Ansuiffat Aboubacar et Aboubakar Alfa Bah
En 2001, l’Afrique connaissait un pic épidémiologique sans précédent de maladies infectieuses telles que le VIH/SIDA et la tuberculose. Les chefs d’État membres de l’Union africaine (UA) se sont alors réunis en avril de cette même année à Abuja au Nigeria et ont déclaré l’état d’urgence pour le SIDA. Plusieurs engagements ont été pris, le plus important étant celui d’allouer 15% du budget annuel des États au secteur de la santé. Plus de vingt ans après, cet article fait le bilan des avancées des pays africains et plus particulièrement ceux des pays de la CEDEAO et des voisins immédiats de cette communauté (Cameroun, la Mauritanie et le Tchad).
Les systèmes de santé en Afrique de l’Ouest en chiffres
En 2019, selon la Banque mondiale, la moyenne des dépenses sanitaires publiques et privées en pourcentage du PIB oscillait entre 3,4 % en Afrique de l’Ouest et 6,3 % dans les pays d’Afrique de l’Est et du Sud, tandis que la moyenne mondiale s’élevait à plus de 9 %.
Les dépenses publiques annuelles par habitant en matière de santé sont à un niveau alarmant. En effet, là où la moyenne mondiale est de 671,3 $, elle ne s’élève qu’à 297,9 $ pour l’Afrique du Nord, 48,8 $ pour l’Afrique de l’Est, et seulement à 13,4 $ pour l’Afrique de l’Ouest. Cette dernière est en fait l’une des régions les moins avancées en termes de financement public de la santé.
Au sein de l’Afrique de l’Ouest et du Centre, les données sont contrastées. Le Cap-Vert est premier dans la région avec des dépenses sanitaires publiques comptant pour 10,39% de son budget annuel, soit de ses dépenses publiques totales. Le budget gouvernemental moyen alloué à la santé y était de 117$ par habitant, tandis que ce chiffre ne s’élevait pas à plus de 30,3 $ dans le reste de la région. En somme, les budgets nationaux consacrés aux dépenses sanitaires en Afrique de l’Ouest n’ont pas connu l’accroissement promis par les chefs d’État depuis la déclaration d’Abuja.
Si l’on regarde le total des dépenses sanitaires au cours des vingt dernières années, on s’aperçoit que les dépenses des gouvernements restent faibles comparativement à celles des acteurs privés, tels que les ménages, les entreprises et les organisations à but non lucratif. Le Cap-Vert est le seul pays de la région où le gouvernement effectue plus de 50% des dépenses totales de la santé, avec un pourcentage de 65,8%. Le cas du Cameroun est préoccupant. Alors que les dépenses publiques de santé couvraient 22% des dépenses totales en 2002, ce chiffre a progressivement baissé jusqu’à atteindre un pourcentage de 3,4 en 2019. Ces données témoignent d’une privatisation croissante des systèmes de santé.
Privatisation des systèmes de santé
Selon la Fondation Mo Ibrahim, la santé constitue l’un des domaines ayant connu le plus de progrès sur le continent. On doit ce succès à la lutte contre les maladies épidémiologiques érigée en priorité dans l’agenda politique des pays concernés, bien que ces efforts aient ralenti depuis 2015.
L’accès à la santé est devenu ensuite plus difficile, du fait de l’insuffisance des dépenses gouvernementales qui a entrainé la privatisation croissante des services de santé. Ce processus met à mal les années de progrès réalisés par les pays concernés et ralentit l’amélioration des indicateurs de santé.
D’une part, la réduction progressive du rôle des États dans la fourniture de soins de santé intensifie et légitime l’intervention des organisations non-gouvernementales (ONG). Bien que ces structures bénéficient de subventions des États, on note pour certaines une tendance à l’imposition des frais d’usager.
D’autre part, les hôpitaux et cliniques privés prolifèrent dans la région, ce qui accroît inévitablement les inégalités d’accès aux soins, notamment entre les populations urbaines et rurales. Ces dernières sont les premières victimes de la réduction du rôle des États, qui n’ayant pas accès à des services hospitaliers publics géographiquement proches, doivent se diriger vers des structures privées.
L’OMS met en garde la communauté internationale contre la privatisation des systèmes de santé, car elle est facteur d’appauvrissement pour bien des populations. En cas de maladies soudaines ou d’accidents, des ménages se retrouvent bien souvent à devoir puiser dans leurs économies, vendre leurs biens ou contracter des crédits. Par conséquent, certains ménages sombrent en deçà du seuil de pauvreté extrême, situé à 1,9 $ par jour.
La Couverture sanitaire universelle (CSU) est un des Objectifs de développement durable (ODD) que les États membres des Nations Unies ont décidé d’atteindre d’ici 2030. Cette mesure se définit comme l’accès à tous les services de santé, allant de la prévention aux soins palliatifs, à un moindre coût, voire gratuitement.
La Couverture sanitaire universelle est un outil puissant permettant de pallier les inégalités économiques, tant elle permet notamment aux plus pauvres de se soigner sans être frappés par les difficultés financières. Toutefois, dans un rapport de l’OMS datant de 2017, l’on notait que les pays de la zone ouest-africaine avaient des indices de couverture des services de la CSU inférieurs à 45, excepté pour le Cap-Vert et la Gambie qui comptaient des indices allant de 46 à 69.
A titre comparatif, cet indice était de 89 au Canada, et de 78 en France, indiquant une meilleure couverture de ce service. Une nouvelle fois, la région est l’une des moins avancées sur le sujet. Les États doivent donc mettre plus de moyens en œuvre pour pallier les inégalités géographiques et économiques que rencontre la population ouest-africaine.
La question de la recherche et de la formation dans le domaine de la santé
Le développement de meilleurs systèmes de santé passe obligatoirement par la formation d’un personnel médical hautement qualifié. Toutefois, on note des défis dans la formation notamment les moyens et infrastructures qui poussent la plupart des étudiants à faire le choix de poursuivre leurs études en Occident.
Dans les pays de la région, la recherche et la formation semblent continuer à être négligées. Le nombre de médecins en Afrique est seulement de 4,5 pour 10 000 habitants. De plus, 20 000 personnels qualifiés quittent le continent chaque année et 90% du personnel est concentré dans les zones urbaines. Notons également un manque de structures de formation dans le domaine médical et de laboratoires de recherche.
Prenons l’exemple de la République de Guinée. En 2017, lors d’un atelier, Abdoulaye Yéro Balde, ancien ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de l’Innovation disait qu’ « une réforme est impérative, notre système de formation en santé n’est pas efficace, il y a trop de monde pour très peu d’infrastructures, d’équipements adéquats, de laboratoires. Donc, la formation n’est pas de qualité et la réforme est nécessaire, si on veut aller de l’avant ». Pour cet ancien ministre, il existe une inadéquation entre formation et emploi dans le domaine de la santé. Le cas de la Guinée n’est pas un exemple isolé car on retrouve à peu près les mêmes situations dans d’autres pays de la zone ouest-africaine.
Selon le professeur sénégalais Cheick Tidiane Touré : « la formation d’un spécialiste de médecine (chirurgien, gynécologue-obstétricien, pédiatre, etc.) dure 12 années au moins après le Baccalauréat : elle est longue et pénible! En comparaison, d’autres cadres supérieurs de l’État, dont pourtant la durée moyenne de formation est habituellement moindre, ont des rémunérations en salaire et en nature deux à trois fois plus grandes! Ceci est inéquitable et injuste… Mais surtout, recevoir cette bourse est devenue aléatoire. Et puis, de nombreux apprenants n’ont pas du tout de bourse ».
Malgré les difficultés dans la formation en médecine dans la région, on ne peut ignorer certaines avancées, telles que la mise en place des projets et programmes de formations et de renforcement de capacités. Au Nigeria, l’initiative « Sauver un Million de Vies » par exemple, a permis de former, recruter et affecter 11 300 travailleurs de la santé au sein de communautés enclavées du pays.
Au Togo, plus de 600 personnels infirmiers et sage-femmes ont récemment été formés à la prévention des infections et à la prise en charge des patients atteints de la Covid-19. De plus, la formation initiale et continue est offerte par des centres de formation bien équipés. Cette initiative portée par l’OMS a également permis de faire bénéficier aux étudiants de meilleurs équipements médicaux.
Les crises sanitaires spectaculaires vécues ces dernières années, notamment avec la pandémie d’Ebola ou encore la Covid-19, ont confirmé le caractère prépondérant des questions de financement de la santé et de la formation pour les États de la région.
Ansuiffat Aboubacar est étudiante en Master d’Économie internationale. Intéressée par le développement économique et les enjeux éducatifs dans les pays émergents, elle a effectué un stage chez WATHI en tant que chargée de recherche. Aboubakar Alfa Bah, étudiant en Licence de Science politique et relations internationales. Intéressé par les questions de coopération internationale et de développement. Il effectue un stage chez WATHI comme assistant chargé de recherche.
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félicitations pour cet article que je trouve très intéressant de par la problématique qu’il dégage. Je l’ai lu avec satisfaction à la fin. Je voudrais alors me permettre de citer quelques pages de ce travail dans un article que je suis en train de rédiger sur le financement du système de santé du Togo. Je serais honoré de corédiger cet article avec Ansuifatt ou Alfa Bah. Cordialement, Donkor