
Parlez-nous de votre statut en tant qu’enseignant au Bénin
« Dans le secteur de l’enseignement au Bénin, il y a trois catégories d’enseignants ; les fonctionnaires d’État, les agents contractuels et les aspirants au métier d’enseignant. Une hiérarchie administrative existe où il est nécessaire d’être aspirant au métier d’enseignant avant de pouvoir devenir enseignant fonctionnaire d’État.
Les enseignants fonctionnaires d’État et les agents contractuels bénéficient généralement de meilleures conditions, bien que le secteur de l’enseignement soit globalement critiqué pour ses carences. Ces deux catégories d’enseignants reçoivent des avantages tels que des primes de rentrée scolaire, des primes de rendement et un salaire standard.
En revanche, les aspirants au métier d’enseignant, qu’ils soient diplômés d’une école normale supérieure ou de l’Université et qu’ils aient réussi les tests d’admission, sont dans des conditions différentes. Une fois déployés sur le terrain, ils ne bénéficient pas des mêmes traitements que les fonctionnaires et les agents contractuels. Par exemple, ils accusent un écart salarial significatif de 50 000 francs et sont tenus d’effectuer 26 heures de cours, alors que la réglementation préconise 20 heures pour tous les enseignants, en particulier pour les enseignants adjoints.
Cette situation crée un sentiment de maltraitance chez les aspirants. Des problèmes supplémentaires persistent, notamment concernant les congés de maternité pour les femmes aspirantes. C’est pourquoi ils revendiquent une harmonisation de leurs conditions avec celles des autres catégories d’enseignants. »
Les programmes de votre école de formation vous permettent-ils aujourd’hui d’affronter les réalités du terrain et que peut-on faire pour améliorer l’existant ?
« Les matériels de formation dispensés par l’école normale supérieure sont adaptés aux réalités et aux besoins des apprenants. Ils permettent aux enseignants de transmettre efficacement les connaissances nécessaires. Cependant, à l’ère du numérique, des équipements complémentaires seraient souhaitables pour enrichir l’enseignement. Pour les langues étrangères comme l’espagnol, des outils technologiques seraient particulièrement utiles : vidéoprojecteurs, films, séquences d’images et supports audio permettraient d’immerger les élèves dans la langue.
Globalement, la formation reçue est considérée comme pertinente et exploitable sur le terrain. Néanmoins, une réflexion s’impose concernant l’emploi après l’obtention des diplômes. L’école devrait intégrer des heures d’atelier pour permettre aux élèves d’apprendre des métiers pratiques. Cette approche serait bénéfique car développer des compétences manuelles et pratiques offrirait une alternative surtout quand on est confronté au manque d’emploi à la sortie de l’université. »
Est-ce qu’il existe un système d’apprentissage continue pour les enseignants au Bénin ?
« Des animations pédagogiques trimestrielles sont organisées pour chaque matière. Des inspecteurs ou des conseillers pédagogiques interviennent lors de sessions d’une journée ou d’une demi-journée pour présenter les réformes et les nouvelles réalités liées à chaque discipline.
Une réflexion s’impose concernant l’emploi après l’obtention des diplômes. L’école devrait intégrer des heures d’atelier pour permettre aux élèves d’apprendre des métiers pratiques
Lorsque des inspecteurs identifient la nécessité d’intégrer de nouvelles approches, ils les introduisent et les présentent aux enseignants. Ces séances donnent lieu à des discussions approfondies pour évaluer la pertinence des réformes et des nouvelles propositions. Ces rencontres constituent également une plateforme permettant aux enseignants de formuler leurs propres propositions, lesquelles sont transmises à l’inspection pédagogique pour étude. Les retours sont communiqués lors de séances de formation ultérieures. Ces sessions sont considérées comme essentielles pour actualiser les compétences, harmoniser les pratiques pédagogiques et favoriser l’évolution continue du système éducatif. »
Les conditions de travail sont-elles satisfaisantes dans la localité où vous dispensez vos cours ?
« J’enseigne dans le collège d’enseignement général de Tori Akadjamé qui est situé dans la commune de Tori-Bossito, à environ deux kilomètres de la voie bitumée de Tori. La piste d’accès rurale est globalement bien entretenue, bien que des zones d’inondation se forment pendant la saison des pluies, compliquant légèrement la circulation.
L’établissement souffre d’un manque crucial de salles de classe. Alors que 31 groupes pédagogiques sont répertoriés, seules 21 salles sont disponibles. Parmi ces 21 salles, 8 sont construites comme des paillottes, avec des toits en tôle, ce qui compromet la sécurité des occupants.
Cette insuffisance d’infrastructures contraint certains groupes à attendre qu’une salle se libère pour pouvoir suivre leurs cours. Les conditions de sécurité sont précaires, comme l’illustre un récent épisode lors d’une forte pluie accompagnée de vents violents. On a vite compris qu’il fallait évacuer la salle. Tout de suite, on a demandé aux élèves de nous suivre. On a quitté la salle et on les a envoyés dans d’autres salles où les professeurs ne pouvaient plus faire cours parce qu’il n’y avait plus de lumière. On n’a pas d’électricité dans la zone ni dans l’école. Donc, voilà une des stratégies qui nous a permis d’éviter le pire. Sinon, le bâtiment serait tombé sur nous. On est responsable des déconvenues parce qu’en tant qu’enseignant, face aux élèves, on est dans l’obligation d’assurer du début de son cours jusqu’à la fin la sécurité des enfants. »
Existe-t-il dans votre établissement, des ressources pédagogiques en nombre suffisant ?
« Malheureusement, dans notre établissement, nous ne disposons pas de laboratoire, ce qui rend la situation très compliquée. De plus, nous rencontrons des difficultés à préserver le peu de livres dont nous disposons. L’absence d’espace dédié aggrave la situation : par exemple, la salle des professeurs est en réalité une salle de classe transformée, dont une partie a été sectionnée pour les enseignants. L’espace est tellement limité qu’il est difficile de stocker correctement le peu de matériel disponible, ce qui complique encore davantage les choses. »
Sans bibliothèque, comment on se débrouille pour enseigner les langues étrangères ?
« La situation est un peu difficile, mais nous faisons avec. Sachant que ces contraintes existent, nous faisons des efforts pour être prêts avant chaque cours, notamment en apportant nous-mêmes le matériel nécessaire. Par exemple, aujourd’hui, il est possible d’avoir un dictionnaire sur son téléphone, ou encore des chansons accompagnées de paroles que nous pouvons faire écouter aux élèves. Nous utilisons nos propres moyens pour fournir à ces derniers les notions essentielles. Certes, nous aimerions avoir de meilleures conditions, comme un vidéoprojecteur ou d’autres outils mis à disposition par l’établissement. Cependant, avec les ressources limitées dont nous disposons, nous faisons au mieux pour que les élèves, même dans des salles surchargées et parfois inadaptées, puissent recevoir les enseignements nécessaires. »
Quelle différence vous notez entre les charges horaires et vos conditions de travail d’enseignant ?
« Il existe un déséquilibre au niveau des salaires. Soyons honnêtes : ce que nous gagnons n’est pas à la hauteur de ce que nous devrions percevoir, surtout si l’on compare notre situation à celle des autres catégories d’enseignants. Pourtant, nous effectuons le même travail, déployons les mêmes efforts et avons été formés dans les mêmes établissements. Malgré cela, on nous désigne comme “aspirants au métier d’enseignant”, un terme qui nous dérange profondément. Il est inadéquat d’appeler “aspirant” quelqu’un qui a 10 ans d’expérience dans le système éducatif. Nous sommes déjà pleinement intégrés dans l’enseignement et ce terme est clairement péjoratif.
Concernant les primes, les enseignants fonctionnaires d’État et les agents contractuels de droit public bénéficient de primes spécifiques lorsqu’ils exercent dans des zones déshéritées. Récemment, ces primes ont été regroupées et intégrées aux salaires mensuels sous forme de primes de rendement, notamment pour ceux qui encadrent des classes d’examen. Cependant, ceux qui ne sont pas dans ces zones déshéritées perçoivent des montants moindres, voire aucun complément. De notre côté, nous, les aspirants au métier d’enseignant, ne recevons rien de tout cela.
Avec les ressources limitées dont nous disposons, nous faisons au mieux pour que les élèves, même dans des salles surchargées et parfois inadaptées, puissent recevoir les enseignements nécessaires
Depuis l’instauration du système d’”aspiranat“, nous en sommes à la cinquième année académique. Pendant les trois premières années, nous ne percevions que neuf mois de salaire, sans rien toucher pendant les vacances, alors que les autres catégories continuaient de recevoir leur rémunération. L’année dernière, un demi-salaire nous a été versé pendant les vacances, en juin et en août. Cette année, le gouvernement a annoncé que nous percevrons un salaire complet pendant les vacances, au même titre que les autres catégories. Toutefois, les écarts de traitement restent importants.
Il est impératif que le gouvernement se penche rapidement sur notre situation. Certains enseignants ont commencé comme vacataires avant l’instauration de l’aspiranat, exerçant de collège en collège pendant 10 à 12 ans. En ajoutant les cinq années d’aspiranat, cela fait près de 17 ans pour certains, sans statut clair. Nombre d’entre eux ont aujourd’hui 40 ou 45 ans, ce qui complique l’accès à une retraite correcte après 15 ans de service effectif.
Nous espérons que l’État procédera rapidement au reversement des aspirants, avec un changement de statut leur permettant de bénéficier de meilleures conditions de vie et de travail, en particulier sur le plan salarial. Obtenir un statut d’agent contractuel offrirait la possibilité de contracter des prêts bancaires, de construire une maison ou de résoudre divers problèmes financiers. Par ailleurs, il est crucial de réduire la charge horaire des enseignants à 20 heures de cours réglementaires, conformément aux normes en vigueur. Ces 20 heures d’enseignement en classe devraient être complétées par 20 heures consacrées à la préparation des cours, aux recherches, aux corrections de copies, et aux conseils de classe, garantissant ainsi un enseignement de qualité pour les apprenants. »
L’instauration de « l’aspiranat » n’a-t-elle pas permis de régler certains problèmes dans l’enseignement ?
« L’instauration de l’aspiranat a résolu de nombreux problèmes, soyons honnêtes. À l’époque de la vacation, les enseignants devaient parcourir plusieurs kilomètres pour se rendre de collège en collège. Ceux qui avaient la chance d’avoir trois ou quatre collèges dans une même zone pouvaient s’organiser, mais les déplacements restaient risqués. Il fallait quitter un cours à 10 heures dans un collège, pour être à 10 heures également dans un autre, avant de finir à midi et repartir dans un troisième établissement. Ce système présentait de réelles difficultés. De plus, les paiements s’arrêtaient souvent à la fin mai ou, dans le meilleur des cas, début juillet, après quoi il fallait faire face à quatre mois sans rémunération pendant les vacances.
Dans le primaire, les enseignants communautaires étaient payés par les cotisations des parents d’élèves. Cela conduisait parfois à des situations précaires, comme devoir regrouper plusieurs niveaux, sous la supervision d’un seul enseignant pour des effectifs pouvant atteindre 100 élèves.
Aujourd’hui, grâce au recrutement des aspirants, ces problèmes ont été partiellement résolus. Concernant le secondaire, l’aspiranat a permis de stabiliser les enseignants. Nous sommes désormais sédentarisés dans un seul collège, ce qui nous évite de devoir aller de gauche à droite. Je me souviens qu’à l’époque, j’étais affecté à trois collèges dans la commune de Tori-Bossito, et les déplacements étaient épuisants. Avec l’aspiranat, ce problème a été réglé : nous restons dans un collège, ce qui apporte une certaine tranquillité.
Cela dit, les revenus ont également changé. Ce que nous pouvions gagner en tant que vacataires, en enseignant dans plusieurs collèges, dépasse légèrement ce que nous gagnons aujourd’hui. Toutefois, l’État a ajouté une augmentation de 20 000 francs récemment, ce qui a été largement relayé dans les médias. Il faut reconnaître que des efforts ont été faits et que des problèmes ont été réglés.
Cependant, un problème persiste : les disparités entre les aspirants, les agents contractuels et les fonctionnaires. Cette situation est source de malaise, car nous sommes dans le même pays, travaillons dans les mêmes collèges et avons été recrutés par le même État. Psychologiquement, c’est difficile à accepter. Pourquoi faisons-nous plus d’heures de travail que les autres, mais sommes moins rémunérés ? Cette inégalité est frustrante.
Certes, l’État a pris des mesures pour améliorer certaines de nos conditions, notamment dans le domaine de la santé, et nous reconnaissons que des changements positifs ont été apportés. Cependant, il reste encore beaucoup à faire pour réduire les disparités et améliorer davantage nos conditions de travail et de vie. »
Quelles améliorations souhaiteriez-vous voir mises en place dans le système éducatif au Bénin pour vous assurer de meilleures conditions de formation, de travail et de vie ?
« La première priorité doit être la construction de bâtiments scolaires dans les établissements. Nous devons bénéficier de meilleures conditions pour étudier et enseigner. L’État devrait donc investir dans la construction de salles de classe, et les ONG pourraient également contribuer. Chaque établissement devrait disposer d’un nombre suffisant de salles pour accueillir tous les enfants en âge d’être scolarisés. Cela est crucial pour le développement du pays. Si nous négligeons l’éducation et fermons les écoles, dans cinq ans, nous risquons de n’avoir que des personnes marginalisées ou sans éducation. Permettez-moi de dire que cela conduirait à une véritable catastrophe sociale. L’éducation est une arme puissante pour le progrès. Il faut donc des salles de classe bien équipées, avec des bancs, des tableaux et tout le matériel nécessaire.
En parallèle, il est essentiel d’améliorer les conditions de vie et de travail du personnel enseignant. Nous souhaitons que ces conditions soient meilleures pour maintenir l’engouement et la passion qui nous animent dès notre sortie de l’École normale supérieure ou de l’université. Quand nous enseignons, nous sortons des âmes innocentes des ténèbres pour les conduire vers la lumière. C’est cela notre mission.
Plus concrètement, pour les aspirants au métier d’enseignant, nous sommes plus de 30 000, dont plus de 20 000 dans la première vague. Si l’État pouvait nous intégrer tous en tant qu’agents contractuels de droit public, cela nous mettrait dans de meilleures conditions. Cela nous permettrait de travailler avec sérénité et de nous sentir à égalité avec nos collègues fonctionnaires. Cela revaloriserait notre statut et notre contribution au système éducatif ne ferait que croître.
De plus, il serait judicieux d’introduire dans le système éducatif béninois des enseignements pratiques dans certaines matières. Par exemple, on pourrait réduire le nombre d’heures en espagnol, passant de 4 à 3 heures, ou en français, de 6 à 4 heures pour le premier cycle et dans d’autres matières également. Le temps libéré pourrait être utilisé pour des activités pratiques. Des formateurs en couture, soudure, mécanique et autres métiers pourraient être affectés dans les collèges. Ainsi, chaque élève aurait, par semaine, 3 heures consacrées à des ateliers pratiques.
Il est essentiel d’améliorer les conditions de vie et de travail du personnel enseignant. Nous souhaitons que ces conditions soient meilleures pour maintenir l’engouement et la passion qui nous animent dès notre sortie de l’École normale supérieure ou de l’université
Cela permettrait de réduire la vision exclusivement bureaucratique de l’éducation. Même si un élève termine avec un baccalauréat ou une licence professionnelle, il pourrait avoir une compétence pratique dans un domaine de son choix. Par exemple, au Ghana, il est obligatoire pour les étudiants de l’université de suivre une formation pratique dans un métier. Cela leur donne une opportunité de subvenir à leurs besoins si leur diplôme principal ne leur ouvre pas immédiatement des débouchés professionnels. Ce modèle pourrait inspirer notre système éducatif et préparer nos élèves à une meilleure insertion sociale et professionnelle. »
Prévert Djossou est titulaire du Brevet d’aptitude au professorat de l’enseignement secondaire (BAPES), l’équivalent de la licence professionnelle pour l’enseignement de l’espagnol obtenu à l’École normale supérieure de Porto-Novo, la capitale du Bénin. Il totalise dix (10) ans dans le système éducatif béninois. Actuellement en service au collège d’enseignement général de Tori-Acadjamè dans la commune de Tori-Bossito, il est par ailleurs titulaire d’un Master 1 en gestion.