Les insuffisances dans l’enseignement supérieur « Un des premiers défis est la prise en compte du bien-être des étudiants notamment à travers la question des bourses. Il n’y a aucune raison qui doit justifier le retard des bourses des étudiants. C’est une problématique qui n’est pas digne d’une université respectée à l’ère actuelle. L’accueil des étudiants et leur bien-être doivent être prioritaires aussi. La santé mentale des étudiants est un élément crucial que le système doit aborder. Il est essentiel d’intégrer cette question pour transmettre un message fort à nos étudiants, en leur disant : « Nous avons investi sur vous, en vous fournissant des enseignants de qualité et en construisant des universités pour vous permettre d’assumer votre rôle et assurer un retour sur investissement. » Cependant, ce message ne doit pas simplement renvoyer à un discours, il doit être traduit en une action concrète, transparaitre dans les orientations stratégiques, ainsi que dans la prise en charge des étudiants au sein des universités (les logements, les repas, les interactions). Ces aspects doivent être valorisés afin que les étudiants se sentent respectés et ceci selon les normes internationales que l’on retrouve dans les meilleures universités mondiales. Le fait d’être un pays en développement ne signifie pas que nous devons dévaloriser nos formations. La formation est un défi crucial qu’il faut relever et nous avons les moyens d’y parvenir. Cependant, cela demande une vision et une volonté politique. En établissant une meilleure transition entre le lycée, voire le collège et l’université, nous pouvons parvenir à relever ce défi. Il est essentiel que les étudiants comprennent le sens même de l’école et le poids de l’éducation dans le développement. En dehors du système scolaire, il existe de très nombreuses façons de se développer et chacune de ces voies peut-être tout aussi valable. Par exemple, on peut travailler après le baccalauréat, voire après le brevet. L’école n’est pas la seule option et ce message doit être clairement communiqué, entendu et accepté. L’éducation est certes importante, mais elle ne constitue qu’une partie de la vie. Il est primordial que ce message soit transmis. Les priorités dans les programmes éducatifs dès la petite enfance Le secteur de l’éducation rencontre un problème structurel. Il semble peu probable d’établir de lien direct entre le ventre de la mère et l’université, alors qu’en réalité, un bon programme éducatif devrait le prévoir. En effet, partant de la période prénatale à l’université, le développement des enfants à l’école est directement influencé par les premières années de leur vie, lorsqu’ils ne sont pas encore scolarisés. Les parents se doivent de guider leurs enfants et de les encourager à devenir des leaders, des individus créatifs, et des personnes proactives. Le programme éducatif doit être repensé de sorte qu’il ne commence pas à l’école, mais à la maison et que le premier enseignant soit le parent. Si ce travail est fait, on peut créer un programme intelligent qui développe cumulativement les capacités depuis le ventre de la maman jusqu’au supérieur. Ainsi, on pourra définir les compétences requises sur le plan technique, moral et psychologique pour chaque tranche d’âge de l’enfant. Il est essentiel de définir les compétences que l’on souhaite développer, afin que chaque enfant sénégalais puisse arriver à l’université avec des aptitudes spécifiques. En ce moment, nous ne parvenons pas à faire le lien entre les compétences développées à la maison et les compétences qu’on veut développer plus tard notamment au supérieur. Le meilleur investissement que l’État puisse faire est de renforcer les capacités des parents. Il y a beaucoup plus de parents sénégalais que d’enseignants. En équipant les parents sénégalais ; ils pourront s’occuper correctement de leurs enfants, cela aura un effet direct sur le capital. L’indice de capital humain au Sénégal est de 0,40 %. Ce qui signifie qu’un enfant sénégalais qui est né en 2020, 2021 ou 2022 n’a que 40 % de chance de développer tout son potentiel à l’âge adulte. Ceci à cause des contre-performances du système éducatif. Il est important d’avoir une ligne directrice, de la famille jusqu’à l’université. Si nous réussissons à établir très clairement cette liaison entre la maison et l’université, nous parviendrons à développer par tranche d’âge et ceci de manière cumulative les cheminements et les compétences et arriver à des étudiants bien formés. Ainsi, nous pourrons identifier les compétences à renforcer chez les enseignants. Parmi ces compétences, il sera essentiel d’introduire les langues locales, car elles constituent un premier élément crucial de réforme. Par exemple, nos enfants ne sont pas moins intelligents que ceux de France ou ailleurs. En réalité, la différence réside dans le fait que les enfants français ne sont pas évalués en mathématiques dans une autre langue que la leur, il n’y a aucune raison de les tester en wolof en France. Si l’on devait évaluer les enfants français en wolof, on pourrait conclure à tort qu’ils sont moins intelligents que les autres enfants, car ils seraient confrontés à des questions posées dans une langue qu’ils ne comprennent pas. Ce ne serait pas leur intelligence qui serait évaluée, mais leur capacité à s’exprimer dans une langue donnée. Il faudrait introduire les langues locales dans les enseignements et le développement socio-émotionnel. Il est essentiel d’accorder davantage d’importance aux émotions et au bien-être des enfants. Le bien-être des enfants n’est pas moins important que le contenu académique. Selon moi, il faudrait mettre 20 % du temps maximum dans le contenu pédagogique et laisser 80 % du temps pour permettre aux enfants d’aimer apprendre, de découvrir l’école et d’explorer le monde par eux-mêmes. La démarche pour construire des programmes éducatifs en adéquation avec nos besoins Il faut impliquer les parents depuis le début. En parallèle d’une réforme du programme scolaire il faut encourager le dialogue. À travers ce dialogue, l’État financera des missions qui entraineront des discussions avec les parents sénégalais dans toutes les régions du pays. Ce sera un véritable point de départ sincère car on va pouvoir créer les inputs communautaires et ceux familiaux dans le système et les parents sénégalais pourront s’exprimer sur le système éducatif. À travers ces discussions avec les parents, il est clair que nous pourrions travailler en se basant sur les souhaits des Sénégalais. Malheureusement ce n’est pas encore le cas car la démarche entreprise est inverse. C’est une démarche où un programme est imposé aux familles sénégalaises. Il faut que les familles soient impliquées dans l’éducation des enfants, elles sont des parties prenantes centrales. En tant que spécialiste, nous avons toujours les compétences techniques nécessaires pour articuler les idées des parents avec des aspects stratégiques de l’État. Répondre au défi de l’iniquité dans l’enseignement en milieu rural En milieu rural, il existe énormément de facteurs sous-exploités. Il faut un système éducatif qui va profiter au milieu rural. Étant donné qu’on ne peut avoir une école dans chaque village, l’idée est d’utiliser les ressources disponibles notamment les populations. Par exemple, au lieu d’avoir quelques enseignants et écoles pour un nombre infini d’élèves, il serait mieux de former également les parents. De ce fait, si l’on doit avoir dans une zone rurale 10 enseignants et 1000 parents, nous nous retrouverons plutôt avec 1010 éducateurs, si et seulement si l’État forme les parents qui deviendront des éducateurs. Il est impératif de revoir en profondeur notre programme éducatif notamment les matières enseignées aux enfants. Enseigner des matières non pertinentes constitue une violation de leurs droits. L’État doit pouvoir fournir des enseignements qui seront utiles à nos enfants et qu’ils pourront mettre en pratique au quotidien. Dans le cadre de l’enseignement en milieu rural, il serait pragmatique d’établir un lien efficace entre les communautés en prenant en compte les valeurs traditionnelles et les objectifs stratégiques que vise l’État dans le secteur de l’éducation. Cela permettra de résoudre les problèmes d’infrastructures dans les zones rurales. Connecter les décideurs politiques et les besoins des populations à travers la recherche Malgré la mise en place de l’ensemble des mécanismes de connexion entre le monde de la recherche et celui des décisions politiques, le Sénégal traverse encore une période de tension et un stress politique lié aux enjeux de 2024 notamment les élections, les questions financières et géostratégiques et les enjeux liés à l’exploitation du pétrole, du gaz et des ressources minières et naturelles du pays. Pour les surmonter, il faudra créer un dialogue constructif entre les Sénégalais, afin que ces ressources leur bénéficient véritablement et que l’État représente essentiellement les intérêts de ce peuple. Ainsi, les ressources pourront être mobilisées de manière efficace et extraordinaire pour servir l’intérêt public et répondre aux besoins de nos populations. Cependant, il faudra obligatoirement surmonter cette période de tension afin de faciliter le dialogue entre les différentes parties prenantes. Il est essentiel que les recherches menées en laboratoire et à l’université par les collègues puissent réellement avoir un impact positif sur la vie des populations. La recherche peut être menée, mais pour transformer la vie des populations, l’action publique et politique sont indispensables. Mon souhait pour 2024 est que nous puissions avoir un pays pacifié avec un gouvernement souverain qui agit de manière loyale envers le peuple sénégalais. Il est crucial d’avoir une équipe gouvernementale entièrement dévouée aux aspirations légitimes et profondes du peuple sénégalais. Ce dernier est désireux de vivre dans le bonheur, la prospérité et de bénéficier pleinement de ses ressources et ceci en offrant une éducation de qualité à ses enfants. La souveraineté appartient exclusivement, indivisiblement et inconditionnellement au peuple sénégalais. Lorsque l’équipe gouvernementale incarne cette conviction profonde, les recherches seront de haute qualité et auront un impact significatif sur la vie quotidienne de nos concitoyens. »
Ce n’est pas le rôle de l’État, ni de l’école mais celui du foyer familial qui joue un rôle déterminant dans cet aspect.
Extraits de l'entretien
Docteur en psychologie cognitive de l’Université de Bourgogne en France et spécialiste du Développement de la Petite Enfance, Dr Ibrahima Giroux est enseignant chercheur à l’Université Gaston Berger de Saint Louis. Il a été chargé du programme Petite enfance à Unicef pour le bureau du Sénégal (2018-2022). Il a mis en place la méthode Educhance avec le cabinet Educhance dont il est le directeur. Cette méthode est destinée à l’ingénierie de soi et de l’autre dans le cadre du management de la famille et de l’entreprise.Dr Ibrahima Giroux
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Bonjour wathi, le cipb est groupé de réflexion u sui travaille à l’amélioration du climat des affaires au Bénin. J’en suis le directeur exécutif. Je souhaite entrer en contact monsieur Girioux afin d’échanger avec lui.