Auteur : Bureau de l’économiste en chef pour la région Afrique
Organisation affiliée : La Banque Mondiale
Type de publication : Rapport
Date de publication : Avril 2020
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La pandémie du COVID-19 a déjà coûté cher en vies humaines et a gravement perturbé l’activité économique dans le monde. L’impact de cette crise sans précédent sur la vie humaine et sur l’économie mondiale reflète la vitesse et la gravité de la contagion, une plus grande intégration des marchés, et le rôle majeur que joue la Chine dans les chaînes d’approvisionnement mondiales, les voyages et les marchés de matières premières.
Malgré une arrivée tardive, le virus s’est rapidement propagé en Afrique subsaharienne ces dernières semaines. Au quatre avril, 5 425 cas de COVID-19 étaient confirmés dans 45 des 48 pays d’Afrique subsaharienne. Vu l’insuffisance des capacités de test dans de nombreux pays de la région, il est probable que ce décompte sous-estime le nombre réel d’infections.
Nous prévoyons que la croissance économique en Afrique subsaharienne passera de [2,4] % en 2019 à une fourchette entre -2,1 % et -5,1 % en 2020, ce qui constituera la première récession dans la région depuis 25 ans. Les pertes de production dans la région pour 2020 vont se chiffrer entre 37 milliards et 79 milliards d’USD. La révision à la baisse de la croissance en 2020 reflète les risques macro-économiques découlant de la chute brutale de la croissance du PIB des principaux partenaires commerciaux de la région, particulièrement la Chine et la zone euro, de la baisse des prix des matières premières, de la réduction de l’activité touristique dans de nombreux pays ainsi que des effets des mesures destinées à maîtriser la pandémie mondiale du COVID-19.
Le COVID-19 frappe les trois plus grandes économies de la région (le Nigéria, l’Afrique du Sud et l’Angola) dans le contexte d’une faiblesse persistante de la croissance et des investissements, et d’un déclin des prix des matières premières. Les prix du pétrole brut et des métaux industriels ont fortement baissé (de 50 et 11 % respectivement entre décembre 2019 et mars 2020).
Les simulations des modèles suggèrent que, comparé à un scénario de base sans COVID-19, la croissance moyenne du produit intérieur brut (PIB) réel dans ces trois pays pourrait connaitre une réduction allant jusqu’à 6,9 points de pourcentage en 2020 dans le scénario de base, et jusqu’à 8 points de pourcentage dans le scénario pessimiste. L’Afrique du Sud a le plus grand nombre de cas confirmés dans la région et les mesures strictes de lutte contre le virus et d’atténuation de ses conséquences pèsent sur son économie.
Dans les pays ne disposant pas de grandes ressources naturelles, la croissance devrait ralentir, mais rester positive. Elle va s’affaiblir de façon substantielle dans les deux zones de croissance rapide, l’Union économique et monétaire d’Afrique de l’Ouest où l’épidémie se propage rapidement, et la Communauté d’Afrique de l’Est, à cause de la faiblesse de la demande extérieure et des perturbations des chaînes de valeur et des productions nationales. L’activité dans les pays dépendants du tourisme devrait également se contracter fortement en réponse aux fortes perturbations dans les voyages et les activités touristiques.
L’impact négatif de la crise du COVID-19 sur le bien-être des ménages devrait être également considérable. Dans le scénario optimiste, les pertes de bien-être en 2020 s’élèvent à 7 % par rapport un scénario sans COVID-19, mais pourraient atteindre 10 % si la crise devait se prolonger. La détérioration des termes de l’échange (à la suite à l’effondrement des prix des produits de base) combinée à une baisse de l’emploi se traduit par une forte perte de bien- être pour les ménages.
Des stratégies ayant pour résultat des blocages des échanges sous-régionaux vont accroître les coûts de transaction et mener à des pertes de bien-être encore plus fortes. En Afrique, une région qui dépend des produits agricoles, ces stratégies auront un impact disproportionné sur le bien-être des ménages à cause des augmentations de prix et des déficits d’approvisionnement.
Le COVID-19 est susceptible de créer une grave crise en termes de sécurité alimentaire en Afrique subsaharienne. La contraction de la production agricole pourrait aller de 2,6 % dans le scénario optimiste jusqu’à 7 % dans le scénario avec blocages commerciaux. Les importations alimentaires baissent également de façon considérable (de 13 à 25 %) en raison de la combinaison de coûts de transaction plus élevés avec une demande intérieure réduite.
Ces constats reflètent les multiples canaux de transmission du COVID-19 sur l’activité économique en Afrique subsaharienne. Le premier est constitué par les perturbations des échanges et des chaînes de valeur, qui affectent les exportateurs de produits de base de la région.
Les déficits budgétaires, selon les prévisions, devraient se creuser dans le contexte d’une baisse des recettes publiques. La détérioration des positions budgétaires devrait être plus importante dans les pays exportateurs de matières premières ou dépendants de recettes touristiques. Les pays riches en pétrole revoient leurs budgets nationaux pour 2020, dont les hypothèses de prix sont plus élevées que le prix moyen du pétrole brut.
Un allégement provisoire de la dette sera nécessaire pour lutter contre le COVID-19 et maintenir la stabilité économique dans la région. Le service de la dette extérieure payé par la région à l’ensemble des créditeurs en 2018 se montait à 35,8 milliards d’USD (2,1 % du PIB régional), dont 9,4 milliards d’USD étaient payés aux créditeurs officiels (0,6 %). Dans une région qui pourrait avoir besoin de mesures de relance d’urgence d’un montant de l’ordre de 100 milliards d’USD (y compris d’une exonération des paiements des intérêts en 2020 estimée à 44 milliards d’USD) un moratoire sur la dette pourrait immédiatement injecter des liquidités et agrandir l’espace budgétaire des gouvernements africains.
Réponse politique au covid-19
Une réponse politique africaine différenciée est absolument nécessaire
Adapter la réponse politique de manière à refléter les caractéristiques structurelles des économies africaines et les contraintes particulières auxquelles sont confrontés les responsables politiques, notamment le rétrécissement considérable de l’espace budgétaire et la forte diminution de la capacité opérationnelle de réponse.
Le COVID-19 est susceptible de créer une grave crise en termes de sécurité alimentaire en Afrique subsaharienne. La contraction de la production agricole pourrait aller de 2,6 % dans le scénario optimiste jusqu’à 7 % dans le scénario avec blocages commerciaux. Les importations alimentaires baissent également de façon considérable (de 13 à 25 %) en raison de la combinaison de coûts de transaction plus élevés avec une demande intérieure réduite
Plusieurs pays africains ont réagi rapidement et de façon décisive pour enrayer l’apparition et la propagation du COVID-19, en s’inspirant de l’expérience internationale émergente. Avec l’évolution de la situation, de nouvelles questions se posent quant à la pertinence et l’efficacité probable de certaines de ces politiques, telles que les mesures strictes de confinement.
La taille importante du secteur informel (89 % de l’emploi total), la précarité de la plupart des emplois, la couverture limitée des régimes de pension et d’assurance-chômage, et la prédominance des micro, petites et moyennes entreprises dans les activités d’affaires (90 %) devront toutes être prises en compte, car elles risquent d’affecter l’efficacité des mesures agressives de confinement.
Protéger les groupes vulnérables, intensifier les tests et encourager le port de masques pourraient s’avérer être des meilleures options. Tout aussi importante est la nécessité de différencier les réponses en matière de politique monétaire étant donné la faiblesse de la transmission monétaire dans des pays dont les marchés financiers sont sous-développés. À cause de l’efficacité réduite des politiques monétaires, la réponse politique sera donc essentiellement budgétaire.
Centrer la stratégie sur le double objectif de sauver des vies et protéger les moyens d’existence. Ceci implique à court terme une combinaison de mesures palliatives et de mesures de stimulation pour garder l’économie en état de marche. Les mesures devraient viser à renforcer les systèmes de santé, à fournir aux travailleurs (formels et informels) une aide en espèces et en nature, à fournir un soutien de trésorerie aux entreprises viables (formelles ou informelles), et à garantir la prestation des services publics.
Mettre en œuvre un programme de protection sociale pour aider les travailleurs, en particulier ceux du secteur informel. Les transferts en espèces sont les instruments les plus utilisés dans la majorité des pays en développement, y compris certains des pays d’Afrique subsaharienne. Certaines des mesures mises en œuvre actuellement comprennent des paiements en ligne, des transferts en nature (distribution d’aliments), des aides sociales pour les personnes handicapées ou âgées, des subventions salariales pour empêcher des licenciements massifs, et la gratuité pour certains services de base (par exemple, les tarifs de l’électricité et les transactions d’argent mobile).
Minimiser les perturbations dans les chaînes d’approvisionnement alimentaire intra-africaines, et maintenir ouverts les couloirs logistiques pour éviter l’apparition d’une crise alimentaire dans la région. Des technologies numériques peuvent aider à anticiper les problèmes et à pallier les pénuries temporaires, ainsi qu’à développer la résilience des chaînes alimentaires. Les systèmes d’alerte précoce de pénuries alimentaires et les systèmes associés d’approvisionnement alimentaire d’urgence devront être ajustés pour accroître l’attention portée aux zones rurales et urbaines.
Planter les graines d’une plus grande résilience. Il s’agit d’une condition sine qua non pour éviter l’occurrence d’une autre décennie perdue dans le développement de l’Afrique. La réponse politique devra donc dépasser les solutions rapides qu’exige la situation actuelle et développer des stratégies pour améliorer la situation en termes d’eau et d’assainissement, pour remédier à la crise du capital humain en particulier dans le secteur de la santé, pour mobiliser les technologies numériques de manière à renforcer l’efficacité du commerce et de l’administration publique au cours du confinement et au-delà, pour maintenir un bon niveau d’investissement dans des services publics tels que l’électricité, pour favoriser des chaînes de valeur intra-africaines dans le cadre de l’Accord de libre-échange continental africain pour la substitution des importations.
Les responsables politiques et les partenaires au développement devront donc réfléchir aux moyens de préparer l’avenir et envisager des politiques qui renforcent la résilience et donnent aux économies africaines les moyens de se redresser plus vite et de s’épanouir après le COVID-19. Bien qu’elle puisse paraître contre-intuitive en période d’urgence, cette vision à long terme pourrait s’avérer décisive pour les pays africains. Ces politiques sont susceptibles de contribuer à raccourcir la période de redressement et à mettre l’Afrique sur la voie d’une transformation économique.
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