Les priorités pour répondre à la problématique du changement climatique « Le Sénégal se trouve dans une double problématique. Le pays est dans un contexte d’exploitation du pétrole et du gaz et compte beaucoup sur ces ressources pour asseoir son développement. Mais dans la même lancée, à l’échelle mondiale, il y’a des initiatives fortes pour stopper le financement des énergies fossiles. Cet engagement risque d’avoir un impact fort sur les économies qui s’appuient sur l’exploitation de ce pétrole et du gaz. Lorsqu’on est un pays développé, on a plus tendance à consommer des énergies propres. Par exemple avec des revenus moyens, on peut consommer du gaz ce qui est moins polluant. Mais avec des revenus plus faibles, on est obligé de consommer du charbon et ce qu’on appelle les bouses de vache qui sont encore beaucoup plus polluants. Quand le Sénégal aura atteint un certain niveau de développement, il pourra s’engager de manière conséquente à utiliser des énergies propres. Pour le moment, il faut pratiquer un mix énergétique en utilisant l’énergie solaire ou éolienne qui sont à notre portée. Aussi, on peut faire la corrélation entre changement climatique et urbanisme. Le Sénégal est un pays côtier avec une urbanisation basée sur le littoral. Plus on avance vers le littoral, plus on agresse le littoral. Sur le littoral, il y’a des zones qui ne sont pas destinées à l’habitat. Mais du fait de la pression démographique, les gens finissent par y habiter. Les effets du changement climatique peuvent entraîner des conséquences sur cette urbanisation. Il est donc nécessaire de revoir la politique d’urbanisation en promouvant des villes de l’intérieur qui peuvent accueillir cette démographie très forte qui se regroupe vers le littoral. Dans le domaine de l’agriculture, il faut fournir plus d’efforts afin de se passer des engrais chimiques et utiliser plutôt des engrais naturels. Cela ne nécessite pas de moyens importants, mais plutôt une forte volonté politique. Cette volonté politique permet d’asseoir une bonne politique environnementale pour lutter efficacement contre les effets du changement climatique. » Les recommandations pour mettre en place cette politique « C’est la volonté politique qui permet de lancer des actions. Ces actions doivent aussi être guidées par la recherche. Alors, les autorités politiques doivent financer efficacement la recherche, notamment dans le domaine lié au changement climatique pour guider les politiques environnementales et les politiques d’aménagement et d’urbanisme. Il y a des actions sporadiques et spontanées dans ce secteur, mais une politique globale est nécessaire. Malheureusement, on ne parvient pas à mener cette politique globale. Par exemple, il y’a quelques actions sur le logement mais qui ne constituent pas une politique d’urbanisme. Les candidats proposent dans leurs programmes des politiques limitées à 5 ans, durée du mandat, mais les effets du changement climatique ne peuvent être résolus qu’avec une vision de long terme. » La nécessite de redonner la priorité à l’éducation et à l’enseignement « La base du développement, c’est l’éducation. Aucun pays ne peut aspirer véritablement au développement si sa population n’est pas bien formée. On ne peut pas opposer le développement à l’éducation et aucun universitaire ne peut se réjouir de la situation actuelle de nos universités. Elles fonctionnent timidement. Les perturbations au sein des campus sont nombreuses et pour résoudre ce problème il faut s’attaquer à la cause. Le principal problème, c’est la forte politisation de l’espace universitaire. Aujourd’hui, il n’y a plus de distinction entre le champ de la recherche, académique et le champ politique. Les idéaux politiques prennent le dessus sur les idéaux académiques. Il faut avoir le courage de dépolitiser l’université. Les étudiants et enseignants ont le droit d’être syndiqués d’appartenir à des partis politiques. La liberté d’opinion et d’expression est la quintessence même de l’université. On donne à chacun, la liberté d’appartenir au groupe qu’il souhaite. Mais il faut qu’on arrive à couper le cordon ombilical entre l’espace universitaire et l’espace politique. L’université est aussi marquée par des fractures énormes. Il n’y a pas d’identité commune mais des identités très fortes au sein de l’espace universitaire. Chaque étudiant s’identifie à ses origines, ses convictions et ses croyances. Ces identités, au lieu de réunir les étudiants ont tendance à les séparer. Il est donc nécessaire de revoir ce schéma identitaire au sein de l’université. L’université ne peut pas être une zone de non-droit. Il y a un véritable enjeu sécuritaire. Il faut renforcer la police universitaire pour mettre de l’ordre. Les universités peuvent regrouper plus de 10 000 personnes ce qui est l’équivalent d’une ville, il est donc nécessaire d’y avoir les normes de sécurité d’une ville. Également les moyens consacrés au financement de la recherche ne sont pas suffisants. La recherche est au service de la communauté et doit donc être financée en conséquent. Cela pourra garantir un enseignement de qualité, mais aussi, rattraper le standard universitaire international. Le gap créé avec la Covid 19 ne sera pas rattrapé avant plusieurs années, surtout avec les fermetures actuelles de certains universitaires. Il faut très rapidement trouver des solutions pour ouvrir l’espace universitaire et accueillir les étudiants. Malgré l’autonomie de l’université dans de nombreux domaines, la mainmise de l’autorité politique sur les autorités de l’université est toujours importante, de même que la relation directe entre le ministère de l’Enseignement supérieur et les recteurs des universités. C’est un combat des syndicats universitaires. Le recteur devrait être choisi parmi ses pairs à la suite d’une élection afin d’être plus représentatif. » Les priorités nationales globales pour le bien-être des populations « L’élection présidentielle est un contrat social vis à vis d’un peuple. On s’engage à servir, à se mettre à la disposition du peuple. Quand on prend cet engagement, tout doit être fait avec ce peuple, d’où la nécessité de renforcer la participation citoyenne. La participation citoyenne ne doit pas se limiter aux collectivités territoriales. Il faut que les citoyens puissent être consultés en amont, pendant la mise en œuvre et après, c’est à dire dans l’évaluation du projet, des programmes ou de la politique en question car ce sont les premiers concernés. Les électeurs aussi ont une part de responsabilité parce que malheureusement les Sénégalais ne regardent pas des programmes mais les personnalités. Il faut arriver à élever le débat citoyen. C’est le rôle de la société civile. De plus, il faut que les citoyens comprennent que l’élection présidentielle, c’est un engagement, c’est un contrat. Les termes du contrat doivent être bien élaborés. L’élaboration se fait dans cette phase préélectorale. Il faut un système de monitoring qui permette de voir si les termes du contrat ont été respectés par ce candidat. Ainsi, nous aurons des éléments factuels à la fin du mandat pour sanctionner positivement ou négativement la personne. Les deux dernières choses qui sont fondamentales et qui sont sources de déstabilisation dans la sous-région sont la transparence et la redevabilité. La transparence doit soutenir toutes les actions publiques. La lutte contre la corruption est un fléau en Afrique. Ce qui est à la base du problème de moyens, le peu de ressources qu’on possède, au lieu de le mettre à la disposition des citoyens, elles sont plutôt captées par une classe privée. Il y’a une privatisation des ressources qui ne va pas vers l’intérêt général. L’argent qui est détourné dans la corruption, sert à gérer des affaires privées et ne servira donc pas à la construction d’un hôpital ou d’une route. Concernant la lutte contre la corruption, tous les pays signataires de la Convention des Nations Unies de lutte contre la corruption et de la Convention africaine de lutte contre la corruption, ont pris des engagements. Par exemple, mettre en place des agences anticorruption avec une certaine autonomie financière. Quand les agences dépendent fortement, surtout du point de vue financier, de l’État, leurs actions risquent d’être limitées par les autorités politiques. De mon point de vue, les gens font ce qu’ils veulent parce qu’ils ne craignent pas la sanction. Il faudrait donc une justice efficace et équitable, une justice qui ne craint pas de dire la vérité et que les personnes concernées puissent être sanctionnées à la hauteur des crimes parce que ce sont des crimes financiers. Il ne faut pas que l’accès aux ressources puisse être garanti par la politique. Tous les jeunes se ruent vers la politique pour espérer accéder à ces différentes ressources et trouver un emploi. Les gens qui n’appartiennent pas à cette sphère privée du pouvoir sont animés par une colère qui bout et pourrait exploser à tout moment. Cela peut amener une instabilité au Sénégal. La redevabilité également est importante. Les dirigeants politiques sont redevables vis à vis de leur population. Ils sont élus pour un mandat, la population leur a fait confiance. En échange de cette confiance, le dirigeant doit mettre en place des mécanismes clairs qui permettent de savoir où sont investies les ressources. C’est sur la base de cette redevabilité que la population peut apprécier s’il faut renouveler le contrat de confiance ou bien s’il faut sanctionner. Dernière chose, la dépolitisation de notre administration. Il faut couper le cordon ombilical entre la politique et l’administration. La nomination d’un directeur général ne doit pas être garantie par la carte d’un parti. Les administrateurs ne sont pas au service des citoyens mais au service de leurs partis politiques ou bien des chefs de partis. Les candidats sont tous invités à se positionner autour de ces enjeux. »
Les politiques environnementales doivent être élaborées de manière holistique. En effet, l’environnement est écosystémique, l’action sur un élément entraîne des conséquences sur un autre. Il ne faut pas travailler de manière isolée sur chaque enjeu. Aussi, le manque de moyens entraîne un manque de planification. Ce qui explique pourquoi les politiques se font dans la réaction, dans l’urgence ce qui est la conséquence d’un défaut de planification.
Extraits de l'entretien
Spécialiste en urbanisme, aménagement du territoire et gouvernance locale, Dr Binette Ndiaye est enseignante chercheure à l’Institut des sciences de l’environnement de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Également militante de la société civile, elle est coordinatrice du forum citoyen, une organisation engagée pour la bonne gouvernance et la lutte contre la corruption.Dr Binette Ndiaye
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Bravo Dr Binette Ndiaye Mbengue, pertinente comme d’habitude