
Quels sont les programmes de formation des enseignants proposés en République de Guinée et quelle est la durée moyenne de ces formations ?
« La première formation concerne les enseignants du primaire, elle est effectuée par l’École nationale normales des instituteurs pour une durée de deux ans, y compris la période de stage. Pour les enseignants du secondaire, la formation est faite à l’Institut supérieur des sciences de l’éducation de Guinée pour une durée de quatre ans, y compris la période de stage.
Pour l’admission, il n’y a pas de discrimination car les critères sont très bien définis. Pour l’École nationale normale des instituteurs, il faut détenir un baccalauréat en République de Guinée pour pouvoir candidater à travers un concours pour une admission.
Après le concours, la personne admise est orientée vers la filière de son choix dans une école nationale d’instituteurs. »
Quelles sont les opportunités de formation continue offertes aux enseignants en exercice ? Existe – t- il des programmes de recyclages ou de mise à jour des compétences ?
« Il existe des programmes de recyclage destinés aux enseignants titulaires d’un baccalauréat travaillant dans l’enseignement primaire. Ceux-ci ont la possibilité, lorsqu’ils disposent des moyens nécessaires, de suivre une formation à l’Institut supérieur des sciences de l’éducation de Guinée (Isseg) à leurs propres frais. L’Isseg offre des opportunités de formation continue pour ces enseignants, leur permettant de se perfectionner et d’acquérir de nouvelles compétences.
Pour ceux du secondaire qui sont déjà titulaires de la Licence, ils peuvent également se recycler à l’Institut supérieur des sciences de l’éducation de Guinée pour des cours de master dans un domaine spécifique ou de master en sciences de l’éducation, mais à leurs propres frais. »
Quelle évaluation faites-vous de vos conditions de travail en tant qu’enseignant ? Combien d’heures par semaine enseignez-vous ? Pensez-vous que la charge de travail est équilibrée ?
« Dans la fonction publique, les enseignants travaillant pour le gouvernement ont une charge réglementaire de 18 heures par semaine, ce qui équivaut, en pratique, à trois jours de cours pleins par semaine. En revanche, pour les enseignants du privé, la situation est plus complexe. Leur charge de travail peut atteindre 36 heures par semaine, soit du lundi au samedi. Lorsque l’enseignant du privé travaille au moins 36 heures par semaine, cela représente 144 heures par mois. En prenant en compte les taux horaires pratiqués en dehors de la zone spéciale de Conakry, qui sont actuellement d’environ 18 000 francs guinéens par heure, leur salaire mensuel atteint difficilement 2,5 millions de francs.
Cependant, le principal problème réside dans le fait que ces enseignants sont rémunérés uniquement sur neuf mois (d’octobre à juin). Pendant les trois mois de vacances (juillet, août et septembre), ils ne perçoivent aucun revenu, ce qui rend leur situation financière encore plus précaire. Par ailleurs, les écoles guinéennes, dans leur grande majorité, manquent d’équipements adéquats, aggravant les conditions de travail des enseignants. »
Comment gérez-vous les classes surchargées ou les ressources limitées ?
« En Guinée, les écoles, qu’elles soient publiques ou privées, ne disposent pas de matériel adéquat. Il n’y a pratiquement pas de manuels scolaires. Chaque année, le ministère de l’Éducation met à la disposition des écoles publiques des ressources pour acheter des documents et les institutions partenaires en fournissent également. Cependant, ces documents se retrouvent souvent sur les marchés, privant ainsi les écoles de ces ressources essentielles.
Dans les écoles privées, la situation est que les fondateurs ne prennent pas l’initiative d’investir dans des manuels. Par exemple, dans certains établissements, il n’existe aucun manuel, que ce soit de la 7e année à la terminale. »
Les infrastructures ( salles de classe, bureaux, sanitaires) sont-elles adéquates et en bon état ?
« En ce qui concerne les infrastructures et équipements, la réalité varie entre les écoles publiques et privées. Dans les écoles publiques, bien que certains bâtiments soient construits ou rénovés selon les normes, l’équipement manque cruellement. Par exemple, de nombreuses directions scolaires ne disposent même pas d’un ordinateur. Le matériel pédagogique est quasi inexistant, rendant le fonctionnement difficile. Du point de vue de la santé et de la sécurité sanitaire, la situation reste également préoccupante. Les conditions sanitaires dans de nombreuses écoles laissent à désirer.
En Guinée, les écoles, qu’elles soient publiques ou privées, ne disposent pas de matériel adéquat. Il n’y a pratiquement pas de manuels scolaires
Du côté des écoles privées, les réalités ne sont pas uniformes non plus, mais elles ne disposent généralement pas des infrastructures et du matériel nécessaires pour offrir un enseignement de qualité.
Dans les écoles privées, comme je le disais au début, il faut que l’État prenne des dispositions pour que l’école privée soit réglementée en République du Guinée. Il y a beaucoup d’écoles privées aujourd’hui qui répondent aux normes. L’infrastructure n’a rien à envier aux autres infrastructures scolaires. Quand vous prenez l’équipement, la direction est équipée du premier matériel ou dernier matériel. La santé, tout ce qui est disposition hygiénique, tout y est. Il y a beaucoup d’écoles privées qui sont dans cette situation.
Par contre, il y a d’autres écoles privées qui sont complètement abandonnées. Parce que les fondateurs supposent que l’école est devenue une affaire de business en Guinée. Il faut juste se trouver un petit local, dont une villa avec trois chambres et salon, et dire que c’est une école. À ce niveau, il faut une véritable intervention de l’État. »
Comment évaluez-vous votre rémunération par rapport au coût de la vie ? Bénéficiez-vous de primes ou d’avantages supplémentaires (logement, transport, assurance) ?
« Dans la fonction publique, même si la rémunération n’est pas totalement à la hauteur du coût de la vie, il existe des primes qui permettent aux enseignants de mieux s’en sortir. Quand on observe aujourd’hui le taux d’inflation en République de Guinée et les augmentations salariales accordées aux enseignants du secteur public, on peut dire qu’ils peuvent, en quelque sorte, se frotter les mains. Ils bénéficient notamment de primes de logement, de transport, de préparation, de crédit et d’habillement. Ces différentes primes, ajoutées au salaire de base, leur offrent un revenu global relativement conséquent. Si l’enseignant choisit de mener une vie modeste, il peut aujourd’hui parvenir à subvenir à ses besoins avec son salaire, bien que ce ne soit pas toujours facile.
En revanche, dans les écoles privées, c’est une autre histoire. Si vous travaillez dans une école où le taux horaire est, par exemple, de 18 000 francs guinéens, sachez que ce sera votre seul revenu. Il n’y a aucun autre avantage, absolument aucun. Pire encore, certaines écoles demandent même à l’enseignant de rattraper les heures perdues en cas d’absence pour maladie, sans aucune compensation.
Dans un tel contexte, il est impensable qu’un promoteur d’école accepte de verser une quelconque prime d’encouragement pour les efforts de ses enseignants. La rémunération des enseignants du privé en Guinée est si faible qu’elle ne peut même pas couvrir 60 % de leurs besoins essentiels. Soyons clairs : la situation est extrêmement difficile. »
Quelles améliorations souhaiteriez-vous voir mises en place dans le système éducatif pour vous assurer de meilleures conditions de travail ?
« Je souhaiterais que l’école guinéenne soit nationalisée, si possible. Bien que nous soyons dans un système de libéralisme économique, il y a des secteurs où ce modèle ne devrait pas s’appliquer intégralement. L’éducation est un pilier fondamental de la vie sociale et économique et elle ne peut être laissée à une gestion désorganisée ou uniquement axée sur des intérêts privés.
L’État doit impérativement prendre ses responsabilités. Même si les particuliers construisent des écoles, celles-ci doivent être placées sous le contrôle direct de l’État. Peu importe que cela passe par l’établissement de contrats entre les fondateurs d’écoles et le gouvernement, l’essentiel est que l’État assure la supervision et le bon fonctionnement de ces établissements.
L’éducation est un pilier fondamental de la vie sociale et économique et elle ne peut être laissée à une gestion désorganisée ou uniquement axée sur des intérêts privés
Il faut comprendre que, quel que soit l’investissement réalisé par les particuliers, si les enseignants restent livrés à eux-mêmes dans un tel système, ils finiront démotivés, car leurs intérêts ne seront pas prioritaires. Cela impactera directement la qualité de l’enseignement et compromettra les objectifs éducatifs.
Une autre recommandation essentielle concerne la révision des programmes d’enseignement. Nous sommes au 21ᵉ siècle et il est inadmissible de continuer à utiliser des programmes datant du 20ᵉ siècle. Le monde évolue rapidement et notre système éducatif doit suivre cette dynamique. Par exemple, dans les pays anglophones, un élève qui termine le lycée avec un diplôme équivalent au Brevet de technicien supérieur a déjà les compétences nécessaires pour entrer sur le marché de l’emploi.
Il est donc crucial de simplifier les programmes pour que les élèves se concentrent sur l’essentiel. Actuellement, en Guinée, les élèves doivent étudier une multitude de matières, souvent sans savoir lesquelles leur seront réellement utiles. Ce système surcharge inutilement les élèves et les empêche de se préparer efficacement pour leur avenir. Une réforme profonde est indispensable pour adapter nos programmes à la réalité actuelle. De plus, il faut revoir le système d’évaluation, notamment celui des examens. La moyenne arithmétique, telle qu’elle est appliquée, cause l’échec de nombreux élèves. Par exemple, un élève qui échoue dans une seule matière et ne parvient pas à atteindre la moyenne générale de 10 est automatiquement recalé, même s’il excelle dans d’autres disciplines.
Ce système est injuste et décourageant. Il peut même être à l’origine de nombreux problèmes sociaux et économiques. Pour garantir une éducation de qualité en Guinée, il est impératif de revoir en profondeur le système éducatif : nationalisation, révision des programmes, et refonte des mécanismes d’évaluation sont autant d’actions nécessaires pour relever le défi. »
Monsieur Tamba Roger Kantambadouno est un enseignant en économie à l’école privée Louis Le Grand de Conakry, en République de Guinée. Il est actuellement censeur dans cette même école privée.