqué en zone pastorale où la mobilité du bétail est un enjeu majeur. Par conséquent, «la promotion de l’agroforesterie permettrait de contourner les contraintes foncières (rareté et pauvreté des terres affectées au reboisement) et celles qui sont liées au reboisement et au calendrier cultural surchargé du paysan, tout en renforçant les capacités productives des terres et en limitant les défrichements en rapport avec l’agriculture extensive» (Diouf et Al, 2002).
Garantir la participation
Il est clair que le changement des pratiques agricoles ne se décrète pas par des lois et des règlements, mais implique un engagement des acteurs notamment les producteurs agricoles à travers un dispositif d’appui-conseil fonctionnel qui leur soit proche. Par conséquent, la mise en place et l’animation de cadres de concertation nationaux, régionaux et communautaires sur la thématique de l’agroécologie est une condition sine qua non de la réussite de la transition. Une bonne démarche consisterait à consolider les plateformes locales multi-acteurs existantes et de les engager dans un cadre de gouvernance participative et la mise en œuvre d’une approche territoriale de développement de l’agroécologie.
En définitive, l’autre défi sera la réorientation progressive du budget agricole vers la promotion des intrants plus écologiques au détriment des solutions chimiques, si vraiment on veut reverdir le pays et faire de ce que nous mangeons notre premier médicament.
Crédit photo : Élodie Perriot / Secours Catholique
Birame Faye est journaliste spécialiste en gestion de connaissances et gouvernance du secteur agricole. Il est coordonnateur du programme Agriculture Durable à Faibles Apports Externes (AGRIDAPE) à l’ONG IED Afrique.