Les réformes urgentes pour les droits des filles et des femmes au Sénégal « Même s’il y a eu des avancées sur les droits des femmes et des filles, il reste un problème d’application des mesures prises. Certaines réformes sont urgentes. Il faut une révision du Code de la famille, mais également sur le foncier, afin que les femmes puissent jouir de leurs droits fonciers. En effet, il y a plusieurs articles discriminatoires dans le code de la famille, qui constituent une atteinte à la dignité des femmes et des filles. Par exemple, l’article 196 qui interdit la recherche de paternité et l’article 111 qui porte sur les mariages d’enfants. Concernant la recherche de paternité, l’article stipule que l’homme a le choix de reconnaître ou pas ses enfants. Les mères et les enfants naturels n’ont donc ni les moyens, ni le droit de rechercher la paternité. C’est un paradoxe pour un pays comme le Sénégal qui a signé et ratifié la plupart des dispositions protégeant aussi bien les femmes que les enfants. Cet article porte atteinte à la dignité de la femme et encourage la fuite de responsabilité chez l’homme. Les conséquences sociales sur la femme et sur l’enfant sont lourdes, car l’enfant naturel n’a aucun droit, donc ne peut donc pas hériter. Une autre conséquence est qu’un enfant hors mariage est toujours vécu comme une honte dans une famille et quand le père n’accepte pas la paternité, c’est pire. L’article 111 est également problématique. Il concerne le mariage des jeunes. Le code de la famille rend légal le mariage à 18 ans, pour les filles comme pour les garçons. Mais pour les filles, c’est autorisé à partir de seize ans, sauf opposition d’un juge. Cet article laisse une porte ouverte à toutes les pratiques que nous observons, même si la plupart des mariages et surtout ceux d’enfants ne sont pas déclarés. La non-déclaration des mariages fait qu’aujourd’hui, on estime à plus de 32 % des jeunes filles mariées avant 18 ans, même s’il existe des disparités entre les régions. Les conséquences sont multiformes, à la fois physiques, sociales et économiques. Mais cette disposition poursuit la discrimination basée sur le genre dans un pays comme le Sénégal. C’est un paradoxe parce que le pays a encore une fois ratifié toutes les conventions et tous les instruments qui protègent les femmes et les enfants, notamment la CEDEF, la Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, la Convention des Nations Unies sur les droits de l’enfant, la Charte africaine des droits de l’enfant, ou encore le protocole de Maputo.
Les femmes au Sénégal représentent 70 % de la population active rurale. Elles produisent entre 70 et 80 % de l’alimentation. Malgré tout, elles ont un accès restreint, un contrôle très faible sur le foncier et participent peu à la gouvernance foncière
Le Sénégal doit donc harmoniser sa législation par rapport à ces engagements internationaux. Une réforme foncière a également été menée, mais les mesures n’ont pas été appliquées, seulement entamées. Depuis l’année dernière, un projet de loi portant sur la modification de la loi d’orientation agrosylvopastorale a été proposé. Des consultations sont en cours pour voir comment cette modification peut prendre en compte la dimension genre. La loi sur la parité de 2010, mais aussi l’acte III de la décentralisation, favorise la participation des femmes et leur rôle économique dans la gouvernance foncière. Pour rappel, d’après la FAO (Organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture), les femmes au Sénégal représentent 70 % de la population active rurale. Elles produisent entre 70 et 80 % de l’alimentation. Malgré tout, elles ont un accès restreint, un contrôle très faible sur le foncier et participent peu à la gouvernance foncière. Même s’il y a une parité dans les conseils municipaux, les collectivités territoriales ont la prérogative de gérer le foncier rural sur le domaine national. Les femmes participent rarement à la commission domaniale chargée de la gestion de la terre à l’échelle nationale. Et quand elles y participent, elles ont un rôle secondaire et très rarement déterminant. Pour toutes ces raisons, il est nécessaire de mener des réformes. Il existe déjà une circulaire du ministère de l’Agriculture depuis 2018 qui porte sur le quota dans l’agriculture. Par ailleurs, la déclaration de l’Union africaine demande de donner 30 % des terres déclarées aux femmes. Le quota a un fondement juridique. Cependant, la condition est que le quota soit un seuil et non pas un plafond. L’importance de ces réformes pour les conditions de vie des femmes Ces réformes ne vont pas uniquement améliorer les conditions de vie des femmes, mais de toute la société. Cela permettra au Sénégal de respecter ses engagements. Si le pays veut se développer à l’horizon 2030 avec les ODD (Objectifs de développement durable) et appliquer le PSE (Plan Sénégal émergent) horizon 2035, le Sénégal est obligé de respecter l’égalité de genre et l’autonomisation des femmes. Si on prend l’exemple de la réforme foncière, les études ont montré que lorsque les femmes accèdent à la terre, leur autonomisation s’améliore et quand elles sont autonomes économiquement, c’est toute la famille qui en bénéficie parce qu’il y a une amélioration de l’éducation des enfants, de la sécurité alimentaire et de l’accès à la santé. Au-delà de l’égalité, du respect, de la dignité humaine, ce sont des réformes bénéfiques pour le pays. Pour résumer, c’est une question de droits humains. Les prérequis pour la mise en œuvre effective de ces réformes Un travail de fond est nécessaire. La société civile doit se mobiliser fortement à travers les institutions universitaires. Il faut d’abord une synergie des actions, afin d’avoir un plus grand impact sur les pouvoirs publics. Pour y parvenir, il est important que les actions soient basées sur des évidences. Il faut renforcer l’autonomisation des femmes au sens multidimensionnel, afin qu’elles soient capables de définir des objectifs et de revendiquer les droits pour favoriser un environnement sensible au changement. Les pouvoirs publics sont confrontés au problème d’application de ces mesures, parce qu’il y a des réticences au niveau local sur lesquelles il faut travailler pour les relever.
Si on prend l’exemple de la réforme foncière, les études ont montré que lorsque les femmes accèdent à la terre, leur autonomisation s’améliore et quand elles sont autonomes économiquement, c’est toute la famille qui en bénéficie parce qu’il y a une amélioration de l’éducation des enfants, de la sécurité alimentaire et de l’accès à la santé
J’ai coordonné un projet sur la sécurisation des femmes dans le domaine foncier. Les résultats atteints l’ont été grâce à la mobilisation et au renforcement des capacités des femmes, ainsi qu’aux alliances multi-acteurs et donc à la création d’un environnement favorable au changement. Il apparaît donc nécessaire de travailler à la fois avec les décideurs, mais aussi avec les populations pour qui ces lois sont définies et qui les appliquent au niveau local. La prise en charge de la question migratoire Pour moi, on ne peut pas arrêter la migration. Je milite pour davantage de mobilité, car c’est un droit. Mais on ne peut pas non plus laisser continuer les drames auxquels nous assistons se reproduire. La migration est devenue un sujet politique. Le migrant est devenu un enjeu électoral aussi bien chez nous qu’en Occident, notamment en Europe ou même aux États-Unis. Le constat est qu’il y a une montée de la xénophobie en Occident qui fait du migrant le bouc émissaire. Malgré tout, nos migrants souhaitent toujours se rendre en Europe, quitte à trouver une fenêtre toujours plus dangereuse pour y accéder. Les candidats doivent prendre en charge cette question. Il est important d’aborder la question migratoire selon notre perspective et non sur le prisme de l’Occident. La vision occidentale criminalise uniquement la migration africaine. Il faut réfléchir à notre réalité, nos intérêts et nos attentes par rapport à la réglementation. Et donc arrêter d’avoir cette lecture du Nord sur les migrations. Il faut mettre en place un partenariat gagnant-gagnant entre le Nord et le Sud, ce qui nécessite ce changement de lecture imposé par l’Occident. Par exemple, l’Union européenne affirme qu’il faut « fixer les migrants ». Mais quand on veut fixer un Sénégalais dans l’espace CEDEAO, on remet en question la libre circulation qui date de 1979 et qui précède celle de l’espace Schengen. Le partenariat doit faire de la migration un atout et non pas un problème. Au niveau national comme au local, il faut mettre en place des mesures notamment économiques, car ce facteur est l’une des principales causes de la migration. Mais le problème actuel, c’est de ne faire que des réponses uniformisées. Il faut que les réponses soient adaptées non seulement au territoire, mais aussi au profil. Les migrants ne constituent pas un groupe homogène. Il y a des hommes et des femmes. Au sein de chaque catégorie, il y a des sous-catégories. Il faut d’abord identifier les profils des migrants pour mieux agir et arrêter les réponses uniformisées. Certes, l’économie est l’une des principales causes de la migration, mais il faut une analyse holistique, car d’autres facteurs interviennent, notamment ceux socioculturels. Tant que la question de la migration sera traitée comme une question purement économique, il n’y aura pas de solutions efficaces et durables. D’où l’urgence de travailler sur l’imaginaire de la migration. Beaucoup de travaux et d’expériences ont été menés par les organisations de la société civile, dont les think tanks, avec une approche transformative. Mais le mieux serait une mise à l’échelle macro de tous ces projets pilotes qui pourraient avoir un impact sur ces différents domaines. Les priorités nationales globales pour assurer le bien-être collectif Le domaine prioritaire est de s’attaquer aux inégalités sociales sous toutes les formes, économiques et territoriales. Cependant, on doit commencer par la cherté de la vie. Certes, l’inflation est mondiale, mais des mesures doivent être prises pour protéger les plus vulnérables d’entre nous. De plus, il faut une meilleure répartition territoriale des services sociaux et publics de base. Par exemple, l’accès à la justice en zone rurale des femmes et des filles victimes de violences, notamment sexuelles. Un des facteurs de la non-dénonciation, c’est l’éloignement à la fois physique et psychologique des services publics. L’accès à l’éducation est également une priorité. Les statistiques montrent que jusqu’à la licence, il y a une bonne représentation des jeunes femmes dans certaines filières, elles sont majoritaires. Mais à partir du cycle master et du doctorat, le nombre de femmes se réduit considérablement. Il serait bon d’avoir une réflexion sur cette problématique. Malgré les avancées, il faudrait étendre la loi sur la parité aux fonctions nominatives. Cela permettrait par exemple d’avoir plus de femmes à certains niveaux du top management des universités. La question du coût du logement est un réel problème. Malgré les mesures prises, le logement reste extrêmement cher. Il est nécessaire de trouver des mécanismes pour réduire le prix du logement. Pour terminer, améliorer la sécurité routière est un réel défi. Il y a beaucoup d’indiscipline, de non-respect du code de la route, ce qui provoque des drames. »
Docteure Oumoul Khairy Coulibaly Tandiang est socio-anthropologue, experte en genre, autonomisation de la femme et migrations. Enseignante-chercheure, maîtresse de conférences, elle enseigne à l’École supérieure d’économie appliquée (ESEA) de l’Université Cheikh Anta Diop. Elle a coordonné plusieurs projets de recherche action relatifs à l’autonomisation de la femme, notamment les projets sur la « Promotion d’une gouvernance foncière inclusive par l’amélioration des droits fonciers des femmes au Sénégal » et sur “Violences sexuelles et accès à la justice pour les femmes rurales d’Afrique de l’ouest : cas de la Mauritanie et du Sénégal”.