
Est-ce que vous pouvez nous parler de la formation des enseignants au Burkina ?
« Nous avons deux systèmes de formation. D’abord, il y a le Capsec – Certificat d’aptitude au professorat des collèges de l’Enseignement secondaire, les enseignants formés à ce niveau sont autorisés à enseigner de la sixième à la troisième. Ensuite, on a le Capes – Certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement secondaire, ceux qui sont formés à ce niveau sont autorisés à enseigner de la sixième à la terminale.
Concernant la formation du Capsec, le concours d’entrée est ouvert aux détenteurs du baccalauréat. Avec le bac, on peut donc passer le concours pour être admis à l’école de formation. Puis s’en suit trois ans de formation théorique et une année sur le terrain, ainsi qu’une année de stage. À l’issue de ce stage, l’enseignant est habilité à enseigner dans les établissements de façon continuelle.
Pour le Capes, en général, la plupart des enseignants font des concours professionnels. Mais il y’a également ceux qui se dirigent directement vers une année à l’école et une année également sur le terrain. Pour avoir accès à cette formation, il faut premièrement répondre au profil. Par exemple, le candidat qui souhaite dispenser des cours de mathématique doit détenir par exemple, un diplôme de sciences appliquées à l’université, afin d’être admis dans ce programme.
Au niveau de l’école de formation, le programme d’enseignement offre la possibilité de créer déjà les contenus de ce que nous devons enseigner aux enfants, et ceci en plus de la pédagogie qu’on nous enseigne, ainsi que des mesures d’évaluation et de la psychologie également de l’enfant. Les mesures d’évaluation permettent de tenir compte de bon nombre de paramètres pour évaluer l’enfant. Concernant le contenu, c’est un peu le programme que nous enseignons aux enfants. En réalité, c’est une révision générale des contenus qu’on doit enseigner aux enfants. »
Quels sont les autres critères d’admission à ces établissements de formation? Et est-ce que, selon vous, il y a des inégalités d’accès dans la formation en fonction peut-être de la région, de l’ethnie ou même du genre ?
« Non, pour le moment, au Burkina Faso, il n’y a pas d’exclusion au niveau des admissions à la fonction publique. La première condition d’admission est qu’il faut d’abord et avant tout être Burkinabé. Il faut également jouir de toutes ses facultés avant de pouvoir prétendre à un quelconque poste. Sinon, il n’y a pas de discrimination de genre. Je suis la preuve qu’il n’y a pas de discrimination de genre. Au Burkina, tout le monde est apte à enseigner.
Les programmes dans les établissements de formation sont-ils alignés aux besoins réels des écoles et des élèves ?
« Il y a une parfaite adéquation entre les besoins du pays et la formation proposée. Ce qu’on nous enseigne à l’école répond vraiment au programme qu’on donne aux enfants. On arrive à répondre à leur besoin.
On arrive à dérouler facilement le contenu du cours. Est-ce que cela est forcément en adéquation avec ce que le pays recherche ? Je ne dirai oui ou non, parce que cela va dépendre également des politiques qui sont mises en place.
Aujourd’hui, il est clair que pour certains enfants, ce n’est pas si évident. Notamment pour ceux qui sont dans les zones plus reculées de la capitale Ouagadougou. Dans la dispensation des cours dans ces zones reculées, on se rend compte que le message passe certes, mais un peu plus difficilement. Cela passe plus facilement pour un enfant qui est peut-être à Ouagadougou. »
Est-ce que vous avez l’impression que les sciences dures, de façon générale, sont des matières qui intéressent vraiment les enfants ?
« En tant que professeure de mathématiques, on a un problème un peu complexe, parce qu’il faut être assez littéraire pour être scientifique. Car en sciences, il faut d’abord comprendre le problème qui est posé, afin de le résoudre. En mathématiques, on a cette difficulté, parce que nos enfants, malheureusement ont un problème de niveau en langue. Ce qui fait qu’en sciences, on a des difficultés. Rares sont ceux qui nous portent satisfaction dans ces matières, surtout en mathématiques. Ils sont très rares. Aujourd’hui, les enfants ne veulent pas apprendre leurs leçons. C’est un peu difficile en mathématiques de faire passer un message. Cependant, le plus gros problème reste le niveau de langue des enfants. »
Est-ce que vous êtes du même avis que les personnes qui défendent la théorie selon laquelle il faudrait retourner vers un apprentissage en langue locale ?
« Je dirais non. Ici par exemple, jusqu’en classe élémentaire II, l’enseignant en province a le droit d’expliquer à l’enfant en langue locale. Ainsi, l’enfant va progressivement se détacher de l’enseignement en langue française. Cela pose problème parce qu’après cette classe on est obligé d’enseigner et d’interroger en français – y a une cassure donc.
Au collège également, la langue d’enseignement est le français, et les enfants ne s’en sortent pas toujours étant donné qu’ils n’ont pas un bon niveau en français. Ce qui pose des difficultés énormes. Ainsi, généralement en 6-ème, la moitié des élèves à la première année sont renvoyés, surtout ceux qui sont en dessous de la moyenne de six.
Je suis d’avis qu’un travail de fond doit être entrepris dès le primaire, afin de poser les bases solides notamment en français pour permettre à l’enfant d’avoir une scolarité plus facile. Par exemple, dans mes enseignements en Science de la Vie et de la Terre, j’ai des élèves qui parviennent à répondre correctement en langue locale mais pas en français, alors que le devoir est en français, et l’enfant ne peut pas écrire aussi en langue locale. »
Quelles sont les opportunités de formation continue qui sont offertes aux enseignants en exercice? Est-ce qu’il existe des programmes qui permettent, par exemple, de recycler ou bien pour les personnes qui veulent changer de domaine de spécialisation ou de mise à jour des compétences qui sont offertes aux enseignants?
« Je dirais non. La formation n’est pas vraiment continue. Cependant, l’école nous avait promis une formation continue mais jusqu’ici, nous ne l’avons pas fait.
Certes, il y a eu quelques formations, mais elles ne sont ni régulières ni approfondies. Il n’y a pas de véritable recyclage pour actualiser nos connaissances. Personnellement, j’ai participé à deux ou trois formations, mais depuis l’année dernière, lorsque j’ai commencé à m’intéresser à l’Approche par compétences (APC), tout semble s’être arrêté. La formation sur l’APC, par exemple, était théorique et s’est déroulée sur deux jours. Cependant, il n’y a eu aucun suivi de la part des inspecteurs pour évaluer ou renforcer ce que nous avions appris. De plus, aucun document d’appui ne nous a été fourni pour approfondir nos connaissances ou nous accompagner dans la mise en œuvre de cette approche.
En fait, on nous a demandé de commencer à appliquer l’APC avant même d’avoir été correctement formés. Lorsqu’une formation a finalement été organisée, elle était trop courte et manquait de ressources pratiques pour nous permettre d’acquérir les bases solides nécessaires pour accompagner efficacement les élèves. En conclusion, la formation continue, telle qu’elle devrait se faire efficacement est inexistante ».
Quelle évaluation faites-vous de vos conditions de travail ?
« Les conditions nécessaires à une éducation inclusive et gratuite ne sont pas totalement réunies, notamment à cause d’un manque important de matériel. Nous faisons avec les moyens du bord, mais cela reste insuffisant.
L’éducation inclusive suppose des ressources adaptées, mais dans notre contexte, c’est souvent l’enseignant qui, avec ses propres moyens financiers, tente de pallier ces manques pour offrir un minimum de savoir aux enfants. Sinon, la situation devient très compliquée.
Les défis sont nombreux. Les effectifs dans les classes sont pléthoriques et nous avons 22 heures d’enseignement par semaine à gérer. Malgré tout, nous faisons preuve de conscience professionnelle et, en tant que parents nous-mêmes, nous ne pouvons pas abandonner ces enfants, même si les conditions de travail sont loin d’être remplies. Prenons par exemple le problème de la chaleur. Dès 10 heures du matin, il devient très difficile de faire passer un message aux élèves. Les classes ne sont pas équipées : pas de ventilateurs, pas d’électricité. Les enfants se cherchent et se battent avec la chaleur, ce qui affecte leur concentration, surtout dans l’après-midi.
Chez nous par exemple, il n’y a pas de cantine scolaire. Ainsi, un enfant qui habite à 5 ou 6 km de l’école doit marcher ou pédaler sous un soleil accablant pour rentrer chez lui, manger, puis revenir pour les cours de l’après-midi. À leur retour, ces enfants sont souvent fatigués. Dans une classe de sixième, par exemple, où les effectifs sont très élevés et les élèves encore jeunes, il est courant de voir la moitié de la classe dormir pendant le cours ».
L’éducation inclusive suppose des ressources adaptées, mais dans notre contexte, c’est souvent l’enseignant qui, avec ses propres moyens financiers, tente de pallier ces manques pour offrir un minimum de savoir aux enfants
Les infrastructures (salles de classe, bureaux, sanitaires) sont-elles adéquates et en bon état ?
« Cela fait trois ans que je suis dans cet établissement et la situation reste compliquée. Le directeur essaie de trouver des solutions, mais les défis sont nombreux. Par exemple, pour l’électricité, bien qu’on ait installé quelques poteaux dans le village, le projet n’a pas abouti. Le directeur a tenté à plusieurs reprises, mais faute de moyens, il a dû abandonner. Il promet toutefois de reprendre ses efforts pendant les vacances.
Lors de la construction de l’école, des équipements comme des brasseurs d’air avaient été prévus, mais ils ne fonctionnent pas, faute d’électricité et de batteries pour alimenter les installations. Ce que nous avons actuellement ne suffit pas à couvrir les besoins des salles de classe.
Sur le plan des infrastructures, nous disposons de quatre classes, avec des effectifs très élevés, notamment en sixième. Aucun projet de construction de nouvelles salles n’est prévu, ce qui rend la situation encore plus difficile. Parler d’une salle de repos ou d’autres installations devient presque impensable. De plus, avec le principe de gratuité scolaire qui interdit les cotisations spéciales pour le fonctionnement des établissements, nous faisons face à des défis énormes. »
Quelles améliorations souhaiteriez-vous voir mises en place pour vous assurer de meilleures conditions de travail ?
« Les ressources disponibles auprès des établissements sont très limitées. Par exemple, pour les supports pédagogiques, nous avons quelques planches que nous utilisons au tableau, mais cela reste insuffisant. Les enfants apprennent souvent dans le néant, sans matériel concret pour visualiser les notions enseignées.
En tant qu’enseignants, nous manquons également de formation continue et de mise à jour pédagogique. Bien que les programmes soient théoriquement bien conçus pour une année scolaire, leur application pratique prend souvent beaucoup plus de temps. Nous avons besoin d’un accompagnement pour adapter la pédagogie aux réalités du terrain. Il est également essentiel d’associer les enseignants en activité à la révision des programmes scolaires. Ceux qui sont sur le terrain, confrontés aux défis quotidiens, doivent être consultés pour élaborer des solutions adaptées aux besoins réels.
Sur le plan financier, les enseignants sont souvent dans une situation précaire. Certains ministres ont critiqué les enseignants qui prennent des prêts pour acheter des voitures, mais ces critiques ne prennent pas en compte le manque de moyens. Un enseignant doit pouvoir se présenter dignement devant ses élèves, avec une tenue correcte et une motivation suffisante pour inspirer ses élèves. Une prime vestimentaire pourrait être une solution, tout comme une revalorisation du salaire de base pour mieux refléter l’importance de ce métier. »