Les principales priorités politiques pour renforcer la démocratie et la stabilité « La première priorité au niveau politique est de restaurer le dialogue et la confiance des Sénégalais envers les institutions. Quand un peuple n’a plus confiance en ses institutions, il est difficile d’avancer, car la confiance est le socle de la démocratie et de la stabilité. Les citoyens doivent accepter de déléguer une partie de leurs prérogatives, de leurs libertés et de leurs droits à un État. De la même manière, ils doivent avoir confiance envers cet État. De plus, il est primordial d’instaurer un dialogue permanent entre le pouvoir et l’opposition, même hors période électorale. Le dialogue fait vivre la démocratie et assure par conséquence la stabilité du pays. Enfin, il faut prêter une plus grande attention aux revendications et aux aspirations de la jeunesse. Tout comme la plus grande partie des pays africains, le Sénégal est un pays où la grande majorité de la population, 65 à 70 % est jeune. Ces jeunes ont des aspirations, mais aussi une vision pour la construction du pays. Les acteurs politiques ne l’ont pas encore suffisamment pris en compte d’où les problèmes actuellement observés. Les jeunes ne se sentent pas écoutés et représentés. La solution est d’impliquer davantage les jeunes, privilégier le dialogue, restaurer le respect et la confiance envers les institutions. Ainsi, le Sénégal reprendra sa place d’exemple en matière de démocratie et de stabilité en Afrique. Les principales priorités pour la jeunesse et les revendications sociales Les deux principales problématiques liées à la jeunesse sont le chômage et l’éducation notamment l’enseignement supérieur. Il est difficile de mobiliser la jeunesse quand elle n’a plus d’espoir et de vision pour son futur. Mais lorsque cette jeunesse affirme qu’elle souhaite étudier, il faut en tenir compte dans les considérations politiques. Par exemple, en tant qu’enseignant, je pense qu’il faut rouvrir les universités, car c’est un moyen d’occuper les jeunes et de diminuer la tension politique et sociale qu’il y a actuellement dans le pays. Il faut faire de l’éducation un axe prioritaire en réformant l’ensemble du système éducatif sénégalais, allant du primaire à l’université, de la formation continue à la formation professionnelle. La détérioration de notre système éducatif participe de manière très active à la dégradation de l’environnement politique et social du pays. Un autre défi majeur est l’inflation. Elle peut être considérée comme la deuxième bombe à retardement du pays. Au Sénégal, les prix ont explosé en moins de deux ans. Bien que l’inflation trouve ses causes dans les grands bouleversements mondiaux (guerre en Ukraine, conflit israélo palestinien etc…) c’est à l’État d’apporter des réponses. L’État doit notamment apporter des politiques durables en matière d’inflation et de consommation pour la population. L’immigration de la jeunesse est également un enjeu majeur. Il y a une forte immigration clandestine depuis le Sénégal. Lorsqu’on analyse les parcours migratoires, on compte trois types de pays : le pays de départ, de transit et d’arrivée. Le Sénégal a été un important pays de transit. Mais depuis quelques décennies, le pays est à la fois un pays de transit et un pays de départ. Cela doit interpeller les décideurs. Ce ne sont pas seulement les jeunes hommes qui partent, mais les femmes et les enfants également. Le fait que le Sénégal devienne un pays de départ illustre un échec de la part des autorités et de l’État. Il faut que le gouvernement écoute davantage les jeunes et leur propose des solutions adaptées. Les questions relatives à la santé sont aussi primordiales pour le pays. Il faut revoir l’ensemble du système, notamment les moyens alloués à la formation du corps médical, allant des infirmiers aux médecins mais aussi de tous les acteurs, les services sociaux impliqués dans le domaine médical. Les Sénégalais se plaignent souvent de l’accueil réservé dans les hôpitaux ou dans les dispensaires. Une formation en matière d’éthique, de bonne gestion et de bonne gouvernance est nécessaire dans les hôpitaux, ce qui ne demande pas de grands moyens. Enfin, les différents candidats et les futurs décideurs du pays doivent se pencher sur la relation entre l’État et la sécurité. L’État sénégalais doit être présent sur l’ensemble de l’étendue du territoire national. Cela ne signifie pas seulement instaurer la présence de la police ou de la gendarmerie, mais aussi investir dans des écoles, des hôpitaux, l’administration, et les mairies… L’État doit pouvoir engendrer un sentiment d’appartenance, de citoyenneté, et de patriotisme de la part des populations. Si l’État est moins présent, les populations se reconnaitront moins par rapport à cet État. Cela est lié à la question de la sécurité, car que l’on soit à l’intérieur du pays ou à ses frontières, la sécurité est liée à la présence effective de l’État sur l’ensemble du territoire. Les réformes prioritaires au niveau institutionnel Le système politique actuel est un système présidentialiste. Il faut fournir un effort de réflexion et faire un bilan de ce système depuis les années 60 et la fin de la fédération du Mali. Il faut être lucide sur ce qui a fonctionné et ce qui n’a pas fonctionné pour ensuite dégager des pistes de réflexion et engager de potentielles réformes. Le système présidentiel sénégalais actuel a certains défauts et lacunes. C’est un régime hyper présidentialiste ; c’est-à-dire que le Président de la République au Sénégal est au cœur de toute la politique nationale comme de la politique étrangère. Les trois pouvoirs, l’exécutif, le législatif et le judiciaire sont supposés être séparés. Mais le législatif et le judiciaire ont une certaine dépendance envers l’exécutif. Ce n’est pas spécifique au Sénégal car c’est le cas de beaucoup de pays africains, mais également hors d’Afrique. En Amérique latine, il y a les mêmes problématiques, de même qu’au sein de grandes puissances européennes. Mais cette question sur l’hyperprésidentialisme est fondamentale et une réflexion est nécessaire pour aboutir à un plus grand équilibre entre les pouvoirs. De plus, le Parlement est supposé avoir une grande autonomie par rapport à l’exécutif. Mais cette institution est encore dépendante du Président. Une réflexion est nécessaire autour de l’autonomie du système judiciaire. Le système judiciaire actuel au Sénégal est dépendant du Président de la République et donc du système exécutif. Cela est problématique car le pouvoir judiciaire doit être à équidistance entre le pouvoir et l’opposition, mais également à équidistance entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. Ainsi, les citoyens sénégalais, pourront se reconnaitre dans ce système judiciaire peu importe leur appartenance politique. Enfin une lacune majeure est l’indifférence que les Sénégalais ont vis-à-vis des institutions. Quand une population est indifférente au fonctionnement des institutions, elle ne connait pas ses droits ni ses devoirs par rapport à ces dernières. Cela détermine grandement l’engagement ou non des citoyens dans le domaine politique et social. L’importance de la question sécuritaire pour les prochaines années La question sécuritaire est d’une extrême importance pour deux raisons. Premièrement, nous sommes dans un environnement international où la sécurité est au cœur des débats. Comme tous les pays du monde, le Sénégal est affecté par les conflits internationaux actuels dont la guerre en Ukraine, le conflit israélo-palestinien, les tensions entre les Etats-Unis et la Chine et les menaces terroristes en Europe. Deuxièmement, la sécurité est un enjeu majeur au sein même de la sous-région. Une vision globale est nécessaire. Les décideurs doivent fondamentalement comprendre le caractère multidimensionnel de la sécurité. Ce n’est plus seulement une question militaire ou de forces de sécurité et de défense. La question sécuritaire est liée aux problématiques environnementales et sociétales (immigration, inégalités, chômage…). La sécurité est donc l’affaire de tous car elle est en connexion avec l’ensemble des autres domaines du pays. Il faut jouer sur deux tableaux qui communiquent entre eux. Tout d’abord, au niveau national, l’État doit être présent sur l’étendue du territoire. Il doit pouvoir être sollicité par ses citoyens. Un citoyen qui voit l’État à ses côtés devient un citoyen engagé. De plus, la relation entre ces citoyens et les forces de sécurité et de défense doit être consolidée. Depuis quelques décennies en Afrique, les citoyens ont un regard suspicieux par rapport aux militaires, à la police et à la gendarmerie. Pourtant, il faudrait qu’ils voient les forces de l’ordre comme des alliés qui défendent leurs intérêts et que les forces de sécurité et de défense voient également les citoyens comme le reflet de leur engagement. Tant qu’il y aura cette relation de crainte, voire d’opposition entre les citoyens et les forces de sécurité et de défense, cela nuira à l’objectif d’assurer la sécurité. Au niveau externe, les questions de sécurité demandent une vision globale, notamment à l’échelle de la sous-région. Il faut une implication et de la coopération avec les pays voisins, notamment le Mali, la Mauritanie, la Gambie, les deux Guinée… Le cadre de coopération doit être très claire avec des objectifs faisables. Ce cadre est nécessaire pour assurer la sécurité intérieure de notre État. Recommandations pour des élections apaisées Il faut que l’État mette tout en œuvre pour que la campagne électorale se déroule bien et que les candidats puissent se déplacer librement et en sécurité au sein du territoire. Le bon déroulement de la campagne électorale est donc primordial. Il faut mettre en place des mécanismes pour s’assurer du respect des droits et des devoirs des citoyens pendant la campagne électorale et le scrutin. Lorsque le climat social est apaisé, les populations se sentent davantage concernées par la chose politique. De plus, il est important que les candidats qui aspirent à diriger le pays aient un sens de la mesure et de la responsabilité. Ils ont le droit de s’opposer et de proposer des projets différents aux Sénégalais, mais dans le respect et l’équité. Il y a une certaine morale politique à respecter. Enfin, les citoyens sénégalais doivent pouvoir se déplacer avant et après le scrutin. L’État doit garantir toutes les conditions nécessaires pour que la population puisse aller voter en sécurité dans leur village ou dans leur ville. »
Mamadou Lamine Sarr, enseignant-chercheur en Sciences politiques au Pôle Sciences économiques, juridiques et de l’administration (SEJA) de l’Université numérique Cheikh Hamidou Kane (UN-CHK). Titulaire d’un Ph.D. en Sciences politiques de l’Université Laval (Québec, Canada) et d’une maîtrise en économie (mention géostratégie économique mondiale) de l’Université Panthéon-Assas (Paris II), il est également responsable du Master Paix, Sécurité et Développement (PSD) de l’UN-CHK. Ses enseignements portent sur des matières comme les relations internationales, l’analyse de politique étrangère, la gouvernance mondiale, la géopolitique, la méthodologie de recherche, la politique d’intégration africaine, etc.