Les priorités nationales par rapport aux domaines d’expertise « Cinq priorités me paraissent urgentes. La première qui est transversale, c’est une meilleure conscience de l’État du Sénégal de la centralité de l’humain. L’État agit au service du citoyen, ce qui place l’humain au cœur des actions de l’État. Le fait d’avoir conscience du fait que l’État est au service des citoyens permet de mieux tenir compte des besoins de ces citoyens. Cela me paraît indispensable, c’est pour moi, la première priorité à chaque fois que l’État devra prendre des décisions. J’ai identifié également une deuxième priorité qui est en relation avec l’intelligence artificielle. Cette priorité concerne une meilleure inscription du Sénégal dans la chaîne de valeur de l’IA. Elle passe par deux actions, à mon sens, qui seront l’importance donnée à la recherche par l’État du Sénégal et l’importance et les moyens mis à disposition pour développer les infrastructures permettant d’avoir une production de données localement et en masse. Aujourd’hui, il y a beaucoup de recherche autour de l’intelligence artificielle, il y a beaucoup de production de systèmes d’IA qui ne sont malheureusement pas produits par nous. Pour une prise en compte de nos besoins et de nos préoccupations, en tant que citoyens sénégalais et africains, il est important qu’on puisse investir le maximum possible dans la production de données et dans la production de données de qualité. La recherche doit être transdisciplinaire, inclusive, endogène et aussi bénéficier de moyens pour avoir des infrastructures. En troisième lieu, il est important d’industrialiser les services publics numériques. Quand je parle d’industrialisation des services publics numériques, je veux différencier dématérialisation et industrialisation. L’État du Sénégal a déjà œuvré pour dématérialiser certains services publics. Mais, il faut passer un cran au-dessus pour parvenir, en 2024, à avoir l’ensemble des services publics accessibles via une plateforme. Il n’est pas pensable qu’une personne qui travaille à Dakar et qui est originaire de Kaolack se voit obligée de se déplacer à Kaolack en cas de mariage, ou d’inscription à un concours pour obtenir son dossier. Il faut pouvoir rendre disponible l’ensemble des services publics en ligne. Le deuxième niveau de cette industrialisation est de développer des partenariats publics privés avec des acteurs privés, pour permettre de valoriser les données tout en protégeant les droits fondamentaux, notamment les données à caractère personnel. Le quatrième élément qui me semble important, c’est la valorisation des savoirs culturels. Cette dernière est centrale pour développer la recherche endogène au Sénégal. Ce développement ne peut se faire que si on connaît suffisamment notre culture. La valorisation des savoirs culturels à travers le numérique permet d’instaurer des dynamiques qui permettent à la culture sénégalaise de rayonner au niveau international.
Il n’est pas pensable qu’une personne qui travaille à Dakar et qui est originaire de Kaolack se voit obligée de se déplacer à Kaolack en cas de mariage, ou d’inscription à un concours pour obtenir son dossier. Il faut pouvoir rendre disponible l’ensemble des services publics en ligne
Enfin, le cinquième point prioritaire est l’actualisation des curricula. L’actualisation des curricula ne vise pas simplement l’enseignement supérieur, cela commence dès l’élémentaire. Aujourd’hui, on est dans un monde qui change en continue. Par exemple, le programme sénégalais du ministère de l’Éducation nationale donne une place centrale aux compétences d’écriture, de langue, de logique mathématique, avec une place accessoire à la musique, à l’art graphique, plastique et autres. Aujourd’hui, il est important d’ouvrir davantage nos jeunes et nos enfants à tous ces domaines qui ont une importance égale. Cela donnerait plus de chances aux jeunes que nous formons de trouver leur place en développant leur créativité et en s’exprimant davantage. Le besoin de renforcer l’enseignement à distance au Sénégal Aujourd’hui, l’enseignement à distance souffre d’une perception méconnue. Les personnes méconnaissent ce que c’est l’enseignement à distance et cette méconnaissance influence la perception que les gens ont de ce type d’enseignement. Pourtant, l’enseignement à distance représente l’avenir.
Il faut favoriser une meilleure compréhension de ce qu’est l’enseignement à distance
Au sein même du monde universitaire, on trouve des détracteurs de l’enseignement à distance, réfractaires au changement, parce qu’ils ne comprennent pas suffisamment les opportunités qu’offre l’enseignement à distance. Un changement des mentalités est nécessaire. L’État peut impulser cette dynamique en sensibilisant davantage sur l’enseignement à distance. Les priorités nationales globales pour le bien-être des populations Je vois beaucoup d’axes prioritaires concernant le bien-être des Sénégalais. La priorité numéro une serait d’améliorer le cadre de vie. En tant que citoyen, je n’ai pas l’impression que notre État s’intéresse au cadre de vie. On voit une succession de bâtiments, d’immeubles, de villas et d’espaces où les gens peuvent habiter. Mais il n’y a pas d’équilibre et d’harmonie dans ce cadre. Il y a très peu d’espaces verts qui sont aménagés pour que les gens puissent se ressourcer. Également, on ne trouve pas suffisamment d’aires de jeux dans les quartiers pour que les enfants puissent développer les talents, pratiquer du sport, marcher et se promener. Le cadre de vie doit être amélioré significativement. Le deuxième point prioritaire c’est la santé mentale. En tant que citoyenne, ma perception est que la santé mentale est quelque chose d’accessoire. C’est réservé à des personnes qui ont des troubles perçus par tous, alors qu’on est dans un monde où notre mode de vie change considérablement, notamment avec le numérique. Par conséquent, même en étant physiquement entouré les personnes s’isolent de plus en plus. Soit les personnes ont une trop forte consommation des contenus, soit les personnes ne se retrouvent pas dans le monde dans lequel on vit aujourd’hui. La problématique de la santé mentale devient centrale. C’est important de démocratiser les problématiques de santé mentale pour changer la perception et le regard du citoyen.
La priorité numéro une serait d’améliorer le cadre de vie. En tant que citoyen, je n’ai pas l’impression que notre État s’intéresse au cadre de vie
Il ne faut plus que l’on considère comme un tabou le fait d’aller voir un thérapeute afin de se faire prendre en charge sur les problématiques liées à la psychologie. Poursuivant sur la question du bien-être, il faut aborder la dimension culturelle. Au Sénégal, très peu de musées ou d’espaces culturels sont accessibles gratuitement par la population. Pourtant, l’on devrait permettre aux populations de mieux connaître leur culture, en favorisant l’accès aux musées et aux espaces culturels. L’État devrait trouver le moyen de les rendre tous gratuits. Cette gratuité ne doit pas être un poids pour les porteurs de projets culturels. L’État doit les accompagner significativement pour que ces espaces puissent être maintenus ouverts et gratuits et accessibles aux populations. Cela va entraîner un cercle vertueux, car les acteurs culturels vont pouvoir occuper ces espaces et promouvoir davantage leurs œuvres en tant que citoyens. C’est important pour le bien-être des populations. J’ajouterai deux autres axes, tout d’abord la propreté et l’hygiène. Ce ne sont pas des affaires individuelles. L’État devrait promouvoir la culture de la propreté et de l’hygiène. Par exemple, au Rwanda, le gouvernement a instauré une journée par mois où les voitures ne circulent pas. Toutes les personnes, au moins à Kigali, vont nettoyer leur lieu de vie. Il y a pas de distinction entre le Président de la République, le ministre, l’entrepreneur, ou encore le chômeur et l’enfant. Cela inspire une dynamique à l’ensemble des populations. Ces derniers comprennent que c’est l’affaire de tous. La question de la propreté et de l’hygiène des lieux de vie et des espaces communs devrait être impulsée par l’État du Sénégal. Enfin, je pense qu’on devrait normaliser les écoles et les lieux d’accueil des enfants. Par exemple, il y a des écoles et des crèches qui sont dans des immeubles ne respectant pas les normes internationales d’accueil. Un enfant passe minimum 4 h par jour dans la salle de classe. Si la luminosité, l’orientation du tableau n’ont pas été respectées, les enfants qui rentrent chez eux à la fin de la journée, sont épuisés, parce que le cadre d’accueil n’était pas adapté. Une normalisation portée par l’État devrait aider.
La problématique de la santé mentale devient centrale. C’est important de démocratiser les problématiques de santé mentale pour changer la perception et le regard du citoyen
Voilà cinq points qui me paraissent prioritaires en tant que citoyenne pour contribuer significativement au mieux-être de la population sénégalaise. La prise en charge de ces priorités nationales Je pense qu’avec une réelle volonté politique, toutes ces questions peuvent être prises en charge. Le Sénégal, ce n’est pas simplement un seul homme, c’est tous les citoyens sénégalais. Au Sénégal et dans sa diaspora, il y a des hommes et des femmes prêts à contribuer au mieux-être de la population et à contribuer au rayonnement économique, politique, social, culturel et environnemental du pays. Ma principale recommandation est de garder en conscience qu’un Président de la République et son gouvernement sont au service du citoyen. Ce qui nous réunit, c’est une paix durable, un développement durable et le mieux-être des populations au Sénégal. »
Extraits de l'entretien
Minata Sarr est docteure en droit, spécialisée en droit numérique, transformation numérique, stratégie et innovation juridique. Elle est enseignante-chercheure à l’Université numérique Cheikh Hamidou Kane (Ex UVS) où elle dirige la Licence Legaltech. Minata Sarr est également coach certifiée en neurosciences motivationnelles et fondatrice de Mission & Sens, qui se veut une structure d’accompagnement personnel et professionnel, d’innovation stratégique et juridique et de formation.Dr Minata Sarr