
Quels sont les programmes de formation des enseignants proposés dans votre pays ? Quelle est la durée moyenne de ces formations ?
« Le programme de formation des enseignants au Mali est fait à travers le Programme décennal de développement de l’éducation qui vise à assurer le droit des citoyens à une éducation et à une formation de qualité, à travers un système éducatif inclusif, cohérent et fonctionnel. Ce programme est soutenu par le Ministère de l’Éducation nationale. Il est mis à la disposition des différents formateurs dans les différentes écoles du primaire. Nous suivons tous le même programme dans toutes les écoles, que ce soit au niveau primaire ou au niveau secondaire.
La formation des enseignants peut prendre deux à quatre ans. Il y a deux types d’enseignants, ceux qui ont le niveau diplôme d’études fondamentales (DEF) et ceux qui ont le niveau baccalauréat. Le niveau DEF demande quatre ans de formation et le niveau Bac deux ans. L’admission aux écoles de formation des enseignants se fait sur concours. L’accès est possible pour tout le monde. L’unique prérequis est d’être détenteur du diplôme d’études fondamentales ou du Bac. »
Les programmes sont-ils alignés sur les besoins réels des écoles et des élèves ?
« Cette formation commence à̀ être un peu caduque, vu le niveau des enseignants aujourd’hui, je pense qu’il est temps de la changer. Aujourd’hui, on accepte au concours les deux niveaux, le niveau diplôme d’études fondamentales (DEF) et le niveau Baccalauréat, mais on constate que les enseignants au niveau DEF sortent avec un niveau très faible pour pouvoir enseigner. On ne peut pas compter sur de bons résultats chez les élèves, parce que le formateur n’est même pas de qualité. Surtout dans le contexte du Mali où on opte pour un enseignement de masse et non un enseignement de qualité.
C’est cet enseignement de masse qui pose problème. Tout le monde ne peut pas passer à la classe supérieure, c’est impossible. Il faut une bonne sélection et tel n’est pas le cas chez nous aujourd’hui. Dans les écoles primaires, de la première à la deuxième année il n’y a pas d’examen, la sélection est faite selon les évaluations des différents trimestres. Et on attend que les 50% de la classe passent à une classe supérieure, cela ne va pas du tout. C’est un enseignement de quantité, qui ne peut pas donner de la qualité. »
Quelles sont les opportunités de formation continue offertes aux enseignants en exercice ? Existe-t-il des programmes de recyclage ou de mise à jour des compétences ?
« Les opportunités de formation continue sont disponibles mais très peu. Si les enseignants recevaient chaque année ces formations continues, on aurait pu remédier aux problèmes qui existent actuellement. Cependant, très peu d’enseignants sont formés pendant l’année au secondaire. Si la formation était continue, les enseignants auraient été en mesure de remédier à leurs problèmes.
À la sortie de l’école de formation, l’enseignant peut exercer pendant deux à trois années sans bénéficier d’une autre formation, ce qui est un sérieux problème. Les enseignants ont mené beaucoup de luttes dans ce sens. »
Quels sont les principaux défis auxquels est confrontée la formation des enseignants ? Quelles recommandations avez-vous pour prendre en charge ces défis dans votre pays ?
« Pour relever le niveau des enseignants, je crois qu’il faudrait élever le critère d’accès au concours, en acceptant seulement ceux qui ont au moins le diplôme du Bac et non le DEF. Les titulaires du diplôme d’études fondamentales sont âgés d’environ 14 ans, après la formation ils ont 17 – 18 ans et ils se retrouvent dans les classes, devant les élèves, étant encore eux-mêmes des enfants. Ils sont très jeunes, ils n’ont aucune conscience de ce qui les attend.
Ensuite, il faut éviter les effectifs pléthoriques dans les salles de classe. Il faut aussi chercher à̀ ouvrir cette passerelle de formation continue pour les enseignants, afin qu’ils soient mieux formés. Tant que les enseignants ne sont pas formés comme il faut, ils ne peuvent pas donner le meilleur d’eux- mêmes. Il faut inculquer cette pédagogie à chacun d’entre nous.
Aujourd’hui, les gens manquent de vocation, beaucoup viennent aujourd’hui pour l’argent. Il faut mettre cela de côté et savoir que si la richesse est la motivation il ne faut pas choisir l’enseignement. C’est un métier noble, on vient pour former. »
Quelle évaluation faites-vous de vos conditions de travail en tant qu’enseignant ?
En tant qu’enseignant, nos conditions de travail ne sont vraiment pas bonnes. Nous avons un problème d’infrastructures, nous avons un problème de matériel didactique et nous ne nous sentons pas en sécurité
« En tant qu’enseignant, nos conditions de travail ne sont vraiment pas bonnes. Nous avons un problème d’infrastructures, nous avons un problème de matériel didactique et nous ne nous sentons pas en sécurité́. Ce sont des situations auxquelles il faut chercher à̀ remédier le plus vite possible.
Au niveau des salaires, ce n’est pas du tout facile même si nous avons des primes de logement ajoutées au salaire, il y a aussi des primes de zone. Mais tout cela, ce sont des sommes insignifiantes. Aujourd’hui au Mali, les primes de logement que nous percevons ne permettent vraiment pas de loger quelqu’un. Au lieu que l’État construise des logements pour les enseignants, on nous octroie des primes de logement qui ne permettent pas l’accès à des logements confortables. Ce n’est pas facile si tu as une famille de sept, huit personnes.
Nous sommes très mal rémunérés par rapport au coût de la vie. Cela ne correspond pas aux charges auxquelles nous sommes obligé de survenir, car nous avons nos petites familles à prendre en charge. Et chez nous en Afrique le social est important, s’il y a un travailleur dans la famille, il est obligé de nourrir dix bouches. Et parfois les salaires viennent même en retard, c’est un sérieux problème.
Ce sont des choses contre lesquelles il faut vraiment lutter. Il faut mettre les gens dans de bonnes conditions pour qu’ils puissent donner le meilleur d’eux-mêmes.
Nous bénéficions de l’assurance maladie obligatoire. Mais ce n’est pas facile. Les prestations ne sont pas toutes prises en compte. Avec l’assurance maladie obligatoire, on peut partir à l’hôpital, mais sur l’ordonnance qu’on va prescrire il y aura beaucoup de médicaments et traitements qui ne sont pas pris en charge. Ce n’est pas facile. »
Comment gérez-vous les classes surchargées ou les ressources limitées ?
« Nous enseignons 24 heures par semaine au second cycle, de la septième année à la neuvième année. Niveau primaire, ils enseignent 36 heures par semaine, donc 6 heures par jour. Vous imaginez un peu ce que cela fait. Nous avons aussi des effectifs pléthoriques, on se retrouve avec 100 et quelques élèves dans une seule classe. Une classe qui est censée abriter 50 élèves. La gestion devient très difficile, la compréhension également. Par exemple, au moment où certains se retrouvent concentrés, d’autres perturbent la classe.
C’est pourquoi nous faisons parfois recours à une division de la classe quand l’effectif est de trop. Le temps de travail également est divisé en deux. Si la journée fait 6 heures, on prend la moitié de la classe durant 4 heures le matin et l’autre moitié 4 heures le soir. Cela demande un double effort du maitre pour que les élevés d’une même salle de classe soient au même niveau d’évolution. Ce qui pose un problème par rapport aux programmes. Avec le temps réel d’apprentissage, la division de classe nous pose un sérieux problème et surtout que les enseignants ne sont pas rémunérés à cet effet.
Les ressources pédagogiques ne sont pas suffisantes et ne peuvent donc pas être disponibles pour tout le monde. Un maitre doit travailler avec un document qu’il ne peut pas donner à chaque élève. L’État aujourd’hui n’est pas en mesure d’assister les écoles avec les ressources pédagogiques. Nous sommes obligés de nous baser sur les parents d’élèves en leur demandant d’acheter le matériel pour leurs enfants. »
Quelle place les nouvelles technologies occupent dans l’enseignement public au Mali ?
« Dans l’enseignement public au Mali, les nouvelles technologies ne jouent absolument aucun rôle. Elles sont même négatives pour nous. Parce que toutes les conditions ne sont pas réunies pour que nous puissions les utiliser, afin qu’elles soient profitables aux apprenants. Aujourd’hui, en tant qu’enseignant, tu peux préparer tes leçons avec un téléphone dans la maison, mais une fois en classe, quand tu demandes aux enfants d’utiliser cette nouvelle technologie, cela est un problème. Au lieu de rester concentré sur le cours, ils vont fouiller ailleurs.
Pour le moment, les nouvelles technologies entrainent des effets négatifs sur leur éducation. Ils n’arrivent pas à se concentrer sur les leçons. C’est pourquoi, pour le moment, nous cherchons même à interdire cette nouvelle technologie dans nos classes pour que les enfants puissent rester concentrés. »
Quel est l’impact de la situation sécuritaire sur l’enseignement ?
Il y a certaines zones dans lesquelles les écoles ne sont pas encore fermées mais la sécurité n’y est pas. Les enseignants s’efforcent à aller enseigner mais avec la peur au ventre
« Aujourd’hui au Mali, il y a des saisons où la totalité́ des écoles sont fermées. Les enseignants se retrouvent à la maison, sans boulot. Les enfants sont obligés de vaquer à d’autres choses, les parents d’élèves sont obligés de diriger leurs enfants vers autre chose. Il y a certaines zones dans lesquelles les écoles ne sont pas encore fermées mais la sécurité n’y est pas. Les enseignants s’efforcent à aller enseigner mais avec la peur au ventre. Tu peux être en classe et entendre des coups de fusil, ou recevoir des menaces à longueur de journée. Malgré tout, les enseignants se donnent du courage pour aller enseigner. Beaucoup d’enseignants ont perdu la vie, ainsi que beaucoup d’apprenants aussi. Nous avons des enseignants enlevés et nous ignorons aujourd’hui encore, où ils se trouvent ».
Comment analysez-vous la perception des populations sur les revendications des enseignants ?
« Il ne faudrait pas que l’enseignant reste cette personne toujours mal vue par la société. Pour la petite histoire, il était très difficile pour les enseignants de se marier, parce qu’ils étaient considérés comme les grands pauvres et les mal payés de la société. Ils pouvaient faire trois à six mois sans salaire.
Nous avons lutté pour un changement des conditions de vie, nous sommes parvenus à le faire. Nous avons demandé des primes auxquelles nous n’avions pas encore droit. Nous avons forcé l’Etat à nous mettre dans nos droits, et même jusque là, nous ne bénéficions pas de tous nos droits. Aujourd’hui, la population pense que nous sommes dans des bonnes conditions et que nous continuons à lutter pour rien, il faut comprendre que si un enseignant lutte, c’est pour les enfants.
Il faudrait que l’enseignant soit bien habillé, bien propre devant ses élèves pour qu’il soit respecté. Il faudrait que l’enseignant soit respecté dans la société. C’est pourquoi nous avons lutté pour que nos conditions soient meilleures et qu’on aille à la révision des différents textes. »
Quelles améliorations souhaiteriez-vous voir dans le système éducatif pour vous assurer de meilleures conditions de travail ?
« Il faudrait que les enseignants se sentent en sécurité. Il faut chercher à̀ sécuriser le pays pour que les écoles réouvrent et que les apprenants puissent prendre le chemin de l’école. Il faut que l’État parvienne à sécuriser les localités qui sont aujourd’hui dans les zones rouges. Par exemple, la région de Koulikoro, on considère certaines zones très dangereuses pour les enseignants. Plusieurs écoles sont fermées, ce n’est pas facile.
Dans nos écoles aussi, les conditions ne sont pas du tout bonnes. Dans chaque école publique, il devrait y avoir une infirmerie. Ce sont des choses sur lesquelles l’État doit se focaliser afin que les enseignants se sentent en sécurité. »